mercredi 31 août 2011

Cowboys et envahisseurs: un film 100% US?

Bonjour à tous,

Voici le genre de film dont on se méfie d'emblée. Le titre d'abord. Même le titre original, Cowboys & aliens ne laisse planer aucun doute sur l'ambition du projet: faire cohabiter deux genres du cinéma que les Américains ont usé jusqu'à la corde, en particulier le premier.
À y regarder de plus près, c'est-à-dire en voyant le film, on se rend compte que l'entreprise est sinon d'une grande qualité, l'histoire et l'intrigue seront à juger par les spectateurs eux-mêmes, du moins plus intéressante qu'il n'y pouvait paraître. À commencer par le fait qu'il faut bien admettre que si les extra-terrestres existent et qu'ils sont plus en avance technologiquement que nous, ils ont pu arriver à une autre époque que la nôtre. Et pourquoi pas au XIXème siècle? Mais forcément aux Etats-Unis!



Bande annonce:

1. Du cinéma culture TV
Le spectateur plonge dans le film qui commence comme une introduction de série télé. Un mystère sur un personnage étrange, ignorant qui il est et ce qu'il fait là, en pleine zone semi-désertique. C'est tout-à-fait le genre de situation dont se délectent les séries policières, que ce soit Les experts ou N.C.I.S. ou bien d'autres encore. Le début de Lost présentait lui aussi le personnage principal de la série seul, perdu dans une forêt, ne comprenant pas ce qu'il y faisait, pas plus que le spectateur d'ailleurs!
Même le générique créditant les techniciens et acteurs secondaires se déroule à l'écran alors même que l'action du film a déjà commencé. Comme à la télévision donc!
Sauf que la réalisation ne se limite pas à des plans serrés ou centrés sur les protagonistes. Au contraire, des plans classiques de western mettent justement le genre choisi en valeur. De même, les parties concernant les aliens renvoie inévitablement au cinéma et non à la télévision. Ce mélange des genres vise incontestablement à séduire tous les publics. Les plus jeunes qui seront ravis de retrouver certains codes de leur culture audio-visuelle. Les plus anciens nostalgiques du western d'antan ou heureux de retrouver des "bêbêtes" extra-terrestres dangereuses.

Même le casting semble répondre à cet objectif en rassemblant Harrison Ford, Indiana Jones ou trublion de la première trilogie Star Wars et Daniel Craig, version moderne de James Bond. Sans oublier, série télévisée oblige, la présence d'Olivia Wilde, la célèbre n°13 de la série Docteur House.
Avec ce patchwork, John Favreau, réalisateur des deux Iron man, réussit donc à toucher tous les publics américains.. ou presque (nous le verrons plus tard). Et il n'est pas étonnant que ce réalisateur aille d'ailleurs dans ce sens, lui qui est justement un parfait produit de cet univers audiovisuel, passant de la télévision au cinéma en tant qu'acteur ou réalisateur, dans une période où la télévision semble se renouveler davantage que le cinéma. John Favreau fut, entre autre, acteur dans Friends mais aussi dans Dare devil au cinéma. Il fut la voix de nombreux personnages d'animation. Il réalisa quelques téléfilms. Ses scénaristes viennent aussi de la télévision. Parmi eux, ils sont sept au total! se trouvent Roberto Orci et Alex Kurtzman qui furent notamment scénaristes pour Alias, Hawaï 5-0 et de Fringe. Damon Lindelof écrivit lui pour Lost. Mark Fergus et Hawk Ostby sont eux des scénaristes n'ayant travaillé que pour le cinéma et notamment pour Iron man.
Cowboys et envahisseurs correspond donc bien à un produit de synthèse entre deux cultures de plus en plus complémentaires aux Etats-Unis, à savoir la culture cinéma et celle des séries télévisées.

2. Un film qui explique la puissance américaine
L'autre aspect intéressant du film relève du message qu'il porte du début jusqu'à la fin. L'action sera portée par un individu, Daniel Craig, dont on apprend au fur et à mesure, et avec lui, que sa vie n'a pas toujours été du bon côté de la loi, est bien celui qui nous guidera dans l'intrigue. La première personne qu'il rencontre est un pasteur qui se rendant compte de l'amnésie du personnage lui dit que peu importe ce qu'il a fait dans son passé, ce qui compte est ce qu'il fait désormais. Ainsi, l'idée de la rédemption est immédiatement posée et renouvelée tout le film pour lui mais aussi pour d'autres personnages, et par tous les moyens possibles! Olivia Wilde connaîtra une résurrection étonnante, Harrison Ford sera en quelque sorte racheté et même son fils sera étonnamment sauvé de sa bêtise!

Avant d'en arriver là, il aura fallu que les Etats-Unis, et ici une bourgade typique du western avec son saloon, son pasteur, son shérif et son grand éleveur, soit attaqué par surprise et de manière incompréhensible par des ennemis inconnus. Une attaque à la Pearl Harbor, venant du ciel! La situation méritait donc un rassemblement des forces vives.

Pour en revenir au personnage de Daniel Craig, dont on apprend qu'il s'appelle en fait Jack Lonergan, c'est lui qui va réussir à rassembler tous les humains pour combattre les aliens en agissant pour le bien, notamment en sauvant Ella (Olivia Wilde). Jack, personnage fédérateur, porte d'ailleurs le même prénom que le héros de Lost (Jack Sheppard) avec qui plus est, la même fonction: rassembler les survivants contre un ennemi commun et longtemps insaisissable! Mais le plus étonnant, c'est bien de voir se rassembler derrière la même bannière (étoilée?) ceux qui autrefois s'affrontaient: blancs et indiens, citoyens honnêtes et hors la loi, hommes et femmes, adultes et enfants. Ce rassemblement aboutit à un sacrifice pour sauver les innocents captifs des créatures. Quand ils sont retrouvés dans le vaisseau des aliens, les spectateurs les découvrent déshumanisés et enchaînés, ayant perdu toute identité et finalement tout libre-arbitre. Certains ont subi des expériences scientifiques, dont la femme de Jack, sans aucun intérêt mais conduisant à leur mort. Ella ne rappelle-t-elle pas que pour les créatures, les humains ne sont que des insectes? John Favreau et ses scénaristes nous présentent donc des ennemis qui ressemblent furieusement à un ennemi totalitaire comme pouvaient l'être les nazis ou les communistes staliniens, capable de cruauté invraisemblable et de soif de vengeance.

On retrouve aussi toute la propagande classique des Etats-Unis qui diabolise l'ennemi en le montrant comme un monstre, souvent sur-armé, et si possible avec des armes surpuissantes, comme cela a été fait notamment pour convaincre, avec plus ou moins de succès, les alliés de l'OTAN à intervenir en Irak en 2003. L'ennemi des Américains est forcément un monstre puissant à combattre sans aucune pitié car c'est la liberté individuelle des hommes et des femmes qui est en jeu.

