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vendredi 7 mai 2021

« La grande évasion » : ou l'apologie du libéralisme économique ?

Bonjour à tous

Rares sont les films de guerre qui ne racontent pas un projet mis en œuvre par les protagonistes. En 1963, John Sturges réalise La grande évasion, adapté du livre de Paul Brickhill relatant des faits réels, même si James Clavell et W.R. Burnett durent apporter des éléments dramaturgiques permettant un récit cinématographique plus clair. Le film qui rassemblait trois des 7 mercenaires  de Sturges, et toujours avec la musique géniale d'Elmer Bernstein, fut un succès considérable, les spectateurs se passionnant par l’organisation de l’évasion de masse des prisonniers d’un Stalag du IIIe Reich, situé en Pologne actuelle, offrant quelques séquences cultes autour de personnages tous incarnés par d’immenses acteurs. Mais au-delà de ce récit historique, en quoi les spectateurs, dont la majorité n’a pas été prisonnier de Stalag, ont-ils pu se retrouver ? Et si cette histoire n’était qu’une parabole dénonçant l’antilibéralisme ?

BANDE ANNONCE



Un groupe sous contrôle

Un camp de prisonniers est par définition constitué de deux catégories principales d’individus : les prisonniers et ceux qui gardent les prisonniers. Ce qui peut apparaître comme une tautologie est néanmoins à mieux analyser. En effet, ces deux catégories se subdivisent elles-mêmes en deux groupes. Chez les gardiens, il y a ceux qui commandent, les officiers, et il y a les exécutants. Chez les prisonniers, cette même distinction existe, à ceci près que les officiers ne décident de rien mais bénéficient de privilèges dus à leur grade.

Le film montre ainsi que le groupe des prisonniers se définit d’abord par la réduction de ses libertés. Bien-sûr celle de pouvoir franchir les limites du Stalag ou l’impossibilité de pouvoir échanger avec l’extérieur sans la validation de ceux chargés de les surveiller. Mais à l’intérieur de celui-ci, ce sont aussi les contraintes de circulation à certains moments de la journée, le tout rythmé par les sirènes des gardiens, l’interdiction de certaines activités ou au contraire l’obligation de produire pour ceux que représentent les gardiens du camp.

À plus d’un titre, certains pourraient y reconnaître le monde de l’usine, surtout celui de l’avant-guerre. En effet, quelques soient les compétences des individus, ils sont tous logés à la même enseigne. Si les officiers ont des privilèges, ils sont astreints aux mêmes privations de liberté que les autres. En un sens, les compétences individuelles de chaque prisonnier sont complètement ignorées par le système qui ne demande d’eux que de se soumettre en admettant la limitation de leur liberté et à ne pas faire valoir leurs talents spécifiques.

Un groupe est une somme d’individus

Si le point-de vue du film se limitait à celui des gardiens, toute forme d’individualisme apparaitrait comme une remise en cause de l’ordre établi. Et donc une rupture dans le projet assigné aux habitants du camp. Or le film s’attache au contraire à montrer que ce groupe voulu uniforme et soumis est constitué d’individus ayant soif de liberté et ayant des talents leur étant propres.

L'autorité des gardiens passe par la soumission des individus en veillant à ce qu’ils ne puissent constituer un groupe solidaire. C'est pourquoi ils isolent les récalcitrants comme le capitaine Virgil Hilts alias « le roi du frigo » qui ne cesse de vouloir s’évader. Les gardiens nazis l’identifient comme un individualiste qui nuit au confort relatif du groupe et de fait à la quiétude du camp. Le début du film montre de ce point de vue que les individus ont des aspirations qui peuvent être communes, recouvrer la liberté, mais des motivations et des objectifs différents. En isolant ceux qui mettent en œuvre leur projet d’évasion individuelle, les gardiens maintiennent donc le groupe dans une logique de division dont le seul point commun pouvant souder le groupe est la soumission aux ordres. Du point de vue du management, cela induit un renoncement des individus à leurs envies propres ainsi qu’à l’usage de leurs talents pour satisfaire un projet collectif imposé par ceux leur ôtant et la liberté et l’expression de leur talent.

Faire des individus un groupe pour un projet commun

Une fois les talents de chaque prisonnier identifiés dans le film, celui qui sait creuser, celui qui sait faire des faux papiers ou celui qui analyse les moyens d’évacuer la terre de tunnels creusés, Sturges s’attarde alors sur les talents de manager des officiers qui réussissent à faire des aspirations communes à chaque prisonnier un objectif à réaliser en commun : s’évader du camp.

Au contraire de ce que recherche les gardiens du Stalag, c’est l’addition de talents que les officiers prisonniers veulent obtenir pour atteindre l’objectif. Cela signifie de faire revenir des individus dans une logique collective. Au « roi du frigo », il s’agit de lui faire accepter que l’évasion organisée en groupe aura plus de chances d’aboutir que toutes celles qu’il a cru réussir avant de se faire reprendre à chaque fois. Pour tous, c’est faire accepter des compromis, des collaborations inhabituelles pour viser un succès commun répondant aux aspirations des individus.

Mais surtout, les officiers doivent accepter de ne pas être ceux qui savent et écouter l’expertise de ceux agissant pour que le projet aboutisse. En terme managérial, le N+1 peut se trouver à obéir au N-2 car lui à la connaissance. Les organisateurs de l’évasion se comportent donc à la fois en directeurs de projet, en promoteur d’alliance management mais également en manager devant gérer les egos de tous tout en ne nuisant jamais au bon déroulé du projet.

La souplesse libérale face à la rigidité totalitaire

Ce que le film va alors développer est que la suppression des libertés n’empêche pas en soi la fin de l’entreprise même si elle la complique. Aussi, les talents individuels seuls ne restent que théoriques. Additionnés et mis au service d’un projet collectif, ils ne font pas que se conjuguer, ils créent des solidarités et des compréhensions des enjeux de l’autre. Ainsi les tunneliers savent creuser et étayer leur ouvrage mais ils ne savent pas comment récupérer les matériaux dont ils ont besoin, comment évacuer la terre qu’ils creusent ou créer des moyens de se mouvoir en sécurité à l’intérieur du tunnel clandestin. Et celui qui sait où se procurer des étais ne servirait strictement à rien si ses compétences n’étaient pas mises à disposition de ceux en ayant besoin ! Le film montre ainsi l’enthousiasme communicatif chez tous les protagonistes à l’idée que le projet d’évasion réussisse.

