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mercredi 8 novembre 2017

"Prendre le large": film hommage au monde ouvrier?

Bonjour à tous

Mercredi 8 novembre sort Prendre le large, le nouveau film de Gaël Morel. Film ouvertement social, dont le générique commence par des plans sur des métiers à tisser et les tissus qui en sortent, le sujet est ambitieux par les différents points qu'il soulève. Un plan social, des actions syndicales, le reclassement des ouvriers dans un pays à faible coût de main d'œuvre, mais encore l'émigration, le regard sur un pays du Maghreb et son islamisation, mais encore les relations mère-fils, l'acceptation de l'homosexualité du second par la

jeudi 7 septembre 2017

"La journée de la jupe": le diagnostic avant les drames

Bonjour à tous

En 2009, Arte diffusait La journée de la jupe avant sa sortie en salles. Réalisé par Jean-Paul Lilienfeld et avec Isabelle Adjani dans le rôle de Madame Bergerac, professeur de français d'un collège de banlieue, le film avait été accueilli plutôt positivement par les médias sans pour autant pointer forcément du doigt ce que ce film révélait. Le revoir 8 ans après est assez troublant car il porte en lui tous les éléments de l'actualité depuis 2015.

Le recul de l'autorité des enseignants
Le film plonge rapidement dans son sujet: une professeur de banlieue avec une population immigrée majoritaire se fait malmener par les élèves, garçons comme filles. Elle se fait insulter, intimider, humilier mais elle essaie tout de même de

lundi 28 août 2017

"Le prix du succès" : La liberté a un prix

Bonjour à tous,

Dans l’intimité d’une voiture, deux frères discutent quand soudain un homme à l’extérieur, apparemment du même milieu qu’eux, demande à parler à l’un des deux : Bahim (Tahar Rahim). Il le filme, communique en direct sur les réseaux sociaux en montrant Brahim dans une situation peu avantageuse et s’énervant quand il lui est demandé d’arrêter. Le décor est alors planté. Brahim est une vedette du stand-up et Mourad (Roschdy Zem stupéfiant de justesse) est son frère, à la fois manager et garde du corps. Mais surtout du genre sanguin. Le film de Teddy

mercredi 30 mars 2016

"L'avenir": faire du vieux avec du jeune

Bonjour à tous

le 6 avril 2016 sort donc L'avenir, film français de Mia Hansen-Løve, Ours d'argent au dernier festival de Berlin comme "meilleur réalisateur", avec Isabelle Huppert dans le rôle principal.
Et il faut bien reconnaître que le titre est trompeur car le traitement regarde clairement le passé, et toujours par l'œilleton de la petite bourgeoisie...

Les vieilles lunes soixante huitardes
Nathalie et Heinz sont mariés, parents de deux enfants, professeurs de philosophie tous les deux - Heinz dans le prestigieux Lycée Henri IV - et impliqués dans l'édition d'ouvrages de philosophie. Nathalie dirige une collection, est auteur d'un manuel plusieurs fois édité et soutient des auteurs auprès de sa maison d'édition.
L'environnement du domicile transpire la culture et l'érudition. Les ouvrages des philosophes couvrent les murs envahis par les étagères. Pas de doute, nous sommes chez des lettrés intellectuels.
Les deux époux ont bien sûr été étudiants, lui du genre conservateur, une sorte de Jean-François

lundi 22 février 2016

Comment le cinéma raconte-t-il le monde du travail?

Bonjour à tous,

en 2013, les Semaines Sociales de France m'avaient demandé d'y participer en proposant une conférence à Lyon et diffusée dans d'autres sites.

À partir de nombreux exemples de films, à commencer par La sortie d'usine, premier film de l'Histoire du cinéma, cette conférence aborde différents thèmes, que ce soit la présentation des activités économiques ou encore les revendications sociales et les mutations actuelles face à l'ultra-financiarisation de l'économie mondiale.


Cette conférence a été filmée et je vous la propose dans son intégralité ici, sur le site des Semaines Sociales de France:
http://www.dailymotion.com/video/x17qimd_le-travail-dans-le-cinema-une-longue-histoire_news


À très bientôt
Lionel Lacour

mardi 15 avril 2014

Pas son genre: la ségrégation culturelle selon Lucas Belvaux

Bonjour à tous,


Dans Pas son genre, Belvaux reste dans l'adaptation littéraire après 38 témoins tirés du livre de Didier Decoin. En conservant scrupuleusement la fin du livre de Philippe Vilain pour en tirer une œuvre qui ne pourra laisser indifférent les spectateurs parce qu'elle est au final d'un pessimisme redoutable, Lucas Belvaux nous livre, l'air de rien, une vision d'une société française qui se morcelle - sortie en salle le 30 avril.

Une histoire d'amour impossible
Le cinéma regorge de ces comédies romantiques faisant se rencontrer un homme et une femme que tout oppose. Pour ne pas remonter aux origines du 7ème art, il suffit de se rappeler Quand Harry rencontre Sally pour se souvenir que cette histoire d'amour était improbable tant la perception de la vie des deux héros semblait différente. Oui mais ils étaient

vendredi 7 février 2014

Frozen River: le rêve américain, en petit

Bonjour à tous,

le cinéma américain a ceci de vertigineux qui est de savoir présenter ce qu'est le rêve américain même en restant dans des espaces les plus petits. La liste est longue des films qui ne s'ouvrent pas sur les grands espaces pourtant si caractéristiques du Nouveau Monde. Même La prisonnière du désert nous invite à imaginer que le bonheur réside dans l'établissement d'une famille dans une ferme. Voyage au bout de l'enfer ne déroge pas à la règle, la ferme s'étant transformée en petite ville sidérurgique. Plus récemment, Gran Torino, sorti aux USA la même année que Frozen river n'étendait pas ses prises de vue bien au-delà de quelques quartiers pavillonnaires populaires. En 2013, The place beyond the pines reprenait encore cette idée que malgré le gigantisme du pays, l'espace se résumait pour nombre d'Américains pas beaucoup plus loin que la ville.
Ainsi donc, en 2008, Courtney Hunt écrivait et réalisait son premier, et

lundi 11 novembre 2013

"La chasse": un film dérangeant

Bonjour à tous,

En 2012, Thomas Vinterberg voyait son film La chasse être sélectionné au festival de Cannes puis son acteur principal, Mads Mikkelsen, recevoir le prix d'interprétation masculine. Après Festen, réalisé en 1998, le réalisateur retrouvait le thème de la pédophilie en changeant radicalement de point de vue. Il ne s'agissait évidemment pas de trouver des circonstances "atténuantes" à la pédophilie! Mais Vinterberg a choisi cette fois le principe de l'innocence de celui qui est accusé, plongé dans une sorte de tourbillon infernal faisant de lui un coupable pour toute une communauté. Le film a partagé, et partage encore, les critiques. Pas tant sur la forme ni sur l'interprétation. Mais curieusement sur le fond, reprochant à Vinterberg de jouer sur du velours en prenant fait et cause pour cet homme, Lucas, accusé injustement. Ce serait trop facile. Vraiment? Et si ce film mettait les spectateurs mal à l'aise parce qu'ils pourraient se reconnaître dans le film?

lundi 16 septembre 2013

Elle s'en va: Catherine Deneuve est une femme comme les autres.

Bonjour à tous,

Le 18 septembre 2013 sort Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot. Ce film, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma commence sa course en Bretagne pour finir dans l'Ain en passant par le Limousin et même la Haute Savoie. L'histoire est assez improbable: une restauratrice bretonne, Bettie, sous pression de ses banquiers quitte soudain son restaurant pour respirer, acculée qu'elle est par le désastre de se situation sentimentale que ne compense pas sa situation professionnelle. Ce départ marque le début d'un enchaînement parfois surréaliste d'événements la conduisant à retrouver son petit-fils qu'elle doit accompagner jusqu'à chez son grand-père dans l'Ain. Ce road movie étrange apporte quelques éléments de compréhension de notre société contemporaine que le cinéma ou la télévision oublient souvent.

samedi 17 août 2013

L'arbre aux sabots: chronique paysanne?

Bonjour à tous,

en 1978, le film d'Ermanno Olmi recevait la Palme d'Or au festival de Cannes pour L'arbre aux sabots, un film dans la trempe sociale comme le cinéma italien sait régulièrement en faire. Plus de 3 heures sur la vie de paysans de la région de Bergame, au Nord de l'Italie, à la fin du XIXème siècle. Pour ceux qui n'auraient jamais vu ce film et qui raffole du cinéma d'action; il faut absolument les prévenir qu'il s'agit d'une œuvre extrêmement lente et longue, ne maniant qu'avec parcimonie l'ellipse (j'y reviendrai). Peu d'action, peu de dialogues, avec des acteurs amateurs. Le souci didactique est permanent. Pourtant, une véritable montée en tension existe. Mais elle se fait au fil des saisons. Et surtout, le réalisateur nous présente une vision de ce monde rural qui mêle celle d'un ethnologue et d'un historien, mais aussi d'un témoin de seconde main, étant lui-même originaire de Bergame et de cette région agricole.