Les "bêbêtes" sont vaincues et à leur tour exterminées. Et les héros peuvent récupérer ce qu'elles étaient venues prendre: les leurs et l'or. C'est bien cet or qui était convoité par les aliens. C'est cet or qui va enrichir le bourg désormais en paix et dans lequel les relations tendues entre le grand propriétaire et ancien colonel Woodrow Dolarhyde  (alias Harrison Ford) et le reste des habitants sont désormais fondées sur le respect et non sur le rapport de force. Les réflexions entre Woodrow et le shérif renvoie encore à la situation de l'après seconde guerre mondiale: un pays riche d'or et dans lequel l'activité économique va repartir de plus belle. A l'écran, tout se reconstruit d'ailleurs et les habitants s'agitent étonnamment.  Seul Jack semble avoir tout perdu. Sa femme est morte, tuée par les aliens, et celle qu'il aimait depuis est morte aussi. Mais comme une boucle, le film se clôt sur une remarque et deux images. Woodrow lui dit que Ella vit désormais dans un meilleur monde, le tout en contre plongée dans laquelle domine le clocher d'une église. L'image peut alors, avant le départ de Jack, montrer le drapeau américain, forcément...

3. Un film politiquement correct?
Les Américains ont triomphé car ils ont su s'unir et se comprendre. Pourtant, deux communautés manquent singulièrement à l'image: aucun asiatique mais surtout aucun noir. En ces temps de représentation quasiment obligée des communautés à l'écran, on peut en effet s'étonner qu'aucun noir n'ait un quelconque rôle. En ce sens, le film s'inscrit dans la représentation classique des westerns puisque rares sont ceux qui ont pour personnage un noir, sauf à les représenter comme esclave ou esclave en fuite ou toute autre représentation de dominé. John Ford dans Le sergent noir en 1961 avait montré la présence des noirs dans les corps d'armée nordiste. Sergio Leone avait employé Woody Strode, le même acteur qui jouait dans Le sergent noir pour un petit rôle dans Il était une fois dans l'ouest.

 Depuis, des personnages noirs ont régulièrement intégré les castings des western, que ce soit dans Impitoyable avec Morgan Freeman ou surtout dans Les mystères de l'Ouest avec Will Smith dans le rôle principal de James West.
Le choix de ne pas mettre d'acteur noir dans ce film alors même que la victoire contre les aliens passe par la réunion de toutes les communautés existantes est particulièrement osé. On peut interpréter ce choix de bien des manières. On peut aussi donner le crédit de ne pas avoir voulu "surcharger" le message du film. Mais cela reste surprenant surtout quand on lit ce qui est marqué en fin de générique.
En effet, comme chaque fois qu'un film utilise des animaux, il est fait mention qu'aucun d'eux n'a été violenté ou blessé pendant le tournage. Les amis des bêtes sont d'ailleurs très vigilants sur ce point, d'autant que certaines séquences pourraient laisser penser que les chevaux auraient pu en effet se blesser!
Plus drôle est cette mention sur l'usage du tabac. Chose curieuse pour un film contemporain, on voit des personnages fumer le cigarillo et Jack se roule même une cigarette! Alors, à la fin du film, il est signalé que la consommation de tabac dans le film se fait dans une perspective artistique et n'est bien entendu nullement une promotion de l'usage du tabac. On voit bien ici la puissance des lobbies anti-tabac qui arrivent à faire écrire cela sur un générique de film! En revanche, rien n'avertit les spectateur que l'usage d'armes à feu est dangereux et qu'il ne s'agit que d'une fiction. Pourtant, son usage est au moins aussi dangereux et plus radical que la consommation de tabac. Et pour n'en rester qu'à la consommation, Jack peut boire autant de whisky qu'il le veut sans qu'une mention ne prévienne de l'alcoolisme sur le générique!


Conclusion
Cowboys et envahisseurs est donc un film grand public qui joue sur tous les registres et s'adresse à tous les publics. Sur bien des points, il répond à la présentation classique des Américains: l'individu au service de la communauté, la cohésion des communautés fait la puissance et la richesse des Etats-Unis, la rédemption est toujours possible si on choisit de faire le bien. Pour mettre en scène ces idées, le film doit se protéger de certains lobbies comme celui de la protection des animaux ou celui luttant contre la consommation de tabac. On peut imaginer que l'absence d'acteurs noirs relève d'une volonté de liberté qui existe encore dans le cadre d'un casting ou de l'écriture de scénarios. Mais surtout, peut-être que pour magnifier les valeurs américaines, les scénaristes ont voulu se repencher sur les deux communautés fondatrices du mythe du western, les cowboys et les indiens, pour montrer que le salut américain passe justement par une entente entre les communautés américaines. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé aussi durant la seconde guerre mondiale. Et les indiens ont aussi combattu contre l'ennemi nippon comme le montrait déjà Clint Eastwood dans Mémoires de nos pères en 2006, avec Adam Beach dans le rôle de l'indien combattant à Iwo Jima. Or c'est ce même Adam Beach qui joue le rôle de l'indien dans Cow boys et envahisseurs et qui combattra pour plaire au plus américain du film: Woodrow - Harrison Ford. Un message plus proche d'Obama finalement que des faucons républicains. A ceci près que comme après la seconde guerre mondiale, le point de vue final ne mêle pas les Blancs aux Indiens mais présente assurément la victoire des Blancs...


A bientôt

Lionel Lacour

jeudi 18 août 2011

La planète des singes 2011: le mythe régénéré!


Bonjour à tous,

avant la sortie du film La planète des singes: les origines, j'avais proposé le 8 août une petite analyse comparée entre les trois version de cette donc fameuse "Planète des singes" (voir article Le retour de La planète des singes) N'ayant pas vu alors le film de Rupert Wyatt, j'osais espérer qu'elle ne pourrait être que plus convaincante que celle de Tim Burton. Et compte tenu de l'angle d'approche, novatrice par rapport au livre de Pierre Boulle mais aussi par rapport à la première version cinématographique, j'imaginais que, si le film était réussi, une suite serait envissageable.