Les prisonniers se trouvent donc dans une situation d’employés d’une entreprise dont l’activité est empêchée ou contrariée par des normes et restrictions administratives et dont seules leurs capacités à contourner et à jouer avec les règles leur permettent d’arriver à la mise en œuvre du projet. Cette débrouille passe donc par l’utilisation de matériaux de substitution (une pomme de terre pour faire un tampon), d’une logistique surveillant les interventions des autorités, d’une vigilance vis-à-vis de ceux pouvant nuire au succès du dispositif.

L’utilisation des talents malgré les contraintes dans un objectif enthousiasmant entraîne inéluctablement des interactions humaines aboutissant à la sensation de faire partie d’un groupe à préserver et à protéger. Le mode d’action dans le Stalag induit une forte discrétion. Et de fait, cela peut se produire également dans une entreprise devant sinon agir dans l’illégalité du moins en ne claironnant pas sur les toits les modalités mises en œuvre pour réussir à contourner les tracasseries administratives ! Cette discrétion implique donc une vigilance à l’égard de personnes dont il pourrait être à craindre qu’elles ne soient des infiltrés. Dans le cadre de l’entreprise, la sanction peut être évidemment financière et/ou carcérale. Dans le cadre du film, les informations d’un traître peuvent aboutir non seulement à la fin de l’entreprise d’évasion mais également à l’élimination des protagonistes.

De l’absence de concurrence dans les régimes totalitaires

Il y a donc trois territoires dans le film : la zone de production – le Stalag ; la zone de distribution – le Reich ; la zone de consommation – les terres libres. Or si les prisonniers maîtrisent la première malgré les contraintes qui s’imposent à eux et savent qu’une fois dans la troisième, ils seront totalement évadés, ils ne font qu’envisager comment évoluer dans la deuxième zone qui n’est plus celle des contraintes de production du projet mais correspond dans le monde économique à ce qui pourrait ressembler au marché dans lequel les évadés doivent se mêler pour atteindre leur cible.

Paradoxalement, dans une activité au sein d’une économie de marché donc concurrentielle comme aux USA, il y a deux types de produits. Ceux légalement produits et conformes et qui pour atteindre leurs cibles doivent se démarquer pour être identifiés facilement, quitte à se montrer au-delà du raisonnable. Et ceux produits illégalement et qui doivent passer sous les radars d’une administration cherchant à les éliminer. Dans le cas de La grande évasion, les évadés ne sont pas libres et doivent donc à tout prix se faire discret, se mêler aux autres produits, les habitants, pour ne pas être identifiés comme frauduleux. L’absence de concurrence dans un régime économique non libéral crée une uniformité des produits, tant dans l’aspect que dans les qualités intrinsèques. Pas de concurrence, donc pas de marques en compétition les unes contre les autres.

Ce qui fait la différence entre la vie dans le camp et la période transitoire vers les terres libres, c’est que les évadés évoluent dans un territoire dont ils ne maîtrisent aucun paramètre extérieur autre que ceux qu’ils ont imaginés et auxquels ils se sont préparés. Ils ont donc spéculé sur une évasion massive mais pour laquelle, une fois dehors, le groupe deviendrait un handicap car trop vite repérable. De fait est-il préféré de retourner à l’éparpillement des individus où chacun d’entre eux joue sa partition en solo ou presque. L’intelligence collective dans le camp  disparaît pour des projets individualistes face à un adversaire dont chaque élément connaît le territoire, le contrôle et maîtrise les différentes voies empruntées par les évadés. Cette variété de canaux de diffusion crée autant de signaux différents qu’un régime totalitaire et liberticide est capable d’identifier pour agir et intercepter les fuyards, aussi bien camouflés soient-ils.

La grande évasion ou la parabole du mur de Berlin ?

Le sort des différents évadés est pour la plupart loin d’être celui qu’ils avaient envisagé. Beaucoup sont repris, d’autres sont exécutés. Du point de vue des spectateurs, cela peut apparaître particulièrement contraire à ce que le cinéma hollywoodien avait habitué ses spectateurs : un happy end. Il est ainsi particulièrement éprouvant de voir « le roi du frigo » ne pas réussir à franchir la frontière de barbelés à moto dans une des scènes les plus célèbres du film voire du cinéma. Pourtant, certains réussissent à s’évader, malgré les difficultés. Ainsi, le faussaire interprété par Donald Pleasence s’en sort, aidé par un autre détenu, et bien qu’ayant perdu largement la vue. Ces quelques succès ne sont pas anodins et pas seulement faits pour satisfaire les spectateurs. En effet, la morale du film est justement dans la valorisation d’un système libéral face aux régimes totalitaires. Le génie du libéralisme est de pouvoir agréger les talents pour mener à bien un projet qu’un régime totalitaire peut certes contrecarrer mais jamais totalement empêcher quand la soif de liberté amène les individus à ne plus craindre les forces liberticides.

Or le film date de 1963. S’il évoque bien sûr le régime nazi, il se regarde au présent des spectateurs. Et ceux-ci ne peuvent pas manquer de faire un parallèle avec une situation leur étant familière puisque en 1961, l’URSS faisait construire le mur de Berlin pour mettre fin à la fuite des Allemands de l’Est vers l’Ouest. Et que cherchaient ces Allemands de l’Est ? La liberté, celle de se déplacer comme celle d’agir, de penser et de consommer.

La grande évasion est donc un des plus grands films de guerre mais il est aussi un des plus intelligents films de propagande pour défendre le modèle libéral et capitaliste défendu en Occident et particulièrement aux USA.

