vendredi 24 août 2012

Histoire et Cinéma, sujet de CAPES


Bonjour à tous,

après une pause de plusieurs semaines, je reprends mon écriture d'articles sur le cinéma et ses représentations.
Vous aurez bientôt deux articles nouveaux.
L'un présentera la Révolution française vue par le cinéma au travers de films très divers, que ce soit par l'origine des pays, les périodes et surtout dans le traitement.
L'autre développera un thème que j'ai déjà abordé rapidement dans différents articles, à savoir la représentation des Noirs d'Afrique dans le cinéma occidental.

Je profite surtout de ce court message pour vous transmettre le sujet qui a été donné cette année à un étudiant passant le CAPES d'Histoire Géographie qui montre combien le cinéma est de plus en plus une source de réflexion pour les historiens. Le sujet donné était "L'Histoire au cinéma, vulgarisation ou détournement?"
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Le document 1 est un extrait non d'une conférence à l'Institut Lumière comme indiqué en référence mais d'un article que j'avais publié sur www.iamhist.org  puis relayé sur le site cinehig: http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article189

A très bientôt donc pour les deux articles annoncés.

Lionel Lacour

jeudi 12 juillet 2012

Prix Lumière 2012: Ken Loach - comme une évidence

Bonjour à tous,

c'est à midi que le prix Lumière 2012 a été révélé. Les rumeurs, les hypothèses et les souhaits avaient annoncés bien des cinéastes. Parmi les noms, celui de Ken LOACH était parfois cité. Et c'est bien lui qui sera l'heureux récipiendaire du Prix Lumière 2012.
Celui connu et reconnu pour être un cinéaste social offre une filmographie de 40 ans de productions. Mais ce qui justifie sa reconnaissance pour ce prix, c'est qu'avec une ligne clairement identifiée et un message ouvertement progressiste et humaniste, Ken Loach peut aborder tous les sujets avec des traitements variés, des approches différentes. De It's a free world à Looking for Eric.


Les Lyonnais seront heureux de redécouvrir l'oeuvre immense de ce cinéaste britannique qui n'a jamais oublié de distiller derrière son engagement politique et social un vrai travail de cinéaste, loin des docu-fictions qui se revendiquent parfois hélas de son oeuvre.

Vous pouvez découvrir le clip de présentation du prix Lumière 2012 sur ce lien:
http://www.dailymotion.com/video/k7oLa07qRso5OQ3cc2m

Toute la programmation sur le site du Festival:
http://www.festival-lumiere.org/


Vive le cinéma, vive le Festival Lumière 2012 (15 - 21) octobre 2012, vive le Prix Lumière (encore) et vive Ken Loach.

Lionel Lacour

vendredi 29 juin 2012

12 hommes en colère à l'Institut Lumière


Bonjour à toutes et tous,

Dans le cadre de la rétrospective Henry Fonda
l’Institut Lumière programme ce week-end le film culte de Sidney Lumet :
12 hommes en colère.
Classé 2ème meilleur film de justice par l’American film institute, ce huis clos met en scène un immense Henry Fonda dans un de ses plus grands rôles et permet de mieux comprendre le fonctionnement de la justice américaine, avec ses limites mais aussi et surtout sa force.
Film humaniste par excellence, venez (re)découvrir une œuvre dans une très bonne copie lors de deux séances exceptionnelles


Projections au Hangar du Premier-Film
Samedi 30/06 à 18h30
Dimanche 1/07 à 17h

Douze hommes en Colère à l'Institut Lumière
Sidney Lumet
Avec Henry Fonda, Lee J. Cobb, Martin Balsam, E.G Marshall
Twelve Angry Men (1957,1h36)

Résumé
Douze jurés doivent décider du sort d'un jeune homme accusé d'avoir assassiné son père.
L'un d'entre eux remet en cause la culpabilité de l'accusé qui semble acquise à tous...

A très bientôt à l’Institut Lumière

Lionel Lacour

lundi 25 juin 2012

La chatte sur un toit brûlant: pas seulement une image du vieux sud américain

Bonjour à tous,

en 1955, T. Williams écrivait La chatte sur un toit brûlant mise en scène à Broadway par Elia Kazan. Ce dernier avait déjà imposé à l'auteur une fin bien plus optimiste que celle originale. En 1958, Williams devait rejeter la version cinématographique réalisée par Richard Brooks tant elle lui semblait dénaturer son oeuvre. Pourtant, le film qui se classa parmi les 10 premiers au box office américain de 1958 avait des atouts non négligeables. Une bande son sublime, un réalisateur chevronné et des acteurs exceptionnels. Paul Newman jouait le rôle principal de Brick, Elizabeth Taylor jouait sa femme, Maggie, la fameuse chatte cherchant à reconquérir son mari. Enfin Burl Ives interprétait Big Daddy, personnage gargantuesque et père de Brick. Williams aurait pu être heureux de ce dernier choix puisque le rôle de Big Daddy avait justement écrit pour Burl Ives au théâtre. Mais si le succès public fut au rendez-vous, la critique éreinta le film. A tort.

1. Mais pourquoi diable Brick se refuse-t-il à Maggie?
Voici le point principal de la colère de Tennessee Williams vis-à-vis du scénario du film écrit par James Poe. Selon sa pièce, les tourments du couple formé par Brick et Maggie sont essentiellement dus à l'homosexualité refoulée de Brick et qui s'exprimait vis-à-vis de son ami Skipper, personnage arlésienne de la pièce. Le scénario que mit en scène Richard Brooks a gommé cet aspect fondamental pour le dramaturge, homosexuel lui-même. Pourtant, l'ambiguïté était de mise dans le film. En effet, Brooks filma les jambes, le porte-jarretelle et les bas de Maggie - Elizabeth avec un érotisme redoutable, en gros plan tant pour le spectateur que pour son mari Brick - Paul. La question était assez simple alors: plus que comment, c'était bien pourquoi Brick pouvait refuser des avances ô combien explicites d'une femme aussi désirable et qui s'offrait sans retenue à lui? Si jamais le spectateur n'avait pas eu la moindre idée, des éléments de mise en scène et de dialogues étaient déjà plus évocateurs sans pour autant être explicites. Ainsi Brick s'essuie-t-il la bouche quand Maggie l'embrasse devant son père, ce que ce dernier ne manque pas de lui faire remarquer. C'est ensuite lors d'une discussion houleuse entre le père et son fils au sujet de Skipper, l'ami de Brick qui s'est suicidé, que Big Daddy s'étonne de cette amitié si forte. Cela lui vaut alors une réponse directe de Brick qui reproche à son père de rendre cette amitié dégoûtante. Quelle genre d'amitié pourrait être si "dégoûtante" qu'une amitié homosexuelle? En niant cette possibilité, Brick propose aux spectateurs une clé de lecture d'autant plus importante que'elle justifie alors pourquoi il se refuse à sa femme, pourquoi il s'essuie la bouche quand il l'embrasse et surtout pourquoi Maggie n'aimait pas Skipper, notamment quand elle explique qu'elle a essayé de les séparer sans réaliser qu'elle avait déjà perdu son mari. "Que pense Maggie de ton amitié virile pour Skipper?" lance Big Daddy à Brick. Tout est clair. Mais rien n'est dit ouvertement.
C'est que Brooks a un réel problème pour évoquer cette sexualité à l'écran. Le code Hays instauré en 1930 et appliqué par les studios depuis 1934 interdisait l'évocation explicite de l'homosexualité et encore plus d'en faire un sujet de film. Mais plus que cela, Brooks, qui traita de vrais problèmes de société dans ses films comme dans Graine de violence par exemple, expliquait en 1965 que le ressort de l'homosexualité n'était pas aussi efficace à l'écran que sur scène. Si au théâtre, et particulièrement celui de Williams, les spectateurs "sont conditionnés", ceux de cinéma sont de tous âges et de tout public. Son explication se complétait par l'idée que les spectateurs "mâles" se projetaient eux dans le personnage de Brick tout en souhaitant faire ce que lui se refusait. L'explication de la culpabilité de Maggie dans la mort de Skipper devenait acceptable.
Que Tennessee Williams renie cette adaptation peut se comprendre d'autant plus que son thème de prédilection passait à la trappe de la censure morale. Mais que les critiques de cinéma ait à ce point critiqué le film est assez plus incompréhensible. Cela l'est encore plus pour les critiques qui écrivent des dizaines d'années après. En effet, en reprochant l'effacement de l'homosexualité de Brick du film, ils nient et la puissance des studios, même si certains films avaient déjà contourné cet écueil, ils minimisent les évocations réelles de cette homosexualité par la mise en en scène ou les dialogues, ils réfutent l'idée même que le cinéma n'est pas un spectacle semblable au théâtre mais surtout ils interdisent l'idée même de l'adaptation littéraire au cinéma. Ils oublient essentiellement qu'un spectateur de film n'a souvent pas vu (ou lu) l'oeuvre originale et n'ont à juger que celle qui leur est proposée sur grand écran. Et seul le film est à prendre en compte, et avec lui son réalisateur qui devra accepter la critique sur SON oeuvre et pas celle de ce qu'elle aurait pu être, voire DÛ être.

