mercredi 25 mai 2011

Le cinéma américain après la chute de l'URSS

Bonjour à tous,

pendant des décennies, le cinéma américain s'est nourri des tensions avec le bloc communiste pour ses films avec plus ou moins de bonheur quant à la qualité proposée. Du Troisième homme en 1949 jusqu'à Octobre rouge en 1991, le cinéma a épousé l'état des relations diplomatiques entre les deux puissances. Or, en 1991, la chute de Gorgatchev et avec lui de l'U.R.S.S. a provoqué un véritable choc pour Hollywood. Etait-ce donc la fin d'un genre? Quel ennemi les Etats-Unis allaient-ils pouvoir combattre pour prouver aux spectateurs combien ils étaient toujours les champions du monde libre?

1. Se trouver de nouveaux ennemis à la hauteur des USA
Les maîtres du monde étaient désormais sans contestation possible les USA. En 2000, R. Zemeckis ne montrait-il pas son héros incarné par Tom Hanks dans Seul au monde en train d'apprendre le système productiviste du capitalisme américain à des employés désormais russes pour le compte de Fedex? Voir des camions flanqués du logo de cette multinationale américaine sur la place rouge de Moscou, face au Kremlin montrait à quel point les USA avaient véritablement triomphé de leur ancien ennemi dont l'idéologie continuait d'engluer le pays dans son retard économique, comme le prouvait un gros plan sur un sabot immobilisant un camion fedex, sabot aux couleurs de l'ex U.R.S.S.!

En 1996, deux films aux réalisateurs aux antipodes esthétiques sortent pourtant sur les écrans avec un thème très proche. Roland Emmerich tournait Independence day tandis que Tim Burton adaptait sur grand écran Mars attacks! Dans les deux cas, des extra-terrestres menaçaient le monde, et comme toujours, essentiellement les USA! Dans les deux cas, les humains triomphent des "méchants extra-terrestres" mais avec une mise en valeur intentionnelle ou de fait, de la puissance américaine. Dans le film de Emmerich, la centralité des USA est sans aucun doute possible. Les quelques images de la présence des extra-terrestres sur les autres continents ne cachent pas le rôle majeur du président américain dans cette guerre. La destruction des symboles de la puissance américaine, notamment la Maison Blanche, provoque un état de sidération tant pour les spectateurs américains que pour ceux des autres pays. Jusqu'au titre du film, tout montre que cette guerre est une nouvelle victoire des USA pour rendre libre le monde.
D'autres films ont ensuite montré que sans menace sur Terre, les USA n'avaient plus d'autres adversaires que des ennemis venant d'ailleurs, d'au-delà de la planète. C'est ainsi que Barry Sonnenfeld tourna en 1997 Men in black, avec comme dans Independence day Will Smith. Armageddon de Michael Bay en 1998 montrait une autre menace extra-terrestre, celle d'une météorite géante. Ces deux films apportaient quelques compléments à ceux de 1996. Les extra-terrestres n'étaient pas en soi des menaces pour la Terre, comprenez les USA, puisque certains vivaient depuis longtemps avec l'assentiment des autorités. Mais le film montre la nécessaire surveillance des contingents extra-terrestres, quand ce n'est pas l'obligation d'éliminer ceux qui voudraient mettre fin au monde merveilleux dans lequel nous vivrions.

Pour Armageddon, le titre est tout aussi important que le contenu. La menace n'étant plus celle de l'U.R.S.S, elle ne peut plus être qu'extra-terrestre, mais aussi d'ordre moral. L'ultime combat à mener est bien celui de Bien contre le Mal. Les sacrifices des hommes envoyés sur cette météorite pour la détruire montre combien la technologie américaine est puissante. Mais le fait de voir associé à ce dernier combat un ancien soviétique, prêt lui aussi à se sacrifier témoigne encore davantage du triomphe des valeurs américaines.
Cette foi en l'hyper puissance américaine comme défenseur de l'humanité trouve en quelque sorte son apogée dans une comédie hilarante d'Ivan Reitman en 2001: Evolution. Alors que des extra-terrestres sont en train de se propager dans une petite zone de l'Arkansas, une scientifique annonce au gouverneur de l'Etat que son territoire sera sous le contrôle des créatures en quelques jours, et qu'en un peu plus d'une semaine, la race humaine sera "éteinte". Ainsi, sauver les USA des bêbêtes extra-terrestres, c'est sauver la planète!

2. Une menace pourtant bien réelle
La chute de l'U.R.S.S. suivait celle du mur de Berlin en 1989. A partir de ce moment, l'influence soviétique n'était plus celle d'avant. Ainsi, lorsque les USA en appelèrent à l'ONU pour "libérer" le Koweit de l'invasion irakienne, les citoyens occidentaux furent méduser de voir le soutien de Moscou à cette intervention essentiellement américaine. Or celle-ci fut manifestement une guerre avec au moins autant d'intérêts économiques, la récupération des puits pétroliers du Koweit, que d'intérêts humanitaires. En 1999, D. Russel réalisait Les rois du désert avec Matt Damon et George Clooney. Dès la séquence introductive, le réalisateur montre non une libération mais une vraie occupation militaire, une exportation violente des valeurs américaines sur un territoire et sur des peuples aux coutumes et valeurs radicalement différentes. L'assassinat d'un soldat irakien brandissant un drapeau blanc puis les photos prises le montrant comme un trophée de guerre alors même qu'il se vidait de son sang illustrent à eux seuls toutes les rancoeurs que pouvaient nourrir ce peuple contre les Américains, et au-delà d'eux, contres leurs alliés occidentaux.

Un an plus tôt, Edward Zwick réalisait Couvre feu. De manière assez saisissante, ce film au casting impressionnant (Denzel Washington, Annette Bening, Bruce Willis et le Français Sami Bouajila) montrait combien les USA avaient finalement fabriqué par leurs actions menées au Proche Orient un rejet d'une rare violence associant comme revendications les aspirations à une identité nationale palestinienne et une affirmation des valeurs musulmanes. Celles des USA, ces valeurs chrétiennes si souvent proclamées sont dénoncées par un Palestinien, ancien agent américain au Proche Orient. Menaçant l'agent interprétée par Annette Bening, il oppose la foi des USA que le pouvoir serait dans l'argent tandis que pour lui, le vroi pouvoir est dans la foi, la croyance. Tarantino dans Pulp Fiction en 1994 avait déjà raillé cette idée que certains Américains se réfugiaient derrière la Bible pour justifier leurs actes ignobles, et avant Tarantino, bien d'autres encore. Mais pour la première fois, et alors que des tentatives d"attentats avaient déjà été commis à New York, un film montrait l'exaspération des peuples musulmans se sentant méprisés par les "apôtres" de la liberté. Cette exaspération va dans le film jusqu'à un attentat d'une rare violence faisant plus de cents morts. Le film est de1998.

3. Les leçons du Vietnam oubliées
La guerre du Vietnam avait été un signal fort pour les USA. Leur super puissance n'avait pas pu vaincre dans ce petit pays d'Asie du Sud Est, à défaut de pouvoir utiliser la Bombe Atomique! En 1987, B. Levinson en donnait une raison évidente. Dans une séquence de Good morning Vietnam, l'animateur radio Adrian Cronauer interprété par Robin Williams court après un jeune Vietnamien, Tuan, auteur d'un attentat dans un bar à Saïgon. Alors qu'il lui reproche d'être devenu son ennemi après lui avoir permis d'entrer dans ce bar pourtant réservé aux Américains, Tuan lui hurle sa douleur, lui rappelant que toute sa famille, ses amis, ses voisins sont morts suite aux agissements menés par l'armée américaine. Surtout il lui fait comprendre que l'ennemi n'est pas lui, lui qui vit dans ce pays, mais eux, les Américains qui occupent et veulent imposer leur ordre.
Ce film ne clôt pas la réflexion des cinéastes sur le désastre américain au Vietnam, mais il illustre ô combien les Américains avaient déjà cru que leur puissance militaire et leur foi dans le fait que tous les hommes rêvaient de vivre comme des Américains suffisaient pour s'imposer partout dans le monde. Après le Vietnam, ce fut au tour de l'U.R.S.S. de s'embourber dans un pays dans un conflit long face à une population aussi faible que celle des Vietnamiens mais avec des combattants tout aussi prêts à se sacrifier pour libérer leur pays.