À très bientôt

Lionel Lacour

 

 

 

 

 

 

samedi 25 janvier 2014

Jugement à Nuremberg: une longue réflexion sur l'Histoire, le Droit et la Justice

Bonjour à tous,

en 1961, Stanley Kramer réalisait Jugement à Nuremberg, rassemblant pour l'occasion une pleïade invraisemblable de stars: Spencer Tracy, Richard Widmark, Burt Lancaster, Marlene Dietrich, Judy Garland ou encore Montgomery Clift.
Le film relatait le troisième procès de Nuremberg qui s'est tenu en 1948, après le plus célèbre organisé entre 1945 et 1946 et qui avait permis de définir de nouveaux crimes, notamment celui de crime contre l'Humanité.
Le film de Kramer s'inscrit dans un contexte historique très particulier. En 1961, la guerre froide n'est plus vraiment ce qu'elle était, malgré quelques coups d'éclat comme la construction du mur de Berlin par les Soviétiques ou bien la tentative de débarquement américain dans la baie de cochons à Cuba. En revanche, la question nazie semblait avoir été tranchée après les jugements de Nuremberg, ayant donné lieu à des condamnations allant jusqu'à la peine capitale. Si bien que ceux n'ayant pas été attrapés purent croire qu'ils ne seraient plus inquiétés après avoir fui dans certains pays peu regardant sur leur passé nazi ou pouvant tirer profit de ce passé, que ce soit aux USA ou dans le bloc de l'Est. Or, en 1960, l'arrestation d'Adolph Eichmann, nazi ayant eu en charge la mise en œuvre de la Solution finale, par les services secrets

samedi 2 mars 2013

Les guerres de la guerre froide au cinéma: Indochine, Corée, Vietnam


Bonjour à tous

Le traitement de la guerre est assez ancien et dès que la caméra a pu être mobile, des services d’opérateurs cinématographiques ont filmé les différents conflits et notamment la 1ère guerre mondiale. Cette même guerre, pour reprendre ce conflit qui fut le premier à avoir été souvent montré sur grand écran, a donné lieu à de nombreux films représentant des faits de guerre imaginaires, romancés, introduisant des personnages fictifs mais qui avaient pour caractéristique de représenter ce que les soldats avaient pu vivre. Du J’accuse ! d’Abel Gance à Sergent York d’Howard Hawks, c’est plus de 20 ans de cinéma qui ont permis de montrer la Grande Guerre dans les salles, la plupart du temps pour en dénoncer les ravages, avec la morale du « Plus jamais ça ». Après 1933, le discours allait changer et le pacifisme se muer en patriotisme voire en ultra-nationalisme.
La seconde guerre mondiale allait modifier un peu la donne en produisant un cinéma pendant cette même guerre mettant en scène « La guerre », quel que soit le camp : Italiens, Soviétiques, Allemands, Britanniques, Français et bien sûr Américains ont représenté leur pays en guerre, développant des histoires mêlant romance parfois à l’eau de rose, épisodes de bravoure et discours idéologiques.
Ce genre fut particulièrement développé aux USA, forts de leur industrie cinématographique puissante au service de l’effort de guerre mené par l’administration Roosevelt qui voyait dans la Warner Bros un soutien indéfectible.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce genre aurait pu sinon disparaître, du moins voir la production de ses films hollywoodiens diminuer. Or il n’en fut rien et ce pour plusieurs raisons :
- ce genre permettait de rappeler aux spectateurs américains l’effort de guerre qu’ils avaient consentis tout en renforçant l’idée que les Américains jouaient désormais un rôle majeur dans le monde grâce à leur intervention sur tous les fronts.
- la guerre s’était certes arrêtée mais les Américains étaient désormais une puissance occupante de l’Allemagne, de l’Autriche et du Japon. C’était autant d’histoires à raconter aux Américains.
- la Seconde guerre mondiale a été suivie presque immédiatement par la Guerre froide dans laquelle le camp occidental se présentait comme celui de la Liberté face à celui du totalitarisme. Dès lors, les films sur la seconde guerre mondiale continuèrent à être produits avec désormais une morale renforcée sur l’aide à la libération des peuples dont les Américains étaient l’instrument la permettant.

Dans ce contexte de Guerre froide et avec l’expertise d’Hollywood pour produire des films représentant un conflit dans lequel les Américains étaient engagés, il n’est donc pas anormal de voir des films sur la guerre de Corée être alors produits par les studios, même ceux plus Républicains.
Parmi ceux filmant ce conflit se trouvent des réalisateurs ayant participé à la 2nde guerre mondiale ou qui ont fait des films pendant cette guerre.
De fait, les films de guerre qui marquent justement l’après guerre sont particulièrement attachés à évoquer, à retranscrire des batailles, des faits de guerre. Deux aspects alors sont présents à l’écran :
- Le film sur une grande bataille qui montre la partie du commandement prendre des décisions et pour lesquelles les soldats ne sont que des pions de la stratégie des Alliés ou des occidentaux. Ce type de film concerne essentiellement les grandes batailles de la Seconde guerre mondiale.
- le film sur le combat mené par des soldats, des régiments, à hauteur d’homme, montrant l’aspect émotionnel, psychologique des combattants, pouvant remettre en cause le commandement ou leur motivation. Si de nombreux films sur la seconde guerre mondiale reprennent cette approche, il est assez étonnant de voir que c’est celle quasiment exclusive pour les films concernant les guerres menées par les Américains ou Français pendant la guerre froide.

Le film de guerre se reconnaît donc à plusieurs caractéristiques communes :
- Film relatant un conflit armé identifiable par les spectateurs et pouvant montrer les deux belligérants mais privilégiant un camp, généralement celui du pays du cinéaste.
- Image de combats divers (chars, avions, fantassins…) ou résultante des combats (blessés, hôpital de campagne…)
- Exacerbation des valeurs humaines : Bien et Mal
- Message idéologique clairement identifiable par le spectateur.

A ces caractéristiques, certains films peuvent apporter des nuances. Celles-ci sont essentiellement sur la distinction du Bien et du Mal.


