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samedi 21 mars 2020

Deux paraboles du rôle de l'État - "Le train sifflera trois fois" vs "Rio Bravo"

 Bonjour à tous
En 1952, le film de Fred Zinnemann, High noon (Le train sifflera trois fois) est un succès populaire et critique. Porté par un Gary Cooper au sommet de sa gloire et par une jeune actrice blonde future princesse monégasque, ce western raconte l'histoire d'un shérif Will Kane (Gary Cooper) qui doit affronter des bandits devant arriver par le train dont celui qu'il avait envoyé en prison et qui revient se venger. Le temps de l'action correspond pratiquement à la durée du film pendant lequel Will Kane demande de l'aide à tous ses administrés qui tous la lui refusent. Même son épouse l'abandonne à son combat face à 4 individus.
Succès colossal donc et Gary Cooper s'inscrit un peu plus encore dans la légende des héros de l'Ouest.
Pourtant, certains trouvent ce film absolument mauvais. Pas techniquement. Pas par le jeu de Cooper puisque ceux qui critiquent High noon font partie de ses amis. Ce que dénoncent Howard Hawks et John Wayne, deux Républicains comme Cooper, c'est ce que fait le shérif. Pour eux, le shérif doit protéger la population et ne doit pas demander à être protégé par elle.

Si bien que quelques années plus tard, Hawks écrira une nouvelle (attribuée à Barbara Hawks McCampbell sa propre fille) partant pratiquement de la même base du film de Zinnemann. Un Shérif arrête un homme pour meurtre, l'emprisonne mais doit faire face aux hommes de son clan qui veulent le libérer. Mais Hawks écrit l'exact inverse de High noon qui se traduit par la réalisation de Rio Bravo en 1959. Le shérif refuse l'aide de tout le monde. Et au contraire de Grace Kelly, une belle blonde (Angie Dickinson) qu'il connaît à peine est prête à risquer sa vie pour le secourir. 


Bande Annonce High Noon
Ces deux films illustrent deux visions de l'État et de son rôle. Film scénarisé par Carl Foreman, bientôt blacklisté pendant le maccarthysme qui sévit à Hollywood, High noon peut proposer une interprétation courageuse. Le shérif est abandonné par la lâcheté de ses concitoyens et doit faire face à un comité qui veut l'abattre. Certains y ont vu un pamphlet anti chasse aux communistes qui sévissait dans les studios. Et au regard des pressions que la production indépendante a subies de la part du Comité des Activités Anti-américaines, nul doute que cette interprétation soit tout à fait valide. Le départ du shérif avec sa femme de Hadleyville sans se retourner peut d'ailleurs s'assimiler aux départs des nombreux artistes ayant fui les USA prêts à les condamner et dont ils n'attendaient plus rien, que ce soit Chaplin, Losey et bien d'autres. High noon dénoncerait donc le maccarthysme. 
Mais la deuxième lecture est plus liée au sens général du film pouvant être lu hors contexte de cette chasse aux sorcières. En demandant de l'aide aux habitants de la ville, c'est une vision de l'administration politique qui est proposée. Le shérif ne renonce pas à son autorité mais en délègue une partie à ceux dont il a la charge. Or il s'agit d'un pouvoir de police. Un pouvoir de sécurité. Celui-là même qui revient à l'État. En demandant de l'aide à ceux qu'il est censé protéger, le shérif cède de son autorité et une part de sa légitimité d'exercer la sienne. Le pouvoir devient de fait moins vertical. Idéologiquement, le film se situe là aussi, au-delà de la parabole contre le maccarhysme, à gauche de l'échiquier politique. Appliqué aux Américains, High noon est assurément un film démocrate.
Bande Annonce Rio Bravo
John Wayne hurla quant à lui à la trahison en voyant ce film. Son anti-communisme était connu de tous et lui-même tourna dans des films maccarthystes comme Big Jim MacLaine d'Edward Ludwig, film lui aussi sorti en 1952. Il est donc probable que Wayne comprit le sens de la parabole et s'en offusqua. Mais Rio Bravo ne se présente pas comme un film maccarthyste. Pas de parabole favorable à une quelconque chasse aux sorcières. En revanche, Hawks trouve en Wayne l'exact inverse de Cooper en tant que shérif.  Si John T. Chance refuse l'aide qu'on lui apporte, c'est qu'il ne veut pas risquer la vie de ses administrés, dont certains sont ses amis. Sa fonction est de protéger et non d'être protégé ni même d'être assisté. Aussi, Pat Wheeler (formidable Ward Bond, un autre Républicain!) qui fait du transport de matériel suggère d'assister Chance qui refuse. Mais Wheeler est tué. L'hôtelier est lui aussi invité à ne pas aider. La belle joueuse de cartes fait tout pour faciliter la vie du shérif mais, malgré sa ténacité, est rabrouée par Chance. Seul Colorado, l'homme de main de Wheeler, arrive à rejoindre le shérif et ses assistants, non sans avoir essuyé un refus initial. Hawks propose donc un film dans lequel l'autorité est verticale. La responsabilité revient à une autorité qui a été déléguée à un homme qui s'entoure d'adjoints mais qui refuse de mêler la population à ses ennuis inhérents à sa fonction. Politiquement, appliqué aux USA, Hawks ne trahit pas ses idées républicaines. Et John Wayne se retrouve pleinement dans ce Rio Bravo qui fut lui aussi un succès tant critique que public.
Le western est donc un genre dans lequel les idéologies politiques sont solubles. Genre privilégié et particulièrement prisé des Américains après la seconde guerre mondiale, il permettait de faire passer des idées et concepts politiques avec beaucoup plus de subtilité qu'un film ouvertement politique et idéologique. 
À très bientôt
Lionel Lacour

vendredi 24 août 2018

"En eaux troubles": quand les USA regardent vers l'Asie et la Chine

Bonjour à tous,

Hier, 22 août 2018, est sorti en salle le blockbuster En eaux troubles, énième film racontant l'histoire d'un gros poisson menaçant d'innocents humains pacifiques.
Réalisé par Jon Turtelaub, producteur et réalisateur de films très grand public comme la saga des Benjamin Gates ou le fameux Rasta Rockett, avec comme star portant le film un certain Jason Statham, En eaux troubles est le film qui doit faire un carton au box office cet été, jouant sur la peur des requins avec des clins d'œil avec le film référence, Les dents de la mer, visant un public à la fois jeune amateur de sensation fortes, mais pas trop sanglantes non plus permettant à un public plus familial de passer un moment ensemble, le tout avec un comédien incarnant le film d'action.
Mais plus que cela, En eaux troubles se distingue par le choix de se tourner vers l'Asie, que ce soit dans le casting, dans les

lundi 18 septembre 2017

Lumière 2017 - Gene Tierney, une star oubliée: une Histoire américaine

Bonjour à tous

Après Et la femme créa Hollywood programmé au Festival Lumière 2016, Clara et Julia Kuperberg reviennent pour l'édition 2017 avec leur nouveau documentaire Gene Tierney, une star oubliée présenté le vendredi 20 octobre à l'Institut Lumière (salle 2 - Villa).

Les amateurs du cinéma de l'âge d'or d'Hollywood ne pourront qu'être ravis de ce documentaire qui s'ouvre sur le témoignage formidable de Martin Scorcese, cinéphile par excellence. Et l'histoire de l'actrice commence, comme par une ouverture de rideaux, avec les affiches de Laura et de Péché mortel de part et d'autre, deux de ses nombreux films, suivant le point de vue de la comédienne par la lecture des quelques extraits de ses mémoires.

Gene Tierney, une star oubliée fait, au travers de l'actrice, un panorama sur ces réalisateurs tyranniques des studios avec qui elle a travaillé, de Fritz Lang à Ernst Lubitsch en passant par John Ford, puis un autre sur les actrices qui comme elle remplissaient les salles de cinéma, de Lana Turner à Marilyn Monroe. Au travers de sa filmographie, on voit sa spécificité d'actrice, dépassant les archétypes des personnages féminins satisfaisant habituellement les fantasmes masculins, "la pucelle ou la putain" comme l'affirme une autre historienne intervenant dans le documentaire.