Après avoir vu le film, je peux dire que ma surprise a été grande et que je suis sorti de la salle plutôt enthousiasmé du spectacle que j'avais pu voir.


voir aussi
Le retour de La planète des singes?
et
La planète des singes: l'affrontement


1. Un blockbuster?
Comme le dit la critique de Télérama, ce film est un "faux" blockbuster. Que pouvait-elle entendre par là? Tout simplement que tous les ingrédients sont présents pour faire du film une autre production américaine à la Emmerich: des effets spéciaux dans tous les sens, des scènes d'action spectaculaires, des mouvements de caméra virevoltants... Oui, tout est bien présent. Sauf que Ruppert Wyatt aurait pu comme d'autres tomber dans la mode du cinéma en relief. Quand on regarde le film, on imagine combien d'autres réalisateurs se seraient vautrés dans l'utilisation abusive de ces scènes de surgissements, de gorilles hurlant face caméra, d'hélicoptères fonçant sur l'écran ou encore de scènes aériennes au sommet des séquoias ou du Golden Gate.
Or rien de cela. Non, Ruppert Wyatt a su garder la magie du cinéma, en deux dimensions, parce que lui, peut-être à la différence de bien d'autres, a su mettre en scène un scénario qui était autre chose qu'une histoire spectaculaire. Pour cela, il faut reconnaître aux deux scénaristes Rick Jaffa et Amanda Silver une vraie intelligence tant dans le récit que dans l'interprétation qu'ils ont faite de l'oeuvre. En réalité, si le livre de Pierre Boulle est crédité, c'est plutôt vers la version de F.J. Schaffner qu'il faudrait plutôt trouvé une réinterprétation. Et Ruppert Wyatt, en montrant des images de Charlton Heston dans la version originale de La planète des singes passant à la télévision, ne s'est pas caché dans la référence qui l'a inspiré.  En effet, l'intelligence de la version de 1968 avait été de garder tout du livre, à l'exception du chapitre introductif et des deux autres de conclusion, pour finir sur une scène d'anthologie: la planète des singes révélant son secret par la vision apocalyptique de la statue de la Liberté ensablée.


La version de Schaffner introduisait dans son film l'angoisse majeure de l'époque, celle d'un nucléaire pouvant éliminer la civilisation humaine. La version 2011 s'est affranchie du livre en racontant l'histoire à l'endroit, ce que la saga commencée en 1968 allait expliquer à partir de l'épisode 3 jusqu'au 5 (Les évades de la planètes des singes, La conquête de la planète des singes, La bataille de la planète des singes), mais elle a compris que l'utilisation de l'image d'une planète passant sous contrôle des singes impliquait un discours sur notre civilisation, ses angoisses et ses dangers quand Tim Burton ne faisait que salement une caricature sans âme et sans intérêt de ce qu'était censée être la société humaine. Ruppert Wyatt a quand même introduit des scènes de très grand spectacle plutôt réussies avec l'invasion progressive de San Francisco par les primates jusqu'à la traversée monumentale du Golden Gate. Les amoureux des grandes séquences mouvementées y trouveront leur compte!

Un film de Vincenzo Natali en 2009.
2. Une vraie radiographie du monde contemporain
En 2009 sortait le film Splice avec notamment Adrien Brody. Le scénario est assez proche de celui de La planète des singes: les origines. Deux scientifiques ont créé dans un laboratoire des êtres vivants à partir d'ADN de diverses espèces. Au moment de montrer leur découverte aux investisseurs potentiels du laboratoire, ces deux créatures s'entretuent violemment, mettant fin aux recherches. Sauf que ces deux scientifiques continuent et créent en secret un être vivant avec en plus de l'ADN humain. Cette créature se développe, devient intelligente et doit être sortie du laboratoire et éduquée à l'écart du monde...
Sans raconter la fin, les spectateurs ayant vu la dernière version de la planète des singes y verront quelques similitudes. Outre le déroulé narratif, elles relèvent d'abord de cette angoisse de nos sociétés face aux progrès de la science, et notamment dans la manipulation des gènes. Mais si Splice n'est au mieux qu'une série B avec un dernier acte à la limite du ridicule, le film de Wyatt ne souffre ni de moyens, la motion capture est maîtrisée à la perfection, ni de développement scénaristique permettant d'aller au-delà de la simple intention de Splice.
En effet, le héros, Will Rodman, interprété par James Franco, a une motivation dans sa volonté de développer un sérum biologique à base de virus. S'il le teste sur des chimpanzés, c'est dans un objectif thérapeutique pour les hommes: soigner la maladie d'Alzheimer. Le sérum test s'appelle d'ailleurs ALZ 112. Cette motivation est liée à cette maladie dont souffre son père. Quand la démonstration de la réussite de l'ALZ 112 échoue, Will récupère en secret le petit d'une chimpanzée qui lui a transmis génétiquement le sérum qu'on lui transmettait. S'en suivent alors des séquences d'éducation du jeune chimpanzé.

Incroyable Andy Serkis dans le rôle de César
tenant dans ses bras son "grand-père"
L'intelligence du scénario est dans la manière d'inscrire sans grandes phrases démonstratives une réalité sociale de plus en plus importante pourles spectateurs: la cohabitation de trois générations avec des parents qui vieillissent et dont s'occupent les enfants et des enfants qui doivent être éduqués parfois longtemps. Pour les premiers, ce vieillissement implique de plus en plus une sénilité que la maladie d'Alzheimer accélère et qui traumatise tous ceux qui la vivent en tant qu'accompagnant et qui est redouté par tous. Les noms d'acteurs célèbres étant morts de cette maladie vient rappeler qu'elle touche tout le monde, de Peter Falk en passant par Annie Girardot et même Ronald Reagan.
Ce que le film montre aussi, c'est les liens qui existent entre le monde capitaliste et la science. L'un a besoin de l'autre et réciproquement. Mais si la science est mise en cause dans le film, c'est davantage le monde capitaliste représenté ici par un laboratoire pharmaceutique et biologique qui est le plus criticable. Cela aussi s'inscrit dans les sentiments des populations occidentales comme des pays du Sud. Le film généralise une situation mais qui paraît crédible au regard de certains faits ou de certaines rumeurs. N'a-t-on pas dit que le SIDA était une maladie créée par l'homme, testée sur des singes et transmise ensuite par erreur et par contagion à l'ensemble de la planète? En jouant sur des angoisses primaires et sur des peurs collectives, Wyatt réussit ce que Schaffner avait fait avec l'angoisse du nucléaire.
Ainsi, en mêlant les peurs quotidiennes liées au vieillissement de la population et celles dues à un capitalisme incontrôlable se servant d'une science expérimentale et apprentie sorcière, le film peut ensuite imposer un discours, quitte à ce que certaines facilités scénaristiques existent.


