Bonjour à tous,
À l'occasion de la sortie de l'ouvrage de Patrick Brion, historien du cinéma et créateur du "Cinéma de Minuit", hier sur FR3, aujourd'hui France 3, je vous propose cette chronique de ce livre édité par La librairie VUIBERT et dont la cible est évidemment tous ceux qui raffolent du cinéma hollywoodien et qui regrettent que "La dernière séance" n'ait pas été remplacée...
Les secrets d’Hollywood
Patrick Brion – mars 2013 - Librairie VUIBERT
Les secrets d’Hollywood auraient peut-être pu s’intituler « Le
Hollywood que j’aime » tant Patrick Brion nous plonge tout au long de ses
dix-huit articles dans un univers passionnant dont il est évidemment à la fois
un spécialiste et un amoureux.
Ce recueil peut se lire article
par article, dans un ordre aléatoire, au gré de sa cinéphilie, de ses envies
puisqu’il n’y a apparemment pas de véritables introduction ou conclusion. Du
moins formellement. C’est déjà là un plaisir important. Celui de ne pas tomber
sur un de ces livres sommes qui dressent des listes exhaustives de films,
d’anecdotes destinées de fait aux spécialistes et à eux seuls, oubliant parfois
que le cinéma est d’abord un art populaire.
Si Les secrets d’Hollywood offrent cette fantaisie aux lecteurs, il ne
s’agit pas non plus d’un ouvrage fait de « potins » qui ravissent
tant une certaine presse. Patrick Brion propose des analyses, des témoignages
qui satisferont aussi bien érudits du cinéma que simples amateurs du 7ème
art, tous heureux de passer d’Orson Welles à Marlon Brando, de Casablanca à Apocalypse now sans transition… apparemment.
Car s’il n’y a ni introduction ni
conclusion au sens classique comme il a été dit plus haut, l’ordonnancement des
différents articles n’est évidemment pas anodin. Il est d’abord chronologique,
tant du point de vue du temps de l’Histoire du cinéma que de celui de la
production même d’un film. Ainsi le premier article « Comment devient-on
producteur à Hollywood » est une succession de mini-biographies des
pionniers des majors qui ont établi
le mythe des studios et des productions établissant une mémoire
cinématographique dépassant les Etats-Unis. Le lecteur découvre ainsi qui se
cache derrière la Fox, la Warner Bros ou encore la MGM. Dès ce premier article,
Patrick Brion peut dérouler sa pelote savante. Derrière le récit de la
production du film Les rapaces, il
présente par exemple le génie de son réalisateur, Erich Von Stroheim. Puis dans
le suivant, il rappelle ses difficultés financières qui émurent le tout
Hollywood, rendant à ce personnage mythique une humanité et une dignité
peut-être insoupçonnées. Quand deux des plus grands films d’avant guerre
tournés en couleur sont décortiqués par l’auteur, à savoir Le magicien d’Oz et Autant en
emporte le vent, c’est pour préciser notamment qu’ils connurent plusieurs
scénaristes et réalisateurs et des castings laborieux. Ce qui ne les empêcha
pas d’accéder à un succès de plusieurs décennies. Enfin, Patrick Brion évoque
aussi le « Nouvel Hollywood » au travers de Francis Ford Copolla et
Marlon Brando et leurs deux films d’anthologie, que ce soit Le parrain ou Apocalypse now. Mais c’est pour mieux montrer les dernières
influences des hiérarques mythiques d’Hollywood.
Cette Histoire du cinéma
hollywoodien que raconte Patrick Brion marque ainsi terriblement son amour des
producteurs, eux qui savaient, il ne cesse de le répéter tout au long de ce
livre, mettre en avant leurs auteurs, leurs réalisateurs et aussi leurs
comédiens. Nous pouvons découvrir çà et là comment les studios s’échangeaient
leurs acteurs au gré des productions, les diverses stratégies et tractations
pour acquérir les droits de romans non encore parus, les acrimonies entre
artistes ou encore les excentricités des génies, qu’ils s’appellent Orson
Welles ou Marlon Brando. Si l’auteur use avec parcimonie de documents
d’illustration, c’est pour mieux capter l’attention de ses lecteurs en
proposant des sources originales et souvent stupéfiantes. Ainsi, la grille des
salaires des acteurs pour Casablanca ne
manque pas de faire sourire au regard de celui des émoluments démesurés de
certains comédiens d’aujourd’hui, et ce même en prenant en compte
l’augmentation du coût de la vie !