Mais là où nombre de documentaires biopics se contentent de n'aborder que la partie artistique et personnelle des stars, celui-ci propose une sorte d'Histoire parallèle entre la carrière de l'actrice et son époque, à commencer par la machine hollywoodienne. Ainsi, quand une historienne du cinéma évoque les personnages de femmes exotiques incarnés à l'écran par Gene Tierney, c'est pour ensuite mieux expliquer les stratégies commerciales des majors visant une exploitation internationale avec des comédiens n'étant pas trop typés. Voici comment Gene Tierney pouvait incarner une chinoise comme une orientale: pour répondre à une logique économique, depuis appelé soft power.

Plus encore, c'est une partie de l'Histoire de ces années de seconde guerre mondiale et post-guerre que le film révèle. Par exemple, nous apprenons, images à l'appui, que Gene Tierney, comme d'autres stars, masculines ou féminines, a participé à l'effort de guerre, comme Humphrey Bogart ou John Wayne, en tournant des films de propagande et en soutenant les troupes américaines, comme Thunder birds de W. Wellman en 1942.

Loin des hagiographies, Gene Tierney, une star oubliée permet donc de comprendre, par le prisme d'une actrice dont le nom s'est, comme d'ailleurs tant d'autres à l'instar de Jean Simmons, effacé de nos mémoire, d'appréhender une période de l'Histoire des USA, tant du point de vue culturel, économique que politique. Mais également de comprendre que la machine à rêves que représentait Hollywood était aussi une machine à broyer, qui a fait la fortune des studios comme des institutions psychiatriques californiennes.

Riche d'archives de studios ou privées, avec une iconographie dense, Clara et Julia Kuperberg donnent donc aux spectateurs un documentaire captivant, dans lequel on découvre autant une actrice qu'un âge du cinéma béni par certains. Il donne surtout envie de redécouvrir les films que Gene Tierney a tourné pour John Ford, Mankiewicz, Preminger et tant d'autres!

FILM PRESENTÉ PAR LES RÉALISATRICES
Gene Tierney, une star oubliée de Clara et Julia KUPERBERG
Vendredi 20 octobre - 16h45 - Institut Lumière (Salle 2 - Villa)

À très bientôt
Lionel Lacour

mercredi 21 septembre 2016

Lumière 2016: MASH ou la guerre du Vietnam à l'écran

Bonjour à tous,

Samedi 15 octobre 2016, à 22h, sera projeté M*A*S*H de Robert Altman à l'Institut Lumière (salle du Hangar). Réservation sur www.festival-lumiere.org

Palme d'or 1970 à Cannes, ce film est une sorte d'OVNI cinématographique, surtout à Cannes où rares furent les comédies qui reçurent la récompense suprême.
Réalisé donc par Altman, le film est l'adaptation de A novel about three army doctors de Richard Hooker publié en 1968, en pleine guerre du Vietnam. Le scénario qu'écrivit Ring Lardner Jr fut présenté à près de 12 cinéastes avant qu'Altman ne se le voit proposer. Son anticonformisme ne pouvait que se satisfaire d'une telle proposition, lui qui n'avait jamais véritablement connu de

lundi 13 juin 2016

"La Mélodie du bonheur": un film politique... et d'actualité

Bonjour à tous

il y a des distributeurs qui permettent à des grands films de ressortir en salle dans des copies magnifiques. Marc Olry, de Lost Films, est de ceux-là. Avec un catalogue déjà intéressant (Du silence et des ombres ou Seconds pour n'en citer que deux), voici qu'il permet aux spectateurs de voir ou revoir La mélodie du bonheur (The sound of music pour le titre original) de Robert Wise, sorti en 1965 et lauréat, entre autres de 5 oscars dont celui, excusez du peu, de meilleur film et meilleur réalisateur.

Le film reprend l'histoire vraie de la famille Trapp (écrite dans La famille des chanteurs Trapp de Maria-Augusta Trapp adapté en comédie musicale en 1959 et jouée à Broadway) peu avant l'invasion de l'Autriche par l'Allemagne nazie, ce qui fut désigné sous le nom d'Anschluss. Pourtant, le scénario semble se concentrer sur une romance improbable entre une apprentie religieuse et un officier autrichien, veuf et père de 7 enfants. Le succès colossal s'explique bien sûr par la qualité des chansons, par le talent de Julie Andrews (qui éclata dans Mary Poppins) qui lui valu l'oscar de meilleure actrice, par le caractère romantique de la situation et par les valeurs très positives qui se dégagent de cette famille impulsées par le père.

Bande Annonce:  https://vimeo.com/161612689


Le film fut un triomphe et est aujourd'hui encore un des films les plus rentables d'Hollywood et c'est un étonnement d'imaginer qu'il n'était plus distribué en France alors même que les copies VHS puis DVD ont été vendues par dizaines de milliers! Il faut dire que malgré le succès public, le film de Robert Wise a été régulièrement éreinté par la critique qui qualifiait le film de sucrerie ou de guimauve. Et il faut reconnaître qu'à la différence de West side story, autre comédie musicale réalisée par Robert Wise, La mélodie du bonheur ressemble à une histoire mielleuse, dans véritable enjeu autre que la relation amoureuse entre Maria, la novice et le capitaine Trapp (interprété par Christopher Plummer), officier de l'armée autrichienne.

Le succès planétaire s'explique bien évidemment par le caractère universel de cet amour fort entre une femme qui renonce à un engagement spirituel et un homme qui renonce à ses principes éducatifs pour ses enfants par amour pour Maria mais aussi pour celui de ses enfants. Mais ceci ne suffit pas à expliquer cet attachement à cette relation et à cette famille. Car ce qui est en arrière plan est finalement le plus important.

Revoir La mélodie du bonheur, ce n'est pas seulement se plonger dans la comédie musicale qui a sauvé le 20th century fox de la ruine (après l'échec monumental de Cléopâtre), c'est aussi comprendre qu'il y a des principes avec lesquels on ne peut transiger. L'éducation des enfants peut être affaire de négociations. L'arrivée de Maria leur a permis d'accéder à la musique, à la transgression parfois mais jamais à l'irrespect. On peut d'ailleurs imaginer que l'aspect "enfant modèle" est une combinaison entre le côté militaire de leur éducation paternelle et de l'apport plus libertaire de Maria. Mais, quel que soit l'analyse qui peut être faite de la manière d'éduquer les enfants, le film montre que le Capitaine Trapp a cédé sur certains de ses principes éducatifs. Le capitaine Trapp peut accepter que son éducation rigide et autoritaire puisse être défaillante sur certains points. Mais il ne peut accepter que ses valeurs, notamment son refus du nazisme, puissent s'effacer quand l'Anschluss est accompli. Le personnage de Rolf, l'amoureux de Liesl, la fille aînée du Capitaine, est à ce titre révélateur et introduit de manière parfaite pour comprendre comment le nazisme a pu s'imposer. En effet, alors que Rolf est un jeune garçon qui apporte les messages et le courrier, il dit cacher sa relation avec Liesl. Plus tard, on le voit faire partie d'un groupe de jeunes favorables aux idées nationalistes pour ensuite être totalement soumis aux idées nazies, jusqu'à dénoncer la famille et celle qu'il aimait.