2. Un vrai film sur la société américaine des années 1950
Tourné à New York, l'action du film est néanmoins censée se passer à la Nouvelle Orléans. Et de fait, rien ne manque au décor. La plantation est superbe, le drapeau sudiste qui accueille Big Daddy à l'aéroport rappelle le passé esclavagiste des confédérés et les noirs font partie du mobilier. En aucun cas, Richard Brooks n'a voulu évoquer la condition des noirs dans ce film. Et c'est bien ceci qui renforce notre regard sur ces gens, réduits à la condition de domestiques, qui n'ont qu'un rôle fonctionnel dans la maison et aucun rôle dans la narration. Ils sont présents autant qu'ils sont absents. Nous en voyons quelques uns. Mais nous ne saurons pas leur nom. En croisant avec les évènements qui se déroulent en ces années 1950, on se rend compte que le vieux sud est loin de prendre au sérieux les revendications des militants pour la conquête des droits civiques pour les Noirs. On réalise aussi combien cette question de la ségrégation touche finalement très peu Tennessee Williams. Il suffit de se souvenir du Tramway nommé désir pour s'apercevoir que son sujet de prédilection lui enlève toute analyse ou toute réflexion sur une minorité marginalisée au moins autant que celle des homosexuels.
Le film brosse aussi un vrai tableau de la société capitaliste américaine. Big Daddy est riche de 14 000 hectares de terres fertiles et de 10 millions de dollars en cash. Il possède son propre avion et une immense propriété. Mais surtout, il projette de faire croître son empire en produisant du textile et d'inonder le marché. Il y a bien là une logique classique du capitalisme américain jusqu'aux années 1960. La richesse vient du sol, que ce soit comme ici un sol agricole ou qu'elle provienne comme dans Geant et toujours avec Elizabeth Taylor du sous-sol, à savoir du pétrole. Ce capitalisme s'appuie sur une économie réelle de production puis de transformation de la matière première. Elle a une base foncière avant tout. Toujours comme pour Geant, film mythique avec James Dean, Big Daddy est un self made man, parti de rien. seul son travail l'a conduit à s'enrichir et avec lui, sa région, comme il le dit lors du repas d'anniversaire qui lui est préparé.
Ce rapport à l'économie réelle est à mettre en relation avec une autre période de l'Histoire des USA et qui est évoquée dans le film. Ainsi, quand Big Daddy ouvre une misérable valise, il rappelle à son fils Brick que c'est le seul héritage qui lui a été laissé par son père, le grand-père de Brick donc. En racontant combien il avait honte de suivre son vagabond de père qui courrait après les trains pour voyager à l'oeil, le spectateur se remémore alors un passé constitutif de la nation américaine peut-être plus que la période des pionniers. En effet, la crise des années 1930 a marqué considérablement le peuple américain dont les fondements de sa puissance venaient de s'effondrer. La confiance dans un capitalisme spéculatif venait d'être abusée un certain jeudi de 1929. En rappelant que son père courrait après les trains, ce qui lui faisait honte, Big Daddy s'adresse autant à Brick qu'aux spectateurs qui ont tous eux-mêmes des souvenirs personnels équivalents ou d'autres relatés par le cinéma. Cette période est d'ailleurs particulièrement récurrente dans le cinéma américain qui a transmis des images de cette période jusqu'à aujourd'hui, de New- York Miami de Franck Capra à O' brother de J. Coen sans oublier Honkytonk man de Clint Eastwood.
L'empire de Big Daddy est une réponse à la situation de misère qu'il a connue et qu'il ne veut pas voir se reproduire pour ses enfants mais aussi une réponse au capitalisme financier qui a conduit à la faillite des USA à partir de 1929.

3. La société occidentale à l'écran
Hormis les spécificités américaines, des éléments communs à une société occidentale se trouvent portés à l'écran dans ce film. La même année, Denis de la Patellière réalisait Les grandes familles avec Jean Gabin, capitaine d'industrie et Jean Desailly son fils. La similitude est assez étonnante entre les deux films. Dans les deux cas, le père se comporte comme un ogre de pouvoir dont l'autorité ne peut se discuter par son fils. Et si Brick implore son père à être justement un père et non un "Boss", Gabin lui rappelait à son fils qui voulait diriger dans son dos que pour décider il faut être le patron et "que le patron, c'était [lui]".
Cette société patriarcale est semblable à bien d'autres égard. La femme de Gabin est tout aussi dévouée à son mari que Big Mama au sien. Elles ont toutes les deux un rôle de tempérance entre le père et ses enfants. Mais elles sont rabrouées chaque fois que leur décision est contraire à celle du mari. Dans le cas de Big Daddy, cela relève parfois d'une brutalité voire d'une méchanceté assez insupportable.Mais surtout, les femmes sont montrées comme étant cantonnées à des rôles assez primitifs: donner naissance à un héritier de l'empire, diriger le foyer dans ses aspects logistiques et... dépenser.
Le film de Brooks n'offre donc pas une spécificité américaine de la société. Tout comme ce n'est pas un particularisme américain que de montrer l'insoumission du couple formé par Brick et Maggie au modèle traditionnel. Gooper, le frère aîné et Mae son épouse correspondent eux au modèle de Big Daddy et Big Mamma. Gooper dans une complainte émouvante explique tout ce qu'il a accepté de faire pour obéir à son père: devenir avocat, avoir une femme et des enfants, vivre à Memphis. Sans pour autant ressentir de l'amour en retour. Sa femme a cinq enfants et en attend un autre. Elle est une futur Big Mamma. Elle a investi sur son mari qui doit hériter de son père et pour qui elle est une mère fertile pour être sûre d'avoir ensuite un héritier de son sang. Au contraire, Brick et Maggie, au-delà du motif qu'ils ont de ne plus avoir de relation sexuelles, décident du moment pour lequel ils auront des enfants. Si la convention sociale s'impose à Gooper et Mae, le premier ne semblant pas plus aimer sa femme que ça, Brick et Maggie mettent en avant au contraire leurs sentiments avant les règles sociales censées s'imposés à eux. En ce sens, on retrouve Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant dans Et dieu créa la femme dans lequel l'épouse osait dire non à son mari et n'en faire qu'à sa tête.
Mais comme dans ce film de Roger Vadim, la fin du film, qui était celle voulue par Elia Kazan pour Broadway, est terriblement conventionnelle et correspond à un happy end classique, la femme retrouvant son mari, même si dans le film de Brooks, c'est par les efforts de Maggie que le couple se reconstitue. Ce film correspond donc à une période charnière d'une société occidentale encore dominée par une génération de pères autocrates, aimant à leur façon face à une jeunesse qui hésite entre respect de la tradition et émancipation de l'ordre établi. Il est amusant que ce qui est raconté dans ce film ressemble furieusement à ce qui est en train de se produire aux studios hollywoodiens avec l'émancipation programmée des comédiens des majors, émancipation initiée par Marlon Brando et Marilyn Monroe qui fixent désormais leurs conditions aux producteurs et non l'inverse. Elizabeth Taylor ne manquera pas de leur emboîter le pas...

