vendredi 11 août 2017

La planète des singes - Suprématie: retour vers le futur

Bonjour à tous,

ainsi donc, le 3ème opus de la nouvelle saga Planète des singes est en salles depuis le 2 août 2017. L'attente était grande car le premier volet, La planète des singes - Les origines avait été une merveilleuse surprise réalisée par Rupert Wyatt (voir La planète des singes 2011: le mythe régénéré) et permettait de revisiter l'histoire de Pierre Boulle de manière radicale. Le deuxième volet, La planète des singes - l'affrontement avait été donc le blockbuster de l'été 2014 réalisé par Matt Reeves. Moins surprenant que le premier, il proposait une vision plus sombre de notre civilisation (voir La planète des singes - l'affrontement: parabole du chaos de notre civilisation?). Aussi, la sortie de La planète des singes - Suprématie devait apporter la réponse finale aux spectateurs: comment la planète Terre allait être finalement
dominée par les espèces de primates non humaines. Et il faut bien admettre que le film atteint son objectif en proposant spectacle, intelligence et hommages.

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Un film de genres: le film pro-indien
En réalisant donc le troisième volet, Matt Reeves poursuit son travail du deuxième opus. Et ce qui avait fait la force de cet épisode, à savoir le côté spectaculaire des combats, se retrouve dès la séquence introductive. Des humains sont en embuscade, prêts à attaquer les singes réfugiés dans la forêt. Le tour de force réside dans le fait que, par la mise en scène, le spectateur se sente d'emblée plus en empathie avec les singes qu'avec les humains. Et la contre-attaque virulente des singes menés par César, le héros des trois volets, aboutit à un soulagement. Malgré la forêt, la séquence ressemblerait presque à celle d'un western période "pro-indienne". D'abord parce que les hommes s'en prennent non à des guerriers mais à un peuple. Ensuite parce que les guerriers singes ont leurs corps peints comme étaient peints les guerriers indiens. Aussi parce que les singes attaquent avec leurs chevaux. Enfin parce que les hommes mais surtout les singes utilisent des flèches pour tuer leurs ennemis.
Le triomphe des singes ressemble à celui des films soutenant la cause indienne mais dont on comprend que leur sort est pourtant réglé. Il y a du Little big man dans la séquence victorieuse, mais l'errance à laquelle s'attendent les singes renvoie aussi à celle que subissent les indiens de Les cheyennes. Elle ne fait surtout pas oublier le tribut sanglant que les singes ont payé suite à l'attaque initiale du film, et qui continue ensuite. De ce point de vue, ces séquences renvoient davantage à Soldat bleu et aux attaques de l'armée américaine contre un village indien, tuant indistinctement femmes, enfants et vieillards.

Un film de genres: le western
Le peuple des singes cherche une terre à habiter, loin des hommes, pour vivre en paix et dans l'abondance nourricière de la nature. Tels les colons américains ayant traversé le continent pour rejoindre le far west, c'est bien ce qui est proposé au peuple de César. La direction qu'empruntent les survivants de l'attaque suit une trajectoire qui, à l'écran, va généralement de la droite vers la gauche. Symboliquement, ils vont vers l'Ouest, puisque une carte géographique traditionnelle représente l'Ouest vers la gauche. Un désert, symbole de la frontière, les sépare de leur destination. Ce peuple doit cependant se rendre dans ce territoire pour y trouver la paix sans leur chef. Car César veut combattre les humains pour les crimes qu'ils ont commis. Et particulièrement leur chef, LE colonel.
En laissant son peuple aller seul rejoindre les terres au-delà du désert vers un espace d'abondance - on est vraiment dans le mythe de la conquête de l'Ouest, César va donc dans la direction inverse. Et à l'écran, il se dirige vers la droite, l'Est donc, pour se venger. Or trois de ses amis s'imposent à lui pour l'accompagner: un chimpanzé, un gorille et un orang-outang. Les voici à cheval dans une traque des assassins. Le film quitte la dimension collective de certains westerns pour devenir un film à la Clint Eastwood. On est autant dans Josey Wales hors la loi que dans Impitoyable. Et les rencontres faites en chemin, une fillette muette, un chimpanzé malingre mais parlant, sont autant de signes qui renvoient aux westerns de vengeurs.


