Dans les films américains montrant leur intervention en Corée, c'est au contraire de la droite vers la gauche que les troupes de l'Oncle Sam attaquent, étant donné que la Corée se trouve à l'Ouest du Pacifique, océan bordant aussi les USA. Ainsi, la séquence d'ouverture du film de 1953 Take the highground - traduit en français par Sergent la terreur (!) - évoque une attaque américaine contre les Coréens du Nord venant de la droite vers la gauche.
2. Le regard caméra et la caméra suggestive
S'il est une règle au cinéma, c'est bien de ne pas intégrer les spectateurs dans la narration au contraire du journaliste de télévision qui, en regardant la caméra, semble s'adresser lui aux spectateurs qui deviennent ainsi partie prenante des informations qu'ils reçoivent. Or, dans les films de propagande, l'usage de ce "regard caméra" est assez souvent utilisé, justement parce qu'on cherche à impliquer beaucoup plus directement le spectateur dans l'information qui est donnée. L'information n'est pas la trame narrative du film mais bien l'idéologie qui en découle. Ce regard caméra est donc un lien direct entre le personnage du film et le spectateur, par caméra et écran interposé. Ce regard peut se retrouver sous d'autres formes. Une main tendue vers l'objectif de la caméra jusqu'à pratiquement le toucher est bien un moyen d'entrer en contact avec les spectateurs. Les Soviétiques ont souvent usé de ce procédé dans le cinéma stalinien mais avant lui également. De même, le grand Fritz Lang y a eu recours dans son Testament du Docteur Mabuse en 1933 quand il voulait interpeller les Allemands sur la folie du nazisme. Le cinéma américain ou occidental de la guerre froide n'a pas fait exception à cet usage.
3. Du bleu et du rouge
4. Noir et Blanc, Mal et Bien
Les cinéma des années 20 avait déjà donné bien des codes pour différencier le bien du mal. Murnau dans son Nosferatu avait montré combien l'utilisation des ombres offrait des possibilités symboliques, montrant tantôt le mal grandissant, tantôt la mort ou la perversion du bien. Les expressionnistes allemands comme les soviétiques perfectionnèrent à la perfection ce moyen de jouer sur les contrastes Noir/Blanc. Ainsi, Fritz Lang présentait pour la première fois son M dans M le maudit sous la forme d'une ombre.
La situation après guerre semblait alors parfaite pour exploiter à nouveau ce mode de langage dans un monde binaire autour du "Bien" et du "Mal". Dans Le troisième homme en 1949, Carol Reed, largement aidé par son interprète Orson Welles, usa de l'ombre et du noir pour présenter son personnage américain et pourtant espion à la solde des Soviétiques. Dans une Vienne divisée en zones d'occupation, Orson Welles, tout de noir vêtu, apparaît souvent d'abord ou disparaît sous la forme d'ombre, parfois démesurée sur les murs ou dans les égoûts. Ce personnage, roi de l'obscurité et de ce qui est caché se différencie alors de l'officier anglais qui le poursuit et qui semble attirer à lui la lumière.
Bien d'autres films utilisent ce procédé pour distinguer le Mal du Bien. Mais l'obsurité la plus spectaculaire au cinéma est le hors champ. Dans Sergent la terreur, un coréen se cache hors cadre pour tuer un soldat américain. Le méchant est dans le noir de la salle de cinéma, le gentil, qui plus est inoffensif puisqu'il boit l'eau de sa gourde, est lui dans la lumière. De même, Richard Widmark, le fameux sergent, lance des grenades de l'autre côté du remblai pour tuer les méchants Coréens qui se cachent. Or il suffirait que la caméra soit placée de l'autre côté pour que le méchant devienne... l'Américain. Mais ce serait alors un film nord coréen!
