Bonjour à tous,
Le 18 septembre 2013 sort Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot. Ce film, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma commence sa course en Bretagne pour finir dans l'Ain en passant par le Limousin et même la Haute Savoie. L'histoire est assez improbable: une restauratrice bretonne, Bettie, sous pression de ses banquiers quitte soudain son restaurant pour respirer, acculée qu'elle est par le désastre de se situation sentimentale que ne compense pas sa situation professionnelle. Ce départ marque le début d'un enchaînement parfois surréaliste d'événements la conduisant à retrouver son petit-fils qu'elle doit accompagner jusqu'à chez son grand-père dans l'Ain. Ce road movie étrange apporte quelques éléments de compréhension de notre société contemporaine que le cinéma ou la télévision oublient souvent.
Une certaine vision de la Province
La première séquence du film commence sur des plans de commerces sans autre nom que leur fonction: boulangerie, charcuterie... Pas de concurrence, une activité économique qui se réduit à l'essentiel. Inutile de mettre un nom puisqu'on comprend qu'il n'y a pas d'autre commerce offrant le même service dans le village.
Cette première représentation du monde provincial est poursuivie par Emmanuelle Bercot par une succession de portraits de Français des régions traversées par Betty. Et il faut bien reconnaître que cette galerie de tronches semblent tout droit sortis au pire de Freaks, au mieux des films de Sergio Leone. Des ruraux mal dégrossis, roulant leurs cigarettes, jouant au bowling en buvant des litres de bière, avec des looks ahurissants. Quelques clichés encore avec ce vigile, forcément noir, d'un magasin de salons, à qui l'héroïne raconte son histoire comme on la raconterait à un enfant lors d'une veillée.
Cette représentation caricaturale, entamée par l'utilisation de la bande son du journal de Jean-Pierre Pernaut, pape du JT de 13h de TF1 faisant l'éloge quotidien de la Province, se poursuit encore avec l'évocation d'un rassemblement des miss régionales de 1969 auquel Bettie a été conviée en tant que Miss Bretagne de cette même année. Et que dire de cette réunion dans la maison du maire d'un village lors des élections municipales. On y voit une représentation très franchouillarde "à la bonne franquette" de ce combat politique, dans un jardin peu entretenu dans lequel sont dressées des tables sur lesquelles sont apportés de la nourriture traditionnelle et... du vin.
L'approche de la réalisatrice laisse penser que les populations de Province ne sont pas tout à fait modernes. Aucune trace de modernité n'est présente. Acheter un paquet de cigarette en zone rurale relève par exemple d'un vrai parcours du combattant, finalement conclu par une séquence, assez drôle, dans laquelle un vieil homme roule avec grande peine une cigarette et dont le façonnage se finit à grand coup de langue bien humide! La Province éternelle quoi!
Une certaine vision de la vieillesse
Cette trame de fond, qu'on peut juger assez pénible, est cependant doublée d'une vision bien plus intéressante sur la perception aujourd'hui des personnes âgées. Le coup de maître d'Emmanuelle Bercot est d'abord d'avoir pu faire jouer Catherine Deneuve dans le rôle de Bettie. Avec une sorte de mise en scène miroir, Emmanuelle Bercot réussit à faire un parallèle entre Catherine et Bettie, en utilisant par exemple une photographie de Catherine Deneuve jeune et en l'utilisant pour reproduire une photo de Bettie en Miss Bretagne. Et ce que le spectateur voit de Bettie aujourd'hui par rapport à cette photo noir et blanc est bien une projection de ce que nous pouvons percevoir entre Catherine à 20 ans et celle de 2013. Le temps a fait son travail. Les rides, le poids, les formes marquent irrémédiablement le corps de cette femme qui a été superbe.
Et la réunion des Miss de 1969 vient renforcer cette impression. Car la réalisatrice a fait appel à d'autres femmes qui furent reconnues en leur temps pour leur beauté, comme Mylène Demongeot, Evelyne Leclercq ou encore Valérie Lagrange. Et le spectateur qui les a connues avant ne peut que faire le même constat. La vieillesse effacerait la beauté.