Au regard de la montée des idées totalitaires actuelles, qui ne sont plus nazies mais islamistes, il est intéressant de voir combien le message de Maria qui prône le rôle émancipateur de la musique, et celui du Capitaine Trapp, qui refuse de céder aux injonctions nazies, trouvent un écho avec l'ordre moral que veulent imposer les dirigeants de DAESH est leurs soutiens objectifs. La musique est présentée par eux comme diabolique, les opposants aux lois islamiques sont muselés ou éliminés. L'idée même de liberté individuelle est condamnée. Curieusement, La mélodie du bonheur est un film qui, sous couvert de légèreté, permet d'identifier au mieux les renoncements aux principes démocratiques et de liberté, sur l'enrôlement et l'embrigadement des jeunes en leur donnant un pouvoir démesuré sur les autres par leur adhésion à une idéologie totalitaire, mais aussi sur la nécessaire résistance à ces idéologies criminelles et barbares.

La mélodie du bonheur, un film bien plus politique qu'il n'y paraissait finalement, et hélas plus que jamais d'actualité, à faire découvrir aux enfants pour leur expliquer combien la liberté est la seule condition du bonheur.

À très bientôt
Lionel Lacour


mardi 15 mars 2016

Quelle place a l'économie dans "Star wars"?

Bonjour à tous,

Cela fait donc maintenant 7 fois que nous vivons des aventures qui se passent dans une galaxie bien lointaine, et qui s'étalent sur environ un demi siècle. Et sur l'ensemble de ces épisodes, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'environnement idéologique et politique est copieusement décrit et défini. Pourtant, les personnages (et donc, par projection, nous, les spectateurs) évoluent dans un monde économique statique qui se caractérise par des critères immuables et jamais véritablement remis en cause par aucun des protagonistes, et encore moins expliqué.

1. Un monde technologiquement très évolué
Ce qui a fait le succès de la saga Star wars, dès le premier épisode, fut l'aspect "science fiction" avec des vaisseaux interstellaires pouvant voler plus vite que la lumière, faisant la taille de villes géantes, voire de satellites naturels (comme l'étoile noire) et pouvant se protéger des tirs de rayons laser de ceux les attaquant. D'autres véhicules, plus individuels, occupent régulièrement l'écran, avec des performances bien supérieures à celles de ceux d'aujourd'hui, et avec comme caractéristique commune de ne pas être en contact avec le sol, permettant de s'affranchir des obstacles, le tout à très vive allure (cf. course poursuite dans Le retour du Jedi ou le championnat de module dans La menace fantôme).
L'autre attraction fut évidemment la présence de robots ayant diverses fonctions et divers langages. Les plus célèbres sont bien sûr C3PO, le robot de protocole de forme androïde et R2D2, dont les missions sont finalement assez diverses mais permettent de guider les véhicules chasseurs, de réparer les ordinateurs ou de les comprendre, en effectuant si besoin des opérations de maintenance d'urgence.
Ce sont enfin les armes qui dans Star wars montrent un degré de technologie très avancée, abandonnant les projectiles classiques (balles de fusil notamment) par des rayons énergétiques destructeurs.
Ce qui pouvait apparaître au premier épisode comme une vraie avance technologique l'est encore à ce jour, à l'exception de la partie communication. En effet, les progrès des télécommunications sur notre bonne vieille Terre ont rattrapé en grande partie ce qui était présenté alors comme un élément d'une modernité extrême.

2. Un monde qui repose sur la maîtrise des sources énergétiques
Aucun des épisodes ne semble montrer le moindre problème pour l'obtention d'énergie pour mouvoir les véhicules ou construire des bâtiments gigantesques. Or il est manifeste que l'énergie consommée dans cette lointaine galaxie est énorme au regard du nombre de véhicules utilisés, et surtout au regard de leur masse qui dépasse, et de loin, les millions de tonnes!
Cette maîtrise énergétique est également nécessaire pour la construction de ces véhicules, constructions métalliques et immobilières qui sont régulièrement à l'écran. Les villes de la "prélogie" sont à cet égard particulièrement gigantesque et proposent un monde urbain d'une densité et d'une hauteur faramineuse, nécessitant une énergie monumentale tant pour les édifier que pour ensuite leur permettre de fonctionner.

3. Un monde régit par du négoce interstellaire
La trilogie originelle faisait peu état d'une économie de négoce. Il faut attendre que Han Solo se rende sur la planète Bespin pour réparer son vaisseau, le faucon millenium, pour que soit abordé un point essentiel de l'empire. Celui-ci est certes un espace politique, mais également économique. Lando, l'ami de Han Solo, lui explique que Bespin se trouve en dehors de l'espace économique sous influence de l'empire, lui permettant de faire du négoce sans la contrainte impériale, chose qui va de fait évoluer au cours de l'épisode, montrant justement l'aspect impérialiste du régime politique que défend Darth Vader. De fait, on comprend que les échanges économiques sont sous contrôle de l'Empire qui tolère - ou pas - que certains soient affranchis des règles, jusqu'à ce que celles-ci s'imposent  à eux, selon un rapport de force évidemment à l'avantage de l'Empire.
Dans La menace fantôme - 1er épisode de la prélogie - c'est une affaire de commerce et de taxes qui est au cœur de l'histoire, la Fédération du commerce refusant notamment de payer des taxes à la planète Naboo et opérant un blocus. Le conflit commercial doit se régler politiquement même si la Fédération a des volontés de conquérir la planète qui lui résiste.

4. Mais une absence du monde industriel...
Ce qui devrait finalement étonner, c'est qu'en 7 épisodes, jamais le monde de l'industrie n'ait véritablement été montré si ce n'est par les conséquences de cette production. Pourtant, on peut dire beaucoup de choses sur celle-ci. D'abord qu'il y a une production en série, ce que prouve R2D2 qui est un robot comme d'autres robots qui fréquentent l'univers Star wars. Dans La menace fantôme, on voit en effet d'autres droïdes presque identiques à celui qui semble être unique.
De même que pour les robots, le nombre de véhicules semblables (les chasseurs "X wings"), l'armement des troopers ainsi que leur tenue nécessitent une production de masse, de série, pour équiper de manière identique chaque combattant, qu'il soit dans un premier temps pour la défense de la République ou plus tard des soldats de l'Empire. Et on ne parle pas des quadripodes dans L'empire contre-attaque, eux aussi forcément construits en série!

Enfin, on imagine combien il a fallu de production sidérurgique ou d'autres métaux pour la construction de ces vaisseaux, satellites et autres monuments gigantesques. La taille des usines et des machines ainsi que la quantité de main-d'œuvre, humaine ou robotisée, doit être absolument invraisemblable pour permettre une telle production, sur un temps si court. Ainsi, les étoiles noires sont construites en quelques mois seulement, ce qui laisse envisager une logistique énorme en terme d'extraction des matières premières, de leur transformation, de leur transport et enfin de leur ajustement.
Or ce monde économique est absolument invisible.

5. ... mais une forte représentation de l'économie parallèle
Au contraire, l'économie interlope, de trafics en tous genres, de récupérations et d'occasion est largement représentée dans tous les épisodes, y compris dans le dernier volet sorti en 2015. Dans cet épisode, l'héroïne récupère sur des épaves de vaisseaux interstellaires des pièces mécaniques ou électroniques qu'elle vend ensuite à un récupérateur.
Dans la trilogie originelle, c'est bien du commerce à la marge qui est montré dans les bars louches que fréquente Han Solo. On comprend d'ailleurs qu'il est un vulgaire trafiquant et qu'il l'est resté par la suite, puisque, toujours dans Le réveil de la Force, il est en conflit avec diverses mafias.
Dans La menace fantôme, Anakin est un esclave et il travaille pour une sorte de receleur exploiteur.
Cette économie de récupération et de ventes d'occasion est en fait présente dès La guerre des étoiles, rebaptisée Un nouvel espoir puisque les deux robots-héros, C3PO et R2D2 sont vendus en lot à l'oncle de Luke Skywalker.
C'est enfin un monde de la bricole où chacun essaie de produire ce qu'il ne peut acheter. Anakin construit C3PO ou son propre module de course. Han Solo pilote un vieux vaisseaux qui nécessite des réparations permanentes, et ce dans tous les épisodes dans lequel il est présent!

