en 1997, Franck Oz, connu surtout pour ses films aux marionnettes comme Dark Crystal ou les séries comme Sesame street, réalisait une comédie légère sur le thème du coming out d'un professeur de littérature du village de Greenleaf, Howard Brackett, interprété par le délirant Kevin Kline. Howard doit se marier après trois années de fiançailles. Un de ses anciens élèves, Cameron Drake, incarné par Matt Dillon, reçoit l'oscar pour son interprétation d'un soldat américain se découvrant homosexuel. Et alors que tous les habitants de Greenleaf, y compris Howard, regarde la cérémonie à la télévision, Cameron dédie sa statuette à son professeur de littérature... puis révèle son homosexualité. Stupeur dans tout le village, chez les parents d'Howard, chez ses élèves et bien sûr chez Emiliy sa fiancée, interprétée par Joan Cusack.
De ce point de départ, Franck Oz déroule une comédie gentillette sur le bouleversement de cette révélation et l'acceptation de l'évidence pour Howard. Revoir ce film aujourd'hui est difficile à double titre.
Difficile d'abord du point de vue purement cinématographique car il y a un sérieux manque de rythme dans la mise en scène. Ce qui était déjà vrai en 1997 l'est davantage aujourd'hui, plus de 15 ans après sa sortie. Les séquences "en mouvement" se traînent et Franck Oz n'est manifestement pas le plus grand des réalisateurs dans ce domaine. Le scénario apparaît également assez simpliste car extrêmement prévisible sur les péripéties et sur ce que chacun des personnages va devenir dans une comédie dont les bons sentiments figurent de manière quelque peu excessive. Quelques séquences cependant restent très drôles soit par l'interprétation à la fois subtile et sans retenue de Kevin Kline, jouant l'homme précieux sans jouer la caricature de l'efféminé, soit par quelques vraies trouvailles de comédie, liée au sujet même ou pas. Par exemple, alors que Howard va se confesser auprès d'un prêtre après la révélation télévisée pour savoir s'il est vraiment gay. En annonçant qu'il n'a pas couché avec sa fiancée depuis qu'ils sont ensemble, soit trois ans, le curé lui affirme sans détour qu'il est gay quand Howard n'y voit que le respect de l'être chéri! En dehors du sujet de l'homosexualité, la fiancée de Cameron, un mannequin anorexique et superficiel, se retrouve seule dans un motel de Greenleaf et veut appeler son agent. La voir face à un téléphone à cadran en train d'essayer de composer son numéro sans comprendre qu'il faut tourner le dit cadran est assez irrésistible. Mais cela ne suffit pas pour faire de ce film un bon film, loin de là, malgré d'autres gags qui peuvent déclencher eux aussi le sourire.
Bande annonce
Difficile ensuite de revoir ce film au regard du sujet abordé. Et là, il ne s'agit pas de mettre en défaut cette œuvre qui s'inscrit dans un contexte particulier de la condition des homosexuels dans les sociétés occidentales avec tout ce que cela charriait de préjugés, de lieux communs et de caricature. Le point de départ de cette comédie est lié au discours de Tom Hanks recevant l'oscar pour son rôle d'homosexuel dans Philadelphia. Il est aussi lié aux multilples outings que de nombreuses célébrités subissaient, révélant leur homosexualité présumée, dont elles se cachaient, preuve s'il en était qu'être homosexuel et l'assumer n'allait pas de soit même dans les années 1990. C'est ainsi que l'homosexualité de Jodie Foster fut révélée par des militants homosexuels, ce que l'actrice démentit d'abord avant que de l'admettre. De la même manière, Tom Selleck fut la cible de ces mouvements prônant la fierté homosexuelle et il fut donc classé comme homosexuel, information relayée par le tabloïd Globe à qui il intenta un procès en 1991 qui se solda par une transaction financière. Quoi de plus amusant alors que de voir ce même Tom Selleck interprété le rôle d'un journaliste homosexuel couvrant l'événement faisant d'Howard Brackett un héros de la cause gay bien malgré lui.
Car au-delà du contexte de la production du film, c'est bien le regard sur les homosexuels qui est posé par les auteurs du film. D'où la difficulté de le regarder aujourd'hui puisque les questions posées en 1997 semblent ne pas avoir été réglées depuis, du moins en France au regard du débat pour le "Mariage pour tous" qui a agité le pays durant le premier semestre 2013. En effet, le film montre, certes sous l'angle de la comédie et dans un déroulement presque idéal, toutes les étapes pour qu'un homosexuel s'accepte comme tel et se fasse accepter ainsi.
