mercredi 29 mai 2013

Le film "42" ne sortira pas en France et c'est bien dommage!

Bonjour à tous,

le consulat des USA de Lyon a eu une très bonne idée d'organiser hier au Pathé une projection du film 42 de Brian Helgeland, avec l'aimable autorisation de la Warner Bros. Le film ne devrait pas sortir en salle en Europe, ce qui explique que la projection fut en VO non sous-titrée. Il n'est pas rare que des films américains ne sortent pas en dehors des frontières...américaines. On peut pourtant s'étonner de cette décision et à plusieurs titres. Tout d'abord, le film est écrit et réalisé par celui qui a notamment écrit le scénario de Mystic river - excusez du peu! - et plus récemment du Robin des bois de Ridley Scott. Si sa carrière de cinéaste est moins probante, le sujet abordé pouvait laisser penser cependant que le film aurait un intérêt certain: l'histoire de Jackie Robinson, interprété par Chadwick Boseman, un ancien joueur de Basket Ball, premier joueur de base-ball noir à intégrer la ligue professionnelle aux USA au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Enfin, le casting ne manque pas non plus de sel, avec notamment Harrison Ford méconnaissable, dans un rôle aux antipodes de ce qu'il a pu interpréter jusqu'alors, celui de Branch Rickey, patron des Dodgers, l'équipe de Base-Ball de New York.
Alors comment expliquer que ce film ne soit pas distribué en Europe?

BANDE ANNONCE





1. Un film de Base-Ball
Il n'aura échappé à personne que le Base Ball est un sport assez ésotérique pour qui ne s'est pas penché 153 heures dessus, c'est-à-dire tous les Européens, Britanniques exceptés. Les règles sont assez compliquées et la comptabilisation des points marqués par les équipes relève souvent de la foi pour qui n'a pas été initié! Et de fait, les films ayant ce sport comme trame de fond ont souvent fait des flops en Europe, comme par exemple Une équipe hors du commun de Penny Marshall en 1992, ou encore Le meilleur de Barry Levinson en 1984, les deux avec pourtant un casting accrocheur - Madonna pour le premier, Robert Redford pour le second!
Ainsi, 42 est un film sur un joueur de ce jeu typiquement américain et il faut reconnaître que de nombreuses séquences évoquent des moments de parties dans lesquels sont présentés des stratégies difficiles à suivre. Quel est le rôle de chaque joueur? On voit Jackie tantôt tenir une batte et frapper la balle adverse, puis courir. Et quand on croit qu'il a réussi, il a en réalité perdu. Pourquoi? Parce que la balle frappée a été rattrapée par les adversaires avant qu'elle ne tombe au sol. Le béotien est forcément décontenancé par cette règle. Puis, on retrouve Jackie sur le terrain, attendant que le lanceur adverse projette la balle vers le batteur. Il s'en suit des gesticulations de Jackie qui, manifestement, déstabilisent le lanceur. Quel est le rôle de Jackie?  À un moment du film, il passe de la 4ème à la 1ère base ce qui semble le contrarier. Autant dire que cela ne parle à aucun spectateur qui ne comprend pas ce en quoi cela peut gêner le joueur!
Aux règles du jeu s'ajoute le fonctionnement même d'une ligue professionnelle aux USA, pour quel que sport que ce soit. Les Européens n'ont pas la culture de la "Franchise" mais de celle du club qui participe à des championnats avec des niveaux différents, avec possibilité de passer d'un niveau à l'autre en fonction des résultats de l'équipe durant la saison régulière. Le système américain ne repose pas sur ce principe mais sur celui d'un championnat fermé où chaque club - franchise - est la propriété d'un investisseur, d'un patron, avec, comme il est expliqué dans le film, du moins pour cette époque, un nombre de joueurs professionnels donné. Ces franchises ne peuvent pas descendre dans une division inférieure mais elle peut se renforcer en recrutant des joueurs venant soit d'autres équipes, soit en recrutant de nouveaux joueurs professionnels quand certains arrêtent leur carrière. Un nombre maximum de joueur par équipe oblige alors les clubs à se séparer d'un des leurs qui est alors transférer dans une autre franchise, ce qui est montré dans le film à l'arrivée de Jackie Robinson aux Dodgers.
Un tel sport, aux règles complexes, dans un système exotique par rapport au fonctionnement du sport européen fait que la Warner a certainement redouté une sortie d'un tel film en Europe, attendant peut-être une exploitation en DVD, VOD et à la télévision dans le vieux continent, exploitation autrement moins risquée qu'une sortie en salle, aux box office hypothétique, surtout à l'heure où l'abondance des sorties hebdomadaires ne garantit pas un quelconque succès sinon d'estime!