Pourtant, le film n'est pas un témoignage du temps qui passe et qui rend moins belle les femmes. C'est même le contraire. En filmant ces actrices, et en premier lieu Catherine Deneuve, sans essayer de les rendre plus jeunes qu'elles ne sont, Emmanuelle Bercot réussit à proposer des moments de grâce, d'autres plutôt comiques, laissant penser que le temps n'a pas tout volé à ces femmes.Ainsi, Bettie séduit-elle un jeune homme de facilement 40 ans son cadet. Emmanuelle Bercot joue élégamment avec la mode des femmes dites "cougar" en faisant de cette aventure quelque chose de naturel, le jeune homme ne cherchant pas à "se faire une vieille", la femme "mature" ne se cherchant pas une nouvelle jeunesse. Que dire également de la manière qu'a le photographe de parler à ces anciennes Miss. En les appelant "les filles", il leur rend leur statut de jeunes qui peuvent encore être proposées sur papier glacé. Les relations entre Bettie et son petit-fils ne sont pas non plus celles d'une mamie gâteau. Enfin, Bettie a une vie amoureuse faite d'amants. Et elle continue à être une séductrice malgré son âge, vivant une passion de jeunette.
Une certaine vision de la famille
Elle s'en va pourrait presque ne pas renvoyer au voyage de Bettie mais à la fin d'un modèle de famille. C'est en effet une représentation à la fois très singulière et en même temps terriblement banale de ce que peuvent être les familles aujourd'hui.
Bettie, veuve, vit chez sa mère, une femme très âgée. Bettie a aussi une fille, Muriel, interprétée par la chanteuse Camille, qu'elle ne voit plus depuis longtemps, n'étant pas venu d'ailleurs à son mariage. Muriel a aussi un fils, Charly, avec un homme qui l'a quitté et qui vit à Ibiza. Muriel est au chômage et cherche régulièrement des petits boulots. Elle est enfin aidé par son beau-père, veuf lui aussi, qui vit dans l'Ain, et qui est maire de son village.
Ce tableau présente une famille extrêmement éclatée, et dont les solidarités ne répondent plus aux règles habituelles. Si Bettie vit chez sa mère, c'est bien que sa situation personnelle, et notamment économique, l'y contraint. Les relations mère-fille sont présentées comme étant extrêmement tendues, montrant que la structure familiale classique a explosé avec ces femmes qui ont plus de 60 ans aujourd'hui et que la proximité, à la fois affective et géographique, n'est pus forcément de mise dans une société moderne. Le rôle du père est lui aussi montré de manière différenciée. Il peut être encore le père protecteur, comme le grand père de Charly, le père volage, comme le fut le mari de Bettie, ou encore irresponsable, comme le mari de Muriel.
Le constat d'Emmanuelle Bercot n'est pas amer, ni nostalgique. Elle filme un moment de vie extravagant d'une femme qui est à la fois Catherine Deneuve et une femme ordinaire. Quand son amant d'un soir lui déclare qu'elle a dû être d'une très grande beauté, c'est bien sûr à Deneuve que le public pense avant que de penser à Bettie. Mais en la filmant sans artifice, ne masquant ni sa peau forcément marquée par l'âge qu'elle a, ni ses rides, Emmanuelle Bercot nous présente Catherine Deneuve comme une femme ordinaire. Son histoire est marquée par les drames, mais c'est une histoire finalement ordinaire. Loin de mythifier ces femmes de plus de 60 ans qui rêvent de ressembler à des jeunes femmes de 20 ans, Emmanuelle Bercot a placé son héroïne comme n'étant pas autre chose que ce qu'elle est, vivant avec ses épreuves mais ayant encore une envie de vivre des aventures nouvelles et enthousiasmantes. À l'heure d'un jeunisme exacerbé qui voudrait que nous soyons tous jeunes, quelque soit notre âge, ce film a le mérite de nous rappeler que la maturité physique n'est pas un handicap.