Emily (Joan Cusack) et Howard (Kevin Kline)
devant leur télévision quand Cameron Drake proclame
l'homosexualité de Howard à sa remise de l'Oscar
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Comme il a été précisé plus haut, Howard Brackett ne s'est pas reconnu homosexuel spontanément. Il a fallu que Cameron Drake le lui révèle, et ce de manière très peu discrète. Cet élément déclencheur entraîne alors dans le film les premières réactions en chaîne de l'environnement immédiat d'Howard, à commencer par lui-même. Le mot clé est alors la stupéfaction! Sa fiancée, ses parents et ses amis lui demandent alors de confirmer cette proclamation télévisée. S'en suit alors la question logique. Qu'est-ce qui a conduit Cameron à estimer que son ancien professeur était homosexuel. Ce sont ses élèves qui vont lui donner la réponse: il aime la littérature, il aime les comédies musicales avec Barbra Streisand, il est toujours bien habillé, il est précieux dans ses gestes et... il fait du vélo. On voit combien ce dernier élément est lié au contexte de l'époque puisque aujourd'hui, ce dernier trait pousserait à être jugé comme écolo et non homo! On a donc un jugement qui repose sur des signes extérieurs attribués à l'homosexuel. De ce point de vue, le film repose d'abord sur des clichés qu'Howard dénonce fortement, d'autant qu'il va se marier avec Emily, preuve de son hétérosexualité.
Le journaliste Peter Malloy (Tom Selleck) expliquant
ce que c'est qu'être gay à Howard
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Ce que le film montre ensuite est bien la pression sociale qui s'exerce sur les hommes qui doivent être de "vrais mecs". C'est ainsi qu'Howard n'a pas conscience de son homosexualité parce que socialement, elle ne peut être reconnue comme telle. La preuve en est la menace qui pèse sur lui d'être licencié du lycée dans lequel il travaille s'il ne se marie pas ou s'il confirme être gay. Son hétérosexualité lui permet d'avoir une reconnaissance sociale par le travail. Être gay, c'est risquer de convertir et donc de corrompre la jeunesse de Greenleaf! De fait ses agissements sont conditionnés par cette pression extérieure, même lors de l'enterrement de sa vie de garçon où il réclame des films pornographiques plutôt que de voir les films qu'il aime, comme ceux de Barbra Streisand. Cette pression sociale est aussi familiale. Ainsi, sa propre mère - incarnée par la grande Debbie Reynolds! - lui dit être prête à accepter qu'il soit homosexuel à condition qu'il se marie avec Emily comme convenu! On voit bien ici combien l'homosexualité est une situation qui est au mieux acceptable mais qui ne peut passer qu'après les codes qui régissent une société dont le mariage est une des clés de voûte. C'est enfin la propre inhibition d'Howard qui est révélée quand il va se confesser auprès du prêtre - voir plus haut. L'affirmation du prêtre n'est plus du registre de l'apparence comme lors de la première étape mais du comportement. Celui-ci est également lié à un contexte contemporain. L'argument du respect pour sa fiancée ne peut en effet pas tenir, selon le prêtre, sans que cela ne cache une homosexualité refoulée. En d'autres temps, ce respect aurait pu être entendu en imaginant que le fiancé soit allé voir d'autres filles! Or ce qui apparaît suspect au prêtre est bien la chasteté d'Howard particulièrement étrange en cette fin de XXème siècle!
3ème étape: vouloir être hétérosexuel à tout prix
Howard entre alors dans une lutte intime pour se prouver qu'il n'est pas homosexuel. C'est d'abord en appliquant une méthode audio pour être un vrai "mâle" qu'il réalise qu'il n'aurait pas les caractéristiques d'un vrai hétérosexuel. Le film reprend alors le principe des clichés: l'hétéro viril et insensible, sans grâce, sans souci de l'élégance tandis que l'homosexuel serait un être sensible, aimant danser et toujours tiré à quatre épingles. Cette caricature est là encore liée à un contexte depuis battu en brèche. Le métrosexuel revendique son hétérosexualité mais aime prendre soin de son corps, s'épile, s'habille à la mode. Les publicités attestent de cette transformation de la représentation de l'homme viril et certaines photographies des "mâles" d'aujourd'hui comme David Beckham ferait passer Howard Brackett pour un rustre!
Peter essaye de convaincre Howard de son homosexualité! |
4ème étape: Se faire accepter en tant qu'homosexuel
La dernière partie du film se concentre alors sur une séquence assez forte, drôle mais surtout émouvante, même si évidemment très "politiquement correcte". En effet, Howard assiste à la remise des diplômes de ses élèves quand bien même il a été licencié de son établissement. Alors que le prix du meilleur enseignant est remis à un des professeurs, Cameron entre dans la salle et s'interroge sur le fait que ce ne soit pas son ancien enseignant qui ait reçu ce prix. Le directeur est donc contraint d'annoncer publiquement le renvoi d'Howard pour cause de moralité au regard de son homosexualité. Ceci entraîne alors un mouvement de désapprobation de toute l'assemblée, d'abord de ses élèves, puis de la famille d'Howard, de ses amis et enfin de l'ensemble des personnes présentes, tous se reconnaissant "GAY".
