mardi 3 janvier 2012

Rosemary's baby: le triomphe du mal?

Bonjour à tous,

Rosemary's baby a marqué l'année 1968 en révélant que Roman Polanski était définitivement un immense réalisateur, confirmant son talent après Répulsion ou encore Le bal des vampires. En adaptant la nouvelle d'Ira Levin, il imposait sa manière de filmer les huis clos et un genre qui allait inspirer bien des films. Tout a été dit sur Rosemary's baby, de ses révélations sur les communautés sataniques aux affirmations les plus farfelues, comme celle qui prétendait que Polanski aurait lui-même pactisé avec le diable pour réussir à Hollywood. Il faut dire que les faits ont permis d'alimenter ces interprétations, de l'assassinat de Sharon Tate le 9 août 1969 par un illuminé du nom de Charles Manson, chef d'une secte satanique à celui de John Lennon le 8 décembre 1980 par Mark Chapman, un autre illuminé proche de groupuscules sataniques et devant le Dakota, immeuble appelé Bramford et lieu principal de l'intrigue de Rosemary's baby.


Bande annonce

Le film continue bien sûr à susciter chez le spectateur des angoisses comme peu de films le permettent, surtout plus de 40 ans après leur sortie. C'est que Polanski fait tout pour nous maintenir dans cet état psychologique, à la fois dérangeant mais en même temps tellement excitant. Mais par quels ressorts ce film continue-t-il à agir sur nous quand bien d'autres ont été éventés?
 L'analyse suivante s'adresse surtout à ceux qui ont vu le film, des éléments importants de l'intrigue du film y étant révélés.


Vue du Dakota - Bramford (au début et à la fin du film)
1. Le diable est parmi nous
Pour reprendre une phrase de Coluche, si on admet que Dieu existe, il faut alors accepter que le Diable aussi... et que c'est lui qui gagne!"
Le film de Polanski ne présente pas grand chose d'autre que cela. A la différence du livre, le point de vue est exclusivement porté par Rosemary (interprétée par Mia Farrow) qui est la seule témoin et obesrvatrice des événements intrigants qui se déroulent dans le Bramford, et particulièrement chez ses voisins, Minnie et Roman Castevet. Polanski nous distille des informations qui progressivement donne à Rosemary des raisons de douter. La première visite chez les Castevet est pour elle une première situation de doute: des tableaux ont été enlevés des murs car leurs traces sont encore visible sur la tapisserie.

Un "coven" satanique lors du rituel préparant la femme
pour l'accouplement avec le diable
Ensuite, l'origine de sa grossesse n'est pas normale ou pour le moins étrange. Dans une séquence de cauchemar, elle se fait violer par un être anthropomorphe, devant une assistance à laquelle participe les voisins du Bramford, nus, ainsi que son mari. A son réveil, elle sent les griffures qui strient son corps. Sa grossesse se passe anormalement puisqu'elle maigrit et a une douleur qu'aucun remède ne guérit. Quant aux voisins, leur omniprésence devient de plus en plus douteuse. Minnie lui a donné un pendentif "porte-bonheur" avec du tanis, plante qui entre dans la concoction que Minnie prépare à Rosemary pour accompagner sa grossesse. Même le choix de l'obstétricien est imposé par les Castevet, le docteur Saperstein. Quant au mari de Rosemary, Guy (interprété par John Cassavetes), il devient subitement une vedette au théâtre alors qu'il n'était qu'un modeste acteur de publicités télévisées. L'aide de Roman semble ne pas être pour rien dans ce succès soudain. Les doutes de Rosemary sont étayés par ceux de Hutch, son ami, qui tombe subitement dans le coma alors qu'il avait des révélations à faire. Celles-ci se feront par l'intermédiaire d'un livre qu'il léguera à Rosemary après sa mort, dans lequel elle découvre tous les éléments qui confirment ses soupçons. Roman Castevet est un sorcier car il est le fils d'un sorcier connu. Les sorciers peuvent jeter des sorts pour améliorer la situation des leurs ou se protéger. Ceci explique alors le comas de Hutch, le succès de Guy puisqu'il a pris le rôle à un autre acteur étonnamment devenu aveugle... Quand Rosemary doute le plus elle décide alors de ne plus subir sa grossesse, de s'éloigner des Castevet mais elle découvre que le docteur Saperstein est aussi du complot. Pire, son mari semble vraiment être impliqué dedans et ses tentatives pour leur échapper sont un échec. Elle accouche de manière brutale chez elle. Alors qu'elle demande à voir son enfant, Guy et Saperstein lui annonce qu'il est mort. Pourtant, des cris d'enfants résonnent dans l'immeuble. Refusant de prendre ses médicaments dont elle comprend qu'ils n'ont pour objectif que de l'abrutir, elle décide de passer chez les Castevet par un placard qui servait à séparer les deux appartements par une simple porte.