Ces procédés utilisant les contrastes qu'offrent le Noir et le Blanc ne fonctionnent bien pour les spectateurs qu'en situation de projeter une situation manichéenne. Or la guerre froide s'y prêtait particulièrement. Et le succès de la première trilogie Star wars s'explique entre autre par son recours à ces codes manichéens. Le méchant, Darth Vader est à la fois noir et une ombre. Son empire est totalitaire où nul ne peut lui désobéir ou faillir sous peine d'être exécuté sur le champ sans procès. Inversement, le camp de Luke skywalker est marqué par la lumière, le blanc des tenues des soldats ou de la princesse Leia marque le monde du Bien et du commandement partagé et non accaparé, ou un modeste pilote de vaisseau peut répondre à des dirigeants ou à une princesse!
pendant la guerre froide, le cinéma américain a participé de manière particulièrement active à la diffusion de la politique américaine de containment proclamée par Harry S. Truman. De très nombreux films d'espionnage ou évoquant les événements de la période ont été tournés proposant aux spectateurs une lecture bien évidemment orientée de la situation diplomatique entre les deux blocs dominant la planète: le bloc capitaliste et celui communiste. Ce cinéma qui pourrait s'apparenter à du cinéma de propagande - à ceci près que, malgré le soutien de l'Etat, du FBI et de la CIA, on ne peut pas parler de film d'Etat - devait alors offrir une lecture simple aux spectateurs qu'ils ne fallait pas seulement convaincre mais aussi maintenir dans leurs certitudes. Plusieurs "trucs" ont donc été utilisés pour ne pas désorienter le public.
Partons du principe qu'une carte de géographie est un rectangle dont le Nord serait orienté classiquement vers le haut, alors l'Est serait à droite et l'Ouest à gauche. En gardant ce même principe mais appliqué cette fois à un écran de cinéma, alors, dans les films dont le contexte impliquerait des positionnement géographique des différents protagonistes, les représentants des USA - et de l'Occident - se situeraient fatalement à gauche et ceux du bloc soviétique à droite de l'écran. Cette situation est particulièrement avérée lors de combats ou d'affrontements. Il apparaîtrait saugrenu de voir des Américains affronter des Soviétiques de la droite vers la gauche de l'écran.
En 1961, Le jour le plus long montre le débarquement en Normandie des Américains. Or ceux-ci arrivent par la côte Est de la Normandie (voir carte). En respectant le code que j'ai évoqué, il aurait fallu les représenter allant de la droite vers la gauche. Or toutes les barges ont été filmées de la gauche vers la droite. C'est que pour le public de 1961, français ou américain, les Américains sont ceux de l'Ouest et ils ne peuvent arriver que par l'Ouest! Un film n'a pas le temps de nuancer les choses. De plus, un film se lisant au présent du spectateur, l'ennemi américain du film est bien entendu l'Allemagne nazie, soit un régime totalitaire. Mais en 1961, un autre ennemi totalitaire est également combattu par les Américains qui protègent leurs alliés européens: l'URSS. Ainsi, faire débarquer les troupes américaines de la droite vers la gauche aurait provoqué un trouble chez les spectateurs: qui étaient alors les méchants?
Ce trouble n'est pas spéculation. Tous les films de l'entre deux guerres qui ont évoqué la Première guerre mondiale avant l'arrivée au pouvoir des nazis ont justement joué sur l'ambiguité des situations, faisant que l'ennemi était tantôt à droite, tantôt à gauche de l'écran, les séquences d' A l'ouest rien de nouveau de L. Milestone en 1931 sont de ce point de vue éloquentes. Or ces films avaient justement pour propos de ne pas opposer les combattants selon leur pays mais bien de montrer qu'ils participaient à une boucherie collective. L'idéologie dominante de ces films étaient le pacifisme ou l'abomination de la guerre. C'est dans ce même état d'esprit que Kubrick fit attaquer les Allemands par les troupes françaises commandées par K. Douglas de la droite vers la gauche, contrairement à toutes les conventions habituelles, dans Les sentiers de la gloire en 1957.Dans les films américains montrant leur intervention en Corée, c'est au contraire de la droite vers la gauche que les troupes de l'Oncle Sam attaquent, étant donné que la Corée se trouve à l'Ouest du Pacifique, océan bordant aussi les USA. Ainsi, la séquence d'ouverture du film de 1953 Take the highground - traduit en français par Sergent la terreur (!) - évoque une attaque américaine contre les Coréens du Nord venant de la droite vers la gauche.