Cette vision idyllique d'une communauté majoritairement tolérante confine évidemment à mettre les conservateurs traditionalistes du côté des personnes mauvaises et rétrogrades. Une telle acceptation de l'homosexualité est largement exagérée mais c'est bien l'enjeu du film que se trouve présent dans cette séquence. En effet, le soutien de tous ne vaut pas comme une conversion mais comme la reconnaissance sociales des homosexuels dans une société moderne. À l'argument du risque de voir des élèves être influencés par Howard quant à leur orientation sexuelle, tous le renverse, y compris sa mère qui se dit avoir été influencée par son fils et qu'elle est donc "gay" elle aussi. Sous l'angle de la comédie, Franck Oz veut battre en brèche la dialectique homophobe classique qui fait de l'homosexualité une maladie contagieuse.
L'épilogue joue enfin sur des (mini) surprises. Howard est habillé en smocking comme pour un mariage. Peter se rapproche de lui. Ils sont donc désormais en couple. Vont-ils se marier? Plan suivant, le mariage commence avec le prêtre à l'écran. Un mariage homosexuel rendu par un prêtre catholique. Pour le coup, cela ressemblerait furieusement à une transgression majeure! Mais le mariage filmé est celui des parents d'Howard qui renouvellent leur union, sous le regard de tout Greenleaf et du couple Howard et Peter. On peut alors trouver cette conclusion particulièrement classique et traditionnelle. Finalement, l'heure ne serait pas encore au mariage entre homosexuels qui serait reconnu par l'Église. Il s'agit d'une noce entre hétérosexuels, preuve qu'une union sacrée normale ne pourrait avoir lieu qu'entre un homme et une femme, et ici, entre des personnes déjà âgées, pilier d'une communauté. Par extension, la société peut être tolérante mais ses bases reposeraient sur le mariage hétérosexuel. Mais on peut donner une autre interprétation beaucoup moins conservatrice, laissant entrevoir d'autres évolutions sociétales. En effet, par l'acceptation de l'homosexualité de leur fils, en l'invitant avec son compagnon à leur noce, cette séquence prouve que les couples gays ne menacent en rien la société traditionnelle. Mais sans le dire, Franck Oz pousse le bouchon encore un peu plus loin que la simple reconnaissance des homosexuels. Car s'il ne le dit pas, il le montre dans la séquence de clôture du film sur laquelle court le générique de fin. Ces images présentent la fête nuptiale sur fond de Macho man des Village people, groupe disco associé à la culture homosexuelle, et dans laquelle Howard danse frénétiquement. En isolant cette séquence du reste du film, le spectateur associerait sans aucun doute Howard à l'heureux époux. Peut-être l'étape suivant pour Franck Oz.
Le film est de 1997 et bien des progrès pour la communauté homosexuelle américaine ont eu lieu, avec notamment des premiers mariages entre personnes de même sexe dans certains États, ou avec une pétition signée par des célébrités pourtant classées conservatrices comme Clint Eastwood pour la reconnaissance du mariage gay.
Bien sûr, tout se passe en une semaine avec une accélération improbable de l'évolution des mœurs de cette petite communauté, ce qui ne place donc pas le film dans la catégorie des chroniques réalistes mais bien de celles des contes moraux. Son propos est d'abord celui de la tolérance de l'amour entre deux garçons ou entre deux filles. Il ne s'agit donc pas d'une histoire sur toutes les possibles orientations sexuelles. Rien par exemple sur les désormais fameux "bi" dont il est tant question aujourd'hui, "catégorie" dans laquelle aurait pu se situer Howard! Le récit propose d'une certaine manière une forme de déterminisme absolu qui fait que l'on est soit hétéro, soit homo. Mais le sujet ne se prêtait pas, il est vrai, à la nuance ou au listing de tous les différents comportements sexuels entre adultes consentants honnis par les mouvements conservateurs ou réactionnaires. On peut alors se réjouir d'un tel discours, généreux dans son message, et finalement pas si désagréable dans la forme malgré les réserves émises au début de cet article. Quant au fond du sujet, il faut constater que si l'évolution évoquée dans In and out semblait aller de soi, il faut aussi se rendre à l'évidence que tel n'est toujours pas le cas aujourd'hui et que les mouvement ultra-conservateurs minoritaires du film sont beaucoup plus présents et puissants en réalité. La France en a été un exemple particulièrement saisissant ces derniers mois.
À bientôt
Lionel Lacour
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