Un film sans véritable héros
Si la première séquence du film s'ouvre sur une scène à l'église dans laquelle le curé recommande à la famille Batisti de mettre à l'école leur jeune fils Ninec, âgé de 7 ans, le spectateur va suivre durant un peu plus de 3 heures l'histoire des habitants d'une ferme. Celle-ci semble être d'ailleurs le véritable personnage principal du film et ses habitants sont présentés comme formant un véritable corps. D'ailleurs, Olmi ne s'en cache pas et le dit même ouvertement au début de son film, après la séquence introductive:

"Film interprété par des paysans et des gens de la région de Bergame"
"Voici ce qu'était une ferme lombarde à la fin du XIXème siècle dans laquelle vivait 4 à 5 familles de paysans"
"La maison, les étables, la terre, les arbres et une partie du bétail appartenaient au patron à qui on remettait une partie de la récolte."

Ainsi, le film suivra durant une année entière la vie de ces familles à la fois différentes mais partageant un destin commun. La famille Batisti, celle de la veuve et ses six enfants, celle de Finard, homme colérique et foncièrement bête, ou encore celle d'un amoureux transi pour une jeune femme de la ferme. Le scénario nous fait passer d'une famille à l'autre, comme une série télévisée pourrait le faire aujourd'hui, mais avec des temps communs les rassemblant tous, que ce soit autour du travail dans les champs, à la veillée nocturne ou encore lors des rares moments de joie, que ce soit à la fête du village ou lors de la venue du vendeur ambulant.

Le héros négatif est assez loin. Du moins à l'image. En effet, le patron est présenté comme un personnage désintéressé du sort des hommes et femmes qui travaillent sur ses terres. Il vit non loin de la ferme comme l'atteste ce moment où il écoute un air de musique classique sur son phonographe et qu'entendent également les paysans de la ferme. On imagine donc qu'il réside à proximité des paysans sans pour autant les côtoyer. Le régisseur fait le lien entre lui et la ferme.

Le visible et l'invisible
Olmi montre tout. Comme un scientifique, il dissèque la vie paysanne qu'il présente à ses spectateurs sans grandes précautions habituelles. Le travail dans les champs est montré en détail, longtemps. La mécanisation n'est pas encore apparue et on évoque que peu l'amendement de la terre pour augmenter les rendements. Mais Olmi va plus loin en filmant ce qui ne l'est jamais directement, comme pour préserver les sensibilités urbaines des spectateurs. Ainsi, un des paysans prend--il une oie pour lui couper la tête. Pas de plan de coupe (si je puis dire) pour que le spectateur comprenne sans voir. Le corps décapité de l'oie est filmé sans artifice de montage, le sang s'écoulant véritablement de son cou. Si la séquence est rapide, celle avec l'égorgement du cochon est encore plus réaliste et plus dure. Rien ne semble être épargné aux spectateurs: l'acte d'égorgement, les hurlements du porcs se vidant de son sang, les bassines pour le récupérer, le dépeçage. Séquence assez insoutenable, elle est présentée comme l'habitude des ce monde rural qui ne voit dans les animaux de la ferme que ce pour quoi ils sont destinés, une réserve alimentaire. Les enfants assistent aussi à cette forme de spectacle rural, violent et brutal mais aussi nécessaire pour leur survie.

À ce visible que nous souhaiterions parfois nous être caché, Olmi omet certains moments que nos regards ont pourtant parfois l'habitude de voir. Ainsi, la séquence de l'accouchement de la femme de Batisti est-elle occultée intégralement. Quant à la nuit de noces entre les deux jeunes amants, elle est marquée par une ellipse formidable puisque pas le moindre corps n'est montré en partie nu. Nous comprenons que la nuit s'est passée par les gestes de déshabillement de la femme, puis, dans le plan suivant, nous la voyons se recoiffer.

Tout se passe donc à l'écran comme ce que Olmi témoigne de ce qui était vu ou masqué par tout à chacun. Ce que nous prenons pour acte de barbarie était un geste normal auquel tout le monde pouvait assister. En revanche, ce que notre civilisation occidentale contemporaine montre désormais avec une très (trop?) grande facilité, c'est-à-dire tout ce qui relève de l'intime, disparaît de la pellicule, conservant une dimension sacrée.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la nuit de noce se passe dans la chambre d'un couvent où la tante de la jeune épouse y est nonne.

Cet aspect est d'ailleurs particulièrement intéressant car il montre que le film est bien un récit mis en scène, réfléchi, et pas seulement une chronique ordinaire et commune. On imagine difficilement en effet que chaque nuit de noce se passe dans un couvent. La sacralité de cette nuit vient en fait clore un discours extrêmement emprunt de religiosité du film. Tout est prétexte à se signer, à prier. Quand le vétérinaire annonce que la vache de la veuve va mourir, celle-ci en appelle au Christ pour bénir de l'eau qui devrait sauver l'animal. Ce qui est finalement le cas!



La piété de ces paysans confine parfois à de la superstition et nulle explication n'est donnée quant à la guérison miraculeuse. Mais c'est aussi Finard qui doit subir une méthode de soin stupéfiante mêlant croyance chrétienne et potion ressemblant à ce qu'une sorcière aurait pu administrer. Enfin, pour en revenir à na notion de miracle, Olmi joue sur sa mise en scène qui évite de filmer l'intime et sur le sens que le spectateur peut donner à certaines séquences. Ainsi, les deux époux se retrouvent dans un lieu religieux et nous ne les voyons pas avoir de relations
sexuelles. Pourtant, ils reviendront dans leur ferme avec un des enfants abandonnés que les sœurs du couvent élèvent. Il y a un aspect marial évident dans cette séquence que la pureté de la jeune mère adoptive vient confirmer. Tout comme les séquences intimes qui ne se montrent pas, Dieu et ses agissements ne se montrent pas directement et témoigne de sa réalité par des preuves qui confortent les croyants.

Une représentation imaginaire?
Ce que montre Olmi est évidemment un condensé de la vie rurale et les témoignages écrits sont suffisamment nombreux pour accréditer nombre des séquences du film. Plus encore, il suffit de voir certains témoignages de paysans italiens d'après la seconde guerre mondiale pour croire en cette ruralité densément peuplée et peu mécanisée de la grande région du Pô. Des films comme Riz amer de Giuseppe De Santis en 1949 montrent d'ailleurs des plans d'une riziculture extrêmement rudimentaire. Plus récemment encore, d'autres pays de l'Europe méditerranéenne avait une agriculture extrêmement peu mécanisée et vivait entièrement au rythme des saisons, que ce soit au Portugal, en Grèce et davantage encore en Albanie. Pourtant, cette représentation parfaitement ordonnée du monde paysan souffre de quelques manques. D'autres diraient d'excès. Par exemple, Olmi propose une vision extrêmement figée des relations humaines: peu de rires, peu de relations en dehors des moments délimités comme tels, notamment les veillées. Si les enfants travaillent dans les champs ou à la filature, aucun ne joue véritablement ou bien crient. De même, les relations familiales sont extrêmement policées. Pas de cris, pas de contestation. Seul Finard s'en prend à son garçon de plus de 15 ans. Mais Finard est présenté comme un abruti, accusant un cheval de lui avoir volé une pièce d'or qu'il avait caché sous son sabot! Vivant tous dans la même ferme, aucune des familles n'a de vrai antagonisme envers l'autre. Et les scènes, rares, au village, sont de cette même nature.

Ce qui pourrait être un témoignage d'une réalité particulière et propre à cette seule ferme est pourtant prolongé ailleurs, y compris dans la grande ville, Milan, où se retrouvent les jeunes mariés. La ville entière est silencieuse. Pas de cris de commerçants, pas de brouhaha caractéristique du monde urbain. Cette tempérance permanente relève donc bien d'un choix à la fois esthétique et de celui de donner un certain sens à cette quiétude curieuse. Pour en revenir à la ville, le calme provient de la pression exercée par les forces policières qui semblent faire peur à tous. Le bruit est déjà en soi un signe extérieur de contestation et par voie de conséquence, de révolte contre un ordre établi. Ramené au village et à la ferme, la bonne entente supposée entre les différentes familles doit alors être comprise par l'ordre imposé par le patron qui n'accepte aucune contestation de quelque nature que ce soit. De fait, le jeune homme aborde de manière très courtoise et discrète celle qui à la fin de l'année devient sa femme. Aucune exubérance pour un jeune Italien qui se trouve dans une situation pourtant propice à l'excitation, notamment vocale. On ne peut d'ailleurs imaginer que jamais un jeune paysan de la région de Bergame n'ait parlé un peu fort pour séduire une jeune femme. Mais Olmi s'astreint à cette discrétion totale, exagérément tranquille.

Pourtant, il y a des éléments dans le film qui montre que des tensions sont possibles. Ninec envoyé à l'école alors qu'aucun des enfants de la ferme n'y va pourrait sans aucun doute être vécu comme une forme de prétention de la famille Batisti. Finard qui se comporte extrêmement mal avec son fils et avec le reste de la ferme d'ailleurs ne rencontre jamais de vraies critiques des autres. On peut cependant se demander si la recette de la potion sensée le guérir de son coup de folie à l'encontre de son cheval n'est pas une vengeance cachée puisqu'on lui ordonne de boire un verre avec de l'eau boueuse et quelques vers... Enfin, le grand-père qui sème en cachette ses graines de tomates sur un lit de fientes de poulet en fin d'hiver pour pouvoir les planter ensuite plus tôt au printemps et avoir des tomates précocement ne peut pas ne pas attirer quelques rivalités au sein de la ferme. Mais là encore, rien ne transpire des tensions possibles.