Entrant couteau en main, elle voit ses voisins qui étaient censés être en Europe, son mari et tous les habitants du Bramford ainsi que des étrangers. Elle découvre un berceau noir avec une croix inversée, signe de l'antéchrist. Voulant voir son enfant, elle découvre horrifiée la vérité.


Cet enfant est effrayant. Une frayeur que nous ne pouvons percevoir que par son regard, horrifié, mais aussi par les descriptions de cette communauté satanique, heureux de prétendre qu'il a les yeux de son père, le diable, ainsi que de ses pieds et de ses mains. Il s'appelle Adrian et est né en juin 1966. 6-66, le nombre du diable! Proclamant l'an I de Satan,, annonçant la mort de Dieu et confiant le rôle de mère à Rosemary, celle-ci accepte étrangement de tenir ce rôle. La voici en vierge, de bleu vêtue, cheveux courts, devant un berceau entourée d'étrangers venus saluer cette naissance miraculeuse, tels les rois mages... Fin du film. Le diable triompherait!

2. Et si Polanski nous racontait une histoire de femme enceinte?
Il y a d'abord cette mélodie fredonnée par vraisemblablement Rosemary au générique de début qui ressemble à une berceuse qu'une mère chanterait à son enfant. Le titre du film nous insite à y penser. Or cette même berceuse est reprise au générique de fin, sur les mêmes images qu'au début. Pourtant, nous avons vu que la fin semble bien éloignée d'une simple histoire de femme ayant eu un bébé. Elle est tragique pour tous ceux qui ne seraient pas des adeptes du satanisme, c'est-à-dire la majorité des spectateurs.
De fait, l''intérêt du film vient des doutes de Rosemary qu'elle transmet aux spectateurs qui sont prêts à la suivre mais qui ne peuvent croire en l'irrationalité de ce que Rosemary imagine. Comme pour nous rassurer, Polanski nous donne sans cesse un contre-point rationnel à tout événement qui ne le serait pas ou qui viendrait confirmer les soupçons de Rosemary. Le mari est dans un premier temps cet élément qui nous permet de relativiser ce que pense Rosemary. C'est tout d'abord elle et pas Guy qui veut habiter le Bramford. C'est elle aussi qui accepte l'invitation des Castevet quand Guy y était plutôt réticent. Personne ne la force à couper ses cheveux, lui faisant perdre son allure sexy, et encore moins son mari qui le lui reproche d'ailleurs. C'est toujours Guy qui essaie d'arranger les choses lorsque Rosemary se sent agressée dans leur couple, même quand, d'un point de vue externe, les motifs de reproches semblent bien peu de chose!

Rosemary se réveille avec des griffures voire des lacérations.
Oeuvre du diable ou de son mari?

Quand les éléments factuels nous sont rapportés, notre stupeur est aussitôt éteinte par une explication logique. Rosemary est griffée? Guy avoue avoir abusé d'elle pendant son sommeil car cela correspondait la bonne période pour avoir un enfant. Il s'excuse d'ailleurs de "s'être limé les ongles sur elle". Lorsque Rosemary change de médecin pour celui conseillé par les Castevet, Hutch son ami lui signale que ce même Saperstein a accouché se fille, nous rassurant sur le personnage.