À bientôt
Lionel Lacour
Le 18 septembre 2013 sort Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot. Ce film, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma commence sa course en Bretagne pour finir dans l'Ain en passant par le Limousin et même la Haute Savoie. L'histoire est assez improbable: une restauratrice bretonne, Bettie, sous pression de ses banquiers quitte soudain son restaurant pour respirer, acculée qu'elle est par le désastre de se situation sentimentale que ne compense pas sa situation professionnelle. Ce départ marque le début d'un enchaînement parfois surréaliste d'événements la conduisant à retrouver son petit-fils qu'elle doit accompagner jusqu'à chez son grand-père dans l'Ain. Ce road movie étrange apporte quelques éléments de compréhension de notre société contemporaine que le cinéma ou la télévision oublient souvent.
Une certaine vision de la Province
La première séquence du film commence sur des plans de commerces sans autre nom que leur fonction: boulangerie, charcuterie... Pas de concurrence, une activité économique qui se réduit à l'essentiel. Inutile de mettre un nom puisqu'on comprend qu'il n'y a pas d'autre commerce offrant le même service dans le village.
Cette première représentation du monde provincial est poursuivie par Emmanuelle Bercot par une succession de portraits de Français des régions traversées par Betty. Et il faut bien reconnaître que cette galerie de tronches semblent tout droit sortis au pire de Freaks, au mieux des films de Sergio Leone. Des ruraux mal dégrossis, roulant leurs cigarettes, jouant au bowling en buvant des litres de bière, avec des looks ahurissants. Quelques clichés encore avec ce vigile, forcément noir, d'un magasin de salons, à qui l'héroïne raconte son histoire comme on la raconterait à un enfant lors d'une veillée.
Cette représentation caricaturale, entamée par l'utilisation de la bande son du journal de Jean-Pierre Pernaut, pape du JT de 13h de TF1 faisant l'éloge quotidien de la Province, se poursuit encore avec l'évocation d'un rassemblement des miss régionales de 1969 auquel Bettie a été conviée en tant que Miss Bretagne de cette même année. Et que dire de cette réunion dans la maison du maire d'un village lors des élections municipales. On y voit une représentation très franchouillarde "à la bonne franquette" de ce combat politique, dans un jardin peu entretenu dans lequel sont dressées des tables sur lesquelles sont apportés de la nourriture traditionnelle et... du vin.
L'approche de la réalisatrice laisse penser que les populations de Province ne sont pas tout à fait modernes. Aucune trace de modernité n'est présente. Acheter un paquet de cigarette en zone rurale relève par exemple d'un vrai parcours du combattant, finalement conclu par une séquence, assez drôle, dans laquelle un vieil homme roule avec grande peine une cigarette et dont le façonnage se finit à grand coup de langue bien humide! La Province éternelle quoi!
Une certaine vision de la vieillesse
Cette trame de fond, qu'on peut juger assez pénible, est cependant doublée d'une vision bien plus intéressante sur la perception aujourd'hui des personnes âgées. Le coup de maître d'Emmanuelle Bercot est d'abord d'avoir pu faire jouer Catherine Deneuve dans le rôle de Bettie. Avec une sorte de mise en scène miroir, Emmanuelle Bercot réussit à faire un parallèle entre Catherine et Bettie, en utilisant par exemple une photographie de Catherine Deneuve jeune et en l'utilisant pour reproduire une photo de Bettie en Miss Bretagne. Et ce que le spectateur voit de Bettie aujourd'hui par rapport à cette photo noir et blanc est bien une projection de ce que nous pouvons percevoir entre Catherine à 20 ans et celle de 2013. Le temps a fait son travail. Les rides, le poids, les formes marquent irrémédiablement le corps de cette femme qui a été superbe.
Et la réunion des Miss de 1969 vient renforcer cette impression. Car la réalisatrice a fait appel à d'autres femmes qui furent reconnues en leur temps pour leur beauté, comme Mylène Demongeot, Evelyne Leclercq ou encore Valérie Lagrange. Et le spectateur qui les a connues avant ne peut que faire le même constat. La vieillesse effacerait la beauté.