Un film anti-fasciste?
En plaçant l'action à la fin du XIXème siècle, il ne peut y avoir de références au fascisme en tant que tel, puisqu'il n'apparaîtra que quelques décennies après. Pourtant, la morale du film est particulièrement troublante. En effet, comme il avait commencé, il se termine sur la famille Batisti. C'est le curé qui avait demandé aux parents de Ninec de l'envoyer à l'école, demandant des sacrifices importants, aux parents comme à l'enfant. Celui-ci devait faire plusieurs kilomètres, aller et retour, par jour pour se rendre à l'école du village, chaussé de simples sabots. Or ceux-ci se cassent à force d'usure. Le père doit alors lui en fabriquer de neufs, n'ayant pas les moyens d'en acheter. Il les taille alors dans le bois d'un arbre qu'il a coupé et qui appartenait forcément au patron. Celui-ci s'en rend compte quelques mois après et trouve le coupable. Batisti est donc chassé de la ferme, sous le regard des voisins qui prient vaguement et les voient s'en aller au loin dans la nuit. Scène finale.
La morale est donc terrible puisque c'est parce qu'un homme d'église leur a demandé de mettre leur enfant à l'école que le malheur a touché les Batisti. Sans cette école, point de sabot cassé, point de vol de l'arbre, point d'expulsion par le patron. Cet acte profondément injuste ne suscite pourtant aucune réaction en faveur des Batisti, pas plus des voisins, eux aussi soumis au patron, que du curé.
Cette situation de misère conjuguée à l'acceptation d'une autorité insensible a pu expliquer la révolution fasciste d'après la première guerre mondiale. Mais cette révolution était en réalité celle qui faisait passer d'un autoritarisme local à un autre national, tout aussi implacable.
Le film d'Olmi se conclut par une injustice n'ayant entraîné aucune révolte légitime des autres opprimés, trop heureux de ne pas être expulsés, et peut-être jaloux des Batisti. C'est aussi une conclusion contre une religion qui ne fait jamais d'autre chose que de conseiller sans vraiment intervenir entre le détenteur du pouvoir temporel - économique ou politique - et les simples habitants. En cette période des années 1970, pour un cinéaste marqué par le cinéma néo-réaliste des années 1940, le message va donc au-delà de ce vérisme porté à l'écran. Sans climax tonitruant, sans violence majeure, sans oppression marquée à chaque séquence, Olmi montre pourtant des victimes d'une classe sociale qui ne sont défendus par personne, ni par les leurs, ni par l'institution qui aurait pu intercéder en leur faveur. Il crée chez les spectateur une envie de révolte évidente, une envie d'agir. Il préfigure le fameux "Indignez-vous" de Stéphane Hessel à des spectateurs italiens encore marqués par un parti communiste puissant, par un parti fasciste dans les mémoires, par un passé rural bien ancré en chacun et par un rejet des certaines formes de pouvoir économiques qui dominent de fait une Italie largement corrompue.

L'arbre aux sabots est donc un film majeur, même si le traitement est plus difficile à regarder aujourd'hui que dans les années 1970 de par son parti pris évoqué plus haut. Il est cependant une remarquable représentation du travail dans une Italie du XIXème siècle dont on peut penser que bien des aspects étaient semblables dans d'autres pays européens, y compris cette situation de soumission à des pouvoirs économiques qui ne pouvaient résister bien longtemps à la montée en puissance des aspirations de liberté.

À bientôt
Lionel Lacour

samedi 13 juillet 2013

Grand Central: au cœur du nucléaire

Bonjour à tous,

mercredi 10 juillet, Grégory Faes de Rhône-Alpes Cinéma proposait à l'UGC Confluences une avant première du film de Rebecca Zlotowski, Grand Central. Projeté déjà au Festival de Cannes dans la sélection "Un autre regard", Thierry Frémaux, directeur de ce festival, était venu lui aussi présenter ce deuxième long métrage de la réalisatrice, Belle épine (2010), déjà avec Léa Seydoux. L'introduction faite permettait d'orienter notre regard sur ce monde des travailleurs des centrales nucléaires, monde qui, comme celui des autres travailleurs de l'industrie, sont de moins en moins présents dans le cinéma français, ce que ne manqua pas de rappeler Thierry Frémaux.
La distribution est particulièrement flatteuse avec Léa Seydoux donc, mais aussi Tahar Rahim, Olivier Gourmet ou encore Denis Ménochet.

jeudi 30 mai 2013

Le Joli Mai: 50 ans après, un choc culturel

Bonjour à tous, 

comme annoncé dans un précédent message, Thierry Frémaux a donc présenté hier soir à l'Institut Lumière le film de Chris Marker et de Pierre Lhomme Le joli mai. Réalisé en 1962 et sorti en 1963, soit il y a juste 50 ans, ce documentaire est une déambulation dans les rues de Paris s'arrêtant sur quelques témoignages saisissants de Parisiens de toutes origines. Le noir et blanc de la photographie de Pierre Lhomme est d'une beauté étourdissante et fait de la ville-lumière à la fois une série de cartes postales attendues mais aussi des portraits magnifiques de simples citoyens comme des découvertes d'un Paris oublié, celui des quartiers de misère, aux rues sales et sombres.

jeudi 2 mai 2013

Ken Loach ou le cinéma du peuple


Bonjour à tous,

en octobre 2012, le Festival Lumière honorait le réalisateur britannique Ken Loach, à un peu plus d'un mois de la désignation du prochain prix Lumière pour la 5ème édition de ce grand festival lyonnais, je vous propose de revenir un peu sur la filmographie de Ken Loach
dans cet assez long article.

samedi 13 avril 2013

La famille française des années 1950 à aujourd'hui dans le cinéma populaire


Bonjour à tous

Le cinéma français comme d’autres cinéma s’est souvent attaché à montrer sa vision de la famille destinée à toucher les spectateurs. La dramaturgie filmique des films abordant cette thématique joue sur une corde assez sensible et finalement assez commune au travers des époques. Filmer une famille heureuse n’a finalement que peu d’intérêt. En revanche, montrer les failles ou les plaies d’une famille, voilà qui crée bien de l’intérêt pour les spectateurs. Dès lors, c’est bien de ces faiblesses montrées à l’écran que nous pouvons mieux comprendre à la fois le modèle familial qui est en jeu au moment de produire le film et les difficultés pour atteindre ce modèle. Si la question dramaturgique pose donc peu de question, c’est bien le comment cette dramaturgie est mise en place qui importe et avec cela, comment cette représentation en dit long sur la société et sa perception de la famille. C’est autour de six films de réalisateurs de films populaires que je vous propose cette petite analyse.

  1. Une famille, un ou des parents, un ou des enfants: un modèle cabossé
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les familles connaissent divers traumatismes, que Denys de la Patellière aborde dans Rue des prairies, faisant du personnage joué par Jean Gabin, le père d’enfant dont l’un fut engendré alors même qu’il était prisonnier. Pourtant, il l’élève comme son propre fils, même après la disparition de sa femme. Le cinéma à Papa jouait sur la fibre paternelle et masculine. Paradoxalement, François Truffaut, réalisateur de la Nouvelle Vague qui avait tant critiqué ce cinéma dépassé, ne montrait pas une meilleure image de la mère dans son premier film Les 400 coups. Volage, peu aimante, elle ne permet pas au jeune Antoine Doisnel de se construire dans un modèle familial solide. S’il essaie d’être aimé par elle, celle-ci se détourne de ce modèle maternel qui lui serait imposé par la société, comme elle se détourne de la fidélité à son mari. Dans ces deux films, c’est la mère qui est mise sinon en accusation, du moins en cause dans la perturbation du modèle familial classique.
En 1973, La gifle de Claude Pinoteau semblait reprendre le même schéma. Lino Ventura incarnait un père ayant la charge de sa fille, étudiante en médecine, interprétée par Isabelle Adjani. Or il vit une relation avec une femme qui n’est pas son épouse officielle tandis que la mère de sa fille, Annie Girardot, vit sa passion avec un Australien. Ils ne sont pas divorcés. Et si c’est bien la femme de Lino Ventura qui est partie, il n’y a plus d’accusation du réalisateur dans cet amour vécu par elle. C’est une famille éclatée qui est présentée, en rupture avec les modèle précédent, avec la banalisation d’un mariage qui s’est fini parce qu’il n’y avait plus assez d’amour, avec la difficulté aussi du père/mari de se trouver dans cette situation.
En 1980, le même Claude Pinoteau continuait son approche de la famille avec La boum présentant un couple au-dessus de tout soupçon, semblant vivre un parfait amour. La mère, jouée par Brigitte Fossey, travaille, est autonome comme un homme mais doit faire face à l’infidélité de son mari incarné par Claude Brasseur. Cette famille présente une caractéristique nouvelle par la présence de l’arrière grand-mère de Vic – Sophie Marceau – interprété par Denise Grey. Ce personnage haut en couleur est aussi l’incarnation d’une nouvelle figure de la famille moderne, celle d’une personne du troisième âge qui mène une vie autonome et moins dépendante de ses enfants. Si la morale du film est sauve avec un happy end, ce même happy end est présent dans La crise de Coline Serreau en 1992. Pourtant, le personnage du mari interprété par Vincent Lindon n’a pas trompé sa femme. Il l’a juste négligé. Et la soudaine absence de celle qu’il aime va lui faire prendre conscience de cette famille à laquelle il aspire. Il découvre stupéfait que d’autre modèles existent, famille éclatées et recomposées qui seraient heureuses alors que lui ne semble plus l’être. Même sa mère refait sa vie avec un homme plus jeune qu’elle! Si sa femme revient, c’est parce que c’est lui qui a dû s’amender de son comportement entièrement tourné vers son travail. Ce qui pouvait être valorisé dans les films des années 1950 est désormais montré comme un élément négatif dans la vie de famille. L’épouse est désormais à la fois amante, mère et indépendante économiquement. La fonction “nourricière” du mari est donc obsolète car le contrat social du couple, qu’il passe de manière formelle par le mariage ou par un accord tacite, ne repose jsutement plus sur cette répartition des fonctions de chaque membre du couple. La famille du film LOL de Lisa Azuelos en 2008 en témoigne de manière assez stupéfiante, faisant du mari de Sophie Marceau – et père de Lola, héroïne du film – un personnage quasi absent, divertissement sexuel du personnage de la mère, père cadeau de sa fille mais plus vraiment décideur de la vie de famille dans laquelle la mère est désormais la seule à décider de tout, à commencer par l’éducation de sa fille.