Minnie Castevet (Ruth Gordopn, oscar du meilleur second rôle féminin)
donne sa préparation "spéciale" au tanis à Rosemary (Mia Farrow)
Quand Rosemary refuse de prendre les vitamines de Minnie parce qu'elle a mal et que personne n'en tient compte, à commencer par Saperstein, sa douleur disparaît soudain, substituée par les mouvements du bébé dans son ventre. Le spectateur rationalise forcément ce qui se passe. Il est possible qu'elle ait pu somatiser, de crainte que son bébé ne vive pas en elle. Même lorsque nous sommes de plus en plus en phase avec elle et dans l'acceptation du complot ourdi contre elle, Polanski continue cependant à nous faire douter d'elle. En effet, quand Rosemary fuit le cabinet de Saperstein comprenant qu'il était dans le complot contre elle, elle se rue vers une cabine pour appeler son premier médecin, Dr Hill. Mais un homme, Saperstein, se met devant la porte de la cabine téléphonique. L'angoisse est à son comble jusqu'à ce que l'homme se retourne et se révèle: ce n'est pas Saperstein. Polanski nous rend paranoïaque comme Rosemary, insinuant un doute quant à ses interprétations. Quand Rosemary demande à Guy de dégager son épaule gauche pour voir si un signe du diable n'y serait pas, Guy ne se défile pas. Il montre son épaule gauche, puis la droite. A ceci près que si nous voyons toute l'épaule droite sans aucun doute, seul le devant de la gauche est présenté à Rosemary... et aux spectateurs.
Bien d'autres éléments mettant en opposition rationnel et irrationnel, logique et satanique se trouvent dans le film. Mais la scène finale est certainement la plus intéressante car elle est la conjonction entre les deux interprétations, celle de la réalité du complot satanique ou celle qui présenterait une femme enceinte qui aurait ses sens bouleversés par sa situation. En effet, comme il a été dit plus haut, Rosemary cesse de prendre ses médicaments, la rendant lucide et lui permettant de finalement entrer par le placard chez ses voisins et de découvrir l'effroyable vérité. Pourtant, nous pourrions reprendre chaque élément de la séquence et l'interpréter comme étant la résultante de sa paranoïa. En effet, le fait de ne pas prendre ses médicaments peut aussi l'amener à avoir des hallucinations. Elle en a eu d'ailleurs avant. Polanski nous les a présentées déjà perturbée par son éducation catholique bien avant ses délires. Son viol peut donc aussi être interprété comme un cauchemar. Ainsi donc, sa conscience pourrait être altérée en ne prenant pas ces médicaments, comme le serait un schizophrène. A partir de là, toute la dernière séquence pourrait s'expliquer autrement que par le satanisme.
En effet, son entrée chez les Castevet ne soulève que peu de réactions, si ce n'est un cri et des remarques hors de propos étant donné le fait qu'elle avance pointe de couteau avancée. Mieux, lorsque Roman Castevet lui parle, elle lui dit ne pas l'entendre parce qu'il est à Dubrovnik. Si ceci est annoncé dans le film, on peut alors justement interprété cette phrase comme un "mirage auditif". Elle ne peut en effet pas l'entendre car il est bien à Dubrovnik mais son imagination ferait le reste!

Rosemary face au berceau d'Adrian, le fils du diable?
Tenant le berceau, Roman Castevet le voisin
Le berceau est couvert de noir, couleur du deuil, celui de son enfant. La croix inversée ne pourrait être que l'élément irrationnel qui accompagnerait sa vision du deuil. D'ailleurs, si nous ne voyons pas l'enfant, c'est aussi peut-être parce qu'il n'y est pas! Toutes les conversations qu'elle a durant cette séquence sont improbables, de Minnie qui offre un thé sans tanis à Guy qui avoue le complot. Quant à la scène finale, que Rosemary la catholique accepte de materner le fils du diable peut aussi apparaître comme la preuve de sa folie.


Le sosie de J.F.Kennedy durant le "viol" de Rosemary
Dans la même séquence, une apparition de Jackie Kennedy






















3. Le traumatisme des USA en filigrane?


Passé ces deux interprétations, le spectateur se fera la sienne. En présentant régulièrement ce film, il est étonnant de voir combien les spectateurs la croient finalement comme folle tandis que d'autres veulent croire que ce qu'elle voit est bien l'oeuvre du diable. Une analyse sociologique plus pointue permettrait de voir qui adhère plus à telle ou telle autre interprétation. Il n'en demeure pas moins vrai que la communauté catholique est plus réceptive à l'idée que c'est bien le diable qui est présent à la fin du film. Cette logique s'explique par la tradition catholique de la sainteté. Si les premiers saints étaient des martyrs, témoignant de leur foi face aux persécutions romaines,ceux qui ont suivi furent ceux dont on reconnaissait leur lutte pour la propagation de la foi et pour combattre le diable. Ainsi, près de Lyon, le fameux curé d'Ars a comme acte de bravoure prouvant sa sainteté, celui d'avoir survécu au feu de Satan! Or la communauté catholique fut mise en avant en ce début de décennie 1960 avec l'arrivée au pouvoir d'un président catholique, John Kennedy. D'ailleurs, dans son viol-cauchemar, des sosies de John et Jackie Kennedy ou du pape Paul VI semblent apparaître ou parler à Rosemary.
L'intervention de ces personnages et l'évocation par Rosemary elle-même du complot lors de sa visite au Dr Hill intervient aussi dans un contexte historique fort aux USA. Des complots anti-américains sont perpétrés partout ou dans tous les domaines. Ceux menés contre la famille Kennedy ou contre les leaders noirs, les complots communistes à Cuba ou ailleurs et d'autres encore, à commencer par les mouvements sataniques qui se développent aux USA en cette période. En effet, pour la première fois de son histoire, les USA n'apparaissent plus comme le pays défendant les valeurs du Bien, celles des libertés mais sont montrés du doigt par la communauté internationale, à commencer par la France et de Gaulle! Cette pente savonneuse dont parlait McNamara conduit les USA à se battre contre un peuple qui aspirerait à s'unifier et à choisir le communisme plutôt que la dictature soutenue par les USA. Le pays serait passé de l'idéal hippie évoqué dans le film, notamment par l'évocation de la culture de marijuana à celui d'une dure réalité: les USA défendent le mal. Et le travail des journalistes au Vietnam ne fait rien pour infirmer les choses. Polanski rappelle d'ailleurs la situation du pays de manière fugace pour les spectateurs du XXIème siècle mais que tous les Américains reconnaissent. En effet, alors que Rosemary se trouve à New York, un hélicoptère à double rotor survole la ville. Or cet hélicoptère renvoie non à ceux nombreux survolant la Grosse Pomme mais bien à ceux qui amènent les troupes sur les terrains de combat. Les USA agissent pour le Mal.

