mercredi 1 mai 2013

"MARGIN CALL": une leçon de management?


Bonjour à tous,

En 2011, J. C. Chandor écrivait et réalisait Margin Call. L'histoire, très rapidement résumée, est celle d'une entreprise de trading qui aurait pris des risques inconsidérés dans des investissements complexes, dépassant certaines limites de sécurité du fait d'un modèle mathématique erroné. De fait, pour se sortir de cette situation, les dirigeants décident de liquider leurs actifs et autres produits toxiques pour éviter la faillite, entraînant de fait celle de ceux qui leur achèteraient ces produits financiers.


Une question de confiance
L'action, censée se passer en 2008 est intéressante de fait à plus d'un titre, si j'ose dire!
Tout d'abord, et c'est le cœur du film, elle permet de comprendre de l'intérieur d'une société qui fait des profits par le trading boursier comment la crise de 2008 a jailli. Sans évoquer a priori le monde extérieur de l'entreprise que nous ne percevons que par traces (des bars, des strip-teaseuses, des dialogues évoquant les "vrais" gens, les clients par téléphone mais qui font partie du même monde, deux employés d'entretien), Chandor nous conduit progressivement vers la clé de l'implosion du système capitaliste de 2008: une question de confiance. Comme un entomologiste, son regard se veut a priori objectif, n'apportant pas de jugement de valeur, même sur le dirigeant de la société. Chacun a des bonnes raisons de faire ce qu'il fait. Les points de vue moraux sont balayés sans que nous ne puissions vraiment avoir de la haine pour les personnages qui licencient sans état d'âme leurs employés. Le film nous montre bien un système cynique dans lequel personne n'est vraiment dupe de l'argent qu'il gagne de manière assez indécente. Et quand un jeune trader de 23 ans dit à son chef qu'il redoute d'être licencié parce que son rêve était d'être trader, son chef, Jared Cohen interprété par Simon Baker, s'étonne de ce rêve! Comme certainement bon nombre de spectateur: comment peut-on rêver d'être trader?

Jeremy Irons est John Tuld
Parce que l'entreprise dirigée par John Tuld (génial Jeremy Irons) ne devra sa survie que par un abus de confiance magistral mené contre ses propres clients. Et Tuld de se rassurer, et avec lui son subordonné Sam Rogers (Kevin Spacey, parfait), rappelant an passage toutes les crises majeures ou moindres que le capitalisme boursier a connu depuis le XVIIIème siècle. Avec une forme de fatalisme mêlée à une logique de loi de la nature: proportionnellement, il y aurait toujours le même nombre de personnes qui s'enrichissent et profitent du système sur le dos des autres, ceux qui subisse le système.

En quelque sorte, cette crise de confiance expliquant la crise de 2008 ne sera que de courte durée, car le monde serait régi par une forme de nécessité de recourir à ces dominants et surtout parce que la mémoire des gens aura effacé les causes de la crise.


Eric Dale (Stanley Tucci) , le jour de son licenciement: plongée!
Un monde stratifié, sans prise en compte de l'humain
Le film débute sur une séquence extrêmement violente, de ces violences sans meurtre sanglant, sans recours à l'arme automatique mais dont chacun ressent l'intensité. Des employés entrent donc dans une salle de traders, se dirigent vers certains individus, leur demande de cesser toute activité, leur annonce leur licenciement à des conditions financières pas si désavantageuses ( indemnités, assurance sociale, stock options), prétendent que rien ne leur ait reproché professionnellement et pourtant, les licenciés ont un jour pour accepter les conditions du licenciement et verront leur coordonnées liées à l'entreprises désactivées instantanément - téléphone et adresse email. Tout ceci dure cinq minutes, cinq minutes où la vie d'un individu bascule sans avoir été prévenu de quoi que ce soit. Au cours de cette séquence, le spectateur découvre que Eric Dale, interprété par Stanley Tucci, dirige des jeunes informaticiens mais est sous l'autorité de Will Emerson, lui même sous l'autorité de Sam Rogers, qui répond de Jared Cohen et de Sarah Robertson (étonnante Demi Moore), eux mêmes enfin sous l'autorité de John Tuld. Cette stratification des responsabilités s'accompagne évidemment des revenus en proportion des responsabilités de chacun. Et si le jeune trader s'enorgueillit d'avoir gagné un quart de million de dollars en une année, somme déjà colossale pour à peine 23 ans, Will Emerson a gagné lui plusieurs millions. quant à John Tuld, sa fortune est estimée au milliard de dollars.