  1. La représentation de l’autorité parentale: une évolution en phase avec celle de la société
Si la représentation de la famille évolue, c’est également celle de l’autorité parentale, et particulièrement paternelle qui voit son image se transformer: autoritaire chez Denys de la Patelière, oscillant entre l’ouverture née de 1968 et le conservatisme d’antant dans La gifle, cette autorité évolue rapidement vers l’incompréhension totale d’un père qui ne comprend plus les aspirations de ses enfants. C’est particulièrement vrai dans La boum, jusqu’à la quasi absence de la figure masculine de l’autorité, par exemple dans LOL. A la régression du rôle paternel se substitue au contraire le rôle de plus en plus important de la mère, deplus en plus présente, jouant progressivement le rôle habituellement attribué au père.
Si dans Les 400 coups, l’autorité de la mère apparaît comme une autorité négative, preuve du non amour de son fils, rendant par la même occasion la figure du père particulièrement insignifiante, la mère de Vic dans La boum n’hésite pas à la punir. La figure de Poupette, la grand-mère pétillante, reprenant finalement le rôle de la mère qui passait derrière la sanction du père pour la faire accepter à ses enfants. Dans La gifle, l’autorité paternelle contestée, remise en cause par sa fille est curieusement argumentée par sa perte d’emploi. Tombé de son piedestal, le père ne peut alors plus se prévaloir de cette autorité que son statut social lui conférait, y compris dans sa famille. C’est au contraire l’autorité de la mère lointaine qui s’impose. L’éloignement du père d’autrefois du fait de son temps passé au travail se substitue à celui de la mère qui a choisi sa vie en toute liberté.
Cette autorité parentale est représentée aussi par des prises de décisions parentales qui sont censées donner des repères aux enfants. Si ceux-là sont d’abord moraux, ils doivent aussi s’accompagner de l’exemplarité des parents quant à leur respect de leurs précepts. Cette autorité est alors entière dans Rue des prairies, le père étant une image même de la rectitude morale. Au contraire, le rôle de la mère de Lola dans LOL est bien plus difficile à tenir tant elle n’est pas en accord avec les principes qu’elle impose à sa fille. Cinématographiquement, le père de Rue des prairies est montré comme une figure forte, pouvant remettre en place sa fille et son amant qui a 50 ans comme lui, tandis que la mère de Lola culpabilise de son oncapacité à appliquer les règles qu’elle édicte et se réfugie dans une posture d’adulescente inexistante au cinéma dans les décennies précédentes.
Enfin, c’est surtout la notion de séparation des informations qui concernent les parents des enfants qui se transforme particulièrement et qui se transpose au cinéma. Si la famille du film de Denys de la Patelière vit avec des secrets que tout le monde connaît mais dont personne ne parle, il s’agit bien d’une représentation des années 1950. Même le film de Truffaut évoque des non-dits, des cachoteries que le fils ne doit pas connaître. Or, progressivement, la frontière est plus floue entre ce qui doit être dit aux enfants par les parents et ce que les enfants peuvent admettre de leurs parents. Le personnage de Lino Ventura se livre à sa fille qui lui manque de respect dans La gifle. Dans La boum, Vic se confie à son arrière grand-mère et exclut ses parents de sa vie privée, jusqu’à parfois les exlure de leur propre appartement! A l’image, Claude Pinoteau reste néanmoins dans la discrétion des histoires d’adultes. Les relations du père et de la mère du personnage d’Isabelle Adjani sont évoquées de manière très discrètes. Dans La boum, ce que Claude Brasseur et Brigitte Fossey se disent est certes montré mais le spectateur n’entend rien. Cette intimité est absolument effacé dans LOL. La mère ne se cache plus vraiment de ses relations tumultueuses avec son ex mari ou avec son amant tandis que sa fille ne préserve pas particulièrement son intimité avec sa mère. Pis encore, les autres parents du film, montrés comme des réactionnaires dans leur modèle éducatif sont raillés jusqu’à ce qu’ils évoluent et acceptent les décisions prises par leurs enfants.


CONCLUSION

Les films du cinéma populaire français ont donc accompagné l’évolution de la société, particulièrement dans l’image qu’ils ont renvoyée de la famille. Pas prophétiques, souvent en phase avec les tendances qui n’étaient parfois encore que naissantes, ces films ont été des succès en salle et constituent des marqueurs pour des générations. Pourtant, les différences entre ces films provient du point de vue des réalisateurs. Paradoxalement, les deux films de 1959 ont chacun un point de vue clair. Rue des prairies suit le point de vue du père tandis que Les 400 coups prend ouvertement le point de vue du jeune héros. Les autres films sont eux beaucoup plus hésitants, suivant le point de vue des parents comme des enfants. Seul La crise suit le point de vue exclusif du héros, Vincent Lindon. Mais c’est qu’il est à la fois père, époux et fils dans le film! Cette hésitation récurrente dans le point de vue à suivre dans le cinéma n’est peut-être pas anodin et témoigne certainement d’une réalité de la famille française, qui subit une influence venue d’outre-Atlantique qui affirme le règne des enfants sur les adultes, comme en témoignent les teen-movies, mais qui tente de résister en cherchant ses racines dans la prééminence de l’adulte dans la famille. Reste à savoir ce qui adviendra de la famille française. Pour le savoir, il faudra peut-être aller en salle de cinéma!

À bientôt
Lionel Lacour

vendredi 5 avril 2013

"Outreau, l'autre vérité" au Mégaroyal de Bourgoin Jallieu


Bonjour à tous,


PROJECTION EXCEPTIONNELLE DU DOCUMENTAIRE
OUTREAU, L’AUTRE VÉRITÉ – 2013 – 92 minutes
LUNDI 29 AVRIL 20H00

Après la projection en clôture des 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma, une nouvelle soirée dans la région Rhône-Alpes est consacrée à ce documentaire choc.
Ce film, réalisé par Serge GARDE en 2012 et qui revient sur cette affaire judiciaire que certains ont appelé « le fiasco d’Outreau » mais en partant du point de vue trop souvent oublié, celui des enfants reconnues victimes a été refusé par les télévisions, peut-être parce qu’elles se sont senties mises en cause dans ce documentaire, la société Zelig a alors décidé de le distribuer dans les salles de cinéma partout en France.

Documentaire extrêmement documenté, interrogeant de nombreux témoins directs de cette affaire mais également des experts incontestables, le film de Serge GARDE ose rappeler aux spectateurs comment la tourmente médiatique a créé une atmosphère peu propice au travail serein de la justice.

Bernard de la VILLARDIÈRE, journaliste et producteur de ce documentaire choc, sera présent à cette soirée. À cette occasion, je l'interrogerai et il expliquera pourquoi il s’est lancé dans la production de ce film puis répondra aux questions des spectateurs.

Renseignements et achat des places:
MÉGAROYAL – Multiplexe indépendant de Bourgoin Jallieu – 12 salles 
6 place Jean-Jacques ROUSSEAU

 À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 21 novembre 2012

Les invisibles en cinémascope !