2. Le regard caméra et la caméra suggestive
S'il est une règle au cinéma, c'est bien de ne pas intégrer les spectateurs dans la narration au contraire du journaliste de télévision qui, en regardant la caméra, semble s'adresser lui aux spectateurs qui deviennent ainsi partie prenante des informations qu'ils reçoivent. Or, dans les films de propagande, l'usage de ce "regard caméra" est assez souvent utilisé, justement parce qu'on cherche à impliquer beaucoup plus directement le spectateur dans l'information qui est donnée. L'information n'est pas la trame narrative du film mais bien l'idéologie qui en découle. Ce regard caméra est donc un lien direct entre le personnage du film et le spectateur, par caméra et écran interposé. Ce regard peut se retrouver sous d'autres formes. Une main tendue vers l'objectif de la caméra jusqu'à pratiquement le toucher est bien un moyen d'entrer en contact avec les spectateurs. Les Soviétiques ont souvent usé de ce procédé dans le cinéma stalinien mais avant lui également. De même, le grand Fritz Lang y a eu recours dans son Testament du Docteur Mabuse en 1933 quand il voulait interpeller les Allemands sur la folie du nazisme. Le cinéma américain ou occidental de la guerre froide n'a pas fait exception à cet usage.
James Mason dans L'homme de Berlin, Carol Reed, 1953 |
Dans L'homme de Berlin, Carol Reed, réalisateur britannique a recours à ce regard caméra dans la séquence finale. Son héros, interprété par James Mason, est un espion est allemand qui décide de passer à l'Ouest. Il franchit le check point communiste en courant derrière un camion dans lequel se trouve celle qu'il aime. Le spectateur le voit alors de face, comme s'il était lui-même à l'arrière du camion, à la place de la jeune femme. Son regard est alors destiné à la fois à l'héroïne et au spectateur. Sa main tendue vers la caméra devient alors une main tendue pour l'aider à fuir Berlin Est. Mais la police est-allemande le tue à coups de fusil. James Mason s'effondre et la caméra semble l'abandonner en rejoignant le check point américain. Et avec elle, c'est l'héroïne qui le laisse mais aussi le spectateur qui reste impuissant devant ce qu'il voit. L'émotion suscitée chez le spectateur est bien évidemment une révolte contre le régime communiste qui tire sur ceux qui veulent le fuir. En impliquant le spectateur directement, cette impression est amplifiée.
Le recours à la caméra suggestive est donc un autre moyen d'impliquer le spectateur dans l'histoire. Dans Tunnel 28 tourné en 1962, soit un an après la construction du mur de Berlin, le héros constuit un tunnel pour relier Berlin Est à Berlin Ouest. Le soir de l'évasion, il ferme la marche des évadés, non sans avoir reçu des balles de la police communiste. Il est presque agonisant et sa fiancée vient le rejoindre pour l'aider. Elle passe derrière la caméra qui devient alors une caméra suggestive. Elle avance avec comme image le tunnel qui doit déboucher vers la sortie et Berlin Ouest, c'est-à-dire le monde libre. Par cette mise en scène, le spectateur devient à son tour un évadé. Si la caméra s'arrête, c'est bien le héros qui sera perdu, et de fait, le spectateur avec lui! Quand la caméra sort du tunnel, le spectateur est cette fois celui qui, le temps d'un mouvement de caméra, celui qui aura soutenu ce héros allemand!