Rambo en Afghanistan
En 1988, Peter McDonald réalisait Rambo III dont la qualité cinématographique ne lui permet pas vraiment de faire partie des meilleurs films de l'histoire du 7ème art! Pourtant, l'intérêt historique est indéniable. On y voit des Américains soutenir l'effort de guerre des mudjaidins contre l'occupant soviétique. Plus que cela, Rambo va même discuter avec eux pour mener à bien sa mission pour libérer le colonel Trautman. Or parmi ses interlocuteurs se trouvait un certain Commandant Massoud, dont le nom ne fut vraiement connu du grand public qu'après son assassinat en septembre 2001.
La défaite du Vietnam semblait alors être une sorte de péripétie puisque l'U.R.S.S. était elle aussi défaite en Afghanistan, à cette différence près que cette super puissance ne s'en releva pas, au contraire des USA!
C'est donc de cette certitude d'être désormais la seule puissance d'influence planétaire porté par des valeurs de liberté et de démocratie qui conduit les USA à intervenir partout dans le monde pour imposer leur ordre.

Une intervention américaine musclée dans La chute du faucon noir, R. SCOTT, 2001
C'est ainsi que les USA interviennent une première fois pendant la guerre en Yougoslavie en 1994 puis en 1999 sous le drapeau de l'OTAN. Mais c'était seuls qu'ils avaient mené la mission Restore hope au début des années 1990 en Somalie, intervention qui fut l'objet d'un film de Ridley Scott en 1991, La chute du faucon noir. Pourtant, à l'héroïsme américain répondait un autre réalité. Alors qu'un pilote américain est prisonnier des partisans du dictateur somalien, un des chefs veut négocier avec lui. Le pilote ne peut négocier. Le chef de guerre montre alors toute l'incompréhension entre les deux mondes: "tu as le droit de tuer mais pas de négocier, chez nous, pouvoir tuer, c'est pouvoir négocier". S'en suit une réflexion sur l'illusion américaine de pouvoir imposer les chefs politiques contre la volonté des peuples ou des principales forces du pays. Loin de libérer le pays et de "restaurer l'espoir", le nom de la mission montrant au passage bien le rôle que veulent désormais jouer les USA dans le monde, c'est au contraire une crispation contre les Américains qui naît suite à leur intervention militaire sans aucune compréhension de la culture du pays qu'ils veulent "aider".


Ainsi, entre 1991 et 2001 les USA se sont-ils sentis les maîtres du monde, forcés de se trouver des ennemis à la hauteur de leur puissance: les extra-terrestre ou le Mal tout entier! Pourtant le cinéma américain de cette décennie a aussi montré toutes les tensions que cette hégémonie américaine faisait naître, du fait justement de leur comportement jugé d'avantage comme une invasion, une agression que comme une libération. Ces tensions se sont alors libérées non dans une cause "nationale" mais comme le dit G. Bush, dans une cause civilisationnelle. Des Musulmans se sentant agressés et opprimés ont alors rejoint des mouvements islamistes radicaux et terroristes, porteurs et rassembleurs de toute la haine anti-américaine. Contrairement à ce que montrait Couvre feu, la menace ne venait pas d'un pays, mais bien de populations vivant aussi bien dans les pays musulmans que dans ceux de l'Occident. En 2001, comme dans Independence day, des symboles de la puissance américaine étaient visés, certains même détruits. Ce n'était pas des extra-terrestre surpuissants. Des avions américains détournés par quelques individus avaient suffi. La chute du faucon noir était déjà tourné. Sa distribution fut retardée. Les Américains venaient de se trouver un nouvel ennemi: l'islamisme; et le cinéma en trouva même deux: les islamistes et les Français à partir de 2003 après que leur président avait refusé d'entrer en guerre contre l'Irak pour officiellement y imposer encore une fois la démocratie. Nous sommes en 2011. Les USA sont encore en Irak et ne savent plus comment en sortir.
Les leçons du Vietnam n'auront servi à rien. Et le cinéma non plus!

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 11 mai 2011

La Première guerre mondiale au cinéma: l'illusion de la der des der?

Bonjour à tous,

le samedi 14 mai, je presenterai à Cernay, près de Mulhouse, pour l'association "Abri Mémoire",  une conférence sur la représentation de la Première guerre mondiale au cinéma. Mon parti pris est de ne partir que des films tournés avant l'arrivée du nazisme au pouvoir, à une exception américaine près. En effet, la représentation de ce conflit allait changer quand Hitler devint Chancelier de l'Allemagne. Il n'est qu'à voir le discours patriotique du film de Renoir La grande illusion de 1937. Beaucoup voulurent en faire un film pacifiste, voire un film qui montrait que ce qui importait le plus étaient les classes sociales. Renoir montrait pourtant que justement, l'officier français noble, le capitaine de Boeldieu, interprété par Pierre Fresnay,  préférait aider le lieutenant Maréchal, un "gars du peuple" interprété par Jean Gabin dans son évasion plutôt que de rester fidèle à son geôlier, le capitaine allemand von Rauffenstein incarné par Erich von Stroheim.
Ainsi, le cinéma d'avant 1933 se caractérise-t-il par son absence de toute interprétation liée au nouveau visage de l'Allemagne et par une approche commune: le pacifisme. Ce qui n'empêchait pas de montrer la guerre telle qu'elle fut et ses conséquences.

1. Le mythe de la fleur au fusil
La recherche historique semble montrer aujourd'hui que ce départ enthousiaste pour la guerre relèverait du mythe. Les sources cinématographiques viennent cependant dire sinon le contraire, du moins avérer l'envie d'en découdre contre l'autre, au moins du côté des dirigeants. Les nombreux films des opérateurs Lumière témoignent des élans nationalistes de tous les pays. L'Allemagne célèbre sa nation lors de fêtes comme le montre Cortège des anciens Germains. Vue prise à Stuttgart lors d’une fête donnée dans cette ville projetée pour la première fois à Lyon le 18 Août 1896. La liste serait longue de tous ces films de moins de une minute tournés en Europe relatant les visites de chefs d'Etat dans d'autres pays afin de concrétiser des alliances militaires ou les défilés militaires, en Russie, Allemagne, Italie, France, Espagne, Autriche et ailleurs encore. L'Europe se préparait à la guerre et les populations subissaient déjà une campagne de communication en ce sens. Les nationalismes ont été exacerbés par tous les moyens. Le cinéma en était un nouveau et combien efficace!

Les films d'après la guerre ne montrent pas autre chose d'ailleurs. Abel Gance tourne J'accuse! en 1918 avant de le présenter en 1919 aux Français. Le point de départ de son film évoque bien l'attente des Français, et notamment des vétérans de 1870, pour la revanche contre l'Allemagne. "Mon Alsace Lorraine" trône en noir sur une carte de France, comme amputée à la patrie. La mobilisation se fait à coups de "hourra" et de drapeaux tricolores. Gance s'attarde bien sur le regard d'une mère qui comprend ce que la guerre signifie aussi: la perte de proches, père, mari ou fils.