Plongée extrême pour montrer l'état de domination
des primates par les hommes.
Ruppert Wyatt usera de ce même procédé classique
pour illustrer le renversement de situation.
3. Un discours moral
Le film de Ruppert Wyatt et un film de grands sentiments. La haine de la violence, , la générosité, la reconnaissance, le respect de l'autorité et le respect des autres et de soi irriguent le film.
Ainsi écrit, cela peut ressembler à n'importe quel film américain plein de guimauve. L'intérêt du film est que cela passe surtout par les singes et leur comportement, à commencer par celui adopté par Will, César. A noter que le nom César est celui de la première saga et qui soulèvera les singes dans La conquête de la planète des singes.
Le premier grand sentiment qui est évoqué, outre celui de l'employé qui rechigne à tuer les chimpanzés du laboratoire et refuse à tuer le bébé, futur César, est l'amour d'un fils pour son père, atteint donc de la maladie d'Alzheimer. Jamais le fils ne manifeste un quelconque regret de s'occuper de son père mais de la tristesse de voir ce qu'il est devenu, lui l'ancien professeur de piano. C'est cet amour pour son père qui lui fera tester sur lui l'ALZ 112, en dehors de tout protocole et encore plus d'autorisation du laboratoire, pour qu'il guérisse. Ce qui se passe effectivement. Mais cet amour filial passe aussi entre Will et César devient le vrai fils de la famille, apprenant comme un écolier, jouant comme un enfant, s'habillant comme un humain. Cet amour familial passe dans des scènes quotidiennes dont une émouvante où César aide son "grand-père" à tenir ses couverts. Sans mot, juste par le geste, tout l'amour et le respect de l'ancien est illustré dans cette séquence.
D'autres séquences montrent encore le respect de l'autorité comme lorsque César demande gestuellement à Will l'autorisation de grimper à un Séquoia.
Ce qui n'est alors qu'une séquence spectaculaire qui permet à César de voir San Francisco de haut devient ensuite une figure récurrente dans le film. Cette verticalité qui place celui qui détient l'autorité au dessus. Quand le dirigeant du laboratoire arrive dans son entreprise alors occupée par les singes, une contre-plongée extrême le positionne clairement "sous" les singes qui dominent désormais l'espace. Wyatt use souvent de ce type de plan pour resituer les personnages, humains ou simiesques, dans leur hiérarchie. Car le film montre aussi que chacun doit avoir sa place dans une société. Quand César est "emprisonné" avec d'autres primates, il se sent humilié car il se sent finalement plus humain que primate, doute qui l'avait d'ailleurs exprimé de diverses manières dans le film. Sa période d'emprisonnement lui permet de comprendre où est sa place et donne lieu à des séquences de grande intensité, que ce soit entre singes ou entre César et les hommes.
Mais la morale du film porte aussi sur la place de la violence. Celle-ci conduit au désordre et à la rupture de la paix. César en fera l'amère expérience. Alors que son "grand père" est agressé par un voisin ne comprenant pas qu'il souffre d'Alzheimer, César vient le défendre violemment. Ce qui précipite son enfermement. Dans un autre registre, Jacobs, le patron du laboratoire accélère les essais du ALZ 113 car très prometteur en terme de réussite médicale mais surtout de revenus pour son entreprise, alors même qu'il avait justement interrompu les essais de l'ALZ 112. Ce sont les essais non maîtrisés sur l'ALZ 113 qui entraîneront les désastres à venir dans le film. Dans les deux cas, la violence entraîne une rupture d'équilibre. Peu importe qu'elle soit sa forme et son origine. Celle de César était due à l'amour pour le père de Will et s'est manifestée par une explosion physique. Celle de Jacobs était due à l'avidité et s'est manifestés par une débauche non maîtrisée de moyens pour créer l'ALZ 113. Les conséquences sont désastreuses dans les deux cas.
C'est ainsi que César comprend, dans son propre cas, que la violence n'est pas une solution et qu'il empêche chaque fois qu'il le peut, qu'elle se manifeste de manière gratuite et démesurée. C'est ce refus de la violence qui lui fera dire NO contre l'homme qui veut le frapper ou contre les singes qui veulent tuer un homme rendu inoffensif.

Conclusion
Le film a quelques imperfections sans gravité. La possibilité biologique pour qu'un singe parle ne dépend pas de son intelligence. Mais le film est une parabole comme pouvait l'être le livre ou la version de 1968. Certaines réactions peuvent sembler trop exagérées, notamment l'enthousiasme de Jacobs pour l'ALZ 113 alors même qu'il avait stoppé net le développement de l'ALZ 112 sans aucune enquête sur les raisons de sa défaillance. Mais le spectateur acceptera cela sans aucun problème parce que le propos du film est ailleurs. Le tour de force du film de 1968 était sa séquence finale, qui, à sa sortie, était absolument cauchemardesque. En racontant l'histoire dans le bon sens, Wyatt s'évitait une rupture de cohérence temporelle. Mais il s'empêchait aussi un retournement de situation comme en 1968. Et pourtant, les scénaristes et le metteur en scène ont réussi ce tour de force de créer une fin sans effets spéciaux monstrueux, juste par la maîtrise du récit et de l'image à générer une angoisse chez le spectateur qui peut suffire pour un seul épisode mais aussi ouvrir la porte à une suite, ce que j'envisageais déjà le 8 août sans avoir encore vu le film. Mieux, le film laisse sans aucun doute des pistes sur la découverte par d'autres hommes d'une planète conquise désormais dominée par César et d'autres singes. Je ne peux hélas révéler ce dont il s'agit mais elle résonne en nous comme la statue de la Liberté faisant face à Charlton Heston! Avec cette approche supplémentaire: le monde n'est plus divisé en deux camps mais bien en proie à une mondialisation inéluctable. Ce que la version de Tim Burton ne permit jamais tant il s'était perdu dans le temps, l'espace et les idées, celle de Ruppert Wyatt est prometteuse d'une suite qu'on espère au moins d'aussi bonne qualité.

A bientôt
Lionel Lacour

lundi 15 août 2011

Captain America: encore un super héros américain

Bonjour à tous,

En cet été de sortie de blockbusters, je voulais faire un petit point rapide sur la sortie de la prochaine adaptation cinématographique de Captain America: first avenger. Elle semble être la continuité des adaptations des différents super héros de bandes dessinées qui reviennent régulièrement à l'écran aux USA. Comment peut-on expliquer ce retour régulier de ces adaptations à l'écran?

1. Une spécificité américaine

les USA ont ceci de particulier, c'est notamment de se représenter sous des formes allégoriques de super héros dont chacun représente en quelques sorte une des spécificités du pays. Superman, héros surpuissant venant d'une autre planète est le garant des libertés et de la paix contre les ennemis étrangers. Spiderman représente l'Américain banal qui se trouve doté non de pouvoirs au sens propre du terme mais de capacités extra-humaines et qu'il met au service de la justice. Batman est une sorte de héros rooseveltien puisqu'il ne dispose d'aucun super pouvoir mais il met sa fortune au service de la société contre toute forme de dictature et pour le bien de sa cité. Le président démocrate était lui-même un grand bourgeois qui avait rejoint le camp démocrate justement pour défendre la populations contre la crise et ses effets. Batman, né en 1939, ne pouvait être vu que comme un héros démocrate.
Tous les films ou séries qui ont adapté ces héros au cinéma ont en règle générale repris ces caractéristiques principales mais au fil du temps, ils ont cherché à humaniser davantage ces personnages, entrant dans leur psychologie alors même qu'ils n'avaient été créés que pour représenter les USA dans l'image de ce que son peuple se représentait de lui-même.
Né en 1932, Superman apparaît pour la première fois dans un Comics en 1938
avec son slip rouge, comme dans la version de gauche de 1940, disparu dans la version de 2011.
Les explications sur l'origine des pouvoirs de Spiderman ou sur la genèse de Superman étaient apportées a minima puisque ce qui comptait était bien leur mission. On retrouve ainsi derrière une origine quasiment messianique de ces super-héros: ils ont une mission et les USA sont le nouveau Jérusalem!
Mais comme dans la Bible, les super héros ne sont pas toujours appréciés et sont souvent jugés hâtivement dans leurs actions. S'ils ne sauvent pas à temps, ils sont critiqués puisqu'ayant failli à leur mission. Ils trahissent les Américains qui avaient vus en eux leur sauveur. Cette récurrence des désamours entre les populations et les super-héros montrent aussi une des caractéristiques des USA. Ils sont attendus - du moins le pensent-ils - comme des sauveurs mais s'ils échouent, ils sont aussitôt critiqués, calomniés voire reniés. Ce que les spectateurs américains ressentent en voyant chaque épisode de toutes les adaptations filmiques, c'est-à-dire que le héros est injustement méprisé, correspond aussi à ce qu'ils pensent d'eux-même et de leur pays. Les USA sont les super-héros de la planète et les autres les aiment quand ils réussissent leur mission qu'ils se sont parfois auto-attribués!