6. Et un paradoxe de l'absence du progrès technologique...
Enfin, il faut partir d'un constat assez édifiant et mystérieux: les trilogies s'étalant sur environ un demi siècle, on aurait pu envisager un progrès technologique entre La menace fantôme et Le réveil de la Force. Or, mis à part le nouveau robot BB8, il n'y a aucune trace véritable de progrès technologique quotidien. Pour avoir un élément de comparaison, il suffit de prendre notre civilisation réelle sur la période allant du premier épisode de la saga (1977) au dernier (2015) pour réaliser combien notre environnement technologique a été bouleversé, que ce soit en terme des technologies de l'information et de communication (téléphones portables, smartphone, internet, wifi, écran led, numérique...), de transport (moins spectaculaire a priori mais réelle si on regarde les films des années 1970!), d'armement (hélas), dans la construction...
Au contraire, l'univers de Star wars présente un monde de haute technologie (comparer encore à la nôtre) mais une technologie figée. Les véhicules interstellaires ne sont pas plus performants dans Le réveil de la Force que le Faucon Millenium qui a pourtant plusieurs dizaines d'années. Et les armes ne sont pas plus efficaces non plus.
En fait, une vraie et seule innovation apparaît: l'utilisation de l'énergie du soleil pour détruire les planètes. Mais qui a permis cela? Quel(s) scientifique(s) sont à l'origine de cette découverte? Rien n'est jamais dévoilé. C'est comme si la Recherche et le Développement étaient absents, et que les progrès existaient par principe sans que des individus n'en soient la cause.

7. ... combiné à un espace économique clos
Ce qui fait la force narrative de Star wars est donc de proposer un monde à la fois immense (une galaxie!) et clos à plus d'un titre. Les limites de l'univers sont scientifiquement infinie et les technologies développées dans Star wars devraient permettre de quitter aisément cet empire intergalactique. Pourtant, il n'en est rien. Il est donc à ce titre clos puisqu'il n'y est jamais fait mention d'une émigration, de travail ou de fuite d'un régime dictatorial et liberticide.
Cet espace clos interdit toute concurrence externe, scientifique, technologique ou commerciale, maintenant la galaxie dans une situation figée, celle d'un conte, d'une fable ou d'un récit homérique dont les héros évoluent dans un cadre immuable et dans lequel les aspects économiques ne sont montrés que de manière triviale, marginale et ne sont évoqués que lorsqu'ils permettent de justifier une intervention militaire, une lâcheté individuelle ou une manifestation d'impérialisme.


Ce que montre en fait Star wars au fil des épisodes, c'est le rôle prééminent dans un récit, des idéologies qui s'affrontent, faisant de l'économie un élément secondaire, au service des acteurs défendant leur modèle de société. On imagine combien l'Empire a mis sous tutelle la production industrielle de la galaxie pour servir son dessein hégémonique. En arrive à envisager que la vision économique de la République version George Lucas est une vision plus libérale, plus concurrentielle, moins dirigiste. Mais dans chacun des camps, cette économie est tellement en arrière plan qu'elle en devient invisible à l'écran dans son fonctionnement et au premier plan dans ses conséquences: objets, énergie, communication...
Il ne reste à l'image que les éléments visibles d'une économie entre les individus, des actes interlopes aux achats plus légaux dans des commerces, éléments qui n'ont pas pour objet d'expliquer l'économie mais qui servent à créer une dramaturgie narrative entre les personnages, héros ou seconds couteaux.
Ce que révèle Star wars dans son succès - tout comme L'Iliade et l'Odyssée le faisaient déjà en leur temps - c'est l'importance des idéologies non économiques mais politiques, reposant sur l'équilibre entre les principes de l'autorité, de la sécurité et de la liberté. L'économie n'apparaît alors qu'au service de la défense de ces principes.
Ceci ne peut s'appliquer évidemment que dans un monde clos. Son ouverture à des espaces périphériques bouleverse ces équilibres, crée de la concurrence, provoque des fuites, notamment de main-d'œuvre, qui plus est le plus souvent qualifiée. Dès lors, l'économie devient Économie et supplante les intérêts idéologiques politiques et les valeurs qui y sont associées. On peut s'en réjouir quand l'Économie vient fissurer un régime autoritaire de notre point de vue occidental. On peut le redouter quand ce sont des valeurs démocratiques qui en font les frais.

À bientôt

Lionel Lacour






mardi 3 novembre 2015

"Hatari!", chef-d'œuvre néocolonial

Bonjour à tous,

Howard Hawks a toujours aimé les films d'hommes, à fort coefficient de testostérone, dans lesquels la femme apparaît comme une sorte de perturbateur endocrinien au bon fonctionnement d'un groupe ou d'un individu, mais qui peut devenir acceptable à la condition qu'elle accepte finalement de ne pas trop changer l'homme sur lequel elle a décidé de jeter son dévolu.
Hatari! ne déroge pas, de ce point de vue, à la règle des autres films hawksiens. De même, le réalisateur américain s'inscrit dans la tradition des grands cinéastes hollywoodiens qui ont filmé l'Afrique noire (voir Les Africains noirs dans le cinéma occidental): Huston, Ford et tant d'autres ont montré ce continent sauvage dans des films majeurs ou dans des séries B. Pourtant, Hatari!, sorti en 1962, a une approche plus moderne que celle des cinéastes contemporains de Hawks, laissant transparaître ce que l'Afrique demeure pour les Occidentaux malgré la récente

samedi 15 août 2015

De Ted à Ted 2: le Ted de la maturité?

Bonjour à tous,

en 2012, avec Ted, Seth McFarlane avait réalisé une œuvre décapante et irrévérencieuse. Dès la première séquence, des propos antisémites étaient prononcés en guise d'antiphrase évidente au regard du reste du film mais qui auraient pu être l'objet du courroux de bien des associations tant le politiquement incorrect était énorme. Le film fut un succès retentissant dû autant aux qualités des effets spéciaux qu'aux comédiens mais surtout à l'humour grinçant, potache et transgressif que le scénario offrait aux spectateurs.

mercredi 22 avril 2015

Un Européen peut-il comprendre "American sniper"?

Bonjour à tous

Sorti le 18 février en France, American sniper est donc devenu le film de Clint Eastwood qui aura fait le meilleur résultat au box office tant aux USA qu'en Europe, y compris en France. Et pourtant, l'œuvre du maître américain comporte bien des films marquants dont certains oscarisés. L'homme des hautes plaines, Josey Wales hors la loi, Impitoyable mais encore Sudden impact, Sur la route de Madison, Un monde parfait, Million dollar baby ou Gran Torino sont quelques uns des films majeurs du cinéaste. Et pourtant, aucun de ces films n'a fait mieux que American sniper. Et aucun n'a rencontré une critique aussi partagée que lui. Chef-d'œuvre pour certains, film limite fasciste pour les plus réfractaires.

samedi 3 janvier 2015

Les aventures de Robin des Bois: la légende au service du présent

Bonjour à tous,

en 1938, un des plus grands films d'aventure de l'Histoire du cinéma sortait aux USA. Réalisé par le réalisateur d'origine hongroise Michael Curtiz (qui réalisa par la suite Casablanca, rien que ça), Les aventures de Robin des bois avaient comme caractéristique d'être un des premiers films tournés en couleur, une nouveauté de l'époque qui avait pour intérêt d'attirer encore les spectateurs dans les salles (comme on a essayé de les attirer avec le cinémascope, le relief...). Produit par la Warner, studio ouvertement pro administration Roosevelt, le film de Capra rassemble Errol Flynn et Olivia de Haviland pour la 3ème fois après Capitaine Blood (1935) et La charge de la brigade légère (1936), toujours sous la direction de Curtiz, formant un duo de cinéma parmi les plus célèbres, tournant encore ensemble 5 fois, dont 4 pour leur réalisateur fétiche!




lundi 29 décembre 2014

West Side Story à l'Auditorium de Lyon en ciné concert: un film classique d'actualité

Ciné-concerts West Side Story à l'Auditorium de LyonBonjour à tous

en cette fin d'année, beaucoup de propositions culturelles s'offrent aux Lyonnais. Celle de l'Institut Lumière est particulièrement exaltante car elle ne s'inscrit pas comme un coup mais bien dans la lignée de plusieurs traditions.