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, j'évoquerai aujourd'hui le documentaire Les invisibles de Sébastien Lifshitz, projeté en sélection officielle à Cannes 2012 hors compétition et qui sort en salle le 28 novembre.
Le film, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma qui décidément enchaîne les sorties de bons films, a été plutôt bien apprécié par la critique, abordant un sujet à la fois très d'actualité avec un traitement et une approche particulièrement intéressant. En effet, en abordant par plusieurs portraits l'homosexualité d'hommes et de femmes ayant tous dépassés la soixantaine et pour certains depuis longtemps, le réalisateur réussit à poser la question de l'homosexualité non à l'aune des valeurs d'aujourd'hui mais bien sur un temps plus longtemps, permettant de comprendre l'évolution d'une société face à une réalité, l'existence d'une sexualité "anormale" au sens premier du terme, c'est-à-dire n'étant pas dans la norme.
Bande annonce du film:
http://www.youtube.com/watch?v=ZoGUWpgF9dY&feature=relmfu


Dingue, des êtres normaux!
La première séquence du film montre un homme s'occupant d'un œuf d'oiseau, débarrassant l'oisillon de sa coquille puis l'aidant à se nourrir. Puis soudain un second homme vient l'aider quand enfin, tous les deux témoignent de la manière farfelue par laquelle ils se sont rencontrés. Une histoire d'amour simple, authentique, sans exhibition, avec la pudeur des sentiments de n'importe quelle autre personne. Par cette séquence puissante, Sébastien Lifshitz expose clairement ce que sera son propos. L'homosexualité existe, et pas seulement chez les artistes ou chez les jeunes ou en ville. La succession de portraits présente alors des hommes et des femmes, certains vivant désormais seuls, d'autres étant en couple, qui ont fait le choix ou pas de vivre leur vie d'homosexuels. Le parcours de chacun est tracé sans aucune sur-valorisation. Point de super-homos, pas d'exhibitionnisme à l'écran, pas de dénigrement des hétérosexuels, juste des individus qui élèvent des chèvres ou ont fait science po, certains qui sont pères ou mères et qui se sont révélés homosexuels après.
À l' "anormalité" de leur sexualité répond une normalité toute banale d'individus qui sont nés dans des familles   toutes banales pour l'époque, répondant à des pratiques sociales classiques, reproduisant le modèle familial convenu et ignorant plus que méprisant le fait homosexuel.
En combinant la réflexion des différents homosexuels de son film aux scènes de vie quotidienne, le cinéaste leur permet d'exister à la fois à l'écran mais également dans la "vraie vie", ne les transformant pas en seuls témoins d'une cause. Ils ont une vie professionnelle et amoureuse, parfois simple, souvent difficile, et au final, pas si différentes des hétérosexuels, sauf dans leur reconnaissance par la société.
Mais surtout, le réalisateur ose sortir des clichés des homosexuels. Certes certains des portraits présentent des individus de la ville. Mais il s'attache à ne pas les montrer seulement à Paris. De même, en prenant Pierrot, 83 ans et éleveurs de chèvres, il montre que cette sexualité n'est pas seulement une sexualité urbaine. Et que la découverte de son orientation sexuelle ne s'est pas passée par les médias mais bien par l'expérience vécue avec un homme plus âgé, lui aussi de la campagne alors même qu'il n'avait que 14 ans.
Et loin d'être des marginaux, une de ses "héroïnes" est devenue maire d'une commune rurale malgré les conservatismes reconnus des populations paysannes.

L'homosexualité: un combat qui dépasse la sexualité
Les différents exemples permettent de mieux comprendre les blocages de la société d'avant 1968. Blocages essentiellement culturels et religieux, lié à la nature supposée de la sexualité. Or ce qui peut troubler les plus normatifs, c'est que l'orientation sexuelle ne se fait pas par choix mais par une logique qui dépasse la compréhension des hétérosexuels. Ainsi, une des femmes raconte avec délectation que jamais le choix ne s'est présenté à elle. Elle aimait les filles, point. L'éleveur de chèvres reconnaît non sans humour qu'il allait avec qui il avait envie, une femme ou un homme, sans avoir la moindre gêne. D'autres se révèlent homosexuels après avoir menés une vie maritale parfois longue, avec des enfants à la clé. D'autres enfin reconnaissent avoir souffert dans leur jeunesse, n'osant ou ne pouvant assumer leur homosexualité.
De tous ces témoignages ressortent cependant une vraie lecture de la société conservatrice, patriarcale et dominée par la morale catholique. Si Pierrot s'affirme libre dans sa sexualité, il reconnaît cependant que cette homosexualité ne s'affichait pas facilement, surtout à la campagne! La force du film est d'associer aux paroles des héros des documents, la plupart du temps provenant de leurs propres archives, permettant de voir de quel monde ils venaient: bourgeoisie, famille nombreuse, vie religieuse entre la communion, la messe et le mariage... Au-delà de leur sexualité, le documentaire balaie toutes les négations des identités individuelles pour se conformer à un moule. On en comprend la logique pour une nation, on en déduit aussi les souffrances pour les personnes se sentant exclues de ce modèle.
A ce carcan moral imposé s'opposant à la liberté individuelle, celle de l'esprit comme du corps, chacun des témoins illustre la manière qu'il a eu de se rebeller pour pouvoir s'affirmer. Passant d'un portrait à l'autre, Sébastien Lifshitz permet aux spectateurs de voir que la cause homosexuelle était indissociable des revendications libertaires de la jeunesse des années 1960, passant notamment par la reconnaissance d'une sexualité plus libre, ne l'envisageant pas sous le seul angle de la procréation. Le témoignage de Thérèse illustre d'ailleurs parfaitement l'hypocrisie d'une société qui interdisait l'avortement au nom de principes moraux tout en feignant d'ignorer que faute de contraception, certaines femmes se faisaient avorter clandestinement, parfois à de nombreuses reprises, au péril de leur vie. Cette lutte pour le droit à disposer de son corps, symbolisée par la loi Veil légalisant l'avortement en 1974, ne pouvait qu'être accompagnée par celle revendiquant le droit à une sexualité non hétérosexuelle.
Et c'est là que le film rejoint avec une incroyable opportunité de calendrier le débat sur le mariage dit "pour tous" pour ne pas dire "homosexuel". En effet, dans un des documents d'archives, une femme homosexuelle revendique à la fois sa différence de sexualité mais aussi de modèle social, rejetant le modèle familial, vecteur de toutes les reproductions des valeurs conservatrices. Ainsi, la cause homosexuelle passait par une lutte contre un modèle en s'affirmant comme un autre modèle plus libertaire (la jeune femme parle "d'hétéro-flics"!) alors que celle d'aujourd'hui passe par la volonté d'être intégré dans ce modèle autrefois honni. Le premier couple montré dans le film évoque d'ailleurs à la fin du film le souhait d'un mariage dans une chapelle laissée à l'abandon.


Un vrai film de cinéma
En choisissant le cinémascope, Sébastien Lifshitz a clairement situé ses personnages dans un récit cinématographique différent du modèle de la télévision. Alternant séquences de réflexion de ses héros avec des scènes plus quotidiennes, avec des images d'archives qui ne sont pas que des illustrations, il réussit à créer de l'empathie avec des personnages même pour les spectateurs non homosexuels. Sébastien Lifshitz assume ses plans fixes qui correspondent aussi à l'âge de ses personnages, aux gestes plus lents que ceux des jeunes.

En les cadrant souvent très près, il accentue encore un peu plus cette empathie, confirme qu'ils ne sont plus tout jeunes et les rend encore plus "normaux" tout en nous plongeant dans leur réflexion intime sur leur sexualité. Cette réflexion est diverse pour chacun, les uns se sont construit leur identité en étant des intellectuels tandis que d'autres ont une approche plus empirique des choses, plus pragmatique et souvent moins dans le combat. Le point de vue n'est jamais extérieur. Point de jugement ou d'analyse d'autres intervenants, sauf pour un des témoins qui discute alors avec un autre homosexuel ou pour Thérèse, ayant plus de 80 ans, dînant avec ses enfants et qui affirment que l'homosexualité de leur mère a été vécue "naturellement". Au hasard de la discussion, ses enfants ne l'appellent pas "Maman" mais "Thérèse", comme s'ils reconnaissaient qu'elle n'était pas seulement une mère mais un individu accompli, identifié par son prénom et pas par un nom générique et fonctionnel. Dans ces deux cas, les approches extérieurs ne viennent pas contredire les propose des personnages du film mais au contraire, les conforter. Quand le couple marseillais échange et que l'un d'entre eux indique la présence d'une tourterelle à l'autre, la caméra reste sur eux et ne se détourne pas vers le volatile. Pourtant nous avons envie de la voir. Mais le réalisateur nous force ainsi à voir leur relation pour ne pas détourner notre regard vers autre chose.
Ces choix de cinéaste créent un lien entre tous les personnages que le spectateur retrouve régulièrement au long du film, tous vivant leurs propres histoires avec leurs parcours de vie si différents mais lié par une sexualité commune. Le film nous les rend justement communs, pour ne pas dire "normaux".

Les invisibles, beau titre pour parler d'une catégorie de la population souvent peu filmée en tant que telle alors même que sa part démographique ne cesse de croître et dont la sexualité est largement taboue. Alors parler de leur homosexualité! Sébastien Lifshitz le fait sans voyeurisme, avec un grand talent de cinéaste et pose aux spectateurs des questions essentielles, à la fois sur la liberté individuelle, sur la sexualité mais aussi sur une catégorie de la population qui est si peu montrée et qui intéresse si peu, sinon dans un but mercantile. Lors de l'avant première à Lyon le 20 novembre, Pierrot, l'éleveur de chèvre du film, a quant à lui traduit le titre Les invisibles comme étant la partie invisible que chacun a en soi et que les autres ignorent. Les "invisibles" sont donc multiples dans ce film, à ceci près qu'ils y étaient pour une fois présents, et bien présents. À montrer à tous ceux qui auraient encore des doutes sur la nécessité de voir et de comprendre ces "invisibles".