2. Une comparaison européenne nécessaire
A la différence des USA, il n'y a pas de super-héros français, allemand, italien ou espagnol. Rien que des héros bien charnels, que ce soit Jean Valjean, Sherlock Holmes, Don Quichotte etc. Cette différence s'explique parce que l'Europe, si elle constitue une civilisation, ne constitue en aucun cas une Nation. Ainsi, quand la culture du héros américain a besoin d'un héros, il doit chercher un personnage transcendant des valeurs d'une Nation constituée de différentes communautés. Il ne peut être catholique au risque de s'opposer aux Protestants du pays. Il doit défendre des causes transversales et pas des particularismes. En revanche, la culture européenne offre des héros bien ancrés dans leur culture: le flegme britannique, la capacité de révolte du Français. C'est ensuite que s'opère une possible universalisation des héros et des situations. Il est tout à fait remarquable de voir comment a été adapté le roman de Hugo Les misérables et comment il a été reçu dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux USA! A partir d'une histoire justement tellement contextualisée dans le XIXème siècle bouillonnant français, le discours historique est devenu une simple toile de fond pour transmettre un message universel. Quant à Sherlock Holmes, le personnage so british de Sir Conan Doyle a été adapté maintes et maintes fois à l'écran, se transformant progressivement en un vrai héros digne des Marvels, les dernières versions portées à l'écran le prouvant. Il a même inspiré une des séries les plus remarquables de ce XXIème siècle: Docteur House.

Quant aux héros de la mythologie scandinave et germanique, ils ont bien sûr influencé la culture européenne, mais d'abord comme élément d'identification et d'unification de nations comme celle allemande. Wagner et sa tétralogie n'ont pas incorporé les dieux dans le XIXème siècle.
Ce sont les Américains qui ont utilisé la culture européenne - étant d'origines européennes pour la plupart - pour la transformer parfois en "produits" américains. Thor, le dieu scandinave est devenu un super héros côtoyant certains super-héros comme Iron man ou justement Captain America.






3. Captain America: un héros à part
Né en décembre 1940, ses premières aventures sont publiées en mars 1941 dans Timely Comics, ce personnage n'est pas en soi un super-héros. Steve Rogers, le vrai nom de Captain America, est un Américain typique qui a grandi pendant la grande dépression des années 1930. Quand l'Europe se déchire, il décide de combattre le nazisme. Mais il est chétif. Il accepte alors de tester un sérum qui fera de lui un super-soldat. Son existence provient donc ouvertement d'un engagement pour la défense de valeurs démocratiques et anti-totalitaires. Il est le seul héros qui porte clairement le nom America, même si Superman en portait déjà, les couleurs.
Ainsi, en étant publié en mars 1941, Captain America devient en quelque sorte le premier américain entré ouvertement dans la Seconde Guerre Mondiale. Par ses motivations, il peut être considéré lui aussi comme un héros rooseveltien quand le président qui annonçait la neutralité des USA tout en dénonçant les exactions nazies et en appelant les Américains à choisir leur camp selon leur conscience.
Portant lui aussi les couleurs des USA, Captain America aura une "carrière" mouvementée puisqu'il sera congelé à la fin de la Second Guerre mondiale avant de retrouver la vie dans les années 1960, en plein "dégel" des relations américano-soviétiques.


Affiche de la version 1990


Il sera également adapté plusieurs fois sur le petit comme sur le grand écran. La dernière en date remontait en 1990 et était d'une qualité très médiocre. Elle correspondait de fait à la fin de la guerre froide et l'affirmation de la toute puissance américaine de George Bush face au déclin inexorable de l'URSS. Sorti en décembre 1990 au Royaume Uni, il ne sorti qu'en vidéo aux USA, preuve de la piètre qualité du film, et en 1992 seulement!






Chris Evans, la Torche humaine des Quatre fantastiques
devient Captain America version 2011


Que représente alors cette nouvelle version de Captain America: first avenger?
Ce qui semble évident, c'est bien de voir que, contrairement à la version de 1990, l'histoire se passe au moment ou le héros, Steve Rogers, devient Captain America. Or, en prenant ce point de départ, Captain America est à nouveau présenté comme un Américain décidant finalement de se sacrifier, puisqu'il teste un sérum sans que l'on sache vraiment les conséquences sur le corps humain, mais dans un objectif clair: celui de combattre le totalitarisme et faire valoir les valeurs américaines. Comme il a été dit plus haut, Captain America était un héros rooseveltien, c'est-à-dire démocrate. En reprenant l'histoire à se genèse, les scénaristes et réalisateur (respectivement Christopher Markus et Stephen McFeely pour le scénario, Joe Johnston pour la réalisation) positionne clairement leur personnage dans un retour aux sources, celui de la nécessité de défendre les valeurs américaines faites de liberté et de démocratie. Lu au présent du spectateur de 2011, la transposition entre les motivations de Captain America en 1941 et la situation des USA aujourd'hui est assez facile à voir. Les Américains interviennent en Afghanistan voire en Irak pour défendre les mêmes valeurs qu'en 1941. Un tel film sorti avant 2008 aurait pu être catalogué pro-administration républicaine, celle des Faucons au service de George Bush junior. Sorti en 2011, avec comme sujet l'origine de Captain America, c'est à la fois maintenir la continuité de la politique américaine tout en préférant l'approche démocrate du successeur de George Bush. Barack Obama n'a jamais remis en cause officiellement l'intervention américaine mais a réorienté ses motivations.