Un film de genres: Les folies des guerres du XXème siècle
Du début à la fin, Suprématie semble être une dénonciation des guerres qui ont marqué le XXème siècle.
Ainsi, si la séquence d'ouverture fait penser à une attaque contre des indiens, elle commence aussi comme une évocation, du côté des soldats humains, des films montrant les tranchées de la Première guerre mondiale.
C'est ensuite des références nombreuses à la guerre du Vietnam qui sont parsemées par le réalisateur. Des attaques dans la nuit, dans une forêt luxuriante, chaude et humide renvoient aux séquences des films comme Platoon ou Outrages. Des casques sur lesquels sont écrits "Monkey killers" comme les tags que les films sur ce conflit mettaient en avant comme Full metal jacket de Kubrick ou Apocalypse now de Coppola. Et c'est bien de ce film que s'inspire Matt Reeves puisqu'il va en convoquer maximum de références: le graffiti "APE -CALYPSE NOW" sur un mur, la chevauchée des Walkyries de Wagner mais encore et surtout le chef de l'armée humaine. Quand le colonel apparaît à son balcon, il se rase le crâne et devient le prolongement du colonel Kurtz d'Apocalypse now. Et le colonel de La planète des singes n'a rien à envier à la folie de Kurtz. Lui aussi mène une croisade, celle de la pureté, celle d'un combat contre ce qui conduirait à la déshumanisation de ceux de son espèce, la propagation par les singes d'un virus ayant pour conséquence de rendre muet les hommes. Sa réaction est radicale. Il faut éliminer ceux contaminés mais également rassembler et éliminer les singes à l'origine du malheur des hommes.
Dans ce plan où le général se rase le crâne, une autre référence cinématographique surgit. Celle de La liste de Schindler lorsque le commandant du camp d'Auschwitz observait de sa fenêtre la construction du camp. Ici, le colonel observe ses hommes organisés tels une armée totalitaire, dans un camp pour lesquels les singes travaillent à construire un mur devant les protéger d'autres hommes. Mais l'analogie aux camps de concentration nazis ne se limite pas à ce seul plan. Quand César et ses partenaires s'étaient approché du camp du colonel, ils y avaient découvert les corps suppliciés de singes au corps peints. Nous reconnaissons par cette peinture ceux qui étaient présents au début du film.
Ce sont donc des singes du clan de César. Et par un plan terrifiant, les autres singes apparaissent prisonniers dans des cages à ciel ouvert. Il y a des miradors, des barbelés et des gardiens. Tout renvoie aux camps de concentration des nazis ou des soviétiques. Les prisonniers ne sont évidemment pas considérés comme humains, puisqu'ils sont des singes. Mais l'effet est sidérant. Et renvoie à la culpabilisation de ces singes comme étant à l'origine des maux de l'espèce humaine. Les idéologies totalitaires, quelles qu'elles furent hier, quelles qu'elles sont aujourd'hui, attribuent à une catégorie de la population les responsabilités du malheur de ceux qui mettent en place ces idéologies.
Le film mêle alors différentes références cinématographiques qui symbolisent la folie de certains hommes se prenant pour des guides suprêmes.