Toujours en France, Raymond Bernard réalise en 1932 Les croix de bois qui reprend la même interprétation que Gance près de 15 ans plus tôt. Les jeunes Français font la queue pour pouvoir s'enrôler. L'élan patriotique est immense et les gares témoignent du soutien populaire à cette guerre.
Même vision patriotique chez les Russes. Dans son film La fin de Saint Petersbourg en 1927, Vlesovod Poudovkin présente d'ailleurs ce soutien populaire représenté par l'agitation du drapeau russe et les décorations florales ajoutées à la statue du Tsar Pierre le Grand comme un moyen pour le régime tsariste de mettre fin aux contestations sociales qui agitent le pays. Le patriotisme russe manipulé aux fins du tsarisme autoritaire, l'interprétation est bien entendu celle d'un cinéaste soviétique qui vient fustiger l'idée même de nationalisme. L'enthousiasme russe se voit également dans d'autres films comme Okraina en 1933 par Boris Barnet. Mais il se combine aussi à la tristesse des femmes de voir partir leurs époux, leurs fiancés ou leurs fils.

scène de tranchée dans Les Croix de bois
2. Une représentation de la guerre de tranchée identique
Que ce soit les films américains, français ou russes, tous montrent la guerre de tranchée comme un élément constitutif du particularisme de la Grande guerre. Des premières tranchées creusées rudimentairement dans La fin de Saint Petersbourg ou dans J'accuse à celles plus élaborées dans Charlot soldat de Chaplin en 1918 ou dans Les croix de bois. La description des tranchées est la même: espaces étroits, insalubres, humides. Tous montrent combien l'eau et le froid ont été d'autres ennemis des soldats, Chaplin multipliant d'ingéniosité pour faire rire avec l'eau de pluie s'accumulant au fond des tranchées. C'est bien évidemment aussi la promiscuité, le manque d'hygiène et la prolifération des animaux parasites dont aucun des films ne fait l'économie de la description, des Croix de bois à Charlot soldat. La promiscuité entraîne également le manque d'intimité, notamment lors de la réception des courriers de l'arrière. Ceux-ci semblent d'ailleurs être un élément fondamental du soldat de la Première guerre mondiale, lui donnant une raison de combattre plus grande que celle pour laquelle il est parti. Un des personnages des Croix de bois a beau être montré prêt à monter à l'assaut contre les Allemands sur image de bas relief de l'Arc de Triomphe de Paris, c'est bien parce qu'en fait il reçoit un courrier lui apprenant que son épouse a été capturée par les Allemands qu'il part à "l''abordage" de la tranchée allemande. Globalement, c'est la grande solidarité entre soldats des tranchées qui ressort, contrastant d'ailleurs avec l'autoritarisme ridicule des officiers imposant un protocole et une étiquette de plus en plus en décalage avec ce que vivaient les soldats, comme en témoignent de nombreux extraits.  Dans Les croix de bois, un officier reproche lors d'une inspection de soldats que ceux-ci aient les souliers sales!

Curieusement, et ceci est lui aussi un aspect particulièrement représenté dans les films, plus que les plans sur le matériel puissant mis en oeuvre dans cette guerre - il y a néanmoins des séquences ou des plans sur l'artillerie lourde - c'est bien la proximité de l'ennemi et l'éloignement de l'arrière qui est présenté, comme si les adversaires étaient plus proches entre eux, dans tous les sens du terme, que ceux de leur arrière. Dans un gag hilarant, Charlot reçoit un camembert qui manifestement vient de très loin et qui se transforme en projectile qui atterrit sur le visage d'un sous officier allemand particulièrement caricatural, petit et autoritaire. En un gag, Chaplin illustre bien l'éloignement de l'arrière (le camembert arrive très "fait") et la proximité avec l'ennemi. Cette proximité s'observe d'ailleurs dans les relations que les soldats de tous les camps ont vis à vis des autres. Quand l'assaut est donné par les Français dans un village, les Allemands hissant le drapeau blanc sont traités avec humanité. Dans La grande parade de King Vidor, un soldat américain aide un soldat allemand à mourir. Plus intéressant encore, dans A l'ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, en 1930, les héros du films sont des soldats allemands. Le film renverse la notion même du camp des bons et de celui des méchants. En présentant ces soldats comme ceux jusqu'alors présentés, c'est-à-dire ceux des futurs pays vainqueurs, Milestone démontrait combien ces soldats avaient vécu le même enfer.

Cinématographiquement, cette guerre donne lieu à des représentations classiques de la guerre, l'ouest à gauche de l'écran, l'est à droite, notamment pour des films initialement de propagande comme Charlot soldat ou idéologiquement marqué comme J'accuse! d'Abel Gance. Mais très vite, ce code va exploser pour justement montrer que dans cette guerre, ceux qui combattent ne représentent pas un camp du bien et du mal. Dans Les croix de bois, il est très difficile de savoir d'où viennent les attaques et où sont les différents camps.



Dans A l'ouest rien de nouveau, les Français attaquent bien de gauche à droite, mais à la fin de l'assaut, quand ils débouchent sur la tranchée ennemie, ils arrivent par la droite de l'écran, comme si les Allemands étaient devenus symboliquement les Français. Ce renversement de représentation est d'ailleurs renforcé par des plans sidérants. Le spectateur se retrouve en effet tantôt face à la mitrailleuse allemande, comme les soldats français se faisant tuer "industriellement", puis le plan change radicalement d'angle, mettant le spectateur en lieu et place des soldats allemands devant faire face à l'assaut massif et sauvage des soldats français.

3. La guerre de mouvement
Ce que montre encore les films, ce sont les inventions sans cesse plus puissantes permettant la destruction du camp ennemi. Les armes devenues classiques se multiplient comme les mitrailleuses et les grenades, mais encore les mortiers et longs canons. Mais c'est également l'utilisation d'armes plus redoutables encore. Les gaz envoyés terrifiaient les soldats, autant ceux à qui ils étaient destinés que ceux qui les envoyaient. Cette terreur est montrée dans une attaque des héros de La grande parade, se hâtant de mettre leur masque pour foncer de plus belle dans l'inconnu. Chaplin représenta aussi le masque à gaz lorsque dans l'extrait sus mentionné, il découvre le camembert aux effluves agressives! Son premier réflexe est de mettre son masque, prouvant à quel point les soldats étaient conditionnés pour réagir face à cette arme, même si elle s'avérait bien peu utile face aux gaz moutarde qui avait surtout pour effet de brûler la peau. Ce gag vient aussi pour dédramatiser la guerre pour les spectateurs américains puisqu'il s'agissait au départ d'un film de commande!
Aux armes de plus en plus puissantes vient s'ajouter un équipement de plus en plus complet. Les croix de bois illustrent le passage du béret au casque, montrant combien la guerre allait durer. Mais c'est surtout dans les transports que la guerre allait évoluer, passant du tractage hippomobile que les films Lumière montraient encore avant guerre à l'utilisation de plus en plus massive des camions. Dans un plan très spectaculaire justifiant son titre, King Vidor présente dans La grande parade l'arrivée des troupes américaines dans une colonne vertigineuse de camions sur une longue route.
L'arrivée des Américains, outre l'apport de soldats "frais" s'accompagna de l'utilisation plus massive de véhicules automobiles et surtout de l'aviation, comme le montre aussi cette même séquence. C'est aussi une autre manière de concevoir le ravitaillement des troupes. Tandis que Les croix de bois montrait la difficulté d'apporter la soupe aux hommes du front, King Vidor filme en gros plan un des apports de l'armée américaine. Pas besoin en effet de l'approvisionner puisque chaque soldat disposait de conserves de Corned Beef. Les soldats pouvaient donc avancer sans attendre. Ce même film montre d'ailleurs aussi l'autre apport des Américains avec l'usage des chewing gums dans une séquence très drôle du héros apprenant à en mâcher un à une jeune Française!
Mais c'est bien sûr dans l'apport des chars que la guerre va définitivement devenir une guerre de mouvement. Dans un film soviétique très étrange, des chars allemands menacent un soldat russe (Débris de l'empire, F. Ermler, 1929). C'est un des très rares films montrant, et ce de manière très fugace, cette nouveauté technologique que représentèrent les chars et qui ont amené à sortir des tranchées. Pour compléter la description de cet extrait, le soldat russe court se protéger auprès d'un crucifix monumental. Or le Christ est lui-même protégé d'un masque à gaz. Et il n'empêchera pas le char allemand de détruire la croix!