Évolution dans le temps des représentations des guerres
Les premiers films sur la guerre de Corée ont été tournés pendant la guerre de Corée tandis que celle-ci a ensuite été filmée plusieurs décennies après par des cinéastes qui ne l’ont pas forcément vécue. Idem pour la guerre d’Indochine ou celle du Vietnam.
L’important à identifier est évidemment les spectateurs qui sont visés par le film.
Les films des années 1950 sont destinés aux spectateurs des années 1950.
Il faut prendre conscience que certains messages présents dans ces films peuvent très bien nous passer devant sans que nous ne les comprenions aujourd’hui. Les allusions à des situations politiques, à des personnages publiques, à des références culturelles signifiantes sont autant d’informations qui s’évanouissent si nous ne connaissons pas l’Histoire du pays où est produit le film.
De même, certaines allusions de films postérieurs à l'événement représenté à l'écran renvoient souvent à ce qui peut se passer au moment de la production et pas à la guerre qui est censée être filmée. C'est particulièrement le cas du film Mash de Robert Altman réalisé en 1970 dont le générique présente des images dont le spectateur pouvait les imaginer tout droit sorties de Life magazine. Et le début de l'histoire pouvait bien affirmer haut et fort que le film traiterait de la guerre de Corée, chaque spectateur pouvait comprendre qu'il s'agissait d'autre chose! Sur ce point, je renvoie à mon article de ce blog sur Mash 

Quoi qu’il arrive, il faut comprendre et admettre que plus l’événement est filmé après sa fin, plus l’analyse de ce film en dit autant si ce n’est plus sur, non pas l’événement en tant que tel, mais sur sa portée pour la population du pays qui a vécu ou subi la guerre.
L’absence de films n’est pas forcément, de ce point de vue un marqueur de la non importance de l’événement mais aussi une preuve de l’impossibilité de produire un film portant sur cet événement. Ce vide cinématographique peut se matérialiser par des informations cinématographiques non filmées : statistique du nombre de films portant sur l’événement donné. C’est particulièrement le cas pour la guerre d’Indochine.

ANALYSE CRITIQUE DE LA FILMOGRAPHIE POUR CES GUERRES
La guerre d’Indochine
Cette guerre aurait pu être marquée par de nombreux films tant le théâtre des opérations était propice à des films à grand spectacle (le cinéma américain l’a bien démontré pour la guerre du Vietnam).
Pourtant, la liste est assez courte (14 films notoires) des films réalisés sur ce conflit et près de la moitié l’a été par 2 réalisateurs seulement !
Cette faible production cinématographique est à mettre en relation avec le sentiment évident d’humiliation vécue par la France au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Elle démontrait qu’elle n’était plus cette grande puissance coloniale et que surtout, elle n’avait plus les moyens de mener une guerre outre-mer. A cette première humiliation s’en est suivie une autre, celle de la guerre d’Algérie qui fut une autre cruelle défaite, non militaire mais finalement diplomatique, idéologique et politique. Ces deux événements conjugués ont fait que cette guerre d’Indochine a peu été montrée sur grand écran et la grande bataille de Dien Bien Phu a mis près de 40 ans à être le sujet d’un film de cinéma, par un des réalisateurs français qui a le plus montré cette guerre, Schœndœrffer !


Séquence finale du film La gloire et la peur de Lewis Milestone (1959)
La guerre de Corée
Comme l'illustre La gloire et la peur de Lewis Mileston en 1959, le positionnement idéologique américain est assez clair : cette guerre est menée au nom du Containment imposé par Truman. Ainsi, la fin du film de Milestone affirme que ce que les soldats américains ont fait a permis à des millions de Coréens (et peut-être d'autres?) de vivre libres car ils ont repoussé les communistes "rouges" de la Corée du Nord. Les films qui représentent cette guerre sont essentiellement tournés durant les années 1950 et si certains films évoquent la dureté du conflit, notamment due aux combats en zone difficile et pour des motivations difficiles à évaluer pour des soldats américains, il y a peu de films qui remettent en cause cette guerre et ce pour plusieurs raisons :
- 1. Les USA n’ont pas perdu cette guerre
- 2. L’environnement politique américain était globalement très anti-communiste
- 3. La guerre marquait un moment de suprématie des USA sur l’autre bloc et globalement sur le monde,

Curieusement, les films sur la guerre de Corée n’ont quasiment pas produit de grands films au discours dépassant le cadre des spectateurs américains. Pourtant, la liste des réalisateurs est assez prestigieuse : Ford, Walsh, Brooks, Mann, Sirk ou encore Milestone. Mais aucun n’a véritablement produit de réel chef-d’œuvre concernant cette guerre. Samuel Fuller s’est au contraire certainement révélé par deux films qui montraient la guerre dans ses aspects les plus quotidiens, ôtant l’héroïsme si fréquent des films de guerre classiques.
C’est finalement Robert Altman qui allait aussi se révéler aux yeux des critiques, du jury de Cannes et des spectateurs avec MASH. Pourtant le film, s’il évoque bien le conflit de la guerre de Corée, en révèle un autre, en filigrane : celui mené au Vietnam à la même époque où est sorti le film.
Cette guerre sert souvent de référence et est associée à celle du Vietnam, notamment dans Le maître de guerre.