Un film de genres: un film d'évasion
Chargé de références filmiques et historiques, le film reprend son rythme de film d'action. Il quitte le western et se transforme d'abord en film d'évasion comme pouvait l'être La grande évasion. On revient donc à un film de guerre. Des tunnels, des stratagèmes, des obstacles pour passer au travers des lumières qui surveillent le camp, tout y passe. Le film quitte momentanément ses réflexions philosophiques pour permettre à tous les singes de s'enfuir du camp. Le spectateur ne les voit jamais comme des ennemis mais se projettent en eux. Malgré le mutisme de presque tous ces grands singes, leur communication nous est familière. Leurs émotions, leurs craintes nous émeuvent. Et chaque mort parmi eux nous chagrine quand celle des soldats du colonel nous laisse dans l'indifférence. Parce que Matt Reeves a continué ce que les deux épisodes précédents avaient patiemment réussi à construire: un transfert d'humanité. Dans Les origines et dans L'affrontement, certains humains conservaient les caractéristiques humaines et de recherche de paix avec des singes devenus intelligents et s'organisant en communauté autonome.
Matt Reeves, dans Suprématie, efface toute trace de projection du spectateur dans un des humains. Le film pourrait alors virer au manichéisme. Il n'en est rien. Le colonel est devenu manifestement fou. Mais ses explications sont rationnelles. Il tue pour préserver ce qu'il croit être la composante essentielle de l'humanité: la parole. Il est un soldat, un militaire. Il ne mêle pas émotion personnelle à sa fonction. Il ne confond pas son statut de père à celui de chef de guerre.  Et c'est le deuxième qui l'emporte. On est dans une représentation classique des dirigeants nazis. Il est mu par une idéologie empirique qu'il combat par les seuls moyens qu'il a à sa disposition. En n'étant plus qu'une fonction, il perd ses caractéristiques d'humain, même si une séquence montre que ce qu'il applique aux autres, il se l'applique à lui-même, preuve de sa bonne foi. Contrairement à ce qu'il affirme "Il faut savoir renoncer à notre humanité afin de sauver l'humanité", il la détruit davantage. Tout comme ses propres hommes, incapables d'empathie avec quiconque et encore moins avec les singes.
Quant aux à l'autre armée, celle-ci pourrait représenter le camp du Bien puisqu'elle attaque le camp du colonel. Mais alors que nous les voyons arrêtés, regardant César, l'image nous saisit. Tout habillés de blanc, sur un sol couvert de neige blanche, portant une cagoule et des lunettes, rien d'humain ne transparaît à l'écran pour chacun d'entre eux. Ils se ressemblent tous, tels des robots. Le plan ressemblent presque à l'attaque des chevaliers teutons, représentés casqués, dans Alexandre Nevski d'Eisenstein. Comme ces chevaliers, les soldats attaquant le camp sont dépourvus d'humanité. Et ils vont donc tirer sur César et les singes. Qui continuent à s'évader.

Car le spectateur suit les singes comme un peuple à part entière cherchant à vivre ensemble et en paix. Ce sont eux qui portent l'humanité. Ce sont eux qui communiquent, même par langage des signes, pour exprimer leurs émotions, leur solidarité, leurs envies. Ce sont les singes qui sont mus par leurs sentiments. César agit pour se venger des hommes mais il se laisse convaincre de sauver une fillette muette vouée à une mort certaine. César réagit face au colonel qui le provoque. Celui-ci lui répond d'ailleurs qu'il prend les choses trop à cœur. Un comble. C'est encore ce singe intelligent, rescapé des massacres perpétrés par les hommes sur ses congénères qui se comporte comme les faire-valoir des films classiques, provoquant le rire des spectateurs en apportant un point de vue décalé. Ceux qui ne parlent pas, les singes pour la plupart, s'emparent de l'humanité abandonnée par les hommes. Et cette fillette, que le colonel aurait certainement exécuté s'il l'avait découverte, s'avère, malgré son mutisme, plus humaine que ceux dotés de la parole. Ce peuple simiesque est donc prêt à s'évader. Et le film devient soudain un peplum dans lequel César devient Moïse. Cela commence par un fléau de la nature qui, telle la mer Rouge éliminant les armées de Ramses à la poursuite du peuple juif, permet à César et son peuple de terrasser l'armée qui les menaçait. Puis, la traversée du désert évoquée au début du film, n'est plus la traversée symbolique du cœur du continent américain mais celle du Sinaï. Enfin, c'est l'arrivée non vers les terres de l'ouest américain mais vers la terre promise. Comme Moïse, César a réussi sa mission. Sa fin sera la même. Et le message qu'il porte depuis le début sonne à la fois comme un message biblique et comme un rappel de ce qui a fait la force du peuple américain: "Ensemble Singes Forts".