Pourtant, le film n'est pas un témoignage du temps qui passe et qui rend moins belle les femmes. C'est même le contraire. En filmant ces actrices, et en premier lieu Catherine Deneuve, sans essayer de les rendre plus jeunes qu'elles ne sont, Emmanuelle Bercot réussit à proposer des moments de grâce, d'autres plutôt comiques, laissant penser que le temps n'a pas tout volé à ces femmes.Ainsi, Bettie séduit-elle un jeune homme de facilement 40 ans son cadet. Emmanuelle Bercot joue élégamment avec la mode des femmes dites "cougar" en faisant de cette aventure quelque chose de naturel, le jeune homme ne cherchant pas à "se faire une vieille", la femme "mature" ne se cherchant pas une nouvelle jeunesse. Que dire également de la manière qu'a le photographe de parler à ces anciennes Miss. En les appelant "les filles", il leur rend leur statut de jeunes qui peuvent encore être proposées sur papier glacé. Les relations entre Bettie et son petit-fils ne sont pas non plus celles d'une mamie gâteau. Enfin, Bettie a une vie amoureuse faite d'amants. Et elle continue à être une séductrice malgré son âge, vivant une passion de jeunette.
Une certaine vision de la famille
Elle s'en va pourrait presque ne pas renvoyer au voyage de Bettie mais à la fin d'un modèle de famille. C'est en effet une représentation à la fois très singulière et en même temps terriblement banale de ce que peuvent être les familles aujourd'hui.
Bettie, veuve, vit chez sa mère, une femme très âgée. Bettie a aussi une fille, Muriel, interprétée par la chanteuse Camille, qu'elle ne voit plus depuis longtemps, n'étant pas venu d'ailleurs à son mariage. Muriel a aussi un fils, Charly, avec un homme qui l'a quitté et qui vit à Ibiza. Muriel est au chômage et cherche régulièrement des petits boulots. Elle est enfin aidé par son beau-père, veuf lui aussi, qui vit dans l'Ain, et qui est maire de son village.
Ce tableau présente une famille extrêmement éclatée, et dont les solidarités ne répondent plus aux règles habituelles. Si Bettie vit chez sa mère, c'est bien que sa situation personnelle, et notamment économique, l'y contraint. Les relations mère-fille sont présentées comme étant extrêmement tendues, montrant que la structure familiale classique a explosé avec ces femmes qui ont plus de 60 ans aujourd'hui et que la proximité, à la fois affective et géographique, n'est pus forcément de mise dans une société moderne. Le rôle du père est lui aussi montré de manière différenciée. Il peut être encore le père protecteur, comme le grand père de Charly, le père volage, comme le fut le mari de Bettie, ou encore irresponsable, comme le mari de Muriel.
Le constat d'Emmanuelle Bercot n'est pas amer, ni nostalgique. Elle filme un moment de vie extravagant d'une femme qui est à la fois Catherine Deneuve et une femme ordinaire. Quand son amant d'un soir lui déclare qu'elle a dû être d'une très grande beauté, c'est bien sûr à Deneuve que le public pense avant que de penser à Bettie. Mais en la filmant sans artifice, ne masquant ni sa peau forcément marquée par l'âge qu'elle a, ni ses rides, Emmanuelle Bercot nous présente Catherine Deneuve comme une femme ordinaire. Son histoire est marquée par les drames, mais c'est une histoire finalement ordinaire. Loin de mythifier ces femmes de plus de 60 ans qui rêvent de ressembler à des jeunes femmes de 20 ans, Emmanuelle Bercot a placé son héroïne comme n'étant pas autre chose que ce qu'elle est, vivant avec ses épreuves mais ayant encore une envie de vivre des aventures nouvelles et enthousiasmantes. À l'heure d'un jeunisme exacerbé qui voudrait que nous soyons tous jeunes, quelque soit notre âge, ce film a le mérite de nous rappeler que la maturité physique n'est pas un handicap.
À bientôt
Lionel Lacour
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