La guerre du Vietnam
Cette guerre doit être comprise par le cinéma comme celle la plus montrée à l’écran depuis la seconde guerre mondiale. Faire une liste exhaustive des films montrant, évoquant ou citant la guerre du Vietnam serait quasiment impossible tant ce conflit a marqué les mémoires collectives des Américains et, paradoxalement, les spectateurs des autres pays. Si la guerre d’Indochine ou de Corée n’ont pas donné de films majeurs (à l’exception de MASH), celle du Vietnam a au contraire donné naissance à des films d’une très haute qualité cinématographique, mêlés il est vrai à d’autres films beaucoup plus médiocres.
Au regard de la production, pléthorique, il faut d’abord constater que cette production est assez limitée pendant le conflit lui-même et John Wayne est finalement un des seuls à produire un film de fiction sur ce conflit alors même que les USA sont encore engagés au Vietnam. Il faut dire que les studios ont souvent été des soutiens sinon inconditionnels mais disons loyaux du gouvernement américain en guerre. Ce fut le cas pour la seconde guerre mondiale. Ce le fut aussi pour la guerre de Corée. En pleine guerre froide, la production cinématographique ne manqua pas de soutenir Truman et ses successeurs pour dénoncer le communisme et son impérialisme sous toutes ses formes, réel ou supposé. Les films maccarthystes furent légion et s’il y a bien eu des films anti-maccarthystes, ils furent souvent postérieurs et/ou par des angles indirects : Les sorcières de Salem (film français adapté de Miller en 1957) ou Johnny Guitar (Nicolas Ray, 1955) ne sont pas forcément des films qui s’adressent à un public populaire et qui attaquent frontalement et nommément les dépositaires des lignes les plus conservatrices des USA.
Il n’est donc pas inintéressant de prendre en compte cet état de fait pour réaliser que peu de films ont dénoncé ou critiqué l’engagement américain au Vietnam alors même que la presse américaine a progressivement puis radicalement pris fait et cause pour un arrêt de cette guerre. Le plus important est cependant ce que le cinéma ne montre pas plutôt que ce qu’il montre. En effet, le nombre de films sur la guerre du Vietnam pendant que celle-ci a lieu est assez faible alors même que l’engagement américain est bien plus important que pour la guerre de Corée que ce soit en durée ou en nombre d’hommes envoyés. Cette quasi inexistence de films, comparée à la surabondance de films produits pendant la seconde guerre mondiale, montre bien que les studios américains restent à la fois fidèle à leur position patriotique mais que cette position ne les entraîne pas non plus dans un enthousiasme débordant à produire des films favorables à l’intervention américaine. De fait, le film de John Wayne se trouve bien esseulé dans la production cinématographique américaine. En revanche, les dénonciations de cette guerre se retrouvent bien au cinéma mais, comme pour la dénonciation du maccarthysme, par des paraboles, des moyens détournés.
Ainsi; Rosemary's baby de Roman Polanski (voir article de ce blog sur ce film) montre l'héroïne en pleine ville entendant un bruit de moteur dans le ciel et, levant les yeux au ciel, aperçoit un hélicoptère à deux rotors. Pour un spectateur américain de 1968, il ne pouvait pas y avoir de doute quant à l'intrusion de la guerre du Vietnam en plein film, sous-entendant que ce conflit dépassait finalement les limites du simple territoire vietnamien. Quant à la séquence montrant la revue du Times dont la une indiquait que Dieu était mort, elle renvoie évidemment aux valeurs pour lesquelles les USA étaient partis en guerre. 
La séquence du mariage dans Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino tourné en 1978 ne disait pas autre chose: les soldats américains partaient pour la gloire de la patrie et pour Dieu!  




















Le chef-d'oeuvre de Francis Ford Coppola
Palme d'or à Cannes, 1979
C'est véritablement après la guerre que  le cinéma américain semble s’être senti poussé des ailes dans la critique et l’analyse de cette guerre. La production est assez importante et même les séries télévisées ont repris ce thème de diverses manières. Pour rester sur cet aspect, ce sont surtout les vétérans qui étaient le centre d’intérêt des séries télévisées. Ces personnages étaient doté d’une épaisseur psychologique très exploitable dans diverses intrigues quelles qu’elles pouvaient être : Magnum est un vétéran du Vietnam ainsi que ses amis, dans Les feux de l’amour (soap américain connu sous le nom de The young and the restless, un des personnages principaux, Jack Abott, a été soldat au Vietnam où il a eu un fils longtemps caché ! dans les premiers épisodes de Dallas, un vétéran vient perturber la relation entre Bobby et Pamela…).
Pour en revenir au cinéma, l’angle d’approche n’est pas si différent mais les moyens donnés beaucoup plus importants. La représentation de la guerre du Vietnam est alors assez proche des reportages de Life magazine, montrant les conditions difficiles pour des soldats envoyés extrêmement jeune si loin de chez eux pour commettre des atrocités au nom des valeurs américaines. Les chef-d’œuvres de Cimino, de Coppola dans les années 70 témoignent de cela sans pour autant vraiment filmer un fait de guerre particulier. C’est davantage le désarroi des troupes qui est montré, les traumatismes psychologiques qui sont filmés que la guerre menée par les USA. Cette approche est possible car Hollywood a changé et, ce qu’on a appelé « Le nouvel Hollywood » est désormais aux commandes des studios, proposant des films plus critiques, moins serviles vis-à-vis de Washington. Le travail entamé par Dennis Hopper dans Easy rider va donc continuer dans les années 1970 et les décennies suivantes.
La guerre du Vietnam au cinéma devient autre chose que cette guerre. Elle va cristalliser d’autres thématiques sur ce conflit, elle va générer sa propre mythologie avec ses héros déchus et ses caricatures. Ainsi, Rambo représente-t-il un personnage absolument profond dans le premier opus de la série (Ted Kotcheff, 1982), vétéran surpuissant et véritable allégorie des USA tandis que le Rambo des autres épisodes représente un autre personnage. Celui de Rambo 2 (réalisé en 1985 par George Pan Cosmatos) fut celui de la libération de prisonniers américains restés depuis des années au Vietnam. Il permettait de montrer la présence (exagérée) des Soviétiques et de culpabiliser une administration américaine trop attentiste et passive, voire bien peu patriotique.

Par cet exemple, c’est bien l’utilisation de cette guerre par différents acteurs qu’il faut identifier. Les soutiens de Reagan vont utiliser la guerre du Vietnam comme un événement repère de ce qu’il ne faut plus faire. Ainsi, quand Rambo libère des Américains dans un camp vietnamiens après qu’ils y sont restés des années, Reagan déclara : « maintenant, je saurai quoi faire dans une telle situation ». On est bien dans l’idéologie « America is back » qui s’observe par de nombreux films montrant le retour d’Américains au Vietnam sous la forme de commandos pour libérer des prisonniers ou défendre les intérêts des Etats-Unis. Ce cinéma regorge de valeurs patriotiques, dénonce les atermoiements de politiciens trop velléitaires ou couards, vante le courage et la force. Il correspond cependant à un vrai sentiment d’humiliation vécu par les Américains. Il faut savoir que la scène de Rambo II le conduisant à sortir les prisonniers américains du camp vietnamien était applaudie par les spectateurs aux USA. On pourrait facilement imaginer qu’il s’agissait d’un public fait de spectateurs de classes très populaires. Ce serait ne pas comprendre la portée même symbolique de cette séquence sur le public. Celui-ci n’était pas dupe et savait pertinemment qu’il s’agissait de cinéma. Mais le film faisait écho à plusieurs années d’humiliation internationale (au Vietnam avait succédé la crise en Iran avec une ambassade américaine prise en otage pendant plus de 1 an) et à l’élection d’un ancien acteur qui promettait un retour des USA sur le devant de la scène internationale.
A cette récupération politique de la guerre du Vietnam répond cependant un autre cinéma, davantage dans la ligne du cinéma des années 1970, développant finalement ce que Cimino et Coppola avaient proposé. De Kubrick à Stone en passant par Eastwood et De Palma, les cinéastes vont apporter chacun leur interprétation de la guerre du Vietnam, que ce soit par une dénonciation de l’armée en tant que tel (Full metal jacket de Stanley Kubrick en 1987) ou de ses exactions couvertes ou encouragées par l’état-major (Platoon d'Oliver Stone en 1988 ou Outrages de Brian de Palma en 1989) ou le sentiment d’humiliation vécue par les vétérans (Le maître de guerre de Clint Eastwood en 1986).