4. La chatte sur un toit brûlant: pas du théâtre filmé
La difficulté d'adapter une pièce de théâtre qui respecte une unité de lieu et de temps est fréquente car il faut éviter de donner l'impression de ne faire que du théâtre filmé.
Richard Brooks avait choisi de filmer en couleur, pour la première fois pour une adaptation de l'oeuvre de T. Williams à l'écran. Il avança le fait qu'avec les yeux bleus de Paul Newman et ceux violets d'Elizabeth Taylor, il eut été dommage de recourir au noir et blanc. Hormis ce côté anecdotique, l'utilisation de la couleur montre vite que le seul argument de la couleur des yeux ne tient pas. En effet, par l'usage de couleurs chaudes, Brooks met le spectateur davantage encore dans l'ambiance du sud des USA, région chaude s'il en est autant que dans l'ambiance sulfureuse initiée par Maggie avec son mari. En filmant assez serré et en rajoutant des éléments extérieurs soutenant l'idée de la chaleur et d'un climat lourd: la glace, qui ne sert pas qu'aux glaçons pour le Whisky, la crème glacée fondante au début du film, l'évocation d'une nécessaire climatisation dans une église ou encore l'orage typique de fin de journée des régions subtropicales.
Du point de vue de la mise en scène, Brooks n'utilise pas de grands mouvements de caméra.Sa réalisation est assez figée, usant de champs - contre champs assez nombreux. Cependant, il aime voir évoluer ses personnages dans ses plans fixes qui ressemblent à de vrais tableaux dans lesquels chacun joue un rôle social. Ce sont les personnages qui agissent... ou pas. Ainsi Gooper est-il souvent assis, inactif, immobile tandis que sa femme Mae ne cesse de se déplacer dans la maison comme pour mieux la contrôler. De même, c'est Maggie qui cherche à reconstituer le couple avec Brick en se rapprochant de lui, certes immobilisé par son entorse à la cheville mais dont le refus de l'aimer le conduit à la repousser. Par un jeu de miroir, Brooks reconstitue à l'image le couple Brick Maggie sans qu'elle n'ait à se déplacer. Mais ce n'est justement plus qu'une image, qui plus est une image que seul le cinéma peut produire et pas le théâtre.
Richard Brooks recourt également à la verticalité de sa mise en scène. D'abord par l'usage de plongées et de contre-plongées comme dans l'avant dernière séquence durant laquelle Big Daddy écrase littéralement son fils Gooper qui ramasse les papiers concernant la succession de son père mourant. Le fils est ramené à ce qu'il est: un exécutant de son père. Brooks utilise également la verticalité de la maison pour situer les personnages les uns par rapport aux autres. Mais aussi pour mieux comprendre le fonctionnement de la famille. L'exemple le plus évident est d'ailleurs lié au titre lui-même: Maggie se sent comme "une chatte sur un toit brûlant". Or elle est le personnage libre de l'histoire. Elle seule s'est émancipée de son passé pour se marier avec Brick non par cupidité mais par amour. A l'opposé, le dernier tiers du film voit Big Daddy prostré dans le sous-sol de la maison. Or ce sous-sol contient tous les objets qui emprisonnent chacun des personnages de la famille dans une situation sclérosée. S'y trouvent amoncelés les nombreux objets ramenés d'Europe par Big Mamma lors de leur voyage de noce. Autant d'éléments non exposés dans la maison et qui  ont peut-être éloigné Big Daddy de sa femme. Il lui a offert ce qu'elle voulait mais cela ne sert en fait à rien. Il y a la valise du père vagabond de Big Daddy, autre souvenir négatif dans sa mémoire qui le ramène à sa condition d'ancien fils de vagabond. Il y a enfin des portraits et coupes de Brick du temps de sa splendeur sportive. Or il n'est plus ce talentueux footballeur. Et ces souvenirs sont autant de fossiles qui empêche chacun de grandir et d'avancer dans leur vie. Brick est prisonnier de sa gloire passée, Bid Daddy de son enfance misérable comme de son mariage construit sur des principes dépassés. Et de fait, ce sont tous les autres qui en souffrent aussi. Pas d'image de Gooper au fond du sous-sol, pas de souvenirs d'Europe dans la maison pour Big Mamma qui peut se sentir mise à l'écart...

Conclusion
Le film se termine avec une fin particulièrement heureuse pour Maggie et Brick. C'est leur amour qui triomphe à l'écran. Celui que Maggie a su reconquérir. Celui que Brick a su redonner à son père et sa mère. Et même l'amour fraternel qui semblait être irrémédiable. Seule Mae est invariablement présentée dans un rôle de mégère qui voit s'échapper ce pour quoi elle avait pu accepter tant de frustrations et autres réprimandes de Big Daddy et de son mari. La limite du film est bien sûr conditionnée au fait que l'oeuvre originale était une pièce de théâtre. Le revirement soudain est un peu brutal mais acceptable puisque l'objet du film, comme de la pièce d'ailleurs, n'est pas de montrer que l'amour triomphe de tout mais de mettre fin aux hypocrisies, mensonges et autres secrets comme par exemple la réalité de la maladie de Big Daddy. Et tant pis si le revirement final s'appuie sur un nouveau mensonge (à découvrir pour ceux qui n'auraient pas vu le film), celui-ci est justement celui de la liberté de Maggie qui lui permet de reconquérir son mari.
L'homosexualité de la pièce de théâtre est peut-être loin peut-être en filigrane pour certains. Mais cela n'empêche pas que ce film en dise beaucoup sur la société américaine et occidentale, et ce avec un vrai talent de cinéaste.

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 20 juin 2012

Festival Lumière 2012: La bonne frustration

Et si le Festival Lumière était devenu déjà un des plus grands festivals de cinéma du monde?

Aujourd'hui, la conférence de presse organisée à l'Institut Lumière pour présenter la programmation du Festival Lumière 2012 semble le confirmer un peu plus. Pourtant, Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière et délégué général du Festival a frustré tous ceux qui attendaient le nom du récipiendaire du désormais très prisé "Prix Lumière". Annoncé lors des trois éditions précédentes lors de cette conférence, le prix Lumière devait également l'être aujourd'hui. Voulu comme "le prix Nobel du cinéma", sa valeur avait été donnée d'emblée en récompensant Clint Eastwood dès la première édition en 2009, puis Milos Forman en 2010 et enfin Gérard Depardieu en 2011. Le Prix Lumière, en étant associé au Festival Lumière constituait une sorte de phare d'un évènement majeur et unique pour le cinéma dit de patrimoine. Or point de nom aujourd'hui. Parce que le lauréat espéré pourrait avoir un problème d'agenda et a préféré ne pas confirmer encore sa présence.
Frustration donc, mais cette frustration est en fait une bénédiction.
D'abord parce que cela montre que si le Prix Lumière récompense des réalisateurs ou comédiens (le tout pouvant se mettre aussi bien au féminin) ayant marqué le cinéma mondial, il récompense justement des gens encore actifs. Ce n'est pas un prix fossile qui est remis mais bien une récompense vivante dans laquelle toutes les générations de spectateurs se retrouvent. Il suffit de se remémorer des apparitions de Clint Eastwood, de Milos Forman et de Gérard Depardieu et se souvenir combien même les plus jeunes étaient émus de voir ces monstres sacrés parce qu'ils connaissaient leurs oeuvres et continuaient à les voir en salle pour comprendre le souffle et l'enthousiasme que génère le cinéma et avec lui, les grandes individualités qui le font. Cette absence de l'annonce du Prix Lumière aujourd'hui nous garantit donc que celui ou celle qui sera récompensé(e) demain est loin d'être un personnage des oubliettes de l'Histoire du Cinéma. Et nous ne pouvons qu'être plus impatient d'en connaître l'identité!
Mais cette absence de révélation du lauréat du Prix Lumière est surtout une bénédiction parce que cela permet de valoriser aujourd'hui encore un peu plus la qualité de la programmation du Festival en tant que tel. Les trois premières éditions avaient été fantastiques de ce point de vue mais peut-être pas assez signalées par les commentateurs se focalisant sur le Prix Lumière ou sur la pléiade de stars accompagnant le Festival. Ces éléments ont participé grandement au succès des premières éditions et ont permis aussi sa notoriété internationale. Tous d'ailleurs vantaient les mérites du Festival, la possibilité de rencontrer des cinéphiles gourmands, des jeunes spectateurs regardant des films... en Noir et Blanc, quand ils n'étaient pas muets. Tous venaient présenter un ou plusieurs films et rappelaient l'importance de connaître le patrimoine cinématographique mondial. Tout ceci est encore vrai.Certes. Mais la programmation, concrètement, passait peut-être en arrière plan de tout ceci.

Or, et nous ne remercierons jamais assez le travail de Thierry Frémaux et de toute l'équipe de l'Institut Lumière, pour la première fois vraiment, la vedette de la conférence de presse d'aujourd'hui a été, même si c'est par la force des choses, la programmation du Festival 2012. Et quelle programmation! Du 15 au 21 octobre 2012, les festivaliers vont avoir des choix cornéliens pour établir leur agenda cinéphilique: une rétrospective Vittorio de Sica, une autre pour Max Ophuls, des hommages à Max von Sydow qui sera présent pour l'occasion, et notamment pour une master class qui fait déjà juste rêver. Un autre hommage sera rendu au très populaire crooner et ami de Sinatra, Dean Martin. Des films restaurés seront proposés comme Il était une fois en Amérique projeté en version rallongée de 20 minutes soit près de 4h10 de Sergio Leone!