A bientôt
Lionel Lacour

vendredi 26 octobre 2012

Les temps modernes de Chaplin ou les craintes de la modernité?

Bonjour à tous,

après quelques semaines consacrées au festival Lumière, je reviens pour un court article sur le film de Charlie Chaplin Les temps modernes. réalisé en 1936, tout a été à peu près dit sur ce film, notamment sur sa vision du monde ouvrier américain, sa représentation du combat des salariés contre le patronat ou encore sa manière de décrire le monde de l'entreprise soumis à la taylorisation du travail poussée à l'extrême dans des séquences mémorables allant de la chaîne sur laquelle les ouvriers travaillent sans que personne ne comprenne vraiment ce qui est produit, à la "mangeoire" automatique censée faire gagner du temps à l'ouvrier, donc au patron en quête de productivité optimale.

Ce qui est néanmoins troublant, c'est que ce film date d'une époque où plus personne ne fait du cinéma muet. Or Chaplin semble s'évertuer dans cette voie, comme s'il refusait de passer à la modernité technologique du cinéma. A bien y regarder, le film est tout sauf muet!

La musique est tout d'abord un élément important qui accompagne l'action de manière à ce que le spectateur identifie dans quelle situation se trouvent les héros du film en fonction du thème musical utilisé. Plus encore que la musique, c'est l'utilisation de sons synchronisés correspondant à des bruits logiques que les objets, machines et autres instruments montrés dans les différentes séquences, font ou sont censés faire. Ainsi un bruit de souffle puissant accompagne l'image quand la machine est en surchauffe; des petits sons aigus sont utilisés chaque fois que le personnage interprété par Chaplin appuie sur une burette d'huile; des interférences sonores correspondent à la
recherchent d'images par le patron surveillant le travail de ses ouvriers; la sirène de la police...
Cet usage du son, au-delà de la simple illustration de ce qui se passe à l'image, est déjà en soi la preuve que Chaplin avait intégré dans son art cette innovation de près de 10 ans, introduit en 1927 avec Le chanteur de Jazz sorti. Mais ce que les spectateurs attendaient, c'était bien sûr l'usage du "parlant". Or, en 1931, alors que l'ensemble de la production américaine avait abandonné le muet, Chaplin réalisait Les lumières de la ville, un mélodrame jonché de moments très drôles certes, mais toujours en muet. Allait-il garder cette manière de procéder au risque de se couper des spectateurs désormais habitués à entendre parler, crier ou gémir leurs héros?
En intitulant son film Les temps modernes, il y avait, au-delà du carton introductif moquant de fait la "croisade vers le bonheur des sociétés industrielles", une promesse d'un passage à la modernité du cinéma lui-même. Or tout ressemble d'emblée au cinéma d'antan de Chaplin, avec une musique très expressive, un montage comparant les ouvriers à des moutons, un jeu d'acteur très dynamique semblable à ceux des films muets classiques. Pourtant, le patron va prendre la parole en s'adressant à un de ses ouvriers, lui demandant d'accélérer la cadence de la chaîne n°5. Chaplin serait donc entré dans l'ère du parlant? Le film se déroulant, le doute reste néanmoins permis car chaque situation nouvelle est introduite par des cartons explicatifs, présentant soit les personnages, soit les lieux, soit le moment où l'action se déroule. Certains dialogues sont également écrits et non prononcés. Pourquoi alors avoir fait parler le patron? Et il n'est pas le seul que nous avons entendu durant le film puisque l'inventeur de la mangeoire a présenté sa machine au patron de l'usine et un journaliste s'exprime à la radio. Même Charlot (dans le générique original, il n'est désigné que comme un simple ouvrier de l'usine) y va de sa chanson dans une séquence mémorable.



De fait, les personnes que nous entendons parler ne parlent pas directement entre elles. Toutes parlent au travers d'une machine. Le patron s'adresse à ses ouvriers via une machine, sorte de proto-webcam; l'inventeur ne s'exprime pas lui-même mais passe un disque pré-enregistré expliquant l'ingéniosité de sa "mangeoire"; le journaliste ne s'exprime que par l'intermédiaire de la radio.




Il ne reste alors que Charlot dont nous entendons la voix. Mais si nous l'entendons, nous ne la comprenons pas car au moment de chanter, il a oublié les paroles. Sa fiancée lui dit alors d'inventer et de chanter quoi qu'il en soit. D'où ces paroles incompréhensibles qu'il interprète en mimant ce qu'il est censé chanter. A notre grand étonnement de spectateur, nous comprenons vaguement ce qu'il chante mais surtout, nous entendons les rires des spectateurs, seul autre son direct entendu dans le film, réaction à ce que chante Charlot, comme s'ils comprenaient pleinement ce qu'il interprétait.
Ainsi, dans son film, Chaplin montre que ces objets d'enregistrement sonore sont autant d'inventions merveilleuses mais qui servent in fine à accentuer encore un peu plus la domination des puissants sur les plus faibles, à manipuler l'auditoire car l'enregistrement sonore ne permet pas, de fait, l'échange avec l'autre. Au contraire, et Chaplin en fait la démonstration, la communication directe comme lors de sa chanson, permet de réagir, de s'adapter à ceux qui écoutent. Cette communication plus humaine n'a pas forcément besoin de la perfection puisqu'il arrive à se faire comprendre malgré des paroles... approximatives.

Ce refus du parlant dans ce film n'est donc qu'un leurre. Chaplin a voulu insister sur l'illusion du parlant et des enregistrements sonores comme clé de la compréhension de tout. En finissant par ses deux héros en fuite mais en quête de bonheur, Chaplin renforce l'idée que le système dit libéral ne permet pas aux plus faibles de la société de s'en sortir mais il reste confiant cependant dans l'idée que la persévérance paiera. Pas un film misérabiliste donc, mais un film lucide sur la manipulation que le parlant introduit au cinéma, lui qui était un maître de la manipulation de l'image! Cette manipulation du son, il allait en faire la démonstration à son film suivant puisque Le dictateur présentait un certain Hynkel qui, à sa première apparition à l'écran prononçait un discours dans une langue imaginaire, traduit de manière adoucie et en contradiction avec ce que l'image du dictateur trahissait. Avec Le dictateur, Chaplin démontrait qu'il était bien un maître de tous les cinéma, muet ou parlant. 


À bientôt
Lionel Lacour

samedi 7 avril 2012

Elephant de Gus Van Sant: un teen movie?

Bonjour à tous,

en 2003, le film Elephant de Gus Van Sant faisait sensation à Cannes, obtenant du jury présidé par Patrice Chéreau le prix de la mise en scène et surtout la palme d'or, au nez et à la barbe d'un autre chef-d'oeuvre, Mystic river de Clint Eastwood.
Le film de Gus Van Sant abordait sous un angle fictionnel le massacre de la High school ('léquivalent des lycées français) de Colombine (Colorado) sans jamais l'évoquer directement, au contraire du film de Michael Moore, Bowling for Colombine réalisé en 2002 et sous la forme du documentaire.
En reprenant certains codes des teen movies, Gus Van Sant crée une oeuvre implacable contre la société américaine et peut-être même occidentale. L'actualité américaine récente valide toujours les propos du film Elephant dont la puissance réside dans son formalisme développé de manière continue, créant une atmosphère oppressante dont le dénouement ne peut satisfaire personne.

1. Les adultes en accusation
Dès la première séquence, Gus Van Sant annonce la couleur: des plans longs, plans séquences privilégiés, et une focalisation sur les personnages. Ainsi, la première séquence présente une voiture roulant en zig-zag, heurtant d'autres voitures garées sur le côté de la rue, jusqu'à ce que nous apprenions que celui qui conduit est un père ivre et que son fils lui prend quasiment de force le volant. C'est lui le responsable de la famille et qui est prêt à prendre une heure de retenue par le lycée pour que son père ne reprenne pas sa voiture. En effet, en récupérant les clés du véhicule et en les confiant au secrétariat du lycée pour que son frère puisse raccompagner leur père, John, tel est le nom du premier élève présenté dans le film, fait preuve d'une maturité supérieure à son propre père.
Cette séquence est renforcée par le formalisme qu'impose Gus Van Sant. En filmant le père dans la voiture et mettant hors cadre le fils qui conduit, le réalisateur renforce la déresponsabilisation du père mais évoque déjà la non transmission de l'Histoire à son fils. En effet, quand le père évoque la seconde guerre mondiale, John son fils lui demande s'il l'a faite, ce qui prouve deux choses: son fils ne sait pas quand a eu lieu la seconde guerre mondiale puisque manifestement, son père ne peut pas l'avoir faite! Mais surtout, un tel événement aurait dû être relaté par le père à son fils s'il l'avait effectivement faite. Ce point n'est pas anecdotique car il se retrouvera plus tard.
Tout le reste du film montre une quasi absence de l'adulte dans la high school qui apparaissent de manière marginale et pas assez dans l'encadrement de la jeunesse: un proviseur qui sanctionne John sans chercher à comprendre pourquoi il est en retard, des enseignants dont un discutant de l'homosexualité dans un groupe d'élèves, un documentaliste, un cuisinier. Voilà à peu près les seuls adultes croisés dans le lycée. Pour Eric, les adultes, les parents ne sont pas vraiment montrés. Le père est une voix, la mère un corps servant le petit déjeuner. C'est tout. Même le facteur qui apporte un colis à Eric et Alex n'est pas montré. Nous entendons juste sa voix et une phrase montrant encore une fois combien les jeunes n'ont plus face à eux des adultes structurants. En effet, alors que manifestement les deux garçons font sécher les cours, le facteur leur dit qu'ils ont finalement bien raison!
Finalement, aucun adulte ne fera preuve d'un courage particulier quand les élèves assassins commenceront le massacre. La fuite, la lâcheté et l'irresponsabilité sont les seuls manière de représenter ces adultes. Au contraire, les jeunes seront montrés comme plus responsables et courageux pour éviter le massacre, de Benny, l'élève noir se faisant tuer pour arrêter un des deux meurtriers à John tentant d'empêcher tous ceux situés à l'extérieur de l'établissement de rentrer.
Le père de ce dernier réapparaît en s'excusant auprès de son fils... Les rôles sont manifestement inversés.