Après 1991, le cinéma américain n’a pas abandonné la guerre du Vietnam mais la production concernant ce conflit a diminué. Plusieurs raisons à cela :
- L’URSS et le bloc communiste s’étant effondré, le discours sur les valeurs américaines ont changé d’angle et d’ennemis : les Serbes, parfois les Français, souvent des extra-terrestres !
- Les USA ont mené d’autres guerres depuis (victorieuses ou pas) : guerre du Golfe, intervention en Somalie… : le récit de ces conflits a alors pris le relais sur les critiques de l’interventionnisme américain et ses réelles motivations.
- Si la guerre du Vietnam marque encore les esprits (cf. 2ème élection de Bush en 2004 face à John Kerry, héros du Vietnam devenu ensuite pacifiste !), d’autres vétérans sont aujourd’hui au cœur des débats, d’autres opposants à la guerre en Irak notamment cristallise les opinions américaine, comme le montrait une des premières séquences du film Les rois du désert de David O. Russel en 1999, évoquant l'exorcisme de la guerre du Vietnam par la victoire de la guerre du Golfe (en 1991). 

Pour conclure, le cinéma montrant ces trois conflits est un cinéma dont il faut déterminer plusieurs aspects :
- A quel moment le film a-t-il été tourné : pendant le conflit, après le conflit
- Quel discours politique majoritaire est mis en avant au moment de la sortie du film ? Est-il en cohérence avec la morale/la théorie du film ?
- Quelle est la portée du film ? Dans le temps – dans l’espace.

Le discours d’un film doit être analysé à l’aune de ces considérations sans oublier que plus un film nous est éloigné, plus il recèle des éléments d’analyse qui nous échappent. De même, plus un film évoquant une guerre passée est contemporain des spectateurs du présent, plus il a des éléments renvoyant au présent des spectateurs, proposant une grille d’analyse du passé pas forcément fausse mais forcément différente d’un document de l’époque étudiée et largement modifiée par les travaux des historiens et les considérations politiques et idéologiques du temps de sa production.
Enfin, certains films ne semblant pas centrés sur le sujet étudié sont des sources très intéressantes car elles témoignent de l’état d’esprit, du reflet du discours global sur la perception de telle ou telle guerre par l’opinion publique à un moment donné.Taxi driver de Martin Scorcese en 1976 ou L'année du dragon de Michael Cimino en 1985 sont des témoignages très puissants sur ce qu'ont pu vivre les Américains partis combattre au Vietnam et qui pourraient être mis en comparaison avec Rambo de Ted Kotcheff.
Il faut donc être particulièrement vigilant dans la présentation de la source (réalisateur, année mais aussi société de production, pays d’origine) pour éviter tout interprétation fallacieuse. Pour éviter ces confusions, il faut de fait toujours se poser la question principale :
QUE DIT LE FILM AUX SPECTATEURS ? Et pour y répondre, il faudra passer aussi par le COMMENT !

Mais ceci fera l'objet d'un autre message, présentant plusieurs approches sur ces guerres, que ce soit par la présentation des valeurs occidentales et américaines, la manière d'évoquer les adversaires asiatiques, de témoigner des exactions perpétrées par les troupes américaines au Vietnam mais aussi dans la spécificité de la guerre du Vietnam dans le traumatisme vécu par tous les Américains.

A bientôt
Lionel Lacour

vendredi 8 avril 2011

Le cinéma américain pendant la guerre froide: quelques clés de lecture



Rocky IV, Sylvester Stalone, 1985
Bonjour à tous,

pendant la guerre froide, le cinéma américain a participé de manière particulièrement active à la diffusion de la politique américaine de containment proclamée par Harry S. Truman. De très nombreux films d'espionnage ou évoquant les événements de la période ont été tournés proposant aux spectateurs une lecture bien évidemment orientée de la situation diplomatique entre les deux blocs dominant la planète: le bloc capitaliste et celui communiste. Ce cinéma qui pourrait s'apparenter à du cinéma de propagande - à ceci près que, malgré le soutien de l'Etat, du FBI et de la CIA, on ne peut pas parler de film d'Etat - devait alors offrir une lecture simple aux spectateurs qu'ils ne fallait pas seulement convaincre mais aussi maintenir dans leurs certitudes. Plusieurs "trucs" ont donc été utilisés pour ne pas désorienter le public.




1. Un écran de cinéma, une carte de géographie

Partons du principe qu'une carte de géographie est un rectangle dont le Nord serait orienté classiquement vers le haut, alors l'Est serait à droite et l'Ouest à gauche. En gardant ce même principe mais appliqué cette fois à un écran de cinéma, alors, dans les films dont le contexte impliquerait des positionnement géographique des différents protagonistes, les représentants des USA - et de l'Occident - se situeraient fatalement à gauche et ceux du bloc soviétique à droite de l'écran. Cette situation est particulièrement avérée lors de combats ou d'affrontements. Il apparaîtrait saugrenu de voir des Américains affronter des Soviétiques de la droite vers la gauche de l'écran.