Le cinéma n'étant pas que de l'image, Thierry Frémaux a encore fait saliver un peu plus son monde en annonçant la venue d'un géant de la musique de film avec Lalo Schifrin dont les partitions sont au moins aussi célèbres que celle du grand Morricone, avec notamment celle de L'inspecteur Harry, Bullit, Luke la main froide et tellement d'autres titres célèbres dont la bande originale de Mission: impossible!
Et puis d'autres films incroyables: La porte du paradis, Loulou en ciné concert, La nuit du chasseur, Le samouraï, Cléo de 5 à 7etc. Encore? Un documentaire de près de 15 heures en avant première française: The story of Film: an Odyssey de Marc Cousins.
Je ne peux citer ici tout ce qui a déjà été annoncé aujourd'hui  d'autant plus que d'autres films se rajouteront encore à ceci, à commencer par ceux du lauréat du Prix Lumière. Mais les choix sont d'une telle richesse que le Festival Lumière atteint peut-être, plus qu'il ne l'avait déjà fait encore si cela était encore possible, l'ensemble des amoureux du cinéma, du cinéphile le plus classique à celui aimant les productions plus populaires.
Tous les festivaliers retrouveront donc l'ensemble de cette programmation bientôt, localisée dans toutes les salles de Lyon et du Grand Lyon. Ils pourront se retrouver dans les lieux devenus désormais des repaires obligés pour profiter de cette ambiance si spéciale que ce soit au village du Festival, à l'Institut Lumière ou à la Plateforme pour se retrouver le soir, pourquoi pas en compagnie des invités prestigieux venus pour le festival. Mais ils pourront découvrir un autre point de ralliement cette année, à l'Hôtel Dieu, une manière encore d'investir davantage des sites historiques de la ville pour ce Festival d'un patrimoine cinématographique qu'il s'est donné pour mission de valoriser les films restaurés et dont nombreux sont déjà impatients qu'il commence avant même que de savoir qui sera honoré cette année.
Le Festival Lumière est né grand. Il le confirme année après année!

A très bientôt à Lyon pour le Festival Lumière
15 - 21 octobre 2012
Renseignements sur le site
http://www.festival-lumiere.org/

Lionel Lacour



mardi 12 juin 2012

Little miss sunshine: le modèle américain reprécisé

Bonjour,

en 2006 sortait sur les écrans un petit film appelé Little miss sunshine. huit millions d'euros de budget, autant dire pas grand chose, avec des comédiens cantonnés à des rôles secondaires puisque Toni Collette n'était pas une tête d'affiche majeure et que Steve Carell n'avait pas encore connu le succès phénoménal de 40 ans, toujours puceau. Le rôle de ce dernier avait même été proposé d'abord à Bill Murray puis à Robin Williams. Il fallut cinq ans pour que le film aboutisse finalement ce qui montre que rien ne prédestinait cette oeuvre de deux cinéastes débutants, Jonathan Dayton et Valerie Faris, connus pour des tournages pour la télévision essentiellement, devienne un succès planétaire avec un box office de plus de 100 millions de dollars!
L'histoire en elle-même n'avait rien non plus de passionnant. Une fillette de 7 ans rêve de participer à un concours de beauté pour enfant de son âge et y participe finalement, accompagnée de toute sa famille donnant lieu à un road movie partant du domicile parental à la Californie, lieu du concours. Mais c'était sans compter sur l'originalité de l'écriture, des personnages, de la mise en scène et au final, au message porté par le film.


1. Une société individualiste
Le pré-générique commence par une image télévisée, celle de la remise du prix à une Miss America. La petite Olive (interprétée par Abigail Breslin) dont on ignore le nom à ce moment regarde et regarde encore ces images, mimant devant l'écran les gestes de la lauréate. Puis vient un homme donnant une conférence sur la réussite et sur sa méthode pour devenir un gagnant dans la société, même si cette conférence filmée en contre-plongée ne se fait que devant que quelques étudiants ce que révèle cruellement un plan plus large. C'est ensuite un jeune homme qui s'entraîne physiquement et qui semble être habité par une motivation extrême, un vieil homme qui se fait une ligne de drogue, une femme en voiture qui fume et qui s'agite qui rejoint finalement un hôpital dans lequel se trouve son frère dont on comprend qu'il a tenté de se suicider. Le titre du film s'inscrit alors sur ce personnage, joué par Steve Carell. Rien d'autre. Pas d'autres crédits que le titre du film.
Tout ce prologue présente un ensemble de personnage sans aucun lien a priori entre eux, sauf pour les deux derniers, comme Robert Altman pouvait le faire par exemple dans Short cut. Pourtant, tous sont liés et appartiennent de fait à la même famille. Par cette présentation éclatée, les réalisateurs présentent de fait la société américaine sous des aspects qui serait le plus critiquable: l'individualisme exacerbé, où le bonheur de chacun passerait par la réussite personnelle et non par une ambition collective.

L'individu serait au centre de tout. Cela passe notamment par le diktat de l'apparence physique. Le rêve d'Olive en est un exemple. Son idéal est bien d'être une reine de beauté et son modèle est d'abord une miss America. La fin du film montre d'ailleurs des jeunes filles de l'âge d'Olive ou à peine plus âgées qui ressemblent à des adultes en miniature plutôt qu'à des filles de 7 ans. Le rôle des parents dans ce diktat n'est pas absent. Le père d'Olive, Richard Hoover (joué par Greg Kinnear), le fameux conférencier cité plus haut,          essaye par exemple d'empêcher sa fille de manger une glace sous prétexte qu'elle peut devenir obèse. Souci louable de santé pour sa fille sauf que cela ressemble justement davantage à une consigne exagérée et liée à sa représentation de la réussite qui passerait par une apparence physique irréprochable. Quant aux mamans qui amènent leur fille au concours "Little miss sunshine" elles sont présentées comme des candidates qui ont transféré chez leur progéniture leur aspiration à être belles et reconnues comme telles.

Cet individualisme passe aussi par l'idée que chacun doit faire preuve de libre arbitre. Les 9 points de la méthode de Richard sont une transcription de ce choix. Etre un gagnant relève de la volonté individuelle et non du collectif. Sauf que ce libre arbitre "modèle" peut s'exprimer autrement, comme par exemple avec le grand-père (le père de Richard) qui conseille à Dwayne (joué par Paul Dano), fils de Sheryl (Toni Collette), de se "taper" des jeunes filles de son âge parce c'est "top". Ce libre arbitre la n'est pas "politiquement correct" puisqu'il n'apporte pas de succès dans la société et est contraire à la morale de Richard et de Sheryl.


Mais surtout, le film montre que le libre arbitre n'est pas qu'une affaire de volonté. Ainsi, Dwayne est un modèle de volonté puisqu'il s'impose un entraînement physique quotidien, ce qui est montré dans le prologue et s'est interdit de parler tant qu'il n'aura pas réussi le concours pour entrer à une école de pilotage d'avion. Sauf qu'il apprend au cours du trajet qui amène toute la famille au concours d'Olive qu'il est daltonien, et qu'à ce titre, il ne pourra pas devenir pilote. Cette séquence montre alors toute la violence quand l'individu ne peut pas atteindre un objectif pour des raisons autres que sa volonté. Le libre arbitre n'empêche donc pas des éléments extérieurs de s'opposer à ses propres choix. A l'image, l'effet est saisissant. Dwayne quitte le groupe dans un van pour s'en extraire, rompre son voeu de silence, hurler sa rage à l'extérieur. Il court vers la caméra et apparaît au premier plan tandis que le van et ses occupants sont loin en arrière plan et semblent tout petit. L'échec de Dwayne est individuel. Ce sera pourtant vers le van qu'il retournera.

Car le film montre aussi que l'individualisme n'est pas seulement un état d'esprit négatif. C'est aussi une manière de s'affirmer, d'affirmer ses valeurs et son individualité. Quand Richard affronte son éditeur qui a abandonné l'idée de publier un livre reprenant sa méthode pour réussir, il s'oppose de fait à l'individualisme qui ne permet qu'aux gens célèbres de réussir. Il réaffirme ses propres valeurs et régénère de fait le mythe américain du self made man, celui parti de rien et qui a réussi parce que son talent le lui permettait. De même, quand Richard et Dwayne essaie d'empêcher Olive de concourir, pour la protéger après avoir vu les adultes miniatures défiler, Sheryl est à la fois consciente qu'Olive défilera non en vraie miss mais en vraie petite fille. L'empêcher de concourir, c'est l'empêcher d'être ce qu'elle est. Peu importe le résultat du concours.