Conclusion
Les USA n'en ont donc pas fini de se raconter par des super-héros allégoriques. A chaque période clé, ce sont des cohortes de films revisitant leurs mythes comme autrefois les Grecs anciens se racontaient les aventures et tribulations de leurs dieux de l'Olympe et de leurs héros. Reste à voir, pour cette dernière version de Captain America si la morale du film accompagne bien la nouvelle orientation prise par le président Obama ou si  le film ne fait que, au mieux, raconter à nouveau et à force d'effets spéciaux les origines du héros américain, ou, au pire, si le film reprend ce qui parfois génère l'anti-américanisme, c'est-à-dire en présentant les USA comme impérialistes et supérieurs aux autres. Au regard du sujet et du résumé de présentation, on peut espérer que non.
A vous de juger mercredi 17 août 2011!

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 9 août 2011

Emeutes au Royaume Uni août 2011 et Harry Brown


Images de Londres 7 août 2011 - Photo Leon Neal / AFP
Bonjour à tous.

Un petit papier très court pour mettre en relation actualité et cinéma.
En janvier 2011 sortait le film Harry Brown. J'y consacrai un article pour comparer la représentation de la violence urbaine montrée dans ce film avec celle présentée dans les médias et les films français.

Ce qui saute aux yeux est l'extrême violence qui est montrée dans les images télévisées anglaises qui correspond à celle mise en scène par le réalisateur. De même, le déclenchement de l'émeute est dans le film comme à Londres cet été dû à une intervention policière gênant les activités illégales de certains jeunes ou moins jeunes.

La réaction policière dans le film apparaît comme disproportionnée. A y regarder de plus près, l'engagement de David Cameron de passer de 6000 hommes à 16000 dans les zones d'émeute n'est pas une mince réaction!

Contrairement aux émeutes de 2005 ayant eu lieu en France, aucune information ne remonte des médias anglais pour expliquer cette violence comme étant due à des problèmes d'intégrations des populations immigrées ou à des différenciations ethniques que subirait la société anglaise. Dans un pays qui a longtemps vanté une gestion communautariste des différents groupes de sa population, il n'y a rien d'étonnant. En revanche, on peut s'étonner que les journalistes français ne s'interrogent pas davantage sur ce point précis. Pour mémoire, les casseurs cagoulés de 2005 étaient souvent assimilés à des jeunes issus de l'immigration et en échec d'insertion dans la société, pour ne pas dire d'intégration, alors mêmes que ces jeunes cagoulés pouvaient être de la 3ème voire 4ème génération post-immigration.
Est-ce à dire que les cagoules anglaises sont moins une preuve de marginalisation de la patrie britannique que ne pouvaient l'être la cagoule française de la patrie française? On peut aussi y voir un suivisme des sources britanniques sans analyse. On peut encore croire que les journalistes se rendent compte que les analyses de 2005 sont invalidées par les événements de ce mois d'août dans un pays ayant autrement géré ses populations immigrées ou issues de l'immigration.

On peut enfin et surtout se rendre compte que comme dans Harry Brown, l'explication de ces émeutes est avant tout sociale, expliquée par la crise financière et économique, et politique, marquée par l'incapacité des gouvernements en général et de celui britannique en particulier, à gérer socialement la crise.
Dans Harry Brown, le héros, issu du quartier enflammé réglait lui-même les problèmes des caïds, provoquant le mépris de nombreux critiques de cinéma. Or le film ne traduisait qu'une réalité du terrain.

Une banlieue en flamme, des policiers nombreux 
mais impuissants, et un sauveur illusoire devant:
une des affiches de Harry Brown
Quand l'Etat est défaillant, quand la Loi démocratique ne défend plus les plus faibles, l'Ordre ne se rétablit que de l'intérieur. Est-ce Bien? Du point de vue de notre société démocratique, certainement pas. Pour un réalisateur, cela permet une dramaturgie évidente. Et pour les spectateurs, ce personnage devient facilement un "Robin des Bois". A ceci près que, contrairement à ce que les plus farouches critiques dénonçaient du film, le calme obtenu par Harry Brown n'est qu'un calme relatif. Le spectateur sait très bien que rien n'est vraiment réglé, sinon un ordre temporaire, une quiétude momentanée jusqu'à ce que de nouveaux caïds ne prennent le pouvoir.

Harry Brown n'est pas un film prémonitoire. Il ne se nourrit que de ce qui gronde déjà et que les médias ne perçoivent pas. Une tension sous-jacente prête à exploser. Le film localisait son émeute urbaine dans une banlieue populaire. La réalité a dépassé ce cadre, allant d'abord en centre ville de Londres, puis se propageant dans d'autres villes en rien concernées par l'élément déclencheur des violences urbaines.

En ceci, il faudrait toujours voir un film sur l'analyse d'un fait sociétal non comme une prévision à la Cassandre, mais bien comme un symptôme. Et ne pas se contenter d'une analyse morale externe au film sans en comprendre le sens réel. Cela aurait par exemple évité à certains journalistes ou intellectuels de traiter L'inspecteur Harry de film fasciste!

A bientôt

Lionel Lacour

lundi 8 août 2011

Le retour de la Planète des singes?

Bonjour à tous,

après près d'un mois de congé, je reviens pour évoquer la sortie du film La planète des singes: les origines de Rupert Wyatt devant sortir ce mercredi 10 août 2011 en France.
Depuis la sortie du roman de science fiction de Pierre Boulle en 1963, plusieurs versions sont sorties dont la meilleure, celle de 1968 par Franklin J. Schaffner avec Charlton Heston qui donna lieu à une saga d'en tout cinq épisodes (La planète des singes, Le secret de la planète des singes, Les évadés de la planète des singes, La conquête de la planète des singes et enfin La bataille de la planète des singes).
En 2001, Tim Burton tentait une version différente de La planète des singes avec des effets spéciaux qui auraient dû faire oublier la version de 1968... Enfin, vient cette nouvelle version.
(pour une analyse spécifique du film La planète des singes: les origines, voir "La planète des singes: le mythe régénéré")
Voir aussi l'article sur La planète des singes: l'affrontement

1. De plus en plus éloigné de Pierre Boulle!
Ce qui est le plus intéressant, et à la fois normal, c'est que la version de Schaffner est celle qui est la plus proche de l'oeuvre littéraire dont elle est tirée. L'arrivée des astronautes sur une planète à atmosphère respirable est à peu près identique dans le livre et dans le film. Ensuite, et à peu de choses près, les deux oeuvres se ressemblent dans le déroulé et dans les personnages. Seule la fin diverge, gardant au livre son esprit de science fiction et en même temps en maintenant le lecteur dans un état de sidération. En revanche, le film se transforme en un seul plan en film de quasi anticipation dans lequel le personnage principal, l'astronaute, découvre qu'il n'a jamais été ailleurs que sur sa propre planète la Terre, et ce par la vue traumatisante de la statue de la liberté ensablée.


