dimanche 6 mars 2011

The searchers ou "La prisonnière du désert": le premier film pro indien de John Ford?

Bonjour à tous,

j'ai mis beaucoup de temps à parler de ce film bien qu'il soit certainement un de mes préférés, du genre dont on dit qu'on l'emporterait sur une île déserte!
Tout a été dit ou presque sur ce chef-d'œuvre tourné en décors naturels, dans le site de Monument valley dans lequel Ford tourna si souvent avant et qu'il réutilisera notamment dans Le sergent noir et dans Les cheyennes après l'avoir tant utilisé avant comme dans La chevauchée fantastique en 1939.

En quoi donc cette Prisonnière du désert tourné en 1956 constitue-t-elle ce film presque parfait alors même qu'il n'est pas forcément aussi positif que bien d'autres films de ce genre?

L'immense John Wayne
Pour ceux qui douteraient encore du talent du "Duke" parce qu'il jouerait toujours de la même manière, avec des rôles faits sur mesure pour montrer sa force, ou parce qu'il était un républicain anti-communiste avéré, regardez ce film en oubliant tous ces préjugés.
Wayne y joue un personnage, Ethan, qui a toutes les caractéristiques habituelles de ses rôles: il sait tout des Indiens, de la stratégie à adopter, il est reconnu comme un homme fort et est respecté, et manifestement, il a été aimé secrètement par la femme de son frère et a même sauvé un jeune enfant métis indien.
Pourtant, Ethan est absolument antipathique. Rien de ses caractéristiques ne nous le rend sympathique. Son savoir, son expérience le conduisent à chaque fois dans une haine de l'autre de plus en plus redoutable et à laquelle le spectateur ne peut adhérer. C'est son alter ego, le jeune métis, Martin Pawley, devenu adulte qui, bien qu'inexpérimenté, montre de l'humanité dans laquelle chaque spectateur peut s'identifier.

John Wayne incarne de manière brillantissime ce Ethan sans surjouer, tout en retenue, y compris dans sa fureur ou sa haine des Indiens, jusqu'à la dernière séquence! Héros sans empathie possible. À croire que seul John Ford pouvait le faire sortir du rôle de héros triomphant, comme ce sera encore le cas dans L'homme qui tua Liberty Valance.

Une mise en scène en miroir
Tout spectateur ayant vu ce film se souvient toujours de la première séquence du film et de la dernière. Et pour cause, elles sont construites à l'identique, s'ouvrant ou se fermant sur une porte au travers de laquelle on aperçoit Ethan. Si ces deux portes ne sont pas les mêmes, cette mise en scène n'est pas juste un effet de style. En effet, on retrouvera cette idée d'intérieur/extérieur tout le long de l'histoire tandis que tout le film est construit sur la reproduction d'un événement, d'un objet, d'un son avant et après une séquence servant de miroir.
Ainsi, un chien aboie quand Debbie est enlevée par le chef indien au début du film Et celui-ci souffle dans sa corne pour prévenir le reste de sa tribu. Et un chien aboie avant l'attaque, signalée par le bruit du clairon, par l'armée du camp de ce chef à la fin du film. Et que dire de la symétrie de comportement entre Ethan portant Debbie à son arrivée dans la ferme de son frère, comme un acte de reconnaissance et Ethan portant Debbie quand celui-ci la porte à bout de bras après qu'elle s'est échappée de Scar, comme un acte d'acceptation.

Il fallait néanmoins une séquence centrale pour cette mise en scène miroir. Et cette séquence se situe à l'exact milieu du film. Elle est construite visuellement avec un décor symétrique à gauche et à droite de l'image, comme si celle-ci pouvait se plier: Martin et Ethan sont de part et d'autre d'un feu de bois, au pied de deux petites buttes. Cette information visuelle soutient le propos d'Ethan: les indiens qu'ils pourchassent sont les Nayakis, qui veut dire manège. Et d'expliquer avec des mots comme avec les gestes que leur nom vient du fait qu'on croit qu'ils vont dans un sens alors qu'ils vont dans l'autre.
De fait, le film change lui aussi de sens à ce moment précis.

Une séquence quasi documentaire
Durant la pérégrination de Martin et Ethan, ceux-ci en arrivent à rencontrer des tribus indiennes. C'est ce que raconte Martin à Laurie dans une lettre qu'il lui a écrite. John Ford semble alors quitter le récit à proprement parlé pour nous montrer une scène de négociation entre Martin et le membre d'une tribu. La musique de Max Steiner se veut pittoresque, représentant un point de vue indien et non occidental - quand bien même Martin est censé avoir du sang indien. Sans dialogue, le spectateur assiste à un troc bienveillant entre deux représentants de deux peuples distincts mais qui peuvent néanmoins s'entendre voire se comprendre. Et la séquence aboutit à l'achat d'une couverture par Martin. Du moins le croit-il.
Cette séquence a en fait un double intérêt. D'une part, elle permet à terme d'apporter une piste dans la quête des deux hommes pour retrouver Debbie. Mais le scénario aurait pu se contenter de trouver une situation différente. Et John Ford aurait pu la filmer avec moins de bienveillance. Certes, Martin n'a pas maîtrisé l'ensemble de la négociation, achetant une couverture, et un peu plus. Mais Ford montre que les deux civilisations qui s'affrontent ont beaucoup plus en commun que ce que les plus anti-Indiens imaginaient. Y compris dans la surprise liée à l'achat de Martin!