2. Un monde de compétition
Ce concours de beauté est un des exemples de la compétition qui semble régler la société américaine. Elle est même le point d'orgue dans le film de ce mode de fonctionnement, avec des enfants qui sont en fait des adultes en miniature, qui se déhanchent et se maquillent comme de véritables adultes des vraies Miss. En cela, la première séquence du film s'ouvrant sur la remise du titre de Miss America montre bien ce vers quoi veut s'identifier Olive: à la fois à une belle femme mais aussi à une femme qui a gagné une compétition, comme si sa beauté ne lui suffisait pas en soi. Cette compétition se fait d'ailleurs avec l'assentiment des parents et notamment des mères qui vivent par procuration au travers leurs filles. De même l'organisatrice du concours le gère de manière très professionnelle mais également sans aucune réelle compassion ni humanité. Le plus amusant dans le film est la mise en scène de la vulgarité de ce type de concours et l'attitude choquée quand Olive ose une chorégraphie disons... décalée, plus proche du strip-tease. En ce sens, elle brise les codes d'une compétition en choquant la morale conservatrice des organisateurs, ne se rendant finalement pas compte qu'Olive n'est pas plus vulgaire que ses adversaires!
Cette compétition est de fait présente dans tout le film. D'abord par le père qui définit la société entre les "gagnants" et les "perdants", preuve que la vie est une compétition en soi. Ce principe est répété régulièrement, soit pour ses étudiants, soit pour Olive avant de partir faire le concours mais aussi pour Dwayne et surtout pour Frank son beau-frère. Dwayne s'est également imposé une compétition pour réussir son concours pour entrer à l'école d'aviation. Frank, enseignant à l'Université et spécialiste de Proust enfin est également en compétition puisqu'il a essayé de séduire un étudiant qu'un autre professeur comme lui convoitait. Ce fut un échec connu de toute la famille, c'est pour cela d'ailleurs que Frank est venu vivre avec Richard et Sheryl.
Car ce monde de compétition n'implique pas que des gagnants. Richard se fait fort de le rappeler durant le trajet à qui veut l'entendre et en premier lieu à Frank. S'il a échoué, c'est parce qu'il ne s'est pas donné les moyens de réussir. Cette vision binaire du monde ne remporte que des réponses ironiques chez Frank que Richard traduit en sarcasme, celui des "perdants". Pourtant, le film montre de différentes manières que les vaincus, ou les "perdants" pour reprendre toujours la terminologie de Richard, deviennent souvent des laissés pour compte par la société. Si Richard a du mal à s'avouer justement vaincu, Frank a bien compris qu'il apparaissait comme tel aux yeux de tous. Sa tentative de suicide témoigne de cette mise à l'écart de la société pour ceux qui échouent. Parce que le modèle américain semble se résumer dans la théorie de Richard. Le suicide de Frank est dû en fait à différentes compétitions qu'il a perdues. Celle amoureuse d'abord, celle professionnelle ensuite. Cette défaite est rappelée dans un article de journal vantant l'expertise proustienne de son rival,  tant du point de vue professionnel que celui sentimental. C'est enfin Dwayne qui par son échec se sent mis en dehors de la société à laquelle il voulait appartenir, cette communauté des pilotes d'avion. L'échec lui est insupportable quand bien même il n'y est pour rien.

Pourtant, Dwayne se satisfaisait de l'échec de Richard dans la commercialisation de son livre, souriant sur son lit lorsqu'il entendait Sheryl intimer l'ordre à Richard de cesser de parler de ses fameux 9 points qui permettent de devenir un GAGNANT!










3. Un destin collectif
Le film ne se contente pas de caricaturer et d'égratigner le modèle américain du "stuggle for life". Il apporte également une dimension non pas plus originale mais plus originelle du modèle américain. Le fait que toute la famille parte en Californie pour accompagner Olive à son concours est un élément important à ce destin collectif. Chacun des personnages a des motivations différentes. Olive parce qu'elle participe au concours, le père et la mère accompagnent leur fille, Dwayne car il n'a pas le choix, Frank parce qu'il est suicidaire et qu'il ne faut pas le laisser seul, le grand-père qui a préparé la chorégraphie d'Olive. Ce destin collectif est également transcrit par une scène récurrente du film puisque le van volkswagen doit être poussé pour pouvoir enclencher les premières vitesses du fait d'une panne de la boîte de vitesse mécanique. Tous doivent donc pousser dans la même direction pour ensuite courir et grimper dans le van lancé à une vitesse minimale.

Mais c'est bien après la mort du grand-père que l'idée d'appartenance à un groupe est manifeste. A ce moment là, le leadership théorisé par Richard prend enfin son sens. En effet, il devient à la fois le  metteur en scène de l'enlèvement du corps de son père de l'hôpital, orchestré avec l'aide de tous les membres de la famille. Aucun ne rechigne, aucun ne conteste les ordres de Richard. Cette séquence, hilarante, montre surtout que l'autorité de Richard n'est acceptée par les autres dans ce cas précis que parce que l'objectif est partagé par tous. Pour reprendre une métaphore marine, il donne un cap à sa famille.Cette séquence se conclut alors par l'inévitable poussée de tous les vivants du van pour sortir de l'hôpital!

C'est enfin lors de la prestation d'Olive que l'ensemble des membres de la famille monte sur scène pour la protéger de la méchanceté de l'organisatrice et de la pudibonderie des parents présents dans la salle. Dans cette situation, il n'y a aucune arrière pensée individualiste mais bien de l'altruisme pour soutenir un membre du groupe, de la famille.






Cette bravade se termine au poste de police et pour la première fois, tous sont à la fois dans le même plan mais à égalité, assis sur un banc à se faire, gentiment, sermonner par un policier.
Et toute la famille quitte la Californie, non sans avoir poussé le van une ultime fois et avoir brisé la barre du parking!



4. Une morale qui reprécise le modèle américain
Les séquences du dernier quart du film apportent donc du sens au film. Chaque personnage voit sa vie bouleversée par ce road-movie. Le grand -père en est mort, Richard n'a pas réussi, Frank apprend une autre nouvelle contrariante, Dwayne ne sera pas pilote et Olive ne sera pas Little Miss Sunshine. Sherryl apparaît comme le ciment entre tous. Mais c'est surtout l'enseignement que ces échecs apportent qui ressortent du film. Frank montre à Dwayne que Proust permet de comprendre la nécessité de passer des épreuves difficiles dans la vie pour se construire et pour savourer la vie. Dwayne en conclut alors que son épreuve, son dalltonisme l'empêchant d'entrer à l'école de pilotage, ne l'empêchera pas de voler et qu'il trouvera bien une autre manière de le faire.
Cette morale répond au message individualiste d'une grande partie du film. L'individu est grand non en soi mais quand il surpasse ses limites, quand il essaie de trouver des solutions pour être meilleur. Pas forcément le gagnant sur les autres, mais déjà sur soi.
En réalité, ce message avait déjà été donné par le grand-père. En effet, le grand basculement du film correspond à deux séquences dans lesquelles le grand-père, le marginal drogué viré de sa maison de retraite, va non pas consoler, mais donner du sens à ce qu'ont entrepris son fils Richard et sa petite-fille Olive.
Au premier, il lui reconnaît le mérite d'avoir essayé d'entreprendre, chose que lui n'a jamais pu faire. Il ne lui reproche pas son échec pour l'édition de son livre mais le félicite pour son courage. A la seconde, quand Olive a peur de perdre et donc d'être une perdante, il lui donne sa définition du mot perdant: "Quelqu'un qui a tellement peur de perdre qu'il n'essaie même pas".
C'est donc ce grand-père si original et si peu représentatif du modèle américain qui, au milieu du film, rappelle la définition du courage américain: "oser entreprendre, quitte à échouer".
Quand le grand-père soutient son fils puis qu'il se rassoit, un plan montre le van sur une highway, symbolisant le destin individuel dans une logique collective. tous vont dans le même sens même si le parcours de chacun peut être différent. C'est la mort du grand-père qui finira de fédérer cette famille, présentée dans un premier temps comme une addition de destins singuliers, et désormais unie dans un objectif commun, sans pour autant effacer les particularités de chacun. Frank continue d'aimer Proust, Dwayne de vouloir être pilote etc. Mais tous pourront évoluer individuellement dans un destin collectif. Ce que montre quasiment la même image de fin sur la highway.