Un film de genres: un hommage au film originel
La trilogie initiée n'a strictement rien à voir avec l'œuvre de Pierre Boulle et avec le film de Schaffner réalisé en 1968, et pour le plaisir de tous, encore moins à voir avec la version grotesque de Tim Burton (pour une analyse des ces versions, voir Le retour de la Planète des singes?) Pour la version de 1968, les raisons de la fin de l'humanité étaient liées à la menace nucléaire pendant la guerre froide. En 2011, Rupert Wyatt évoquait la biologie et les nanoparticules pour expliquer le développement de l'intelligence des singes. En 2017, Matt Reeves reprend l'argument biologique pour expliquer non la destruction des hommes mais leur mutisme. Un virus les condamneraient au silence. Cet élément du scénario est important à plusieurs titres dans le film. Tout d'abord, il permet de comprendre la folie qui saisit le colonel dans sa haine des singes qu'il juge responsable de l'épidémie ayant exterminé l'essentiel de l'humanité et qui conduit les quelques survivants à devenir muets. Ce ressort scénaristique crée donc une cohérence dans le film. Mais il permet aussi, et finalement surtout, de donner une explication à ce qui n'a jamais été expliqué ni dans le livre, ni dans la version filmique originelle, à savoir le fait que les hommes de la planète désormais dominée par les singes étaient devenus muets. Par ce procédé scénaristique, Matt Reeves qui est aussi le scénariste du film, parvient donc à raccrocher symboliquement la trilogie à la version interprétée par Charlton Heston.
Mais l'hommage ne s'arrête pas là. Ainsi, les nostalgiques de la version de 1968 n'auront pas manqué de remarquer que le fils de César s'appelle Cornelius. Or c'est bien le chimpanzé Cornelius qui sera le singe qui aidera l'astronaute Taylor à survivre puis à s'échapper dans la version de Schaffner. Autre référence amusante quand le grand Orang-Outang Maurice donne à la petite fille muette un objet chromé, reste d'une plaque définissant le modèle d'une voiture. Il lui dit que son nom sera désormais le même que celui écrit sur cet objet: Nova. Or Nova est le nom de la femme muette avec qui Taylor s'enfuit de ses geôliers pour partir à la découverte de son histoire. Les Cornelius et Nova de l'histoire originale ont vécu des siècles après la fin de l'humanité dans la version de 1968. Ils ne peuvent donc pas être ceux que Matt Reeves a créé. Mais ce faisant, il réussit le tour de force a créer le lien entre les deux sagas: désormais, la planète sera dominée par des singes qui progressivement seront dotés de la parole tandis que les hommes qui survivront n'en seront plus pourvus.


Matt Reeves conclut donc une des meilleures saga du cinéma contemporain initiée par Rupert Wyatt, en revisitant une histoire mythique, permettant à la fois le grand spectacle et une réflexion forte sur l'humanité. En rassemblant les plus grands maux dont les hommes ont été capables, en se servant des références cinématographiques et symboliques de notre civilisation, il a donné à ce dernier volet une forte densité émotionnelle et de réflexion sur ce qu'est l'humanité. Il ne suffit pas de savoir parler. Il s'agit de faire preuve d'empathie, de courage et de désir de construire un avenir commun. Le film n'est ni manichéen - tous les hommes ne sont pas mauvais, tous les singes ne sont pas bons, ni angélique - il aurait pu tomber dans cette illusion du vivre ensemble. Il est surtout un spectacle intelligent devant lequel on prend un plaisir d'adulte et d'enfant et pour lequel les effets spéciaux ne sont jamais qu'au service du film et pas une fin en soit.

À très bientôt
Lionel Lacour



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