Cette guerre de mouvement est donc sous plusieurs aspects, celui du mouvement du progrès technologique pour tuer et l'emporter sur l'autre, celui donc du mouvement au sens propre qui grâce à ces avancées technologiques vont amener les troupes à faire bouger les lignes de front, à l'Ouest comme à l'Est. Mais c'est aussi le mouvement au sein des alliances, les USA entrant en guerre auprès de la France et du Royaume -Uni tandis que la Russie tsariste renversée ne tardera pas à se retirer du conflit.

La grande parade: symbole de la puissance américaine
Pour les USA, La grande parade montre dans une séquence introductive combien la puissance économique américaine est croissante et s'appuie sur une industrie de plus en plus performante. La mobilisation de l'effort de guerre américain est montré dans cette séquence déjà évoquée. En 1925, King Vidor montre la séquence de l'enrôlement jeunes Américains qui présente le même enthousiasme patriotique que les films français! Mais par le biais de Charlot soldat, nous pouvons comprendre combien les USA avaient intégré la nécessité de mobiliser l'ensemble de la nation en présentant la guerre dans cet art populaire nouveau mais de plus en plus prisé de la population qu'était le cinéma.
Du côté russe, les films soviétiques se sont chargés de démontrer la culpabilité du régime tsariste puis de la révolution menchevik de février 1917 dans la conduite de la guerre dans le seul intérêt des puissants et des riches. Dans une séquence selon un montage en parallèle, La fin de Saint Petersbourg présente par analogie deux fronts, celui des tranchées, sur lequel meurent des soldats, russes ou allemands, et celui de la bourse, dans lequel les capitalistes s'affrontent pour vendre et acheter les actions des entreprises liées à la guerre. La classe ouvrière meurt, les femmes travaillent dans les usines et réclament du pain. La bourgeoise s'enrichit et profite de la guerre. De manière très efficace, Poudovkine rappelle que les attaques sur le front étaient réglées à la minute près, comme pour l'ouverture et la fermeture de la bourse. Cette proximité de destin des soldats des deux fronts se manifeste encore dans Okraina où le vrai ennemi du soldat russe n'est pas le soldat allemand puisque les deux meurent sur le front, mais le capitaliste qui spécule sur leur mort. Une séquence émouvante décrit des soldats allemands et russes se retrouvant entre les deux lignes de front en se jetant dans les bras des uns et des autres. Ces solidarités de classe sociale viennent conforter les bolcheviks. Dans une propagande classique, La fin de Saint Petersbourg affirme que la révolution menée par Lénine s'est faite avec le soutien de l'armée régulière qui abandonna le pouvoir "bourgeois". Ce même Lénine est montré dans Octobre de Sergei Eisenstein en 1928 en signant les décrets sur la paix et sur la distribution des terres aux paysans. La Russie sortait de la guerre.

Affiche de La fin de Saint Petersbourg
4. Une guerre sans vainqueurs mais des populations traumatisées
Pas de film montrant la fin du conflit, sauf pour La fin de Saint Petersbourg, à ceci près que ce film montre en fait la sortie de la guerre et le début du régime communiste. Tous les films montrent surtout que la guerre laisse des traces indélébiles pour la société, à commencer par les soldats eux-mêmes. A l'ouest rien de nouveau évoque les millions de morts, les traumatismes des soldats à revenir dans un monde civil coupé des réalités horribles du front. Ces vétérans comprennent combien les beaux discours nationalistes et les lauriers qui leur sont décernés sont des leurres. Tandis que les défilés des (sur)vivants se font en pleine guerre devant des villages peuplés de femmes et de vieillards, les réalisateurs montrent d'autres défilés, ceux des morts, que ce soit dans J'accuse! dans lequel la parade militaire sous l'Arc de Triomphe est doublée par un défilé de fantômes dans le ciel au-dessus de ce même arc, ou dans Les croix de bois avec la même symbolique. Les traumatisés sont amputés, d'un ou de plusieurs membres, ont vu mourir leurs amis qu'ils ont parfois utilisés pour se protéger. Ce rapport à la mort ne pouvait que bouleverser ces millions de soldats. Beaucoup ont compris à leur retour que les civils avaient vécu sans eux, profitant de leur absence pour refaire leur vie ou faire de l'argent sur le dos des familles victimes de la guerre. Le "J'accuse" anti-allemand de Gance devient un "J'accuse" la guerre, les fausses motivations pour la faire et tout ceux qui ont profiter de ce conflit. Aux USA, c'est aussi le cas bien que la guerre ait duré moins longtemps. Dans Je suis un évadé de Melvin LeRoy en 1932 qui décrit un vétéran devenu vagabond, celui-ci n'a plus que sa croix de guerre pour fortune. Dans une séquence poignante, le héros tente de la vendre et réalise qu'elle ne vaut plus rien, la caméra s'attardant sur un bocal rempli de ces mêmes croix de guerres. Dans Les fantastiques années 20 en 1939 (seul film ici d'après 1933), Raoul Walsh commence son récit par des séquences de la Première guerre mondiale avec son acteur principal, James Cagney. Celui-ci retourne au pays après la guerre (au passage découvre que la très belle pin-up qui lui écrivait pour lui soutenir le moral était une très jeune fille!) mais réalise que son emploi a été occupé depuis par d'autres qui ne sont pas partis en guerre. Mieux, ceux-ci lui reprochent d'avoir vécu aux frais du contribuables pendant deux ans!
Tous ces traumatismes, ces retours difficiles à la vie civile, ce désenchantement face à ce pourquoi ils étaient partis combattre se retrouvent, malgré les idéologies divergentes des pays de production, dans tous les films.
Il en ressort un pacifisme parfois naïf mais toujours sincère.

L'homme que j'ai tué
Ce conflit a surtout révélé la sauvagerie du conflit mais aussi et surtout sa folie. Dans L'homme que j'ai tué, Ernst Lubitsch présente en 1932 une séquence d'ouverture d'anthologie. L'action se passe en France, le 11 novembre 1919. La commémoration de l'armistice offre des images et des sons aux sens opposés. Alors que la fin des combats est célébrée, tout rappelle la guerre. Ainsi, et entre autres exemples, un prêtre demande à regarder vers l'avenir, mais Lubitsch s'attarde sur un vieillard. Le curé de réclamer d'oublier le passé, mais le vieillard a des médailles de guerre. Lubitsch montre donc qu'en réalité, aucune leçon n'a été tirée du conflit. Seul son héros est meurtri dans l'église et confesse avoir tué un homme, sans raison. Par un fondu, le spectateur se trouve plongé dans une attaque de tranchée et reconnaît le héros français. Il est un soldat. Quoi de plus "naturel" que de tuer pendant la guerre. Mais la différence est là. Tandis que les morts présentés dans les autres films sont des morts anonymes, sans visage, lui a accompagné ce soldat allemand dans la mort, l'aidant à finir d'écrire une lettre à ses parents. Cette séquence est d'une rare intensité et révèle justement la barbarie de cette guerre: le héros réalise qu'il savait lire l'allemand, que ce soldat était tout comme lui musicien et qu'il avait vécu à Paris. Deux hommes de deux nations différentes mais d'une même culture, d'une même civilisation.