2. Une exposition des personnages qui explose la notion de temps
Une des raisons des prix cannois pour ce film est certainement la maîtrise du récit par Gus Van Sant.
Il décide de présenter chaque personnage qui sera suivi à l'écran par des longs plans-séquences dans lesquels nous sommes essentiellement les suiveurs. En effet, les personnages sont souvent filmés de dos, se dirigeant vers quelqu'un ou dans un lieu dans le lycée. Cette présentation - exposition des personnages ne nous donne que peu d'informations sur ce qu'ils sont vraiment, si ce n'est des lycéens qui évoluent dans un lycée qui semble tranquille. Le coup de force de Gus Van Sant est de présenter chaque personnage les uns après les autres mais pas dans le déroulement du temps logique. La même phase temporelle est montrée mais à chaque fois par le point de vue d'un des lycéens. Si bien qu'une même action peut être présentée trois fois sous trois angles différents, montrant ainsi l'unité des choses filmées et en même temps, l'isolement de chacun alors même que ce qui se passe est commun à tous.


John photographié par Elias tandis que Michelle court derrière pour rejoindre la bibliothèque.
Trois fois, Gus Van Sant filmera cette séquence avec le point de vue de chacun des personnages.

Présentation des noms des deux tueurs,
comme n'importe quels autres personnages
du film
Cet éclatement du récit dans sa structure chronologique est encore accentué en ce sens où les meurtriers sont présentés la première fois alors qu'ils entrent dans le lycée en tenue militaire. Mais le réalisateur ne les suit pas encore bien que les présentant par les mêmes cartons que les autres. Puis, par plusieurs flash backs, il présente ces deux jeunes lycéens et leurs frustrations. Nous quittons l'unité temporelle déconstruite mais centrée sur le lycée pour un temps passé qui viens expliquer ce qui va justement avoir bientôt lieu.
Gus Van Sant utilise encore d'autres procédés pour déstructurer le continuum temporel. Par exemple, plusieurs fois, il utilise le ralenti, quand Natan croise les jeunes filles dans les couloirs, quand John rencontre Alex et Eric entrant dans le lycée ou encore pendant le massacre quand Benny croise les élèves fuyant les tueurs. C'est pour ces deux personnages que le montage est le plus complexe. Eux seuls ont droit aux flash backs remontant au moins à la veille de l'événement, sans plus de précision. Mais surtout, nous les voyons élaborer leur plan d'attaque avec pour chaque moment un flash forward nous les montrant exécuter leur plan. Une fois que celui-ci sera enclencher, il n'y aura plus dans le récit que le déroulé de leur mission meurtrière, même si des ralentis viendront modifier la durée exacte du déroulement du massacre. Et puis, à la fin du film, le temps s'arrête.

3. Comme un éléphant dans une pièce
Le titre du film fait référence à un proverbe et à un autre film réalisé par Alan Clarke en 1989 qui s'appelait aussi Elephant. Mais cela renvoie surtout à l'idée que ce qui est le plus visible n'est parfois vu de personne, ou du moins, compris par personne. Ainsi, les flash backs du film donnent aux spectateurs ces éléments visibles de tous, élèves ou adultes du lycée mais aussi des parents et qui pourtant ne sont pas pris en considération.
La sexualité refoulée des deux jeunes, Eric et Alex, les persécutions subies en classe sans que jamais un enseignant n'intervienne pour sanctionner les persécuteurs, l'absence des parents dans la maison sont autant de mise à l'écart de jeunes mal dans leur peau. Gus Van Sant n'accable pas ni n'épargne ses personnages. D'ailleurs, tous sont désignés par les mêmes cartons. Tous ont une marginalité et un problème lié à leur image auquel le monde adulte n'apporte aucune réponse. John doit vivre avec un père alcoolique mais accepte facilement de poser pour être pris en photo par Elias, comme pour donner une belle image de lui.

Une prof, invisible hors cadre ne comprends pas
les complexes de son élèves.
Cette image de soi ressort dans tout le film, de la jeune fille qui refuse de se mettre en short sans que son enseignante ne comprenne la souffrance psychologique de son élève à celles qui se font vomir après le repas.
Cette volonté de vivre une autre vie que la leur, de refuser leur réel se concentre chez les deux meurtriers qui jouent sur internet à des jeux de guerre. Cette non intégration du réel est signifiée par la non connaissance d'une Histoire qui a marqué leur pays.







Eric ignore qui est Hitler vraiment!
Un  site de vente d'armes de guerre
accessible à tous!












Comme John qui ne savait pas quand avait lieu la seconde guerre mondiale, Alex regarde un documentaire sur le nazisme sans vraiment savoir de quoi il s'agit. Eric semble même ignorer à quoi ressemble Hitler. A cette barbarie historique et manifestement ignorée va répondre une autre, celle que la société américaine permet. Quand Gus Van Sant montre Eric en train de jouer sur son ordinateur à tuer des hommes par derrière, il montre bien que le plaisir généré malsain est à portée de tous. Mais surtout, les armes virtuelles du jeu peuvent être aussi commandées sur un site internet puis être livrées par une messagerie tout ce qu'il y a de plus ordinaire sans qu'il y ait le moindre contrôle de l'âge ou de l'identité de ceux réceptionnant les armes!
Ainsi, le plan est prêt à être mis en oeuvre. Pour se faire, il a fallu l'organiser. Le réalisateur nous montre Alex en train de prendre des notes sans se cacher. Il annonce même qu'il organise un plan. Mais personne ne lui demande pour quel objectif. Il est au milieu de tous et à la fois incompris par tous.

Plan de la séquence finale du film
4. Une morale classique d'un film de genre?
Comme tous les teen movies, Elephant éloigne les jeunes des adultes. Classiquement, les parents, enseignants sont moqués dans ce genre de film: ringards, autoritaires, trop exigeants ou trop copains. Ainsi, ces films montrent une jeunesse qui se rebelle contre des adultes qui veulent leur imposer un ordre qui n'est évidemment pas accepté par les adolescents. En quelques sortes, ces films sont faits pour les jeunes qui montrent des jeunes qui font leur "métier" de jeune: contester! Mais la majorité de ces films aboutit à une morale structurant la société. Les valeurs des parents ne sont finalement pas si ringardes et si les générations peuvent s'opposer sur des choix esthétiques, musicaux, vestimentaires ou autres, ou se critiquer sur la manière de vivre, ils se retrouvent généralement sur les notions de Bien et de Mal, étant entendu que ces notions sont celles qui font le lien entre les générations et sont transmises par les adultes aux plus jeunes.
Or le film de Gus Van Sant montre autre chose. Les adultes sont bien absents mais ils ne sont pas moqués par les jeunes, sauf une fois par Eric se moquant de la mère d'Alex. Or celui-ci est remis à sa place par celle-la sans qu'il ne poursuive ses moqueries. Tout le film est d'ailleurs sous cet angle. John ne rebelle pas face au proviseur, Michelle accepte ce que lui dit sa professeur etc. Par cette acceptation de l'autorité des adultes, Gus Van Sant montre par contraste que ces adultes ne se comportent pas forcément bien avec ces jeunes.
Les adultes sont donc peu présents dans le film, pas moqués, pas ridiculisés, les valeurs ou les goûts des jeunes ne sont pas particulièrement valorisés. Mais cela n'a pas permis la transmission d'un héritage culturel commun et structurant, laissant aux plus faibles l'opportunité de se comporter non pas de manière immorale mais amorale. Alex et Eric massacrent et se tuent.
La construction du film est, nous l'avons vu, atypique. Pas d'exposition classique des personnage et de la situation. Pas d'objectif clairement déterminé jusqu'à ce qu'Alex et Eric établissent leur plan. Cela fait déjà plus d'une heure que le film a commencé, soit les 2/3. En réalité, la définition de l'objectif coïncide aussi avec le climax du film, moment paroxystique dont on sait que plus rien ne va pouvoir changer désormais le sens de l'histoire racontée. Une fois l'objectif défini, nous suivons donc les deux personnages massacrer leurs camarades et peu d'obstacles se dressent face à eux. Il reste à conclure le film. Alex tue Eric puis il traque Natan et sa fiancée. Il les trouve et les pointe, chantant une comptine. Lui seul est dans le cadre. Ses victimes potentielles n'y sont plus. Le film se finit. Pas d'épilogue apportant la morale définissant le Bien du Mal.Le réalisateur nous laisse avec ce sentiment terrible que ces jeunes tueurs ne sont que des enfants déstructurés et immatures, la chansonnette de fin en témoignant. Mais des immatures qui ne le sont que parce que la société ne leur a pas permis de s'élever tout en leur laissant l'opportunité d'accéder aux outils de la barbarie.