Àgauche, Simon Baker alias Jared Cohen
à droite, Demi Moore, alias Sarah Robertson
au milieu: personne?
Ces sommes énoncées dans le film n'ont pas d'autre objectif que de présenter un monde coupé des réalités de la vie réelle. Et ce sont quelques séquences qui viennent le rappeler de manière parfaitement surréalistes, présentant ces personnages sans mépris mais complètement déconnectés du reste de la société. Ainsi, les deux jeunes traders se retrouvent dans un bar à strip-teaseuses et réfléchissent sur le salaire journalier de chaque fille. Sans rire, ils l'estime à 1 500, puis 2 000 dollars par jour. Ce qui ferait pour 20 jours de travail 40 000 dollars! Sans porter aucun jugement, sans faire intervenir des tierces personnes, Chandor laisse le spectateur comme seul décrypteur de l'inconscience des réalités sociales de ces jeunes déjà presque millionnaires. Dans une autre séquence, Jared Cohen et Sarah Robertson prennent un ascenseur dans lequel se trouve une employée d'entretien avec son chariot. Jared et Sarah entrent sans dire un mot à l'employée, se positionnent de part et d'autre du chariot puis se parlent comme si personne ne se trouvait entre eux. L'employée elle-même se comporte tel un objet inerte. Ainsi, Chandor exprime à la fois la manière dont est considérée ce personnel par les cadres de la société mais également comment ce personnel se situe par rapport à eux. De ce point de vue, Cédric Klapisch avait essayé de montré cela dans son très mauvais Ma part du gâteau . Sauf que tout le film était démonstratif, lourdement démonstratif. Chandor réussit lui à le faire comprendre en deux ou trois courtes séquences de quelques minutes seulement!

Un management pourtant redoutable d'efficacité
À cette représentation de strates de responsabilités s'adjoint cependant une véritable capacité à faire descendre ou remonter les informations malgré ces strates.
C'est d'abord Eric Dale qui, bien que licencié, transmet à un de ses désormais anciens subordonnés, une clé USB dans laquelle il pressent qu'il y a des informations dangereuses pour l'entreprise. Ce qui aurait pu être le début d'un film classique dans lequel l'employé aurait alors dévoilé des fraudes de ses dirigeants se transforment rapidement en une démonstration de réactivité de chaque strate face à la gravité de l'information révélée, et dans laquelle chacun  accepte les limites de ses compétences pour mieux cerner le danger. Ainsi, Peter Sullivan, joué par Zachary Quinto, informaticien aéronautique devenu trader parce que ça payait plus, comprend que le modèle mathématique devant faire gagner beaucoup d'argent à l'entreprise repose en fait sur une erreur d'appréciation, conduisant à des pertes supérieures à la valeur de l'entreprise. Dans la soirée, c'est Will Emerson qui déboule dans les bureaux, averti par Peter, puis Sam Rogers, Jared Cohen et Sarah Robertson et c'est enfin au beau de la nuit qu'arrive John Tuld. On peut s'étonner d'une telle réactivité. Elle est cependant conditionnée à la nature même de l'activité de l'entreprise. Elle ne produit rien. Elle ne prospère justement que par sa réactivité face à des décisions à prendre. 

Si l'information remonte rapidement et assez facilement, il est aussi très intéressant de voir comment le management d'une situation de crise est mené. John Tuld donne autant de crédit au jeune Peter Sullivan, dont on a vu qu'il était une des strates les plus basses de la société, qu'à Jared Cohen, numéro 2 de la société, au regard de ses compétences et non de son positionnement dans l'échiquier de l'entreprise. De même, Tuld écoute les avis
de tous, prend conseil auprès de Sam Rogers qui est le plus ancien de l'entreprise pour mieux déterminer ce qu'il appelle "la musique que doit jouer la société". 