Pour conclure cette analyse rapide, le cinéma d'avant 1933 a présenté la guerre sans réels vainqueurs et avec surtout des perdants: les sociétés européennes. De ces films ressortent l'idée du "plus jamais ça". Mais malgré les très nombreux films et livres ayant montré l'atrocité de cette guerre, ils n'ont pu empêcher qu'une autre, plus meurtrière et plus barbare encore n'ait lieu. Une preuve encore que le cinéma ne change rien. Il témoigne de l'état d'une société à un moment donné. Abel Gance allait refaire son J'accuse!  en 1938, un film parlant et cette-fois ci clairement anti-allemand. C'était le même Abel Gance qui filmait les mensonges des discours patriotiques à la fin de son film de 1919. Mais ce n'était plus la même époque, ce n'était plus la même Allemagne...

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 10 mai 2011

A l'Est d'Eden, ou la demande de pardon d'Elia Kazan

Bonjour à tous,
A l'occasion des 3èmes "Lundis du MégaRoyal" sur le thème de "Cannes en roman", j'ai présenté ce lundi 9 mai 2011 le film A l'est d'Eden d'Elia Kazan de 1955, premier film de James Dean, et seul film qu'il ait pu voir à l'affiche puisqu'il se tua le 30 septembre 1955, près d'un mois avant la sortie de La fureur de vivre et plusieurs mois avant celle de Géant.

Le première chose à dire du film de Kazan est d'abord que c'est certainement le meilleur film de James Dean. Mais c'est surtout et d'abord un très beau film tout court! Certains lui reprochent aujourd'hui une symbolique surchargée, ce qui est vrai. Mais le film est de 1955, pas du XXIème siècle. L'utilisation du cinémascope, procédé développé entre autre pour concurrencer la télévision (voir à ce sujet mon article sur l'avenir du cinéma en relief évoquant le sujet), trouve ici une utilisation qui change de la seule représentation des grands espaces comme nous le verrons dans l'analyse qui suit. La partition musicale, elle aussi datée, reste cependant tout à fait audible aujourd'hui car elle offre un thème répétitif qui vient scander chaque séquence clé du film. Ecrite par Léonard Rosenman, ami de James Dean, c'est sa première intrusion dans le cinéma. Il sera également le compositeur pour La fureur de vivre!
Mais outre la beauté du film, c'est bien le choix de l'adaptation littéraire qui est ici intéressante. En effet, le scénariste Paul Osborn, qui s'était jusqu'alors illustré surtout pour son scénario de Jody et le faon avec Gregory Peck en 1946, adapte l'oeuvre de John Steinbeck. Celui-ci, dont les ouvrages ont souvent été portés à l'écran, dont le sublimissime Les raisins de la colère de John Ford en 1939, avait déjà travaillé avec Kazan en 1952 dans Viva Zapata! Il collabore donc à nouveau avec lui, acquiesçant à l'adaptation proposée qui ne reprend en fait que le dernier quart de son livre.
A bien y regarder, Kazan semble bien se servir du livre de Steinbeck pour délivrer un message tout personnel aux spectateurs américains, et, de manière implicite, à Hollywood et ses anciens amis.

1. Une Histoire des USA en toile de fond, et celle de Kazan en filigrane
L'oeuvre commence par une séquence d'ouverture, comme pour un opéra, signifiant donc aux spectateurs que le film qu'ils vont voir a un aspect lyrique et que ses personnages et leurs actes ont une valeur symbolique.
La première séquence du film semble poser l'intrigue: un jeune homme, James Dean, suit une femme mystérieuse. repoussé, il semble fixer son objectif: lui parler. En réalité, cette séquence vient davantage perturber le spectateur en posant d'emblée une clé - qui est cette femme? - sans pour autant montrer le vrai enjeu du film. A ce propos, il faut remarquer que voir le film aujourd'hui pose un problème de lecture car tout le monde reconnaît James Dean, étoile parmi les étoiles. Mais il est un pur inconnu pour le spectateur américain en 1955!
L'enjeu du film se détermine en fait à la séquence dans laquelle nous apprenons enfin le nom du personnage de James Dean, Cal, situé dans sa famille: son frère Aron, sa petite amie Abra et son père Adam.
Cette séquence fixe tous les enjeux du film: la situation des USA en 1917, à la veille d'entrer dans la guerre en Europe contre l'Allemagne, les USA sont peuplés de pionniers, de créateurs, d'investisseurs, les uns cherchant de nouvelles méthodes de conservation des aliments, le père da Cal, les autres cherchant à investir dans des marchés prometteurs, Cal et Will Hamilton, un ami d'Adam. Enfin, l'ensemble de la séquence montre combien les deux frères jumeaux, Cal et Araon, sont deux personnages radicalement différents, le père étant proche d'Aron et ne comprenant pas Cal. L'enjeu est donc central ici: se faire aimer du père!

A partir de cette séquence, Kazan va alors construire son film sur le développement de la situation des USA en 1917. La guerre est montrée régulièrement, annoncée dans les journaux, représentée par les défilés après la déclaration par la vente des bons pour la liberté, par l'entraînement des hommes prêts à partir en Europe, parmi lesquels on trouve des hommes jeunes et plus âgés, et même Gustav Albrecht, un Américain d'origine allemande. C'est un patriotisme fier qui est présenté à l'écran, le drapeau américain flottant ou étant symbolisé par les ballons bleus et rouges lâchés par les enfants et passant devant l'église, témoignant des valeurs chrétiennes qui animent ce pays.


Kazan montre aussi combien ce pays s'est construit sur les valeurs du libéralisme économique. Adam investit tout son argent pour développer un procédé de réfrigération des salades. Un incident va l'amener à la ruine mais il le prend avec fatalisme: j'ai essayé, mais j'ai échoué que par incompétence. Kazan insiste ainsi sur la prise de risque que les Américains savent prendre pour entreprendre. Ainsi, tout le film évoque la société capitaliste et productiviste américaine, de cal qui invente sous nos yeux le travail à la chaîne pour conditionner les laitues à l'investissement dans la production de haricots qui seront vendus aux armées avec un gros bénéfices, en passant par le système du crédit à l'investissement, celui accordé par Kate à Cal!
Mais Kazan insiste aussi surtout sur certaines contradictions du modèle américain: le puritain Adam investit de l'argent pour son projet soi disant sans vouloir faire de bénéfice mais l'échec le conduit à la ruine. Il refuse l'argent provenant de la spéculation sur la guerre mais en gagne en envoyant les jeunes justement à la guerre! Mais surtout, le patriotisme américain naît sur l'idée d'un peuple de migrants constituant le fameux melting pot. Or celui-ci n'est qu'illusion puisque Gustav Albrecht est persécuté par les habitant des Salinas car il est allemand. Pourtant celui-ci participait à l'entraînement des hommes pour partir à la guerre!

Derrière Gustav Albrecht, il y a un peu d'Elia Kazan, né Kazanjoglou, turc d'origine, qui en 1955 sort d'une période difficile, celle du Maccarthysme qui l'a conduit à dénoncer certains de ses amis lors de ses interrogatoires devant la commission d'activités anti-américaines en 1952. Il reconnut avoir été communiste et livra les nom de quelques autres dont son ami Arthur Miller. IL dut montrer qu'il était un bon Américain comme Gustav qui devait prouver qu'il était Américain avant d'être allemand. Et en prouvant qu'il était un bon Américain, donc anti-communiste, il devint un mauvais Américain pour certains...