La devise "in God we trust" sur leur monnaie semble alors dévoyée. La spiritualité chrétienne en prend un coup et  le 8 avril 1966, le Time titrait sur sa couverture: "Is God Dead". C'est bien cette couverture de magazine que Rosemary lit dans la salle d'attente du cabinet du Dr Saperstein.






Conclusion
Ce n'est donc pas une interprétation mais trois que le film propose, une correspondant au genre du film, entre l'horreur et le fantastique, une correspondant presque à une histoire d'une femme enceinte et des bouleversements que cela peut apporter jusqu'aux plus extrêmes, une dernière qui s'appuyant sur les deux premières permet de situer les USA dans le contexte de guerre du Vietnam et de toute l'ambiguïté de la situation: soutenir son pays ou défendre le Vietnam? De quel côté se place le Bien quand on est Américain en 1968. Il suffit de se rappeler de Gregory Peck pour comprendre cela. Ce farouche opposant à la guerre du Vietnam n'en était pas moins fier que son fils soit dans l'armée américaine durant cette même guerre pour défendre le drapeau des USA.
Le film fut un succès considérable, permettant d'ouvrir la brèche pour d'autres films "surfant" sur le genre "combat contre le diable" et de qualités inégales, de L'exorciste en 1973 à Damien la malédiction  avec Gregory Peck en 1976 en passant par Holocauste 2000 avec Kirk Douglas en 1977.
Mais par les doutes que Polanski a distillé dans tout son film, Rosemary's baby reste le plus intéressant car chaque visionnage nous interroge sur le sens proposé par le réalisateur? Le spectateur se voit plusieurs clés proposées et peut, au gré des projections accepter de prendre l'une ou l'autre. Ce que les autres ne permettent pas.

A bientôt

Lionel Lacour

7 commentaires:

  1. Merci pour votre analyse de ce film que j'ai vu deux fois mais à 30 ans de distance; après avoir constaté la perte de "l'innocence" de l'Amérique avec cette guerre au Viet-Nam et les deux millions de victimes, j'adhère totalement à votre conclusion. Mon "Amérique à moi" n'existe plus et par de nombreuses archives, j'ai perdu beaucoup de mes certitudes. Ce film n'a pas vieilli d'un pouce et le mandat d'arrêt pour viol qui pèse sur Polanski reflète encore ce que ce pays est devenu: un empire en déclin. Salutations. email: roselyne.germon@orange.fr

    RépondreSupprimer
  2. Merci de votre commentaire sur mon article. L'avantage cependant des USA, c'est qu'il y a encore du cinéma qui remet en cause les dysfonctionnements du pays ce qui est tout de même plus rare dans le cinéma français. À bientôt sur mon blog!

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cette analyses bien construite, bonne analyse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup! Avez vous lu d'autres articles de ce blog?

      Supprimer
  4. Vous êtes possédé ?! Évidemment que ceux qu'elle vit est réel, il n'y a ABSOLUMENT aucun doute dans le film. Tous les critiques cinéma sont unanime sur cette question, il n'y a même pas débat....

    RépondreSupprimer
  5. Mais vous avez tout à fait raison, ce qu'elle vit est réel... ou pas.

    RépondreSupprimer