D'abord la promotion du cinéma dit classique. Et à ce titre, la projection du chef-d'œuvre de Robert Wise et Jerome Robbins West side story répond à ce cas de figure.

Ensuite, le soutien au cinéma populaire. Car le cinéma n'est pas que celui vu par quelques cinéphiles mais bien partagé par des millions de spectateurs. Avec West side story, c'est bien le cinéma populaire qui est mis en avant et qui prouve, comme l'aime si bien Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière, que le cinéma qui touche les masses peut aussi être exigeant et proposer de véritables œuvres d'auteur.

Encore, la croisée des arts. En proposant un ciné concert, l'Institut Lumière poursuit ce qu'il propose depuis des années, avant même les projections spéciales du festival Lumière. Et quoi de mieux que de redécouvrir la partition de Leonard Bernstein jouée en direct par un orchestre symphonique tandis que les images hollywoodiennes viennent se projeter sur un écran géant. De telles projections permettent de démocratiser l'idée même que d'aller à un concert de musique classique avec des tarifs qui peuvent être élevés encore pour certaines places mais qui débutent malgré tout au tarif de 16 € avec une projection précédée d'un autre spectacle. Quiconque étant allé à l'Auditorium Maurice Ravel sait combien la qualité d'écoute et de projection de la salle permet de profiter au mieux du spectacle, même pour les places les moins onéreuses.

Enfin, le rendez-vous avec l'actualité. Car la projection de West side story s'inscrit à la fois dans un cycle sur la production américaine mais le thème du film est d'un contemporanéité assez singulière, que ce soit avec les événements entre la police américaine et la communauté noire des ces derniers mois, ou avec la marginalisation de certains groupes en France pouvant se sentir rejetés et pas seulement économiquement.

La chanson "America" résume à ce titre assez bien ce qui pouvait se passer aux USA dans les années 1950 - 1960 et qui peut se retrouver en France dans nos banlieues. Les femmes du film veulent s'émanciper de leur culture malgré les contraintes culturelles et religieuses qui pèsent sur elles. Les hommes au contraire rejettent un modèle qui a pu les faire rêver mais qui n'a jamais su ou pu les intégrer, faisant d'eux des victimes (volontaires ou pas) de racisme ou de xénophobie. 
Mieux, le discours des adversaires de Nardo, chantent à qui veut l'entendre que la société est malade de ne pas savoir que faire de ces jeunes qui sont à la fois abandonnés, méprisés et excusés quoi qu'ils fassent. 

Une société ne sachant que faire de sa jeunesse, vivant en bandes s'affrontant, occupant des emplois sous qualifiés, animés par la violence, le rejet des autres communautés et la haine des forces de police. Cela ne rappelle donc rien?

Alors pour voir, revoir ou faire connaître ce film à qui ne l'aurait jamais vu, la liste des séances (entre le 31 décembre 2014 et le 2 janvier 2015) est sur le site de l'Auditorium de Lyon.

À très bientôt
Lionel Lacour



mercredi 10 décembre 2014

Charlot soldat: la contribution de Chaplin à l'effort de guerre

Bonjour à tous,

En 1918, Chaplin réalise Shoulder arms traduit en français par Charlot soldat. Sorti le 20 octobre 1918, le film ne servira donc que très peu pour l'effort de guerre puisque l'armistice allait être proclamée 3 semaines plus tard. Pourtant, Charlot soldat n'en marque pas moins un vrai effort de la part de son réalisateur pour soutenir les troupes américaines, et au-delà, les troupes alliées, pendant le conflit qui les opposait à l'Allemagne notamment.
Il faut dire que Chaplin ne fut pas ménagé par certains, lui reprochant de s'enrichir tandis que d'autres combattaient. Peu importe qu'il ait été jugé trop chétif pour être enrôlé, qu'il donne de son temps et de sa personne pour une tournée de un mois aux USA afin de récolter des fonds par l'achat d'obligations pour financer la guerre auprès des Américains. De même, l'ambassadeur britannique aux USA pouvait bien affirmer que Chaplin servait davantage la cause alliée en gagnant beaucoup d'argent et donc en payant des impôts et en achetant ces mêmes obligations, une bonne partie ne voyait dans le comédien que celui qui avait obtenu un contrat d'un million de dollars, une somme considérable pour l'époque, pour la réalisation de 8 films pour la First National, la société de production avec laquelle il était désormais lié.
C'est ainsi que Chaplin réalisa Charlot soldat afin de soutenir l'effort de guerre, quitte à risquer de choquer en utilisant la comédie pour évoquer une guerre particulièrement sauvage et meurtrière.



I.                 Un film de commande? Les éléments de la propagande

Dès le début du film, Chaplin propose donc des séquences mêlant à la fois le thème et le genre. Le thème est la guerre et cela passe par l'instruction au combat afin de préparer les recrues aux batailles à venir. Le genre est la comédie, avec le personnage joué par Chaplin lui-même que tous les spectateurs reconnaissent évidemment. Il ressemble au vagabond: moustache, dégaine. Mais il est une recrue parmi les autres, à ceci près que sa démarche caractéristique l'empêche de bien marcher au pas. Après un maniement d'armes difficiles, c'est donc dans les déplacements des troupes que Chaplin fait rire les spectateurs. Ces premiers gags ne sont pas anodins. Chacun d'eux dans cette première séquence donne une information liée à la guerre. S'y préparer, s'est savoir se servir des armes, apprendre à respecter son rang lors des déplacements, c'est savoir obéir au supérieur.

De fait, Charlot soldat n'est pas l'histoire ordinaire de son personnage fétiche. Il s'agit bien d'évoquer la guerre par le prisme d'un combattant ordinaire. Si bien que Chaplin manie l'ellipse brutale qui conduit son héros du camp d'entraînement à la tranchée. Désormais, le héros, désigné par son matricule... n°13 (!), est paré pour le combat avec un paquetage volumineux. La tranchée (construite dans les studios qui ont été mis à disposition par la société de production) est particulièrement réaliste: étayage, sacs de sable pour se protéger, planches au sol pour limiter la boue... Et dans cette réplique de tranchée, les soldats évoluent tels que l'imagine Chaplin.
À nouveau, les gags servent de filtre pour évoquer la réalité de la guerre, sans pour autant la moquer ou la tourner en dérision. N°13 se promène avec une tapette à souris sur son ventre, c'est pour mieux signifier que les tranchées sont infestées de rongeurs. Quand il accroche une rappe à fromage sur le montant de ce qui lui servira de chambre, creusée sous la tranchée, cela implique que le soldat doit à la fois apporter ses ustensiles pour manger, mais, en se frottant le dos contre cette même rappe, il indique qu'en plus des rats, les soldats doivent affronter aussi les parasites comme les puces ou les poux.
Par la maîtrise du langage cinématographique balbutiant encore, Chaplin permet de dédramatiser la guerre sans en effacer la dure réalité. Si son personnage est au premier plan, livrant des moments de fantaisie, l'arrière plan est toujours plus sérieux, des soldats se préparant au combat aux obus éclatant à proximité de la tranchée. La maîtrise de ce discours cinématographique lui sert notamment aussi lorsqu'il s'agit de désigner l'ennemi. Quand celui-ci apparaît pour la première fois à l'écran, il est Les croix de bois en 1931 ou Stanley Kubrick dans Les sentiers de la gloire cf. mon article à ce sujet Les sentiers de la gloire: un travestissement de l'Histoire?).
d'abord accompagné par une musique plus martiale, plus grave. Ensuite, les soldats allemands ressemblent à des géants tandis que leur supérieur est un être à la fois petit, nerveux et brutal, n'hésitant pas à martyriser les grands nigauds qui apparaissent finalement peu antipathiques et davantage contraints à se battre que des ennemis barbares. Ce qui n'est pas le cas de leur chef! Quant à leur positionnement dans la tranchée, Chaplin utilise l'écran comme une carte de géographie avec le nord pointé en haut. Les Américains attaquent de la gauche vers la droite, donc de l'Ouest vers l'Est, et les Allemands de la droite vers la gauche, soit de l'Est vers l'Ouest. Par ce choix de mise en scène, les spectateurs savent automatiquement qui sont les gentils des méchants, puisque le positionnement des belligérants à l'écran respecte la réalité géographique (changer cette représentation brouille de fait les message, comme a pu le faire Raymond Bernard dans
C'est aussi dans les relations entre les soldats et les officiers que le message de Chaplin propose une interprétation des idéologies des deux camps. Le soldat américain, bien qu'encadré, est montré finalement comme plus libre de ses mouvements, avec une certaine capacité d'improvisation, une autonomie et une certaine reconnaissance - mesurée - de la part de ses supérieurs. Les Américains font prisonniers leurs ennemis. Au contraire, les Allemands vus par Chaplin sont décrits comme étant organisés de manière très hiérarchisée, le chef étant omnipotent, les soldats beaucoup plus soumis. Et surtout, les Américains faits prisonniers sont mis immédiatement sur un poteau d'exécution. 