2; La figure centrale de la mère
Cette figure apparaît en fait dès la première séquence du film. Mais nous ignorons en fait qu'elle est la mère à ce moment. Elle ne peut d'ailleurs être mère telle que Kazan la représente: elle est habillée sombrement, elle n'a aucun des critères habituels d'une mère: elle est autoritaire, peu sympathique, elle manie de l'argent et elle semble tenir une maison de passe, ce qui est confirmé quand Cal vient la voir le soir et que nous apprenons à ce moment, alors qu'il est frappé par un homme de main, que Kate est donc sa mère (l'actrice Jo Van Fleet obtiendra en 1956 un oscar pour le meilleur second rôle féminin pour la composition de ce rôle).
Elle est donc une figure du mal, celle que Cal croit avoir hérité tandis que Aron, le frère jumeau idéalise le rôle de la mère qu'il croit morte. A plusieurs reprises, soit lui, soit par Abra sa petite amie, l'idéalisation de la bonne mère est présentée aux spectateurs: elle est parée de toutes les vertus. Elle est douce et aimante. Cet idéal semble inaccessible, même pour Abra. C'est l'image du Bien contre celle du Mal que représente Kate dont on apprend qu'elle a abandonné ses enfants après leur naissance et qu'elle a même tiré sur son mari!
Au travers du personnage de la mère, Elia Kazan montre donc deux visions opposées, celle de l'idéal et celle de "l'anti-mère". Pourtant, ce personnage réel se dévoile progressivement. Elle révèle à Cal les raisons de son départ. Le spectateur, surtout de 1955, ne peut accepter sons. Du moins propose-t-elle une autre version. Elle n'est pas le Mal absolu. Son départ est dû à une quête de liberté, à sa volonté de se défaire du puritanisme de son mari, Adam. Son portrait évolue donc. En devenant une tenancière de maison close, elle semble être passée du côté du Mal absolu. Or elle rappelle que ceux qui fréquente son établissement font partie de la plus chic des clientèles, dont des élus, qui y viennent en se cachant tandis qu'elle se montre en plein jour. Par cette révélation du vrai personnage, Kazan présente aux spectateurs que le Mal et le Bien ne sont que des visions manichéennes qui empêchent de comprendre la réalité des choses. Ironiquement, c'est Kate, le Mal, qui aidera Cal à renflouer les pertes de son père, le Bien.


3. Une vision du Bien et du Mal
C'est donc bien cette opposition entre ces deux notions que Kazan insistera durant tout le film.
Cette opposition, cristallisée autour de la figure de la mère commence pourtant d'emblée entre une opposition entre Adam et son fils Cal. Lui pense être "mauvais". Il est d'ailleurs présenté ainsi: il agit mal, respecte peu le père et ses préceptes. A l'intérêt du progrès du père, cal semble penser aux bénéfices. Lors d'une scène mémorable, Cal lit la Bible à la demande de son père. Des décadrages en champ/contre-champ renforcent l'opposition entre les deux personnages, accentué encore par les provocation de Cal. Cette incompréhension entre le père et le fils évoquée dès le début du film s'amenuise pourtant jusqu'à ce que le père refuse l'argent que Cal a gagné pour lui. Le décadrage reprend alors, montrant que rien ne pourra rapprocher cal de son père. Cette tension atteint son paroxysme lorsque Cal, sur une balançoire, s'adresse à son père. La caméra suit les mouvements de Cal créant un réel malaise pour le spectateur. A la droiture supposée du père répond au contraire l'instabilité du fils "mauvais". Pourtant, le père s'est lui aussi comporté de manière mauvaise vis-à-vis de son fils, refusant de l'argent pour un prétexte moral, alors que lui gagne justement sa vie en travaillant dans le bureau de recrutement de l'armée. Au cadeau d'anniversaire de son fils Cal, il préfère celui d'Aron, qui lui offre une "belle vie" puisqu'il annonce ses fiançailles avec Abra. Aron est manifestement le fils préféré d'Adam.
L'enjeu du film se retrouve justement en cette compétition entre les deux frères. Si au début du film, Aron semble aimer son frère, c'est parce qu'il sait être celui préféré de son père. Cal ne représente pas une menace pour lui. Les prénoms ont d'ailleurs un grand intérêt, le père, Adam, prénomme ses fils Cal (Caïn?) et Aron (Abel?). Plusieurs signes confortent cette analogie. Cal observe Aron dans la glacière. Il prétend ne pas être le gardien de son frère, en reprenant un passage de l'Ancien Testament, évoquant justement ce que Caïn était sensé être. Ce conflit entre les deux frères semble se manifester à mesure que Cal se rapproche de son père, entraînant des sarcasmes d'Aron à son égard. En réalité, la menace de Cal se fait davantage sur la personne d'Abra. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il déclare ses fiançailles en guise de cadeau d'anniversaire, moins pour offrir "une belle vie" à son père que pour garder près de lui Abra qui risquait de lui échapper pour Cal.

Le climax du film est donc bien ce moment où tout bascule, où Cal se rend compte qu'il a tout perdu, l'amour de son père et peut-être celle qu'il aime. Le crime de Caïn/Cal sera à la mesure du film. Dans un plan formidable dans lequel Aron sermonne Cal, tournant le dos à la caméra et masquant entièrement le corps de son frère. Les deux personnes n'en font qu'une. On ne sait qui parle à l'autre. Pourtant, Cal sort de cette unité visuelle pour "assassiner" son frère, non par le meurtre, mais par la révélation de l'existence de sa mère.


Dans une scène d'une rare intensité émotionnelle, Kazan fait se rencontrer Aron et sa mère, lui effondré de la découverte du mensonge de son père, elle détruite par l'acte cruel que vient de commettre Cal. Repoussant Aron dans les bras de sa mère, le cadre de la porte semble devenir les contours de l'antre du Mal. Cal referme la porte, seule la musique du bordel résonne, et son image apparaît en contre jour, lui précédé de son ombre maléfique. Le crime est finalement indirect et double puisqu'Aron fuit pour s'enrôler dans l'armée et donc voué à une mort probable, tandis que son père est saisi d'une attaque cérébrale.

L'objectif de Cal d'être aimé de son père a échoué. Il a conduit de fait à la destruction de sa famille. La clé du titre est alors donnée par le shérif: "Quand Caïn a tué son frère, il a dû partir vivre sur les terres de Nod, à l'Est d'Eden", comme Kate l'avait fait également.

Epilogue du film et conclusion
Cette partie du film apparaît aujourd'hui comme la plus "mielleuse" dans son traitement ultra classique et attendu puisqu'il s'agit d'un happy end dans le sens où le père, bien que terrassé par cette attaque cérébrale le rendant impotent, pardonne à son fils ce qu'il a fait après que Abra lui avait demandé de sauver Cal du Mal qui le poursuivrait pour ce qu'il avait fait. Au pardon suit la rédemption nécessaire.
Cet épilogue s'impose d'autant plus que Kazan a lui aussi des choses à se faire pardonner auprès des siens, c'est-à-dire des artistes qui lui reprocheront son attitude en 1952. En présentant de manière magistrale que le monde n'est pas manichéen, que les purs comme Adam peuvent se tromper dans leur appréhension du monde, mais aussi pardonner à ceux qui ont fauté, Elia Kazan présente une véritable plaidoirie pour ce qu'il a commis. Cal ne nie pas ses fautes. Kazan non plus. Le maccarthysme a été une sorte de course à la pureté, à démasquer les vrais Américains de ceux qui ne l'auraient pas été. Kazan a payé le prix de cela.