Une des autres qualités du livre
est la diversité de natures des différents articles. Présentation de type
« glossaire » pour le premier, synthèse sur la genèse de certains
films pour quelques uns, exégèse de témoignages pour d’autres. Pour cette
dernière catégorie, il faut mentionner l’article « Joseph L. Mankiewicz
contre Cecil B. DeMille » dans lequel Patrick Brion rapporte presque in extenso le témoignage du réalisateur
de Eve, de Jules César, de La comtesse
aux pieds nus ou encore de Cléopâtre sur
la manière qu’a eu John Ford de le défendre alors que Cecil B. DeMille
souhaitait le destituer de la présidence de la guilde des réalisateurs. À la
lecture de ces nombreuses pages, le plaisir gourmand de l’auteur transparaît
alors même que les mots sont ceux de Mankiewicz. On y devine son bonheur de voir
dans cette histoire une sorte de continuité hors écran de ce que ces monstres
sacrés qu’étaient Ford, Mankiewicz mais aussi Hawks ou Walsh pouvaient porter à
l’écran. Il y a de l’admiration pour ces personnages qui savaient défendre les
valeurs en lesquelles ils croyaient et Patrick Brion la fait partager à ses
lecteurs. Il arrive même, chose plus intrigante, sinon à réhabiliter Will Hays,
du moins à l’inscrire dans un contexte historique. Il permet ainsi de
comprendre comment le code qui allait porter son nom avait pu s’imposer – de
manière toute relative comme il le montre parfaitement – aux studios
hollywoodiens et avec eux, aux scénaristes et réalisateurs. « Le code
Hays : Hollywood censuré » permet, même pour certains croyant bien
connaître cette censure fameuse de la production des majors, de restituer la vraie place du code, insistant sur le rôle
joué par certaines ligues comme la Legion
of decency. C’est elle, et non le code Hays, qui avait été si soucieuse de
la durée maximum d’un baiser entre deux amants, un homme et une femme
évidemment: 8 secondes ! C’est avec étonnement mais aussi un certain
plaisir que le livre évoque le « libéralisme » du code Hays (sic) au
regard du nombre de films qui auraient pu (dû ?) être censurés en vertu
des interdictions édictées. Et Brion de citer comment producteurs et cinéastes transgressèrent
ou jouèrent avec ce code pour finalement faire passer, malgré les contraintes,
leurs idées scénaristiques ou de mise en scène, fussent-elles contraire au
code !
Patrick Brion témoigne donc dans
ce recueil d’une véritable nostalgie de cet âge d’or hollywoodien. Une
nostalgie qui ne sent ni la poussière ni la naphtaline. Le créateur du Cinéma
de Minuit admire l’ingéniosité des producteurs ou des artistes pour produire
des films. Certes, ceux-ci sont des produits industriels dont le budget est
conçu au regard du potentiel commercial des œuvres tournées. Mais ils
constituent petit à petit une véritable mythologie moderne pour les spectateurs
du monde entier. L’auteur loue la détermination de ces dirigeants de studios,
dont beaucoup finirent ruinés ou évincés de leur propre entreprise, comme par
exemple Louis Mayer, pour mener à bien un projet dont ils sentaient qu’il représentait
une source d’enrichissement possible mais aussi une valeur d’image positive
pour leur studio. Il faut lire les passages consacrés à Albert Lewin organisant
un concours de peinture pour le seul plaisir de trouver le tableau qui allait
être utilisé dans The private affairs of
Bel Ami. Quant aux pages consacrées à Vincente Minelli, elles témoignent
des liens parfois fusionnels entre un cinéaste et un studio, le premier
trouvant dans le second la confiance, les techniciens et le budget pour
exprimer tout son talent. Le second découvrant dans le premier un moyen d’exprimer
ses aspirations à dessiner un monde,
même imaginaire voire virtuel, dont il serait le grand ordonnateur. Et la liste
des films de Minelli (Brigadoon, Gigi, Un
américain à Paris…) ne peut que corroborer ce que Patrick Brion affirme.