À première lecture, Charlot soldat ressemble donc à s'y méprendre à une œuvre de commande, mettant en place une grammaire cinématographique de propagande efficace valorisant l'idéal américain ou occidental et dénonçant l'autoritarisme et le côté brutal du Reich. Mais derrière ce discours de soutien, Chaplin en profite pour aller plus loin que le simple récit opposant deux conceptions de société, de pouvoir.

II.               La guerre : derrière l’humour, la réalité

En moins d'une heure, le réalisateur brosse un état des lieux de la guerre sans en esquiver les dures réalités, mais en les parant de son humour.
C'est d'abord une vision de la vie dans les tranchées. Comme dit plus haut, chaque gag masque une situation réelle. Ainsi, lors de la distribution de courrier venant de l'Arrière, n°13 ne reçoit rien tandis que ses compagnons récupèrent des lettres ou des colis de nourriture. N°13 lit alors le courrier d'un des soldats derrière son épaule. En réagissant simultanément à ce qui est écrit, c'est à la fois drôle (puisque cette lettre ne lui est pas destinée!) et on comprend le fait que lire des nouvelles de ce qui se passe ailleurs qu'au front est un soutien inestimable. La réaction énervée du soldat à l'égard de n°13 témoigne aussi du manque d'intimité des troupes dans les tranchées.





 Quand le héros reçoit enfin des colis alimentaires, ceux-ci sont périmés. Dans un triple gag, Chaplin arrive à donner en rafale plusieurs informations. C'est d'abord la réception d'un camembert très odoriférant, preuve de la durée de livraison des colis. Sa réaction spontanée est de se protéger d'un masque à gaz, démonstration de l'utilisation des gaz pendant la guerre pour détruire les troupes ennemies. Enfin, quand il lance le dit camembert pour s'en débarrasser en direction de l'Est, le petit chef teigneux allemand le reçoit en pleine figure, preuve de l'extrême proximité des tranchées ennemies!








Cet état de fait apparaît plus tard quand n°13 décide d'ouvrir une bouteille de vin alors qu'il n'a pas de tire-bouchons. En levant la bouteille au-dessus du niveau de la tranchée, il provoque le tir automatique des ennemis dont une balle casse le goulot, permettant alors de servir le vin!
Cette vie dans les tranchées est aussi marquée par l'extrême humidité. Chaplin développe jusqu'à l'absurde cette condition de survie en inondant la "chambre troglodyte" dans laquelle doivent dormir plusieurs soldats. Une succession de gags absurdes permet de voir dans quel situation inconfortable se trouvent les soldats pendant la guerre, devant affronter le climat, les parasites et la promiscuité autant que l'ennemi à attaquer.



Car Chaplin n'en oublie pas l'objet de cette concentration de soldat dans la tranchée. Leur présence est liée à la nécessité de combattre les Allemands. C'est d'abord une attaque de tranchée marquée par une attente longue. Le temps semble important. L'officier regarde sa montre pour attaquer à une heure précise, celle du déclenchement de l'artillerie. N°13 réagit soit par courage, puis peur, superstition, héroïsme, patriotisme ou encore par obligation. L'attaque est montrée comme soudaine et extrêmement dangereuse, n°13 grimpant à l'échelle en premier puis en redescendant quand il se rend compte que ceux d'en face, forcément très près d'eux, ripostent déjà!
Une autre séquence montre que l'attaque de l'ennemi peut se faire de tranchée à tranchée par tir de fusil. Là encore, Chaplin montre par un gag l'extrême mortalité de ce conflit. Tirant vers la droite (l'Est), protégé par les sacs de sable, n°13 marque par un trait de craie chaque ennemi tué. Or en quelques secondes, il trace plusieurs marques, preuve encore de l'aspect sanglant de cette guerre.
C'est enfin l'attaque au-delà des tranchées ennemies que Chaplin montre, avec des missions annoncées comme suicidaire mais nécessaire pour le sort de la guerre. C'est bien le caractère sacrificiel que le réalisateur veut présenter aux spectateurs avec des soldats envoyés à une mort certaine. 
Chaplin use encore du gag pour décrire les subterfuges utilisés par les soldats pour s'introduire dans le camp ennemi. Si n°13 est drôle déguisé en arbre, son compagnon est lui dans un registre plus sérieux. Arrêté alors qu'il se cache et communique des informations à son état-major par télégraphe, son arrestation n'a rien de comique. Mais Chaplin réussit à faire se téléscoper le sort des deux soldats américains, aboutissant à une évasion comique des deux larrons.

Chaplin insiste enfin sur l'effet de la guerre sur l'environnement humain. En se réfugiant dans une maison, le spectateur réalise alors combien les bombardements sont destructeurs. Toujours par les gags, n'°13 détourne l'attention d'un triste constat. Se cachant dans une maison, celle-ci est éventrée de part en part et les murs et cloisons ont presque tous disparus si bien que les portes et fenêtres ne semblent plus servir à grand chose. Pourtant n°13 les ouvre et les ferme comme si elles le protégeaient effectivement! Il en va de même pour les soldats allemands à sa poursuite. Derrière ces gags, c'est bien la destruction massive des villes et maisons provoquée par les bombardements que Chaplin évoque dans cette séquence. Cette déshumanisation du territoire par la destruction du bâti rend tout aussi terrible la guerre puisque ce sont les hommes et femmes qui y vivaient qui en sont victimes, soit par leur mort, soit par leur départ forcé.


III.             Un vrai film de Chaplin

En s'appesantissant sur la réalité territoriale de la guerre et par la destruction des villes, Chaplin rappelle quel réalisateur il a toujours été. En fait dès le début du film, Chaplin propose de nuancer sa vision de la guerre, refusant le manichéisme.
Par exemple, tous les Allemands ne sont pas ses ennemis. Lorsque le héros réussit à "encercler" la tranchée et fait prisonnier les soldats allemands, il ne les traite pas avec violence mais leur propose au contraire des cigarettes. Ce geste correspond à la prise en compte par n°13 du fait que ces soldats font la même guerre que ceux des tranchées alliées et qu'ils sont eux aussi des gens du peuple. Seul le chef refuse avec morgue cette cigarette qui lui est aussi offerte. La violence de n°13 est alors comique mais réelle.