Sam Rogers (Kevin Spacey) conseille John Tuld

Arrive enfin le moment de la prise de décision. Elle vient d'en haut, de Tuld, qui convainc chacun des ses subordonnés à exécuter une action qui mettra en péril la société mais qui serait la seule à même de la sauver également, au péril de la perte de confiance liée à la vente massive des actifs toxiques. De manière très froide, très clinique, Chandor film Tuld venu annoncer à Sarah Robertson son licenciement. Sam Rogers quant à lui réussit à mobiliser et motiver son équipe de trader à vendre ces actifs tout en les prévenant du pourquoi et des conséquences possibles, pour l'entreprise comme pour eux. Loin de la séquence d'ouverture du film Wall Sreet d'Oliver Stone, c'est au contraire une séquence très tranquille qui est montrée, où les propositions de cessions de titres sont juste perçues par des enregistrements de conversations entre vendeurs et acheteurs. 
Tout ressemble à une bataille. De la stratégie de Tuld qui évalue les pertes au regard de l'objectif à atteindre, à ses généraux qui doivent mener leurs troupes aux simples soldats qui seront évidemment les perdants de l'histoire... Mais des perdants qui, s'ils atteignent leurs objectifs seront certainement licenciés, mais avec près de 2,5 millions de dollars en poche! 
À ce tarif là, le spectateur comprend mieux pourquoi tous acceptent le risque d'être licenciés!


Eric Dale explique à Will Emerson ce qu'est la vraie économie!
Conclusion: et l'humain dans tout ça
La froideur du film de Chandor ne laisse qu'amertume au spectateur, comme s'il comprenait évidemment ce qu'il voyait sans pour autant le connaître vraiment. Quand Eric Dale explique à Will Emerson qu'avant de travaillant dans la gestion des risques financiers, il était ingénieur dans les BTP et qu'il avait mené la construction d'un pont, il se met alors à calculer le nombre de kilomètres épargnés aux automobilistes, le temps gagné par eux... soit plus de 1500 années. Aucune autre explication. Le spectateur est à nouveau invité à comprendre ce que cela signifie. Ce qui a été montré dans le film est l'économie virtuelle, celle dont Will explique qu'elle permet à tous de rêver, de pouvoir consommer. Eric Dale raconte l'économie réelle, celle qui concrètement change la vie des gens, collectivement, et qui ne repose pas sur du vent. La froideur des cadres de l'entreprise s'oppose bien sûr à ce qu'Eric Dale ressent. Et quand Sam Rogers apparaît pour la première fois à l'écran, il pleure. Et comme Eric Dale vient de se faire licencier, le montage malin incite le spectateur à croire que son émotion vient de la perte d'un collaborateur. Or il n'en est rien. Si Rogers pleure, c'est parce que son chien est en train de mourir. Et que pour le maintenir en vie, cela lui coûte 1000 dollars par jour! D'emblée, la rupture avec le monde réel était à l'écran. Rogers était insensible au licenciement d'un collaborateur mais se lamentait de l'agonie d'un chien lui coûtant par jour ce que certains ne gagnent pas par mois! Or c'est avec la même thématique que Rogers retrouve son humanité profonde dans la séquence finale. En pleine nuit, alors qu'il vient de retirer sa démission parce qu'il a besoin d'argent, nous le retrouvons dans un jardin, creusant un trou, illuminé par les phares de sa voiture. Une femme sort. Elle menace d'appeler la police. Puis elle vient vers lui. Il lui explique que son chien est mort. Sans rien rajouter, elle lui signale qu'elle fermera la porte, enclenchera l'alarme et qu'il ne pourra entrer. Il se remet à creuser. Le générique se substitue à lui mais le son de la pelle dans la terre continue. Dans cette simple séquence, Chandor rend à Rogers l'âme qui lui avait fait défaut au début du film. Le spectateur comprend alors tout ce qu'il a vécu. Son travail l'a certainement conduit à rater son mariage, à perdre sa maison, à n'avoir plus que son chien comme être vivant avec qui partager du temps et de l'affection. Venir l'enterrer dans ce jardin, c'est retrouver un peu ce bonheur fugace que l'argent ne permet pas. C'est reconstruire, même de manière artificielle, une famille qui s'est désagrégée. C'est aussi peut-être, creuser sa propre tombe dans ce jardin qui fut certainement le sien, dans la maison de celle qui fut son épouse... dans le réel. Pas dans le virtuel du monde boursier.

A bientôt
Lionel Lacuor

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article :)
    j'ai vu ce film et je conseil aussi ceux de Gilles Lellouche qui sont pas mal non plus ;)
    sinon côté gestion et psychologie je vous conseil cet article de Forexagone qui colle bien avec le votre !
    http://www.forexagone.com/blog/667-10-petites-astuces-pour-combattre-le-stress-du-trading

    à bientôt :)

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    1. Bonjour
      je suis quand même très circonspect sur le film avec Lellouche!
      Merci quand même de vos remarques et du lien.

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