Quant aux acteurs, ils ne sont
pas oubliés. S’il est émouvant de lire combien Von Stroheim fut d’une dignité
magistrale quand il dut accepter que tout Hollywood l’aidât, il est tout aussi
touchant de lire combien il mit un point d’honneur à rembourser ses dettes à ses
généreux donateurs acceptant ou non d’être remboursés. À ce titre, la lettre de
Clark Gable que Patrick Brion donne en illustration est remarquable de
sensibilité et de grandeur. D’autres acteurs sont évidemment mis en avant.
C’est le cas notamment de Marlon Brando qui s’engagea pour la cause des Noirs des
États-Unis ou d’Afrique du Sud, pour
celle des Indiens d’Amérique spoliés ou encore celle des enfants d’Asie et
d’ailleurs subissant la loi du capitalisme. Et que dire également d’Elisabeth
Taylor dont Patrick Brion souligne avec force comment elle accepta de mettre sa
notoriété au service d’une cause si politiquement incorrecte que la lutte
contre le Sida, cause honteuse pour beaucoup, et qui avait tué nombre de ses
amis, à commencer par Rock Hudson ? Il s’empresse encore de réhabiliter ce
que fut Charlton Heston dans les années 1960, un leader de la cause des droits civiques de la communauté noire
américaine, quand Michael Moore le réduisait dans son film Bowling for Columbine – film dont Brion ne cite que les prix
obtenus à Cannes et aux Oscars mais certainement pas le titre - à
un fanatique assoiffé d’armes à feu et dirigeant de la NRA, association prônant
le droit à posséder une arme.
Les secrets d’Hollywood étrillent enfin une génération de fossoyeurs
du cinéma et de sa mémoire. Ainsi, régulièrement, Patrick Brion rappelle que
certains producteurs seraient bien inspirés de faire ce que ceux du passé
glorieux réalisèrent pour produire tant de chef-d’œuvres. Le dernier article intitulé
« La mort du lion » confirme alors les regrets de l’auteur d’avoir vu
disparaître ou vendre ce qui faisait l’âme de la MGM. Cette major de légende, la plus grande
d’Hollywood, passa en 1969 dans les mains d’hommes d’affaires préoccupés
exclusivement par la rentabilité et non par le cœur même d’un studio de
cinéma : la production de films. Cet article, sorte de conclusion du livre,
ferme manifestement la parenthèse de ce qui fit rêver Patrick Brion. Et on ne
peut que le suivre tant son raisonnement est limpide, surtout pour des
spectateurs européens. Cette histoire d’Hollywood est d’ailleurs une histoire
d’Européens partis aux Etats-Unis, avec l’« American dream » comme moteur mais avec encore l’idéal
culturel du vieux continent. Tous ces grands producteurs et réalisateurs venaient
presque exclusivement d’Europe et ce depuis moins d’une génération. En 1970,
les nouveaux producteurs se sont complètement intégrés dans le moule américain,
négligeant toute ambition culturelle dans l’industrie cinématographique et se
concentrant seulement sur les comptes d’exploitation. L’idéal culturel européen
s’était effacé, une forme de cupidité du Nouveau monde l’avait emporté.