Conclusion
Little miss sunshine est donc un film très malin mêlant des doses de subversions au regard du modèle américain, notamment en évoquant l'homosexualité, l'usage de la drogue et du sexe chez les personnes âgées. La critique du modèle visant à être un "gagnant" face aux "perdants" est assez efficace et correspond bien aux critiques que chacun est amené à faire de la société américaine telle qu'elle semble parfois se caricaturer. Les transgressions sont nombreuses notamment lors de la séquence charnière de l'enlèvement du corps du grand-père. La forme utilisée, celle du road-movie est aussi celle qui a été celle des films contestataires comme Easy rider  par exemple. Mais si le film a eu tant de succès, c'est aussi parce que le message ne remet pas en cause les fondamentaux de la société américaine. Au contraire. Il vient les rappeler. Ce qui compte, c'est d'entreprendre, d'oser entreprendre. Mais surtout, et c'est un point souvent négligé notamment en France, la société américaine se reconnaît dans un destin collectif plus fort que ce qu'il pourrait paraître. Il suffit de voir les cérémonies de remises de diplômes dans les écoles américaines ou de participer à Halloween aux USA pour mieux comprendre l'idée d'un projet collectif aux USA.

A bientôt

Lionel Lacour

jeudi 7 juin 2012

Balades cinématographiques à Lyon: Préparez la rentrée!

Bonjour à tous,

vous souhaitez organiser une visite de Lyon originale en groupe, vous êtes une association, une entreprise, un CE, vous adorez le cinéma (ou vous adoreriez l'adorer!), Cinésium vous propose des visites uniques à Lyon sur le thème du cinéma avec des extraits de films tournés à Lyon visionnés à l'endroit exact de leur tournage, des quizz et d'autres propositions adaptées à vos demandes.

Pour plus de renseignements, rejoignez le site Cinésium


À bientôt
Lionel Lacour













samedi 26 mai 2012

La haine: chef d'oeuvre de Mathieu Kassovitz

Bonjour à tous

Dans le cadre des "Lundis du MégaRoyal" de Bourgoin, j'avais programmé lundi 21 mai La haine de Mathieu Kassovitz. Ce film de 1995 semble avoir été tourné après 2005, date des émeutes urbaines qui ont enflammé les banlieues françaises et qui furent si médiatisées. C'est pourtant dix ans auparavant que Kassovitz, alors âgé de 28 ans seulement, tourna un film choc qui fut salué unanimement par la critique sur ses qualités formelles sûrement davantage que sur ce que le film montrait. Le réalisateur en fut conscient, gêné sûrement quand il fut propulsé dans le monde très glamour de Cannes où il fut d'ailleurs récompensé. Kassovitz regrette d'ailleurs que l'engouement pour son film ait servi justement le film et pas la cause qu'il mettait en scène.
Le public lui rendit également honneur en allant nombreux voir ce film. Et notamment le public des banlieues pour qui La haine représentait un film de référence.

Introduction
La question qui se pose est simple. Est-ce que ce film a réellement marqué une rupture dans le cinéma français dans sa manière de représenter la banlieue? Avant lui, d'autres avaient montré cet

jeudi 17 mai 2012

La boum: un film entre trente glorieuses et crise


Sophie Marceau dans son premier (et plus grand?) rôle
Vic
Bonjour à tous,

le 17 décembre 1980 sortait La boum de Claude Pinoteau qui avait déjà réalisé quelques années auparavant La gifle avec Isabelle Adjani et Lino Ventura. Déjà une histoire d'une jeune fille qui rêvait de davantage de libertés, déjà des parents qui vivaient séparés, déjà une idée de divorce, déjà une possibilité de liberté sexuelle. Mais surtout, une jeunesse qui continue à revendiquer et à manifester dans la rue. Mais dans La boum, Vic, 13 ans,incarnée par la débutante Sophie Marceau, vit heureuse dans une famille bourgeoise. Le père, François Beretton, interprété par Claude Brasseur, est dentiste tandis que la mère, Françoise Beretton, jouée par Brigitte Fossey, est dessinatrice de bandes dessinées. Le film commence par une salle de classe, histoire de planter le décor: ce sera une histoire qui racontera la vie des élèves. Puis plusieurs plans qui montrent Paris, mais les beaux quartiers, et surtout, la place du Panthéon et le lycée Henri IV qui n'est pas ce qu'on appelle un établissement de banlieue. Et Vic arrive devant l'entrée du lycée tandis que ses parents emménagent

dimanche 13 mai 2012

Le Happy end: une notion très importante pour comprendre une société

Bonjour à tous,

très régulièrement, les spectateurs de films évoquent, parlent ou critiquent les "happy end" des films. Ce terme est ce qu'on appelle un faux ami. En traduisant littéralement, cela donne donc "une fin heureuse, joyeuse". Cette traduction correspond souvent à la réalité de la traduction, avec des films divers et notamment des films pour la jeunesse dont l'objectif serait de fixer sur pellicule (ou numérique maintenant!) la morale de la société. Le film La boum de Claude Pinoteau en 1981en est un exemple, même si la famille présentée était déjà différente de celle modèle des années 1960 en France. Pourtant, cette expression est plus complexe qu'il n'y paraît. Quand le code Hays fut mis en place, le "happy end" ne correspondait pas seulement à terminer un film par une fin "heureuse"mais à une fin morale, c'est-à-dire à une fin dont les représentants de l'ordre, de la morale et du bien l'emportaient sur les autres, les bandits, les dépravés et autres contrevenants aux bonnes moeurs. Cette approche permet alors de mieux saisir l'évolution des sociétés quant à ce qui est représentable ou non.

Respecter le "happy end": pourquoi?
Que ce soient l'URSS ou les USA, la France ou d'autres pays européens, tous ces pays ont eu une production cinématographique qui a suivi cette règle du "Happy end", forcée par la loi, par la règle ou par l'usage. Bien évidemment, les films soviétiques ne pouvaient finir autrement que par une valorisation du modèle communiste dans la séquence finale. La liste des films est assez pléthorique pour n'en citer que quelques uns, du Cuirassé Potemkine en passant par tous les autres chefs-d'oeuvres des années 1920 au film Les moissons et autres films de pure propagande des années staliniennes et de ses successeurs. Le cinéma hollywoodien ne fut pas en reste. Le code Hays des années 30, le soutien des majors durant la seconde guerre mondiale puis la guerre froide, et notamment pendant le maccarthysme, ont eu pour conséquence de voir triompher le bien défini par l'establishment le plus souvent puritain et anti-communiste.
En France, le cinéma n'est pas beaucoup moins éloigné de cette ligne du respect de l'ordre dans ses films. Les gangsters se font tuer ou arrêter par les policiers. Et si parmi ces derniers il y a des traîtres, nulle rédemption possible. Un flic pourri n'est pas récupérable.
Le respect du "happy end" classique dans les films est donc un signe évident du respect d'un ordre établi et des valeurs qu'il est sensé représenter pour la société. Au contraire de la littérature, le cinéma est jugé comme étant plus nécessaire à contrôler dans le message qu'il véhicule. La nature même de la création cinématographique permet davantage de contrôle que pour d'autres créations artistiques. Le financement provenant de sociétés privées ou d'Etat, celles-ci veillent scrupuleusement à ce que le message ne soit pas subversif, ou en tout cas, le moins contraire à ce qui correspond à leurs valeurs.
Nombre de films qui ont pu apparaître comme des contestations de l'ordre établi ne font cependant que conforter cet ordre par un "happy end". Parmi les films les plus célèbres dans ce cas se trouve Metropolis dont la fin contraste singulièrement avec le discours global du film. Le patron de l'entreprise finit bien par serrer la main du mouvement contestataire ouvrier, laissant augurer un avenir meilleur sans remettre finalement en cause l'ordre établi.

Curd Jurgens veut Brigitte Bardot dans son lit,
mais elle est mariée à Jean-Louis Trintignant.
Un scénario torride pour une fin malgré tout très morale!
Plus récemment, Et dieu créa la femme si provocateur avec la dans frénétique de Brigitte Bardot se finit malgré tout dans un retour à l'ordre marital classique.