Dans l'oeuvre de Burton, tout est exactement l'inverse. La quasi totalité du film est contraire au livre. Certes, il y a bien l'arrivée d'un astronaute sur une planète. Mais telle que l'histoire nous est racontée, aucune ambiguïté n'est possible: il s'agit bien d'une autre planète puisque l'action se situe déjà dans l'espace, et très éloignée de la Terre. Tout le reste essaie de nous montrer une culture simiesque ayant les mêmes caractères que celle des humains, ou plutôt des Américains, avec des jeunes singes jouant et portant des tenues de basket ball, avec des dîners de gala et des tenues de
séduction dignes des comédies romantiques. Ainsi, c'est bien le choix inverse que Burton a fait par rapport à la première adaptation cinématographique: la version de Schaffner nous présentait une planète quasi désertique avec des singes au comportement et au tenues qui ne faisaient pas penser de prime abord à une transposition de notre planète, si ce n'est que les rapports étaient inversés: les singes parlent et sont civilisés, les humains sont muets et se comportent comme des bêtes sauvages - à ceci près qu'ils se vêtissent de peaux de bêtes. Et c'est seulement au fur et à mesure que l'analogie entre la civilisation simiesque de cette planète et celle humaine de la Terre s'opère.La version de Burton nous plonge quant à elle directement dans une planète différente de la Terre mais avec tant d'éléments de ressemblance que d'emblée le spectateur est quasiment contraint de comprendre que le film est bien une fable mettant en scène une civilisation de singes "copiée-collée" à celle des hommes de la Terre. Seul hic, c'est que des hommes vivent sur cette planète mais qu'à la différence de la version de 1968, eux, ils parlent et semblent furieusement intelligents et débrouillards.



En fait, la seule fois où le film de Burton semble coller au roman, c'est dans la scène finale, quand le héros fuit cette planète dans son engin spatial, et introduit les coordonnées de la Terre dans son ordinateur. Il atterrit à Washington devant le mémorial où se trouve notamment les statues de Lincoln. Or il y trouve les statues de singes, dont celle du général Thade, le singe qu'il a combattu durant le film et qui est censé être mort. Si cette séquence est fidèle au livre, elle est pourtant d'un incohérence totale avec le film. Nous le verrons tout à l'heure.
  
La dernière version, qui sortira donc ce mercredi n'est pas une autre adaptation de l'oeuvre de Pierre Boulle. Comme son nom l'indique, l'action se passe avant que la planète Terre ne passe sous le contrôle des singes. Le point de départ est donc différent des deux autres versions. Il s'appuie surtout sur le fait que tout le monde connaît désormais cette fable, ce qui n'était pas le cas en 1968. Rupert Wyatt essaie de donner une version scientifique à ce que le personnage de Taylor interprété par Charlton Heston allait découvrir en 1968. Sauf que une des explications données en 1968 était que l'arrivée au pouvoir des singes était entre autre due à la guerre nucléaire détruisant la civilisation humaine. Des suites, déjà évoquées plus haut, allaient préciser ce qui étaient réellement arriver aux hommes. Pour revenir à cette dernière version, la question des origines de la planète des singes s'inscrit dans un contexte évident du XXIème siècle au regard des avancées scientifiques qui permettent d'entrevoir la création d'intelligence artificielle et d'influer sur le patrimoine génétique des individus. Alors pourquoi pas des singes? Cette approche se différencie de celle de la saga originale qui dans Les évadés de la planète des singes (Don Taylor, 1971) puis dans La conquête de la planète des singes (Jack Lee Thompson, 1972) critiquaient le déclin de notre société qui conservait des pratiques barbares comme la boxe. Les singes venus du futur, donc intelligents, étaient finalement traqués par les homes après qu'il leur eurent appris qu'ils avaient disséqués des hommes sur leur planète et surtout qu'ils l'avaient quitté juste avant qu'elle n'explose. Conscients du danger que pouvaient représenter ces êtres, et oubliant la cause de cette prophétie de Cassandre, des hommes voulurent les tuer eux et leur progéniture qui fut finalement cachée dans un cirque (Les évadés...). Dans La conquête..., le spectateur se trouve dans un monde qui correspond à aujourd'hui dans lequel la vie des espèces animales et végétales est de plus en plus difficile et où les grands singes sont utilisés comme de la main-d'oeuvre servile. Parmi eux se trouve César, fils des évadés. Il mènera la révolte des grands singes contre leurs maîtres humains. Ce film assez violent montrera une révolte de près d'une demi-heure filmée sur le modèle de la révolte de Watts en 1965. La critique est ouvertement un prétexte pour critiquer la situation des Noirs aux USA malgré les avancées législatives des années 1960.
Les temps ont changé, l'oeuvre de Boulle ne sert plus que comme point de départ à la réflexion des artistes qui l'interprète en fonction des problèmes de leur temps. Et c'est en cela, entre autre, que le film de Burton déçoit puisqu'il n'apporte aucun point de vue sur son époque.


Ari, une femelle singe?
2. Cohérence et vraisemblance: avantage Schaffner?
D'autres éléments de différenciation existent entre les deux premières versions: les singes de Schaffner ressemblent à ceux décrits par Boulle: ils ne sont pas dotés de capacités physiques différentes de nos grands singes tandis que la version de Burton les dote de capacités extravagantes, notamment dans les bonds, transformant les chimpanzés en véritables sauterelles! Le spectateur ne peut qu'être troublé par la version de Burton dans cette approche du film: les maquillages et effets spéciaux sont d'une qualité nettement supérieure à la première version et pourtant, l'ensemble est moins crédible. En effet, les singes ressemblent à peine à des singes, l'héroïne étant plus proche du chat que du chimpanzé, adoptent des comportements ouvertement humains, notamment en terme de protocole et d'apparat, et réagissent néanmoins avec une violence bestiale inouïe dans certaines circonstances, laissant même le pouvoir armé à l'un d'entre eux ouvertement fou, qui lui ressemble vraiment à un singe -hormis ses sauts de plusieurs mètres de haut!.
L'autre élément d'incohérence qui peut apparaître est dans les origines de la culture des singes. Dans la première version, on évoque un temps passé, un législateur qui aurait été à la base de tout. Puis nous découvrons au fur et à mesure du film, que les hommes avaient autrefois été les êtres dominants de la planète et que les sages qui dirigent désormais, des Orang-outangs, le savent mais ne le disent pas. La civilisation humaine est reconnue pour sa supériorité mais aussi pour sa violence et sa capacité auto-destructrice. Dès lors, les décors et costumes des singes semblent pouvoir être compris comme une réponse à l'individualisme égoïste des hommes, et notamment les Américains, qui ont mené leur espèce à être relégués à l'état de bêtes sauvages. Les singes s'habillent et se logent quasiment à l'identique, les espèces sont à la fois hiérarchisées et en même temps traitées à égalité.