3. Du bleu et du rouge
Les couleurs ont un rôle bien connu sur l'identification des sentiments ou des idéologies. Le contexte narratif détermine le sens du rouge. Dans West side story, c'est à la fois la passion et le sang qui est annoncé durant tout le film. Dans les films évoquant la guerre froide, c'est bien sûr le communisme qui est suggéré. Pour prendre un exemple de la fin de la guerre froide, l'entraînement de Rocky Balboa dans Rocky IV réalisé par S. Stallone lui-même en 1985 contraste avec celui de Drago son adversaire soviétique. Tandis que "l'étalon italien" s'entraîne dans la nature sur une image aux teintes bleutées, le Russe s'entraîne dans un gymnase ultra-moderne dominé par une couleur rouge présente à chaque plan. Ce film montre tous les éléments évoqués plus haut, la gauche et la droite, les regards caméra mais également l'opposition des couleurs, marqué par les drapeaux eux-même, même si le drapeau américain possède du rouge. Les journalistes américains qui commentent le match sont en blazer bleu.
Le rouge sert aussi dans des films qui dénoncent l'anti-communisme, notamment lors du maccarthysme. En 1953, N. Ray réalise un western anti-maccarthyste: Johnny Guitar. Son héroïne protège un jeune bandit qui risque la pendaison. Les hommes à la poursuite de la bande ressemblent à des pateurs rigoristes menés par une furie qui est prête à incriminer son ennemie inteprétée par Joan Crawford. Celle-ci accueille ceux censés faire respecter la loi en tenue blanche sur fond rouge, l'innocence sur fond de communisme. Tels les suspects de communisme, elle se fait interroger comme une coupable puis menacer comme lors des interrogatoires menés par les comités d'activités anti-américaines du maccarthysme. Le rouge est alors utilisé ici comme une clé de lecture pour les spectateurs. Il permet de comprendre l'analogie entre ce western dont l'action se situe au XIXème siècle et la situation de ce début des années 1950.
Enfin, dans Firefox, C. Eastwood incarne un pilote américain devant voler un avion de chasse soviétique de très haute technologie. Il réussit et ramène l'avion aux USA. L'avion traverse donc l'écran de droite à gauche, de l'Est vers l'Ouest. Mais surtout la droite est dans les couleurs à nuances rouges tandique que la gauche est bleue, le tout séparé par un nuage longiligne faisant furieusement pensé au rideau de fer!
Un "méchant Coréen" caché dans Sergent la terreur, Richard Brooks, 1953 |
La situation après guerre semblait alors parfaite pour exploiter à nouveau ce mode de langage dans un monde binaire autour du "Bien" et du "Mal". Dans Le troisième homme en 1949, Carol Reed, largement aidé par son interprète Orson Welles, usa de l'ombre et du noir pour présenter son personnage américain et pourtant espion à la solde des Soviétiques. Dans une Vienne divisée en zones d'occupation, Orson Welles, tout de noir vêtu, apparaît souvent d'abord ou disparaît sous la forme d'ombre, parfois démesurée sur les murs ou dans les égoûts. Ce personnage, roi de l'obscurité et de ce qui est caché se différencie alors de l'officier anglais qui le poursuit et qui semble attirer à lui la lumière.
Poursuite dans les égoûts, Le troisième homme, Carol Reed, 1949 |
Ces procédés utilisant les contrastes qu'offrent le Noir et le Blanc ne fonctionnent bien pour les spectateurs qu'en situation de projeter une situation manichéenne. Or la guerre froide s'y prêtait particulièrement. Et le succès de la première trilogie Star wars s'explique entre autre par son recours à ces codes manichéens. Le méchant, Darth Vader est à la fois noir et une ombre. Son empire est totalitaire où nul ne peut lui désobéir ou faillir sous peine d'être exécuté sur le champ sans procès. Inversement, le camp de Luke skywalker est marqué par la lumière, le blanc des tenues des soldats ou de la princesse Leia marque le monde du Bien et du commandement partagé et non accaparé, ou un modeste pilote de vaisseau peut répondre à des dirigeants ou à une princesse!
Voilà donc ces quelques petites clés qui pour certains ne seront qu'un rappel agrémenté d'exemples, et pour d'autres je l'espère, un moyen de mieux appréhender le cinéma de cette période et finalement, de celles postérieures.
A bientôt
Lionel Lacour
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