En 1999, Kazan fut récompensé d'un oscar d'honneur. Nombre d'acteurs ont refusé de se lever pour l'applaudir. Warren Beatty, issu de l'Actor studio fondé par Kazan en 1947 et qui avait joué avec Kazan dans La fièvre dans le sang en 1961, fut parmi ceux qui acclamèrent le réalisateur.
Kazan mourut en 2003, laissant quelques chefs-d'oeuvre comme Sur les quais, Un tramway nommé désir ou encore L'arrangement. Il fut surtout celui qui révéla au monde James Dean dans A l'est d'Eden.



A très bientôt

Lionel Lacour

lundi 2 mai 2011

Le feu follet à l'honneur dans le Progrès de Lyon

Bonjour à tous,

juste un petit papier pour montrer que le travail des passionnés du cinéma paie. En effet, le GRAC avait fait un choix audacieux dans cette programmation de 1er semestre 2011, avec notamment Le feu follet de Louis Malle (voir à ce sujet mon article précédent).
Le succès fut au rendez-vous dans bien des cinémas de la banlieue lyonnaise avec, comme en témoigne cet article des débats qui durèrent parfois plus d'une heure!

Les deux derniers films de ce 1er semestre 2011 seront Les moissons du ciel de Terrence Malick (1978) et Les monstres de Dino Risi (1963).

Que tous les amoureux du cinéma de la région Rhône Alpes se ruent dans les salles pour voir ces deux chefs-d'oeuvre!


A bientôt
Lionel Lacour

Le cinéma en relief a-t-il un avenir?

Bonjour à tous,

un fait s'impose aujourd'hui dans les salles et demain sur nos écrans domestiques, téléviseurs, ordinateurs et smartphones: l'image en relief!
Le moindre film en 3D devient un film en relief, comme récemment le film Rio. Même le grand Wim Wenders a succombé à ce procédé dans son dernier film Pina en l'hommage de la grande chorégraphe Pina Bausch morte il y a peu.
Pourtant, le procédé du relief porte bien des interrogations en lui, et pas seulement techniques.

Encore du relief!
Le cinéma en relief ne date pas des années 2000. Le kinétoscope, qui n'est pas à proprement parlé du cinéma, proposait déjà des images en relief. En 1922, The power of love de Nat G. Deverich et de Harry K. Fairall était tourné en noir et blanc mais en relief, le premier film en relief exploité en salle. Même L'arrivée du train en gare de la Ciotat a eu droit en 1935 à une version "en relief". Il faut dire que ce film avait déjà fait peur aux premiers spectateurs voyant un train foncer sur eux, et ce sans relief!
Les procédés se sont améliorés et dans les années 1950, les studios américains ont produits de nombreux films en relief nécessitant le port de lunettes spéciales permettant de voir ce fameux relief de films tournés en stéréoscopie.
Les spectateurs français se souviennent sûrement que dans les années 1980, lors de l'émission d'Eddy Mitchell La dernière séance avait été programmé L'étrange créature du lac noir réalisé par Jack Arnold en 1954.  Ce film réalisé en stéréoscopie avait alors suscité la vente de lunettes aux verres rouge et bleu permettant aux spectateurs de voir foncer sur eux la fameuse créature. Les spectateurs des années 1980 ne furent pas particulièrement époustouflés par ce qu'ils voyaient. Pas plus que ceux des années 1950. Et bon nombre des films tournés en relief furent exploités surtout en format classique, à commencer par Le crime était presque parfait d'Alfred Hitchcock en 1954.
Ce procédé fut en fait rapidement abandonné. Même Jack Arnold, qui fut le grand réalisateur des effets spéciaux, tourna sans relief L'homme qui rétrécit en 1956. Usant d'effets spéciaux dépassés aujourd'hui et pourtant encore spectaculaire, on imagine combien le combat du héros avec la mygale aurait pu être impressionnant en relief. S'il ne le fit pas, n'est-ce pas que le procédé n'était finalement pas assez au point ou que les spectateurs s'en détournaient?
En tout état de cause, il aura fallu attendre les années 1990 pour revoir un procédé en relief utilisé par les studios, surtout dans les parcs d'attraction, puis, avec le développement des films en image de synthèse ou le recours aux effets spéciaux numériques, dans les salles.

Pourquoi des films en relief?
Si les premiers films des années 20 peuvent s'expliquer par une frénésie de "réalisme" qui verra l'avénement du parlant puis de la couleur, les films en relief des années 1950 s'expliquent davantage pour des raisons économiques. En effet, la télévision se développant de manière fulgurante dans les foyers américains, les studios ont donc vu une concurrence importante se présenter à eux, captant la clientèle familiale mais aussi la jeunesse. C'est le début des séries télévisées qui reprennent certaines recettes du cinéma, offrant des personnages récurrents qu'il est bon de retrouver semaine après semaine.
Les studios ont alors cherché à proposer un spectacle cinématographique que les postes de télévision ne pouvaient pas reproduire, sauf à s'adapter à l'image cinématographique.
Ainsi, les studios utilisèrent des procédés de plus en plus spectaculaires comme le cinémascope, permettant de projeter des images très larges avec un ratio longueur / largeur initialement de 2,35:1. Ainsi, La tunique de Henry Koster fut présenté en 1953 par la 20th century Fox tandis que d'autres majors utilisèrent d'autres procédés équivalents comme le Vistavision de la Paramount.
Ainsi, des films très larges ne pouvaient pas être diffusés à la télévision sauf à amputer les marges latérales du film où à réduire l'image pour qu'elle tienne à l'écran. Les postes des années 1950 n'ayant pas les diagonales de ceux d'aujourd'hui, les films étaient donc extrêmement réduits à l'écran, encadrés par les fameuses barres noires! De même, les productions réservées pour la télévision ne pouvaient prétendre à concurrencer celles tournées en cinémascope.
Les films en relief répondent à la même logique de réponse au développement de la télévision prenant de fait des spectateurs aux salles de cinéma. L'effet de relief était d'autant plus saisissant que le spectateur se trouvait face à un grand écran tandis que l'effet sur un petit écran était bien moins spectaculaire car moins "enveloppant".
Comme aujourd'hui, l'effet relief avait une autre particularité, celle à la fois de créer une émotion collective d'une image qui ne semblait pourtant ne concerner que soi! Comment le rocher se dirigeant droit sur un spectateur pouvait en même temps menacer celui de l'autre bout de la salle!
La réapparition du cinéma en relief des années 2000 et 2010 semble répondre encore à une concurrence, non plus seulement de la télévision mais désormais celle de tous les autres moyens de regarder les films sur différents supports. Les problèmes de diagonales ont été réglés depuis longtemps avec l'adoption du standard 16/9ème des téléviseurs. L'arrivée du DVD et désormais du Blu Ray ont transformé notre rapport à l'image. Elle est désormais numérique. Cela signifie qu'à l'heure de l'ultra haut débit avec des ordinateurs de plus en plus puissants, les films peuvent être vus sur des écrans de tailles diverses, du smartphone à l'ordinateur 21", de manière légale ou illégale. A la différence des copies de VHS dont la qualité se déterriorait à chaque génération de copie et surtout à chaque usage de la cassette, la copie numérique ne s'use ni à la génération suivante, ni à l'usage.
L'ère du numérique pour les spectateurs est alors aussi devenue celle du numérique pour les réalisateurs et distributeurs, proposant sur grand écran des copies en parfait état et ne s'usant pas. Le surcoût de l'équipement en projecteurs numériques s'est accompagné de la programmation de films qui ne pouvaient pas être proposés ni à la télévision, ni sur les appareils numériques classiques. S'appuyant sur l'expérience des multiples parcs d'attraction proposant des films en relief, que ce soit l'ensemble des parcs Disney ou en France à Vulcania, pour ne prendre qu'un exemple, les producteurs ont alors soutenus la production de longs métrages en relief, comme ils étaient autrefois passé des courts métrages en image de synthèse aux longs métrages avec le premier d'une désormais longu liste Toy Story en 1995 réalisé par John Lasseter pour les Studios Pixar produit et distribué par Disney.