Pour Chaplin, une histoire humaine est aussi une histoire d'amour. Et l'apparition d'une fille française (Edna Purviance) vient comme une sorte de respiration dans ce film jusqu'alors intégralement concentré sur la guerre. Évidemment, Chaplin crée une romance entre son personnage et cette française. Et le réalisateur de montrer que la guerre, c'est aussi la découverte de l'autre, la force des sentiments parfois violents au-delà des mots (King Vidor, dans La grande parade, développera une histoire d'amour similaire entre un soldat américain et une française). Mais rapidement, l'histoire de cœur va coïncider à un autre fait de guerre. Les deux tourtereaux sont faits prisonniers. Loin d'être une potiche, le jeune femme va participer à leur évasion et à la capture du Kaiser (rien que ça!). En apportant ce personnage féminin, inutile en soi dans la narration, Chaplin touche d'autres spectateurs mais aussi d'autres émotions. Le message est extrêmement humaniste. La guerre n'est pas seulement l'affrontement entre des nations ennemies, c'est aussi l'occasion de faire valoir son idéologie. Et celle qui anime Chaplin est manifestement une idéologie non nationaliste. Son comportement avec les soldats allemands faits prisonniers en atteste. Son histoire d'amour avec une française le confirme. C'est une vision extrêmement romantique, mais au sens originel du terme. Le héros de Charlot soldat est un personnage prêt à mourir pour qu'on puisse continuer à aimer qui bon nous semble.

Mais c'est surtout dans la séquence de fin que le message de Chaplin se cristallise. En faisant prisonnier l'empereur. Cet acte héroïque est célébré comme il se doit par les troupes américaines. L'empereur se voit "amputé" d'une médaille qui est aussitôt donnée à un soldat américain. Symboliquement, ce n'est pas tant l'empereur qui est déchu, c'est plutôt l'idée que l'idée d'une hiérarchie entre les hommes n'a pas lieu d'être, avec un soldat américain pouvant être l'égal d'un dirigeant d'un pays.
Surtout, Chaplin insiste sur une notion toute américaine. La caractéristique de ce pays est souvent présentée comme individualiste. Or, ce que rappelle Chaplin est que cet individualisme se fait dans le cadre du sentiment d'appartenance à une communauté, celle américaine. Il y rajoute un élément important. Le film n'est pas l'apologie du pacifisme car il montre que, parfois, hélas, la guerre est nécessaire. Mais en éliminant, par la capture et non par la mort, le chef du camp ennemi, son héros met fin à la guerre. D'où son
carton (presque) final "Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté"!
Un "twist" que je ne révélerai pas ici conclut le film et vient confirmer cet espoir de Chaplin dans une fin de guerre proche. Cette séquence peut être comprise de deux manières: patriotique, avec la nécessité d'envoyer des soldats pour mettre fin à la guerre; pacifiste, avec la nécessité de préserver ses forces vives plutôt que de les envoyer vers le cauchemar d'une guerre qui n'est drôle qu'en apparence et dans le film, mais qui est destructrice et meurtrière, comme le montre aussi le film!



Sorti le 20 octobre 1918, Chaplin ne pensait certainement pas que son appel à la paix allait si vite aboutir! Extrêmement bien reçu par la critique et le public à sa sortie, c'est surtout l'appréciation positive de son film par les vétérans qui allait toucher Chaplin. Charlot soldat va être considéré pendant plusieurs années comme le meilleur film de son réalisateur. Celui-ci reviendra à la Première guerre mondiale en 1940 dans Le dictateur. Si le film évoque la prise de pouvoir d'un ersatz de Hitler (Hynkel) dans un pays imaginaire (la Tomainie), il commence par des séquences renvoyant à la Grande guerre. Son personnage de n°13 était américain. Mais on le retrouve presque à l'identique en 1940 mais du côté adverse. Mais son idéal n'a en rien changé. Le discours final du Dictateur prononcé par le héros, sorte de n°13 bis et sosie de Hynkel, ne dit pas grand chose de différent du carton final de Charlot soldat. Sauf que ce dernier annonçait la fin d'une guerre, alors que Le dictateur n'a pu empêcher la seconde guerre mondiale. 

À bientôt
Lionel Lacour

mercredi 29 octobre 2014

"Le silence des agneaux" à "L'épouvantable vendredi" de l'Institut Lumière

Bonjour à tous

Le vendredi 7 novembre 2014 se déroulera un nouvel "Épouvantable vendredi" toujours organisé par Fabrice Calzettoni, responsable pédagogique de l'Institut Lumière et grand amateur de ce cinéma de genre.

Hakim Fdaouch, grand cinéphile et spécialiste du genre, et Fabrice Calzettoni présenteront pour l'occasion un film qui fit sensation à sa sortie en 1991. En effet, Le silence des agneaux dépassait de loin le succès des films évoquant les serial killers et fixait dans l'inconscient collectif des référents à la fois esthétiques et de personnages extrêmement bien caractérisés.

Il faut dire que le casting avait de quoi séduire. Jodie Foster faisait une très subtile agent du FBI, Clarice Sterling, devant à la fois résoudre une affaire de meurtres en série et affronter celui qui pouvait l'aider, à savoir Hannibal Lecter. C'est Anthony Hopkins qui livre une interprétation magistrale de ce personnage, apportant la finesse de son jeu, lui qui incarnait si bien les britanniques bien éduqués auparavant,

mercredi 1 octobre 2014

Festival Lumière 2014: "Aux cœurs des ténèbres" d' "Apocalypse now"

Bonjour à tous

Le Festival Lumière proposera une projection de la version "redux" d'Apocalypse now, c'est-à-dire la version remontée en 2001 par Francis Ford Coppola intégrant des séquences absentes de la version présentée à Cannes en 1979 et de celle exploitée commercialement la même année. Mais quelque soient les versions, le tournage du film fut une épreuve pour le réalisateur comme pour l'ensemble de l'équipe de tournage, ce que Patrick Brion évoquait dans Les secrets d'Hollywood (voir à ce sujet  Les secrets d'Hollywood: une passion des majors de l'âge d'or du cinéma).

Pendant 1h30, le spectateur plonge dans cet univers de la production d'un film mythique, adapté de l'œuvre de Joseph Conrad, palmé à Cannes et qui faillit ne jamais aboutir tant les conditions de productions furent difficiles.
Le documentaire Aux cœurs des ténèbres - l'apocalypse d'un metteur en scène revient donc sur l'histoire du tournage de ce film mythique. Le titre du documentaire mêle le titre du livre dont s'inspire le film et le titre du film. Réalisé à la demande de son mari par Eleanor Coppola avec une caméra 16mm, cette histoire du film est une vraie expérience cinématographique et une source de révélations assez rarement programmé, y compris sur les chaînes satellites spécialisées. Les fans du films le connaissent en bonus sur les éditions collector DVD ou Blu Ray. Il sera proposé à la Villa Lumière le samedi 18 octobre à 15h. Réalisé en 1991, le documentaire revient bien évidemment sur les conditions dantesques de tournage du fait de tourments climatiques puisque les Philippines où étaient tournées les séquences de jungle fut balayé par un typhon dévastateur, mais aussi sur les difficultés liées au casting. Ainsi, après avoir essuyé des refus nombreux de stars, dont Steve McQueen pour le personnage du Capitaine Willard pour finalement engager Martin Sheen dans ce premier rôle, celui-ci fut victime d'un infarctus, retardant considérablement la production du film, Coppola devant se contenter de réaliser des plans d'ensemble et de paysages. Quant à Marlon Brando, il le retrouvait après l'expérience du Parrain certes couronnée de succès mais qui se termina de manière houleuse. Dans le rôle du Colonel Kurtz, Marlon Brando, minéral, composait un personnage plus "Actor Studio" que jamais le faisant entrer définitivement dans la légende du 7ème art.

Ainsi, après des problèmes de scénario, de production, de casting, de financement rendant Francis Ford Coppola de plus en plus irritable et mégalomane, le film est passé du film maudit au film à la fois culte et mythique, véritable repère dans la production cinématographique, dans la représentation et la réflexion sur la guerre du Vietnam sur grand écran comme dans l'esthétique et la narration de ces films à grand budget qui pouvaient allier casting grand format, scénario complexe et public cible large.