Conclusion
Pas de morale assénée, sinon que ce qui a permis le massacre dans ce lycée n'est pas le produit d'enfants dérangés ou d'éléments externes à la société. La société américaine engendre sa propre barbarie et est responsable de cela autant sinon plus que ceux qui ont perpétré ces assassinats. Les frustrations de certains jeunes ne peuvent pas être masquées par des discours soit-disant tolérants, comme dans le film à propos de l'homosexualité si à côté les attitudes réelles ne changent pas vis-à-vis des homosexuels. Et ce n'est bien évidemment qu'un exemple. Éduquer, apprendre la musique, comme Alex joue Beethoven au piano, n'empêche pas la barbarie. Le philosophe George Steiner l'a écrit. Kubrick l'avait déjà filmé en 1971 dans Orange mécanique.
Mais le film date de 2003. Et en 2012, il y a toujours des massacres dans les lycées américains.

A bientôt

Lionel Lacour

dimanche 6 février 2011

L'Horloger de Saint Paul, marqueur d'une époque

Bonjour à tous,

quand Bertrand Tavernier réalise en 1974 cette adaptation du livre de Georges Simenon, L'horloger d'Everton, il plonge son héros dans sa ville natale, Lyon. Pour le spectateur d'aujourd'hui, il s'agit d'un vrai dépaysement. En effet, nous pouvons voir dans ce long métrage un vrai document archéologique de ce qu'étaient ces débuts des années 1970 et pour la France, la fin des "Trente glorieuses", dans une approche bien sûr particulière de Bertrand Tavernier qui signait là son premier long métrage.



BANDE ANNONCE



mercredi 26 janvier 2011

Harry Brown, un nouveau justicier dans la ville?


Bonjour à tous.
À l'affiche ces jours, Harry Brown. Ce film de 2009 de Daniel Barber sort donc en France en 2011. C'est Michael Caine qui joue le rôle titre.
Après l'avoir vu, plusieurs réflexions à vous soumettre.

1. Le style
Après une introduction assez pénible, genre tournage avec un portable, image saturée, aucun cadrage et ouvertement violent, le film continue après le générique sur une réalisation beaucoup plus classique. Cinéma intimiste, radiographie sociale de l'Angleterre, nous retrouvons là un cinéma avec lequel nous avons été habitué par les réalisateurs outre-manche.
Néanmoins, si aucune séquence ne retrouvera le choix esthétique de celle d'ouverture du film, il ressort de certaines une violence assez crue, mêlant plusieurs influences, tant nord américaine qu'asiatique.
Mais c'est moins le style que le contenu qui est intéressant dans le film.

2. Une crise sociale visible
La peinture du quartier décrit montre une situation sociale terrbile pour cette Angleterre de début de XXIème siècle. Les immeubles présentés ressemblent en bien des points aux grands ensembles français: immenses barres, des locataires entassés, déterrioration des façades par des tags, incivilités contre les plus faibles, notamment les retraités, errance des jeunes le soir dans des zones coupe-gorges, séparation de ces quartiers de la ville par une voie rapide, trafics de drogues en tout genre et prostitution.
Le tableau  n'est donc pas sans nous rappeler ce que nous connaissons en France. Cela prouve aussi que la France n'a pas le monopole des crises de banlieue, ce qui n'est pas fait pour rassurer!


3. Une population de ces banlieues différente
Ce qui saute aux yeux pour un Français, c'est que le quartier présenté ne soit pas peuplé par des populations d'origine immigrées. Là où Kassovitz avait décrit dans La haine desimmeubles habités par une population cosmopolite, le réalisateur d'Harry Brown ne montre que des Anglais bien anglo-saxons. La violence de la jeunesse anglaise des banlieues apparaît donc comme interne à la société britannique et non comme une conséquance de l'échec d'une immigration.
De même, jeunes et vieux vont dans les mêmes pubs, honnêtes gens et délinquants également.
Que penser de cette présentation?
On peut imaginer que le point de vue est une point de vue généraliste et que le réalisateur n'a pas voulu mettre en avant, stigmatiser comme on dit aujourd'hui, une communauté plutôt qu'une autre. La société britannique étant plutôt commnautaire, celà pouvait éventuellement être reproché à Daniel Barber.
Mais on peut aussi accepter le représentation du réalisateur non comme une vision générale mais comme un simple constat. La violence du quartier de son film est celle que subit l'Angleterre, sans qu'aucune communauté étrangère ne soit impliquée dedans. A la différence de la perception française, l'analyse qui est faite dans ce film est bien une analyse sociale. Plusieurs plans, en début et en fin de film semblent bien montrer que c'est l'environnement dans lequel vivent ces populations qui est propoice, surtout en période de chômage et de crise, aux violences et à l'existence de "gangs".

4. Le feu dans le quartier
Comme dans les événements urbains français, le déclencheur est une suite de faits divers meurtriers qui entraîne une réaction policière mal comprise par les victimes ou les proches des victimes. Daniel barber montre comment alors la montée de la violence se fait à coup de règlements de compte personnels que la police ne maîtrise pas.Dans des plans spectaculaires, le quartier s'embrase lors d'une intervention musclée de CRS à l'anglaise. La réponse des voyous du quartiers est similaire à celle des quartiers français: pratique de guerilla faisant reculer les forces de l'ordre.
La conclusion est tout aussi semblable: rien n'a vraiment changé, sinon une paix illusoire, dans un quartier qui reste le même mais dont on pressent qu'il sera prêt à exploser à nouveau.

5. Une violence gratuite?
Michael Caine joue le rôle d'un héros de l'armée ayant servi en Irlande du Nord. A bien des égards, il peut être assimilé à un vétéran de la guerre d'Algérie. Surtout quand il fait son analyse sur la violence qu'il a subi en Irlande et celle qu'il voit dans son quartier. Pour lui, l'IRA défendait une cause. Pour la jeunesse du quartier, c'est juste "entertainment" (divertissement, plaisir). Or c'est bien ce que la séquence d'ouverture montrait d'emblée, doublée par une autre séquence dans le film. La violence devient un spectacle dans lequel l'agresseur est à la fois acteur puis son propre spectateur.
L'incapacité de la police à protéger les sujets de sa Majesté (ou des citoyens de la République) pousse inexorablement les honnêtes gens à se défendre par eux mêmes. Leur violence n'est pas gratuite, mais elle affronte ceux pour qui la vie des autres ne mérite aucun respect.

6. Les institutions de la société
La police montre donc à plusieurs reprise son incompréhension de la situation. Les victimes pouvant devenir même des suspects d'agressions contre les vrais voyous. La réaction disproportionnée montre aussiles limites de la gestion de ces quartiers laissés à l'abandon.
Le politique est absent du film. Cette absence démontre combien la police est laissée seule face à la situation. A aucun moment on ne voit une décision du maire ou d'un élu quelconque aider les forces de l'ordre à agir.
Enfin, la présence de l'avocat pendant ce qui ressemble à des garde-à-vues est essentiellement visuelle car jamais l'avocat ne parle. Pourtant, sa présence n'est pas que symbolique. Son influence, son rôle dans la défense des prévenus sont suggérés non par des interventions verbales mais par la police elle-même: "votre avocat vous a conseillé de ne rien dire".

Conclusion
Ce film résonne curieusement pour les spectateurs français qui se retrouvent fortement dans la situation proposée et dans le personnage de Michael Caine. A la différence du film qui fit la gloire de Charles Bronson, il n'y a pas de plaisir à voir le héros vengeur à débarrasser le quartier de la racaille. Nous sommes juste en voyeurs d'une situation dans laquelle certains pourraient se dire qu'ils pourraient un jour être contraints à faire de même, tout en espérant ne jamais avoir à le faire. Harry Brown est une victime de la société et n'est animé que par la volonté de vengeance plus que par celle de régler les problèmes du quartier tout entier.
La défiance envers la justice, envers la police, le fait qu'un particulier soit celui qui ait finalement ramené le calme dans le quartier n'est pas une vision en soi très optimiste des sociétés occidentales.
Celà montre le déficit du politique quant à la gestion des quartiers de banlieue minés par le chômage et dans lesquels, des trafiquants en tout genre prospèrent. Les réponses coup de poing ne sont pas des réponses dignes d'Etats progressistes et soi-disant civilisés, n'offrant qu'une paix illusoire.
Rien que pour cette morale, ce film est bigrement intéressant.

À bientôt
Lionel Lacour