Débarquement allié en Normandie - 6 juin 1944


En 1961, Le jour le plus long montre le débarquement en Normandie des Américains. Or ceux-ci arrivent par la côte Est de la Normandie (voir carte). En respectant le code que j'ai évoqué, il aurait fallu les représenter allant de la droite vers la gauche. Or toutes les barges ont été filmées de la gauche vers la droite. C'est que pour le public de 1961, français ou américain, les Américains sont ceux de l'Ouest et ils ne peuvent arriver que par l'Ouest! Un film n'a pas le temps de nuancer les choses. De plus, un film se lisant au présent du spectateur, l'ennemi américain du film est bien entendu l'Allemagne nazie, soit un régime totalitaire. Mais en 1961, un autre ennemi totalitaire est également combattu par les Américains qui protègent leurs alliés européens: l'URSS. Ainsi, faire débarquer les troupes américaines de la droite vers la gauche aurait provoqué un trouble chez les spectateurs: qui étaient alors les méchants?
Ce trouble n'est pas spéculation. Tous les films de l'entre deux guerres qui ont évoqué la Première guerre mondiale avant l'arrivée au pouvoir des nazis ont justement joué sur l'ambiguité des situations, faisant que l'ennemi était tantôt à droite, tantôt à gauche de l'écran, les séquences d' A l'ouest rien de nouveau de L. Milestone en 1931 sont de ce point de vue éloquentes. Or ces films avaient justement pour propos de ne pas opposer les combattants selon leur pays mais bien de montrer qu'ils participaient à une boucherie collective. L'idéologie dominante de ces films étaient le pacifisme ou l'abomination de la guerre. C'est dans ce même état d'esprit que Kubrick fit attaquer les Allemands par les troupes françaises commandées par K. Douglas de la droite vers la gauche, contrairement à toutes les conventions habituelles, dans Les sentiers de la gloire en 1957.
Dans les films américains montrant leur intervention en Corée, c'est au contraire de la droite vers la gauche que les troupes de l'Oncle Sam attaquent, étant donné que la Corée se trouve à l'Ouest du Pacifique, océan bordant aussi les USA. Ainsi, la séquence d'ouverture du film de 1953 Take the highground - traduit en français par Sergent la terreur (!) - évoque une attaque américaine contre les Coréens du Nord venant de la droite vers la gauche.

2. Le regard caméra et la caméra suggestive
S'il est une règle au cinéma, c'est bien de ne pas intégrer les spectateurs dans la narration  au contraire du journaliste de télévision qui, en regardant la caméra, semble s'adresser lui aux spectateurs qui deviennent ainsi partie prenante des informations qu'ils reçoivent. Or, dans les films de propagande, l'usage de ce "regard caméra" est assez souvent utilisé, justement parce qu'on cherche à impliquer beaucoup plus directement le spectateur dans l'information qui est donnée. L'information n'est pas la trame narrative du film mais bien l'idéologie qui en découle. Ce regard caméra est donc un lien direct entre le personnage du film et le spectateur, par caméra et écran interposé. Ce regard peut se retrouver sous d'autres formes. Une main tendue vers l'objectif de la caméra jusqu'à pratiquement le toucher est bien un moyen d'entrer en contact avec les spectateurs. Les Soviétiques ont souvent usé de ce procédé dans le cinéma stalinien mais avant lui également. De même, le grand Fritz Lang y a eu recours dans son Testament du Docteur Mabuse en 1933 quand il voulait interpeller les Allemands sur la folie du nazisme. Le cinéma américain ou occidental de la guerre froide n'a pas fait exception à cet usage.
James Mason dans L'homme de Berlin, Carol Reed, 1953
Dans L'homme de Berlin, Carol Reed, réalisateur britannique a recours à ce regard caméra dans la séquence finale. Son héros, interprété par James Mason, est un espion est allemand qui décide de passer à l'Ouest. Il franchit le check point communiste en courant derrière un camion dans lequel se trouve celle qu'il aime. Le spectateur le voit alors de face, comme s'il était lui-même à l'arrière du camion, à la place de la jeune femme. Son regard est alors destiné à la fois à l'héroïne et au spectateur. Sa main tendue vers la caméra devient alors une main tendue pour l'aider à fuir Berlin Est. Mais la police est-allemande le tue à coups de fusil. James Mason s'effondre et la caméra semble l'abandonner en rejoignant le check point américain. Et avec elle, c'est l'héroïne qui le laisse mais aussi le spectateur qui reste impuissant devant ce qu'il voit. L'émotion suscitée chez le spectateur est bien évidemment une révolte contre le régime communiste qui tire sur ceux qui veulent le fuir. En impliquant le spectateur directement, cette impression est amplifiée.
Le recours à la caméra suggestive est donc un autre moyen d'impliquer le spectateur dans l'histoire. Dans Tunnel 28 tourné en 1962, soit un an après la construction du mur de Berlin, le héros constuit un tunnel pour relier Berlin Est à Berlin Ouest. Le soir de l'évasion, il ferme la marche des évadés, non sans avoir reçu des balles de la police communiste. Il est presque agonisant et sa fiancée vient le rejoindre pour l'aider. Elle passe derrière la caméra qui devient alors une caméra suggestive. Elle avance avec comme image le tunnel qui doit déboucher vers la sortie et Berlin Ouest, c'est-à-dire le monde libre. Par cette mise en scène, le spectateur devient à son tour un évadé. Si la caméra s'arrête, c'est bien le héros qui sera perdu, et de fait, le spectateur avec lui! Quand la caméra sort du tunnel, le spectateur est cette fois celui qui, le temps d'un mouvement de caméra, celui qui aura soutenu ce héros allemand!