Même dans le film Le cave se rebiffe en 1961 dont les héros sont des truands faisant de la fausse monnaie, le "happy end" est en quelque sorte sauvé. En effet, si deux d'entre eux réussissent à récupérer l'argent - vrai - en échange de celui qu'ils ont imprimés - et donc faux! - le film se finit tout de même par un carton rappelant que tous les protagonistes de l'histoire furent arrêtés par la police!
Il est donc évident que le cinéma, même "libre" de pression d'Etat, est un art dont la propension à remettre en cause des valeurs d'ordre public ou morales est assez conditionné à une évolution tendancielle de l'opinion publique. Les films - et même les séries - destinées aux adolescents peuvent de prime abord être perçues comme contraires à la morale et aux représentations traditionnelles du respect des valeurs notamment familiales. Or il est très rare que la morale de ces films - et donc de ces séries - ne revienne pas à un retour vers un ordre établi, quitte à voir les parents ou les institutions mises en causes dans le film faire un pas vers les jeunes. C'est peut-être ce qui amènera au qualificatif de progressiste!
Le "happy end" au sens du respect des valeurs de l'ordre public traditionnel est donc un élément identifiant fort pour analyser une société, les valeurs qui l'animent et les marges d'évolution possible.

Les deux vagabonds héros du film Les temps modernes
de Charlie Chaplin
Quand le "Happy end" n'est plus respecté...
Le cinéma, même américain, n'a pas attendu la fin du code Hays pour remettre en cause l'ordre établi et encore moins pour finir par une absence de "happy end". En 1937, Chaplin dans Les temps modernes  n'était-il pas beaucoup plus subversif que Fritz Lang dans la conclusion de son film. Quand Fritz Lang faisait se serrer les mains du patron et de l'ouvrier, Chaplin fait errer les deux amants vagabonds et clochards rejetés de la société à laquelle ils aspirent pourtant dans une séquence mémorable. Pas de "Happy end" ici puisque l'ordre établi et les valeurs du modèle américain sont clairement dénoncés. Loin de permettre à tous de pouvoir devenir quelqu'un, le modèle américain vu par Chaplin est un modèle qui exclut les plus modestes de l'illusoire "rêve américain". Le film fut néanmoins un succès, peut-être parce que Charlot était un marginal pour la société américaine et que finalement, il n'était pas un personnage dans lequel l'Américain moyen pouvait vraiment se projeter.
Ce ne fut pas le cas dans le film de Renoir La règle du jeu. En 1939, le film explose la société française, montrant qu'elle reste une société hiérarchisée malgré la république et que les valeurs qui l'animent sont finalement loin d'être une réalité. L'antisémitisme touche tout le monde, y compris le petit personnel! Mais surtout, alors qu'il y a eu un meurtre, celui-ci sera finalement couvert par un témoignage affirmant que ce fut un accident. Ainsi, l'ordre public ne pouvait être rétabli puisque le crime n'était pas puni, sous couvert de tas de bonnes raisons soi-disant morales elles-mêmes. C'est bien ce que dénonçait d'ailleurs le réalisateur. Les personnages incriminés, les héros du films auxquels les spectateurs s'étaient attachés s'en sortaient, ce qui pouvait constituer un "happy end" au sens commun mais pas au sens réel. Les spectateurs français étaient donc mis face à une réalité dans laquelle ils pouvaient certainement se projeter, il suffit de se souvenir de la tirade de Jean Renoir affirmant que tout le monde mentait depuis 1936, mais à laquelle ils ne pouvaient pas adhérer. Accepter cette fin, c'était accepter ce que disait le film. Que le criminel, le fut-il par accident, soit arrêté et condamné, aurait conforté les spectateurs dans l'illusion de leur société. Le film fut un échec malgré ses qualités indéniables. Mais la remise en cause du "happy end" n'était pas acceptable. Pas encore.
Les échecs, ou les succès, des films ne s'explique pas seulement par le respect ou non du "happy end". Le non respect de ce dernier doit, pour être accepté, renvoyer à une forme proche de la parabole, comme peut l'être Charlot, ou bien correspondre à une évolution de la société à qui est destiné le film.

La fin du "happy end"?
Il est de coutume de dire que le premier film américain à ne pas avoir respecté le "happy end" est le film Guet apens de Sam Peckinpah avec Steve Mc Queen et Ali Mc Graw. Ces hors la loi, poursuivi par la police réussissent à s'en sortir s'en avoir à rendre des comptes à la justice. Depuis ce film, le cinéma américain n'a plus été inhibé, concluant régulièrment par des fins dans lesquelles des personnages ayant agi en contradiction avec l'ordre établi n'ont pas été inquiétés par ce dernier, voire ont pu prospérer. C'est par exemple le cas du héros de Impitoyable de Clint Eastwood en 1992 qui après avoir tué plusieurs individus devient un homme d'affaire, c'est tout du moins ce que dit le carton final du film.
Du côté français, le non alignement sur le "happy end" classique s'observe aussi dans bien des films. Yves Boisset, dans Dupont Lajoie en 1975 ou dans Le prix du danger renonce au "happy end" de manière très déconcertante. Dans le premier cas, le violeur d'une jeune fille interprété par Jean Carmet laisse s'organiser et même participe à une ratonnade sur des travailleurs immigrés clandestins accusés d'avoir perpétré ce crime. Il s'en sort impuni par la justice française. La séquence finale voit un des rescapés du lynchage venger son frère en tuant le vrai violeur. Ce crime ne peut être impuni non plus. Mais en finissant sur ce meurtre, Boisset ne prône pas la légitime défense mais dénonce le racisme et une société qui est incapable de faire respecter l'ordre, couvrant des crimes croyant maintenir un ordre social mais générant une violence incontrôlable. Dans Le prix du danger en 1983, c'est une chaîne de télévision qui crée un jeu dans lequel les participants acceptent d'être des chasseurs ou d'être chassé contre un pactole. Le film dénonce bien évidemment les dérives possibles de la télévision. Mais surtout, et alors que des meurtres sont perpétrés, les règles du jeu dénoncées et les tricheries démasquées, le candidat interprété par Gérard Lanvin est finalement mis en hôpital psychiatrique. Le jeu télévisé est quant à lui maintenu et même développé sans que les autorités de l'Etat n'interviennent. Cette absence de "Happy end" était plus acceptable pour la société que pour La règle du jeu car le film se voulait être de l'anticipation dans un pays imaginaire. La morale contraire à la morale de l'ordre établi était acceptable car elle ressemblait finalement à celle d'un signal d'alarme contre une telle évolution de la télévision et pour laquelle la majorité des spectateurs pouvait se sentir impliquée en refusant justement une telle dérive.
D'autres films ont eu ensuite une morale sans "happy end" parmi lesquels La haine de Mathieu Kassovitz, sorti en 1995. La fin était terrible, annoncée dès la première séquence. Un policier tue un jeune de banlieue par accident mais après avoir voulu lui faire peur avec son revolver. Le héros temporisateur du film pointe alors d'une arme le policier qui tend la sienne à son tour. Le film se finit sur une double détonation, sans image. Quel "happy end"? Le policier "assassin" est certainement tué mais c'est certainement lui qui a aussi tué son meurtrier. Kassovitz nous présente une société violente dans laquelle il n'exonère pas les jeunes des banlieues mais dont les causes viennent aussi, et peut-être surtout d'institutions qui ne savent pas répondre à la situation sociale des habitants des banlieues.

"Happy end" et "happy end": la question de l'empathie
Si le "happy end" est plutôt la règle dans les films, celui-ci doit donc se distinguer par plusieurs formes. Le "happy end" conventionnel dans lequel les héros représentent le bien et la morale l'emportent sur ceux qui n'agissent pas en conformité avec l'ordre établi et qui sont punis. C'est le principe de Robin des Bois ou de Zorro. D'autres films peuvent laisser l'illusion d'un "Happy end" parce que les héros du film réussissent alors même qu'ils sont des bandits. Les tontons flingueurs relèvent de ce registre, comme Guet apens cité plus haut.
Enfin, vous avez des films dont les héros sont des hors la loi ou des êtres foncièrement mauvais mais qui, par le récit et la mise en scène, génèrent en vous une certaine emapthie. C'est le cas de Bonnie and Clyde, Easy rider  et même plus récemment La chute dans lequel le personnage de Hitler a une approche plus humaine qu'abituellement. Pourtant, la fin les condamne, dans les cas cités par la mort, respectant le principe du "happy end".
Il se peut parfois que deux "happy ends" soient possibles. C'est le cas des Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang. Ce dernier voulait que son héros, Mr Fox interprété par Stewart Granger laisse un jeune héros en mourant sur une embarcation en pleine mer. Fox était un trafiquant et en mourant, il était finalement puni par une morale supérieure à laquelle il se soumettait, laissant le jeune garçon désormais libre. Le "happy end" était dans la morale même si le héros pour lequel le spectateur avait de l'empathie devait mourir. Les studios l'obligèrent à réaliser une autre fin en ajoutant une séquence dans laquelle le jeune garçon qui a hérité de la propriété de Fox, annonce qu'il attend le retour de son ami, une sorte de père de substitution. Avec cette fin, le "happy end " est différent. Il laisse planer un suspens sur la mort de Fox. Mais surtout, il consolide l'idée très conservatrice d'une cellule familiale forte, fut-elle adoptive, liant le fils à son père, le tout adossé à une logique patrimoniale. Cela fut imposé par les studios à Fritz Lang qui fit de son film celui qu'il détesta le plus de son oeuvre!
Le "happy end" a donc une véritable fonction pour le réalisateur. Il est le garant d'un ordre établi, qu'il soit celui de la famille ou de la société. Rompre avec cet ordre ou le remettre en cause, c'est le témoignage que celle-ci est en mutation et dénonce cet ordre, soit qu'il ne corresponde plus aux aspirations de la population soit parce que l'institution censée faire respecter cet ordre est défaillante.