Et c’est peut-être là une des
limites du livre de Patrick Brion. Son amour pour Hollywood est celui d’un
Européen qui se reconnaît dans des comportements d’Européens qui ont su tirer
profit de ce que les Etats-Unis permettaient et su oublier ce que l’Europe
empêchait : l’idée qu’un « moins que rien » puisse devenir un
maître de grand studio, avec la logique créatrice que celui-ci impliquait. Cet
âge d’or des majors constitue de fait
une synthèse entre deux modèles, celui du risque de l’entreprise, qui
correspond si bien au mythe américain et du self
made man, combiné au souci de produire une œuvre, que les Européens ne cesse
de valoriser au nom peut-être de « l’exception culturelle », même si
cette expression est postérieure à l’âge d’or d’Hollywood. Cette synthèse ne
pouvait durer bien longtemps et la MGM en fit les frais en premier, soumise aux
desiderata d’un capitaliste peu
soucieux de préserver un patrimoine dont un Américain moyen a finalement si peu
à faire. En concluant par « La mort du lion », Patrick Brion semble cependant
occulter, même s’il évoque Coppola et le Nouvel Hollywood, que les studios ont
connu sinon une renaissance, du moins une métamorphose, usant des mêmes
méthodes que celles qui leur avait permis de prospérer, c’est-à-dire en recrutant les talents venant
du monde entier. Hier d’Europe, aujourd’hui d’Asie ou d’Amérique latine. La
bibliographie indicative suivant chaque article est d’ailleurs également à
l’image du contenu de son livre. Souvent datée, avec peu d’ouvrages récents. Ce
pourrait être un reproche car l’Histoire du Cinéma, comme l’Histoire tout
court, ne s’écrit jamais définitivement. Et bien des historiens du cinéma ont
travaillé récemment sur la période couverte par Patrick Brion dans son ouvrage.
Cependant, l’objet même du livre est de partir des témoignages les plus directs
des protagonistes des « secrets ». Or peu sont encore en vie aujourd’hui
et leurs mémoires ou entretiens ont été rédigés il y a déjà bien longtemps.
Ceci peut expliquer le parti pris de Patrick Brion à recourir aux ouvrages
recensant en première main ces sources directes puisque son livre n’est pas véritablement
un travail de chercheur. Point de procès d’intention donc à l’encontre de
l’auteur de ce livre qui enchantera tout cinéphile et amateur de ce cinéma,
capable de faire croire à tout, même en l’existence d’un singe de plusieurs
mètres de haut terrorisant New York ! Juste l’idée que, en finissant par
« La mort du lion » sans évoquer ce qui a pu être fait depuis,
Patrick Brion ne s’est pas remis de la fin de cette période dorée durant
laquelle un film pouvait se construire sur la seule confiance entre un
producteur, un réalisateur et d’autres artisans du cinéma. Période où un John
Ford pouvait en toute humilité, à deux heures et demi du matin, dire à Cecil B
DeMille face à une assemblée de réalisateurs réunis pour décider du sort du
président de leur guilde : « […] je ne vous aime pas, je n’aime rien
de ce que vous défendez, et de ce que vous représentez. » Assurément,
Patrick Brion regrette le panache de ces hommes, panache qui a nourri la
légende du cinéma en général, d’Hollywood en particulier. N’était-ce pas d’ailleurs
ce qu’un journaliste dans L’homme qui tua
Liberty Valance rappelait au sénateur interprété par James Stewart ?
« Quand la légende est plus belle que la vérité, publiez la légende ».
Il ne reste plus à Patrick Brion qu’à illustrer encore et encore ce panache, quitte
à en rappeler voire à démythifier les aspects légendaires, en donnant une suite
– ou plusieurs - à ses Secrets
d’Hollywood. Parce qu’il y en a tant que nous aimerions encore découvrir.
Des tournages d’Howard Hawks, de Raoul Walsh, de Robert Parrish, aux mystères
de Grace Kelly, Eva Marie Saint, Paul Newman, Steve Mc Queen, Paul Muni, John
Garfield, sans oublier La prisonnière du
désert, West side Story, Les trois lanciers du Bengale, Scarface, Du silence et
des ombres, Mogambo,….
À très bientôt
Lionel Lacour
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