SAMEDI 18 OCTOBRE - 15h00 - Salle 2 de l'Institut Lumière (Villa)
Aux cœurs des ténèbres - l'apocalypse d'un metteur en scène,  Fax Bahr, George Hickenlooper et Eleanor Coppola, 1991, 1h30.

Réservation par téléphone: 04 78 78 18 95
ou par internet: www.festival-lumiere.org

Tarif: 3 €

À très bientôt
Lionel Lacour




lundi 29 septembre 2014

Festival Lumière 2014: "La grande muraille", dernier grand mélodrame de Capra

Bonjour à tous

À l'occasion du Festival Lumière 2014, une rétrospective de l'œuvre de Franck Capra est proposée aux spectateurs avec entre autres certains de ses films pas forcément les plus connus mais pas les moins intéressants non plus. En 1933, Franck Capra décide de réaliser un film pour lequel il serait enfin lauréat d'un oscar, récompense ayant été attribuée pour la première fois en 1928 et que le réalisateur d'origine italienne espérait obtenir un jour. Si le film ne fut retenu pour aucune des récompenses couvertes par les Oscars, il offre cependant un intérêt multiple à ne pas manquer!

Un intérêt cinématographique
Capra retrouve son actrice Barbara Stanwick à qui il avait confié le premier rôle dans Femme de luxe en 1930 pour un film adapté du roman de Grace Zaring Stone The bitter tea of General Yen. La Columbia lui donne carte blanche pour produire ce mélodrame pour lequel il s'accompagne du chef opérateur Joseph Walker avec qui il avait déjà fait ses premiers films et qui allait collaborer avec lui jusqu'au chef-d'œuvre La vie est belle (1946).
Cette continuité artistique (même comédienne, même technicien) lui permit alors de produire un film ambitieux et "artistique" autour d'un sujet particulièrement difficile et provocateur pour l'époque.

Un intérêt historique
La puissance d'Hollywood se retrouve dans ce film et la capacité d'adapter des œuvres traitant de sujets contemporains. Si le film aborde par le petit bout de la lorgnette la guerre civile chinoise qui sévit alors, il est néanmoins assez stupéfiant de voir une major financer un film dont l'action évoque une guerre n'impliquant pas directement les USA. Le rôle de Barbara Stanwyck est évidemment le point d'accroche pour les spectateurs et qui leur permet d'essayer de comprendre les enjeux historiques du conflit entre nationalistes et communistes. Le film n'est d'ailleurs pas à un cliché près et la barbarie des Chinois est souvent extrêmement caricaturale. Mais il est peu de films qui permettent d'avoir une représentation de cette Chine en proie à une Révolution majeure ayant renversé un régime millénaire. À l'heure où les films occidentaux filmant les territoires colonisés évoquaient surtout la supériorité de la civilisation européenne et justifiaient de fait le colonialisme, le film de Capra ouvre, malgré un point de vue essentiellement occidental, une fenêtre sur le monde extra-européen sans que celui-ci ne comprenne vraiment ce qui arrive dans l'Empire du Milieu.

Un intérêt sociétal
Le film est particulièrement osé également dans la possibilité qu'il laisse aux spectateurs d'imaginer une relation "inter-raciale" entre une "Blanche" et un Asiatique, fût-il général! Cette approche extrêmement provocatrice était celle du livre. Mais la projection sur écran de cette histoire d'amour, certes extrêmement compliquée, faisant s'affronter des référentiels culturels terriblement antagonistes, ne pouvait qu'entraîner des réactions violentes chez les spectateurs comme les spectatrices. Cette inter-racialisme était d'autant plus choquant qu'il touchait une femme blanche. Les situations pour lesquelles des Européens avaient des relations sexuelles avec des femmes de couleur étaient plus acceptables, les conséquences étant moins grave quant à la perpétuation de la "Race". En inversant les sexes des personnes impliquées, le message était extrêmement tabou car correspondait à une vraie transgression et, consciemment ou pas, impliquait que la femme blanche mise enceinte par un homme de couleur mettrait forcément au monde un être avilissant sa propre race.

Malgré ses qualités et le succès critique, le film ne rencontra donc pas un succès public, d'autant plus que l'empire britannique refusa de le distribuer, les autorités étant certaines du risque de réception de ce film auprès de sa communauté!

C'est donc avec grand intérêt que cette Grande muraille doit être regardée, d'autant qu'après l'échec au box office, Capra allait réaliser des comédies qui allaient lui permettre de trouver la consécration en salles mais aussi auprès de ses pairs! Et quoi de mieux que de le faire au Festival Lumière!

VENDREDI 17 OCTOBRE, 20h30, Institut Lumière Salle 2 (Villa):
 La grande muraille, Franck Capra, 1933
6 € / 5 € accrédités
Réservations: par téléphone au 04 78 78 18 95
par internet: www.festival-lumiere.org

À très bientôt
Lionel Lacour


mercredi 27 août 2014

Faye Dunaway au Festival Lumière !





Bonjour à tous,

Et non, ce ne sera pas Brigitte Bardot qui sera honorée à la soirée d'ouverture du Festival Lumière le lundi 13 octobre 2014 à la Halle Tony Garnier mais la grande actrice américaine Faye Dunaway, qui fut Bonnie avant Brigitte. En revanche, il y aura bien la projection du film Bonnie and Clyde d'Arthur Penn devant encore à n'en pas douter, un parterre spectaculaire de ce que le cinéma peut offrir de réalisateurs et réalisatrices, d'acteurs et d'actrices et de tous ceux et celles qui animent le cinéma.

Bande Annonce:

Ceux qui avaient acheté leur place dès juin après la révélation du préprogramme ont eu raison. En effet, les années précédentes, la soirée d'ouverture réservait toujours un film surprise et forcément un chef-d'œuvre. Mais l'édition 2013 semble avoir véritablement marqué un tournant pour ce festival exceptionnel. En effet, l'ouverture avait célébré le grand Jean-Paul Belmondo pour une projection du Singe en hiver. Cette soirée mémorable avait ému les presque 5000 spectateurs, notamment lorsque Quentin Tarantino rendit un hommage vibrant à l'idole française.


Ainsi, alors que les années précédentes les places pour cette soirée finissaient de se vendre courant août, elles furent toutes vendues avant même que le mois de juillet ne commence, comme si les spectateurs du Festival avait compris que désormais, cette soirée spéciale ne serait plus seulement une soirée d'ouverture. La nouvelle officielle de ce jour leur a donné manifestement raison.

Avec Faye Dunaway, c'est le Nouvel Hollywood et ses nouveaux mythes qui s'invitent au Festival Lumière. Arthur Penn, Warren Beatty et donc Faye Dunaway, actrice d'une grande sophistication, à la beauté moderne, loin de celle des actrices du cinéma classique.
Avec Faye Dunaway, c'est aussi toute une filmographie qui revient en mémoire. Bien sûr L'affaire Thomas Crown avec le grand Steve McQueen, mais encore Chinatown, Network ou encore Les trois jours du condor et plus tard Barfly et Arizona dream, encore du cinéma nouveau!

Plus rare aujourd'hui dans les productions hollywoodiennes, Faye Dunaway reste pour tous les cinéphiles une véritable icône ayant évidemment et plus que jamais sa place dans un festival comme celui de Lyon, célébrant le cinéma classique et ceux qui ont participé à faire du 7ème art un art majeur.

Et comme pour faire un lien avec la soirée d'ouverture 2013, la projection de Bonnie and Clyde est une formidable transition avec Jean-Paul Belmondo puisqu'Arthur Penn rendait ouvertement hommage à celui qui allait incarner la Nouvelle Vague aux USA dans À bout de souffle de Jean-Luc Godard.

Vivement le 13 octobre!

À très bientôt
Lionel Lacour