La version de Burton met un point de départ également religieux.  Mais si la version de Schaffner reste dans le flou des origines, Burton nous donne lui l'occasion de connaître le point de départ: tout aurait commencé à Calima, avec un père fondateur: Semos. Et c'est vraiment là que tout l'édifice de Burton s'effondre. En effet, Calima se trouve être le vaisseau que le héros, le capitaine Léo Davidson joué par Mark Wahlberg, a quitté pour rattraper un module dans lequel se trouvait un jeune chimpanzé. C'est en le cherchant qu'il fut pris dans une perturbation magnétique qui le fit atterrir sur cette planète. Manifestement, le vaisseau mère a lui aussi été pris car ce champ magnétique et s'est écrasé sur cette planète. Or ce vaisseau disposait de singes sur lequel étaient faits des expérimentations par des astronautes. Arrivés sur cette planète, les singes auraient pris le pouvoir sur les hommes, qui, mystère, n'auraient pas tiré avec leurs armes pour se sauver. Ces hommes se seraient donc trouvés sous la domination de singes qui n'étaient, rappelons-le que des singes! Et ceux-ci seraient devenus progressivement des êtres supérieurs. Et parce que cela semblaient ne pas suffire, les générations de singes qui n'ont jamais connu autre chose que leur planète se sont mis à développer une culture et une mode vestimentaire identique à celle des hommes de la fin du XXème siècle. Enfin, nous découvrons le pourquoi de Calima: il s'agit de lettres inscrites sur la paroi du vaisseau. Or il suffit au héros de frotter sur cette paroi pour voir se révéler d'autres lettres:


Ainsi, le lieu fondateur de la civilisation des singes porterait le nom de lettres seules restées visibles après que la poussière se serait déposée ce qui prouverait que le lieu avait été abandonné par les premiers singes dont Semos. Or ce sont eux qui ont transmis leur héritage aux suivants. Le nom de Calima est donc clairement créé pour donner au spectateur le sentiment d'assister à une révélation en même temps que les personnages du film.
Certains peuvent se satisfaire de cette explication. On peut se demander comment la poussière a pu tenir et rester tant d'années pour ne dégager que ces 6 lettres. On peut aussi se demander quelle utilité cette révélation a dans l'histoire si ce n'est dire aux spectateurs "méfiez vous des récits qui fondent le monde sur une genèse pas si merveilleuse que cela". Si la critique est acceptable, la transcription à l'écran est facile et ridicule.
Alors que dans la version de Schaffner les singes sont dotés d'armes à feu, ceux de Burton qui ont développé manifestement une industrie textile et autre leur permettant de ressembler à de bons petits américains, se battent avec des armes rudimentaires qui suffisent à dominer des hommes qui sont eux restés intelligents, et donc descendants de ceux du vaisseau spatial. Plus drôle: la seule arme "moderne" est un pistolet que le général Thade volera. Elle venait des hommes du vaisseau, preuve que ceux-ci en disposait d'une et qu'ils auraient pu tuer ces singes "rebelles"! Mais quand le petit singe perdu au début de l'histoire apparaîtra par enchantement dans son module, le capitaine Léo y récupérera une arme encore plus moderne qu'un simple revolver!
Enfin, la conclusion du film dont nous avons parlé plus haut continue à montrer les incohérences du scénario car comment le capitaine Léo peut revenir sur une planète semblable à la Terre, à Washington, avec des statues du général Thade dans ce film dont toute l'histoire donne comme justification à la planète des singes le développement sur une autre planète de deux espèces, hommes et singes, à partir d'un point de départ clairement identifié? Certes il y a eu des distorsions temporelles puisque le vaisseau mère a atterri sur la planète avant le capitaine alors que celui-ci était parti avant et a atterri après - idem pour le singe perdu dans son module aérospatial. Mais cette distorsion de temps était circonscrite à cette planète éloigné du système solaire! Si l'oeuvre de Schaffner joue sur une distorsion du temps, celle-ci se concentre sur la Terre. Burton ne peut en aucun cas jouer sur les deux tableaux sans créer une autre incohérence dans son film.
Pour la prochaine version, pas d'incohérence possible puisque le scénario commence justement par le point de départ ce qui est d'ores et déjà plus facile dans l'écriture et plus facile à faire admettre aux spectateurs.

Conclusion
La comparaison de ces oeuvres mériterait bien plus que ces quelques lignes. Pourtant, il se dégage quelques points importants. Le livre de Pierre Boulle a créé par ses adaptations cinématographiques une fable exploitable et transcriptible comme l'oeuvre de Montesquieu l'a été pour Les lettres persanes. D'ailleurs, l'épisode Les évadés de la planète des singes reprend en quelques sortes cette manière de critiquer une société par des personnages venus d'ailleurs. Schaffner a transposé l'histoire initiale en l'adaptant pendant la période d'angoisse nucléaire post crise de Cuba. Rupert Wyatt profite des débats bioéthiques et scientifiques pour donner une origine crédible d'une possible future planète dominée par des singes. Burton a quant-à-lui profité de son talent pour revisiter une planète des singes correspondant à son univers fantastique. Mais si la morale de ses films pouvait accepter un certain simplisme comme dans son chef d'oeuvre Edward aux mains d'argent, l'oeuvre de Boulle ou la relecture du film de Schaffner lui a complètement échappé, transformant le tout en une farce grotesque mêlant clin d'oeil publicitaire (la chimpanzée reprenant à son compte une pub de L'Oréal!), vision médiévalo-futuriste de sa planète, casting tape à l'oeil (ah! la belle mannequin Estella Warren, paysages et décors digne d'heroïc fantasies et bataille péplumesque. Le tout ne fait pas un film, hélas, et encore moins un discours. Tim Burton a cependant pour lui l'excuse de n'avoir pas pu faire le film qu'il désirait étant en conflit avec la production. Pourtant, les films de la saga initiale n'ont pas manqué de problèmes de production, les budgets de chacun des films fondant comme neige au soleil à mesure que les épisodes se faisaient de plus en plus critiques vis-à-vis des USA, avec un sommet dans La conquête de la planète des singes où les décors minimalistes rendirent finalement encore plus saisissant la rébellion des singes face à l'oppresseur humain et annonçant l'ère prochaine de la planète des singes sur fond d'incendies de la ville! Surtout, après le premier épisode, l'ensemble de la saga bénéficie d'une cohérence interne largement supérieure, même si les épisodes sont de qualités inégales.
Espérons que La planète des singes: les origines, qui surfe malgré tout sur la mode de présenter d'où partent les mythes (Batman begins, et dans une certaine mesure, le premier opus de Spiderman), permettra de faire oublier la version de Tim Burton en offrant une vision de son temps moins simpliste et préparant une suite intéressante. Si l'épisode 1 était réussi, gageons que le 2 suivra, d'autant que prenant l'histoire à l'endroit, il n'y aurait pas de problème de cohérence temporelle entre le présent du film et un passé explicatif.

A bientôt

Lionel Lacour

Pour une analyse du film La planète des singes: les origines, voir "La planète des singes: le mythe régénéré"