3. Du bleu et du rouge
Les couleurs ont un rôle bien connu sur l'identification des sentiments ou des idéologies. Le contexte narratif détermine le sens du rouge. Dans West side story, c'est à la fois la passion et le sang qui est annoncé durant tout le film. Dans les films évoquant la guerre froide, c'est bien sûr le communisme qui est suggéré. Pour prendre un exemple de la fin de la guerre froide, l'entraînement de Rocky Balboa dans Rocky IV réalisé par S. Stallone lui-même en 1985 contraste avec celui de Drago son adversaire soviétique. Tandis que "l'étalon italien" s'entraîne dans la nature sur une image aux teintes bleutées, le Russe s'entraîne dans un gymnase ultra-moderne dominé par une couleur rouge présente à chaque plan. Ce film montre tous les éléments évoqués plus haut, la gauche et la droite, les regards caméra mais également l'opposition des couleurs, marqué par les drapeaux eux-même, même si le drapeau américain possède du rouge. Les journalistes américains qui commentent le match sont en blazer bleu.
Le rouge sert aussi dans des films qui dénoncent l'anti-communisme, notamment lors du maccarthysme. En 1953, N. Ray réalise un western anti-maccarthyste: Johnny Guitar. Son héroïne protège un jeune bandit qui risque la pendaison. Les hommes à la poursuite de la bande ressemblent à des pateurs rigoristes menés par une furie qui est prête à incriminer son ennemie inteprétée par Joan Crawford. Celle-ci accueille ceux censés faire respecter la loi en tenue blanche sur fond rouge, l'innocence sur fond de communisme. Tels les suspects de communisme, elle se fait interroger comme une coupable puis menacer comme lors des interrogatoires menés par les comités d'activités anti-américaines du maccarthysme. Le rouge est alors utilisé ici comme une clé de lecture pour les spectateurs. Il permet de comprendre l'analogie entre ce western dont l'action se situe au XIXème siècle et la situation de ce début des années 1950.
Enfin, dans Firefox, C. Eastwood incarne un pilote américain devant voler un avion de chasse soviétique de très haute technologie. Il réussit et ramène l'avion aux USA. L'avion traverse donc l'écran de droite à gauche, de l'Est vers l'Ouest. Mais surtout la droite est dans les couleurs à nuances rouges tandique que la gauche est bleue, le tout séparé par un nuage longiligne faisant furieusement pensé au rideau de fer!

Un "méchant Coréen" caché dans Sergent la terreur, Richard Brooks, 1953
4. Noir et Blanc, Mal et Bien
Les cinéma des années 20 avait déjà donné bien des codes pour différencier le bien du mal. Murnau dans son Nosferatu avait montré combien l'utilisation des ombres offrait des possibilités symboliques, montrant tantôt le mal grandissant, tantôt la mort ou la perversion du bien. Les expressionnistes allemands comme les soviétiques perfectionnèrent à la perfection ce moyen de jouer sur les contrastes Noir/Blanc. Ainsi, Fritz Lang présentait pour la première fois son M dans M le maudit sous la forme d'une ombre.
La situation après guerre semblait alors parfaite pour exploiter à nouveau ce mode de langage dans un monde binaire autour du "Bien" et du "Mal". Dans Le troisième homme en 1949, Carol Reed, largement aidé par son interprète Orson Welles, usa de l'ombre et du noir pour présenter son personnage américain et pourtant espion à la solde des Soviétiques. Dans une Vienne divisée en zones d'occupation, Orson Welles, tout de noir vêtu, apparaît souvent d'abord ou disparaît sous la forme d'ombre, parfois démesurée sur les murs ou dans les égoûts. Ce personnage, roi de l'obscurité et de ce qui est caché se différencie alors de l'officier anglais qui le poursuit et qui semble attirer à lui la lumière.
Poursuite dans les égoûts, Le troisième homme, Carol Reed, 1949
Bien d'autres films utilisent ce procédé pour distinguer le Mal du Bien. Mais l'obsurité la plus spectaculaire au cinéma est le hors champ. Dans Sergent la terreur, un coréen se cache hors cadre pour tuer un soldat américain. Le méchant est dans le noir de la salle de cinéma, le gentil, qui plus est inoffensif puisqu'il boit l'eau de sa gourde, est lui dans la lumière. De même, Richard Widmark, le fameux sergent, lance des grenades de l'autre côté du remblai pour tuer les méchants Coréens qui se cachent. Or il suffirait que la caméra soit placée de l'autre côté pour que le méchant devienne... l'Américain. Mais ce serait alors un film nord coréen!
Ces procédés utilisant les contrastes qu'offrent le Noir et le Blanc ne fonctionnent bien pour les spectateurs qu'en situation de projeter une situation manichéenne. Or la guerre froide s'y prêtait particulièrement. Et le succès de la première trilogie Star wars s'explique entre autre par son recours à ces codes manichéens. Le méchant, Darth Vader est à la fois noir et une ombre. Son empire est totalitaire où nul ne peut lui désobéir ou faillir sous peine d'être exécuté sur le champ sans procès. Inversement, le camp de Luke skywalker est marqué par la lumière, le blanc des tenues des soldats ou de la princesse Leia marque le monde du Bien et du commandement partagé et non accaparé, ou un modeste pilote de vaisseau peut répondre à des dirigeants ou à une princesse!


Voilà donc ces quelques petites clés qui pour certains ne seront qu'un rappel agrémenté d'exemples, et pour d'autres je l'espère, un moyen de mieux appréhender le cinéma de cette période et finalement, de celles postérieures.

A bientôt


Lionel Lacour





dimanche 30 janvier 2011

La mort aux Trousses à l'Institut Lumière

Bonjour à tous,

Après une une remarquable rétrospective Hitchcock en mars 2011, l'Institut Lumière propose de revenir sur le génial réalisateur anglais sur quelques uns de ses films (le programme sur le lien suivant: http://www.institut-lumiere.org/)
A partir du 12 septembre 2014 sera projeté La mort aux trousses réalisé en 1959. Dans ce film longtemps sous estimé car a priori plus léger, Hitchcock nous gratifie de séquences parmi les plus mémorables du cinéma et semble faire étalage de toute sa palette de cinéaste.
L'histoire est assez classique pour Hitchcock: un homme, Roger Thornill (interprété par Cary Grant, une nouvelle fois dans un film du maître du suspens) est pris pour un espion américain du nom de George Kaplan par les hommes d'un businessman trafiquant manifestement avec des puissances ennemies. Moins que l'intrigue, c'est la quête de Thornill/Grant à prouver son identité en démasquant Kaplan qui intéresse le spectateur.
Pour les extra-terrestres qui n'auraient pas vu le film ou qui ne s'en souviendraient plus, je ne dévoilerai rien des différents rebondissements. Mais je reviendrai sur deux séquences du film qui montrent que le cinéma, c'est avant tout savoir se servir de l'image.