L'historien, le sociologue, le politique et tous ceux qui doivent analyser l'évolution de la société et consulter son poul devraient parfois prendre conscience que le respect ou le non respect d'un "happy end" dans certains films est souvent révélateur d'une réalité de la société dont la mutation doit être prise en compte pour apporter soit une analyse pour les uns, soit une solution politique pour les autres. Cela peut valoir bien des sondages sur l'état de la société!

A bientôt


Lionel Lacour

mercredi 9 mai 2012

Censure et Cinéma aux 5èmes Rencontres Droit et Cinéma de La Rochelle

Bonjour à tous,

je me fais aujourd'hui le relais d'une manifestation de très grande qualité se déroulant à La Rochelle pour la 5ème édition déjà. Ce sont également des Rencontres Droit et Cinéma mais, à la différence de celles que j'organisent à Lyon, abordant le sujet selon un angle thématique.
Si vous êtes du côté de La Rochelle, ne manquez pas ces conférences et projections!

CENSURE ET CINEMA
Vèmes RENCONTRES DROIT ET CINEMA
 (programme provisoire)
La Rochelle, Les 29-30 JUIN 2012
                                                         Salle de l’Arsenal, place J.-B. Marcet, face au Carré Amelot

VENDREDI 29 JUIN
9h30 Accueil des participants
10h Allocutions de bienvenue

I - HISTOIRES DE CENSURE
10h30 - 12h sous la présidence de Gilles Menegaldo, professeur de littérature américaine et cinéma, Université de Poitiers
-         Fantômas et la censure dans les films de Louis Feuillade par Annabel Audureau, docteur en littérature comparée, enseignante et expression et communication à l’IUT de La Rochelle, Université de La Rochelle
-         The Rise and Fall of Free Speech in America : le code et l’autocensure du cinéma classique hollywoodien par Chloé Delaporte, ATER au département cinéma et audiovisuel, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3
-         Réflexions sur la censure cinématographique à partir du Prête-nom de Martin Ritt (Etats-Unis, 1976) par Jacques Viguier, professeur de droit public, Université de Toulouse 1 Capitole, IDETCOM
-         Débat

II - LA CENSURE DANS TOUS SES ETATS  (1ère partie)
14h - 15h30 La censure en  France
Sous la présidence de Françoise Thibaut, professeur des universités, correspondant de l’Institut
-         Claude Bernard-Aubert ou l’art de fâcher les censeurs par Delphine Robic-Diaz, maître de Conférences en études cinématographiques, Université Paul Valéry Montpellier 3
-         Mesurer le rendement censorial, la conflictualité professionnelle et la transgression cinématographique (France, 1945-1975) par Frédéric Hervé, doctorant en histoire, Université de Paris 1
-         La violence cinématographique, nouvelle censure en France par Albert Montagne, docteur en histoire, rédacteur aux Cahiers de la cinémathèque et intervenant au pôle régional d’éduction à l’image Languedoc-Roussillon
-         Débat
15h30 - 16h Pause café
16h - 17h15 La censure en Europe
Sous la présidence de…
-         Die Sünderin/Confession d’une pécheresse (de Willi Forst, All., 1951) : cinéma, morale, ordre public, et la garantie constitutionnelle allemande de la liberté artistique par Thomas Hochmann, docteur en droit public de l’université Paris I Panthéon Sorbonne, post-doctorant au Centre Perelman de philosophie du droit, Université Libre de Bruxelles, chargé de cours aux universités Libre de Bruxelles et de Mons
-         The Life of Brian (de Terry Jones, Grande-Bretagne, 1979) des « Monty Python » : hérétique ou simplement humoristique ? par Brigitte Bastiat, docteure en sciences de l’information et de la communication, PRCE d’anglais, Université de La Rochelle, membre associé du CRHIA et du Centre d’études irlandaises de Rennes 2 et Frank Healy, maître de conférences en anglais (CIEL), Université de la Rochelle
-         Débat

18h45 : Cocktail à la boutique Cinématouvu (10 rue de la Ferté, La Rochelle)
20h : FILM d’ouverture du Festival International du Film de La Rochelle

SAMEDI 30 JUIN
II - LA CENSURE DANS TOUS SES ETATS (2nde partie)
9h30 – 10h50 La censure dans le monde (1ère partie)
Sous la présidence de Xavier Daverat, professeur de droit privé, Université Montesquieu Bordeaux IV
-         Le charme discret de la censure au cinéma en République Populaire de Pologne entre 1953 et 1981 par Katarzyna Lipinska, doctorante en sciences de l’information et de la communication, Université de Bourgogne, réalisatrice audiovisuelle et monteuse
-         A l'épreuve de la censure : His Girl Friday et le bureau de Censure des vues animées de la Province de Québec par Jérémy Houllière, doctorant en études cinématographiques, Universités de Montréal et Rennes 2
-         La classification des œuvres cinématographiques : une atteinte à la liberté d'expression ? par Louis-Philippe Gratton,  doctorant en droit public, ATER, Université de Toulouse 1 Capitole
-         Débat
10h50 - 11h05 Pause café
11h05 – 12h La censure dans le monde (2nde partie)
Sous la présidence de…
-         Voyage au bout de la censure : La dernière tentation du Christ. De Kazantzakis à Scorcese par Lampros Flitouris, maître de conférences histoire européenne,  Université d'Ioannina et chargé de cours à l’Université Ouverte de la Grèce (Open University), membre associé au Centre d’histoire culturelle des Sociétés contemporaines de l’Université Versailles Saint Quentin
-         No Sex in this City : Hollywood face à la censure au Moyen-Orient par Nolwenn Mingant, maître de conférences en civilisation américaine, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3
-         Débat

III - IDEOLOGIE(S) DE LA CENSURE
14h - 15h40 Sous la présidence de…
-         Le cas de M. de Fritz Lang par Sylvain Louet, professeur agrégé de lettres modernes au lycée Montaigne, Paris
-         Censure et sexualité : enjeux politiques et esthétiques. Analyse de quelques longs métrages en France et aux Etats-Unis depuis les années 1950 par Alain Brassart, docteur en études cinématographiques, chargé de cours à l’Université Charles de Gaulle-Lille III
-         Filmer la censure : The People vs Larry Flint (de Milos Forman, E-U, 1986) par Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences en droit privé, Université de Nancy 2, Institut François Gény
-         Deux antipodes de la figuration du bonheur au travail dans les films français : de l’autocensure au plaidoyer par Lucile Desmoulins, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, CNAM DICEN, Université Paris-Est IFIS
-         Débat

15h40 - 16h Pause café

16h - 17h30 Table ronde : La censure : quelle actualité ? animée par Eve Lamendour, maître de Conférences en sciences de gestion, CEREGE LR-MOS, Université de La Rochelle

Avec : Patrick Brion, historien du cinéma, responsable du département cinéma de France 3, créateur et animateur du Cinéma de minuit (sous réserve)
          Daniel Serceau, professeur d’esthétique du cinéma, Université Paris I Panthéon-Sorbonne (sous réserve)
          Gauthier Jurgensen, membre de la commission de classification des œuvres   cinématographiques, assistant d’édition aux Editions Montparnasse, chroniqueur cinéma sur Canal Académie
          Victor Bashiya Nkitayabo, réalisateur-scénariste, directeur technico-artistique à la   Radio Télévision Nationale Congolaise (sous réserve)
              Cécile Ménanteau, directrice du Katorza, Nantes (sous réserve)

18h45 : Cocktail à la boutique Cinématouvu (10 rue de la Ferté, La Rochelle)          
20h : FILM dans le cadre du Festival International du Film de La Rochelle