Qui est le plus barbare?
L'histoire commence véritablement quand la famille du frère d'Ethan est massacrée par la tribu du chef Nayaki "Scar" ("Cicatrice"). Alors que Ethan vient de revenir auprès de son frère après plusieurs années d'absences, il reconnaît à peine ses neveu et nièces, soulevant la jeune Debbie. Mais à peine arrivé, il est contraint de repartir avec Martin car des Indiens rôderaient. Profitant du départ des hommes, ces Indiens attaquent la maison du frère d'Ethan au crépuscule. Le chien de la famille aboît. Scar découvre la petite fille, Debbie,et après avoir claironné dans une corne, la kidnappe.
Ethan et Martin Pauley arrivent après avoir été éloignés du ranch et découvrent le massacre. Ils n'auront alors de cesse que de chercher la nièce d'Ethan durant des années.
Durant cette quête, le spectateur découvre un Ethan de plus en plus haineux. Et tandis que le chef indien semblait être celui le plus détestable, le comportement d'Ethan le rend tout aussi détestable. Plusieurs séquences nous permettent de comprendre qu'ils ont beaucoup de points en commun. Et si Scar correspond à un surnom lié à sa cicatrice sur le visage, le spectateur comprend que Ethan en a une ouverte à l'âme.
Quand le camp indien détenant la nièce devenue grande et interprétée par Natalie Wood est attaqué par Ethan et la cavalerie, c'est l'exacte situation inverse de l'attaque perpétrée par les indiens des années plus tôt: l'attaque se fait au matin et non au crépuscule, avec les mêmes bruits: le chien aboie, le clairon annonce l'attaque et le massacre de tout le village a lieu. Sauf qu'Ethan veut tuer Debbie, devenue désormais une indienne. Pourtant, alors que le spectateur s'attend à ce que, malgré les cris de Martin, Ethan tue Debbie, il la porte comme dans une des premières séquences et la ramène finalement parmi les "blancs".

John Ford n'a donc dans ce film aucune complaisance avec les Blancs. Si Scar exhibe ses scalps, Ethan pratique la même torture. Si les guerriers comanches massacrent la maison  des Edwards, l'armée américaine écrase femmes et enfants sans discernement.


Le propos de Ford est dans sa mise en scène. Blancs et Indiens font partie d'un tout, le territoire, celui grandiose de Monument valley, véritable personnage à part entière, dominant les individus et les groupes. C'est dans ces grands espaces américains que les destins s'accomplissent, avec des Blancs plus forts, mais pas meilleurs.


Le titre original The searchers est enfin un titre à double sens, beaucoup plus riche que la traduction française. "Ceux en quête" n'ont pas le même objectif. Martin Pauley recherche Debbie, sa sœur par adoption en quelque sorte. Son sang indien ne l'aura pas empêché de faire partie à part entière de la famille Edwards et de pouvoir constituer une autre famille avec celle qui l'a attendu si longtemps (une jeune fille interprétée par Vera Miles). John Wayne/Ethan était en quête de paix et de famille dès la première séquence. C'est celle-ci qu'il recherche durant ces années à chercher Debbie. En la reniant, puis en la retrouvant, il est en fait exclu de ce pourquoi il était revenu vers son frère au début du film. À l'extérieur de la maison à la première séquence quand la porte s'ouvre, il reste encore en dehors d'une autre tandis que tous les autres entrent à l'intérieur. Les autres ont accompli leur quête, pas lui. Sa haine des Indiens l'a conduit à haïr son propre sang tandis que Martin Pawley, celui qui n'était rien d'autre qu'un métis indien a su accomplir le rêve américain: être un membre à part entière de la communauté malgré ses origines.
Ford magnifie le melting pot et exclut ceux qui ne voit de bons Américains que dans ceux qui ne se sont jamais mêlé aux Indiens, ni par le sang - Martin, même si son appréciation évolue à la fin du film- , ni par la culture - Debbie, même s'il l'épargne finalement.


Avec La prisonnière du désert, Ford ne tourne certainement pas le premier film dans lequel il respecte les Indiens. Il l'avait déjà fait avec Le massacre de Fort Apache en 1948 ou dans La charge héroïque en 1949. Mais c'est peut-être la première fois que la barbarie attribuée généralement aux Indiens l'est aussi aux Blancs. La prisonnière du désert ne place pas les Indiens en situation victimaire mais bien à égalité avec les Blancs.
Il y aurait bien d'autres choses à dire encore sur ce film, que ce soit dans ses références au christianisme, à sa construction esthétique, à son rapport au temps qui passe. Mais ceci sera sûrement pour un autre message!

A bientôt

Lionel Lacour

4 commentaires:

  1. J'ai adulé ce film, et, hier, l'ayant revu, je l'ai trouvé vieilli ...Je l'aime encore, mais comme un vieux combattant aime bien ses vieux habits ...Bref, toujours de l'émotion, mais trop hollywoodien à mon goût !

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    1. Bonsoir,
      je peux comprendre que vous l'ayez trouvé vieilli. Mais comme vous le dites, il procure encore de l'émotion. C'est donc qu'il marche encore. Et puis le côté hollywoodien ferait peut-être sourire John Ford quand on sait combien il s'est attaché à ce que ses films ne soient pas contrôlés par les studios!

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  2. J'ai vu ce film pour la première fois, étant gamin, dans les années 1970, en noir et blanc, à la télévision(sur FR3, je crois) et il m'a profondément marqué.En effet, je me souviens encore du cri de Lucy, juste avant l'attaque de la maison par les indiens et du massacre de ses parents et de son jeune frère, avant d'être elle-même tuée et scalpée dans le désert.
    Il y a une quarantaine d'années, ma génération(fin des années 60 début des années 70) n'était pas habituée à la violence à la télévision(à l'instar du film "Le triangle du diable", qui lui, m'a traumatisé ! brrr!!!).

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    1. Le triangle du diable avait en effet choqué terriblement d'autant plus qu'il était passé un dimanche en fin d'après midi!

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