Le recours au relief dans les salles devint alors une manière de capter des spectateurs à d'autres salles, aux autres spectacles et de s'affranchir du risque d'être copié par les joujoux de haute technologie ne pouvant proposer une vision en relief. Surtout, la nouveauté permettait la vente de nouveaux produits pour les salles: les lunettes pour voir le relief. Le surcoût par séance pour chaque spectateur semblait justifié par la promesse de sensations nouvelles au cinéma.



Le succès fut immédiat car il bénéficia pour cela de poids lourds de la production cinématographique. Ainsi, Toy story 2 sortit en 1999 dans certaines salles américaines en 3D, c'est-à-dire en relief. Mais c'est surtout avec le champion toute catégorie du Box office que le cinéma en relief allait connaître un nouvel essor. James Cameron, le réalisateur de Titanic en 1997. En 2009, c'est avec Avatar qu'il propose un film mêlant tournage traditionnel et séquences en images de synthèse, le tout en relief.Le succès fut colossal et entraîna derrière lui la fin de résistance de certains qui refusaient jusqu'alors à repondre aux sirènes du relief. Depuis, c'est presque un film en relief par quinzaine qui est proposé dans les salles.
Le cinéma semble alors reconquérir ses spectateurs perdus.

La déjà fin du film en relief?
A cette présentation plutôt porteuse d'espoir dans le cinéma en relief, plusieurs bémols doivent cependant être apportés.
Tout d'abord, le spectacle en relief génère à la longue un inconfort visuel car le cerveau doit constamment travailler pour lire et assimiler les images que chaque oeil perçoit. C'est le cerveau qui transforme ce qui est montré à l'écran en image en relief. Cette fatigue est donc un handicap non négligeable sur des films longs. A ceci se rajoute un assombrissement de l'image en relief par le port des lunettes. Enfin, pour ceux voulant voir les films en VOST, les sous-titres sont très difficiles à lire car ils sont intégrés en 2D sur un film en 3D. L'inconfort est pour certains spectateurs vraiment insupportable!

Autre inconvénient, l'intérêt du cinéma en relief réside essentiellement dans le côté spectaculaire des images. Le doigt se tendant vers vous, l'objet lancé sur vous etc. Ces effets procurent une émotion simple, immédiate mais qui ne joue que sur ce que nous pouvons retrouver dans les animations foraines ou même dans certains spectacles des parcs d'attraction. Or le cinéma est justement devenu cinéma quand les réalisateurs ont justement compris que l'émotion simple de voir une image spectaculaire ne suffisait plus. Le cinéma "en 2 D" en Noir et Blanc et, horreur, muet, a continué d'exister après que la nouveauté de "l'image en mouvement" n'était justement plus une nouveauté. Les différentes écoles de réalisateurs ont construit progressivement un langage cinématographique qui dépassait la seule émotion primaire. L'utilisation du noir ou du blanc pour évoquer le mal ou la vertu, l'utilisation de la plongée et de la contre-plongée pour écraser ou magnifier un personnage sont autant de procédés qui ne jouent pas sur la seule magie de l'image en mouvement mais qui confère un sens à l'image. Or, à ce jour, les films en reliefs n'ont pas encore permis de mettre en évidence un développement du langage cinématographique. Même si Avatar joue autant sur ce qui surgit que sur le relief de profondeur, les spectateurs ayant vu le film en 2D n'ont pas manqué grand chose quant au sens du film. Il n'en est évidemment pas de même pour les films qui utilisent certaines couleurs de manière intense pour accentuer certains sentiments. De même, certains films sans le son des dialogues perdraient définitivement du sens et de l'intérêt. Il suffit pour cela d'imaginer Manhattan de Woody Allen en 1979 sans dialogue!
La question est donc d'emblée d'ordre cinématographique: le cinéma en relief a-t-il un intérêt cinématographique hormis le caractère spectaculaire de certaines scènes? On sait que le cinéma pornographique s'est déjà penché sur ce procédé et on imagine ô combien ce type de cinéma a un intérêt à y recourir. Mais pour les autres?

Cette question semble déjà tranchée par les spectateurs. Aux USA, les recettes des derniers films en relief sont en chute libre et c'est en Europe qu'ils font les meilleurs résultats. C'est le cas du film Les voyages de Gulliver réalisé en 2010 par Rob Letterman, qui a fait un flop aux USA et qui a multiplié par 5 ses recettes en Europe! La réponse à apporter peut être assez simple. Le film en relief doit d'abord être un film! Et les Américains ont connu le relief bien avant les Européens. Ils sont donc rassasiés des ces images certes spectaculaires mais qui n'apportent désormais rien de nouveau. Les Européens semblent continuer à aller en salle pour ce type de films. Mais il faut juste rappeler que c'est vraiement avec Avatar que le cinéma en relief s'est imposé en France et en Europe. Un processus de reflux est donc inéluctable, réduisant forcément le nombre de production en relief pour éviter une saturation de l'offre. En attendant, comme dit plus haut, que ce porcédé n'entraîne un vrai discours cinématographique.

Un autre bémol enfin sur le succès du film en relief à terme est le fait que contrairement à l'époque du cinémascope, le relief d'aujourd'hui est une technologie de l'ère numérique qui a pour caractéristique de toucher presque aussi rapidement le milieu professionnel que celui des particuliers. Quand Michael Jackson proposait un morphing dans son clip Black or White en 1991, clip réalisé par John Landis, il s'agissait là d'un véritable effet spectaculaire et une des premières fois où il était proposé ainsi à des spectateurs. Or aujourd'hui, n'importe qui peut acheter un logiciel permettant un tel effet spécial! Et la technologie se démocratise de plus en plus vite. Ainsi, les téléviseurs permettant de voir des programmes en relief existent déjà, à défaut des programmes! Même des smartphones proposent déjà cette possibilité! L'avance des cinémas est déjà anéantie par la technologie mise à disposition des consommateurs qu'on a habitué depuis près de 20 ans à voir les mêmes images chez eux qu'en salles!


Pour conclure, il apparaît donc que le cinéma a très tôt cherché à apporter une troisième dimension à son image. On a pu un temps imaginer que la technologie était un frein au développement de l'image en relief. Ce n'est plus le cas, certains téléviseurs voire smartphone permettant même un visionnage en relief sans lunettes, à condition certes de rester figer à un endroit précis! La vraie limite du cinéma en relief est donc le cinéma en relief lui-même. Qu'il reste un spectacle pour émotion simple et enfantine, et il restera ce qu'il a toujours été, un procédé amusant, spectaculaire mais sans grand avenir. Qu'il bénéficie de réalisateurs réussissant à exploiter ce procédé comme un autre moyen d'exprimer des idées, l'intégrant dans le langage cinématographique existant, alors le cinéma en relief cessera de n'être qu'un spectacle de foire.
A lire ce que chaînes de télévision nous promettent autour du relief, à commencer par les matchs de football, des programmes pour enfants ou clairement pour adultes(!), on peut douter que le cinéma en relief n'ait une chance de devenir autre chose que ce qu'il n'est aujourd'hui: des images spectaculaires, et pas grand chose d'autre. Que des réalisateurs nous démontrent le contraire.

A bientôt

Lionel Lacour