Le coach de Philadelphie insultant Jackie de sale nègre
à chaque fois qu'il doit jouer.
2. Un film sur le combat pour les droits civiques
42 n'est pourtant pas un film sur le Base Ball. À vrai dire, les règles n'ont en fait que peu d'importances puisque jamais l'intrigue ne porte vraiment sur le sort d'une partie. Les séquences évoquant le jeu correspondent de fait à la place de Jackie Robinson dans l'équipe, à son talent et à l'évolution de ses partenaires à son égard. Il suffit de fait d'écouter les commentaires des journalistes couvrant les parties pour comprendre non le jeu, mais que Robinson a réussi ou rater un coup.
Car le plus intéressant dans le film est bien la présentation de la ségrégation aux USA avec tout ce que cela implique. La force du film est de ne pas sombrer dans le mélo ou dans une représentation caricaturale de la société américaine dominée par des blancs se sentant supérieurs aux noirs. Tout est plutôt montré subtilement, dans un sens ou dans un autre. Deux scènes par exemple se répondent. Un pompiste refuse à Jackie d'aller aux toilettes réservées aux Blancs mais qui finalement accepte après les remarques du joueur de Base Ball. Puis, plus tard, alors que Jackie et sa femme  Rachel - sublimement interprétée par Nicole Beharie -se trouvent à l'aéroport, cette dernière est stupéfaite de voir inscrit "White Only" sur les toilettes pour dame. Elle s'y rend pourtant, comme un acte de résistance à une ségrégation intolérable, sous les yeux d'une hôtesse qui ne dit rien... mais qui par vengeance sournoise expliquera que les époux ne peuvent prendre l'avion, invoquant une raison fallacieuse puisque les places ont été déjà revendues à un couple... de blanc. Le racisme anti-noir transpire donc tout au long du film, touchant les personnes dont on pourrait penser qu'elles en sont exemptes, mais dont la réalité est souvent plus un suivisme qu'autre chose. Ainsi, le pompiste ne résiste pas longtemps pour accepter que Jackie se rende aux toilettes pour les Blancs.
Au cours d'une partie, on voit même un gamin d'une dizaine d'année assister au match de son équipe contre celle de Jackie. À l'arrivée de ce dernier, tous les hommes et femmes blancs profèrent des insultes racistes, stupéfiant et horrifiant cet enfant mais qui, par mimétisme, profère à son tour les mêmes insultes. Un racisme culturel plus qu'idéologique.
C'est sur cette base que le film s'appuie donc, racisme ordinaire, lettres de menaces à l'encontre de Rickey qui a osé engagé un joueur noir, provocation du coach adverse en plein match, refus de coéquipiers de partager le vestiaire ou le stade avec un joueur noir. Les humiliations permanentes de Jackie sont montrées de plusieurs manières. D'abord dans des plans le montrant seul alors qu'il est dans l'équipe. Mais elles passent aussi par sa femme dont le rôle est essentiel dans le film. Jamais elle n'est montrée en victime mais au contraire, c'est sa fierté pour son mari qui est mise en avant. Entre les deux, Wendell Smith - incarné par Andre Holland - journaliste suivant la carrière de ce joueur noir et qui semble partager par osmose l'opportunité offerte à Jackie mais aussi toutes les insultes et humiliations qu'il endure.

La force du récit vient enfin de l'évolution des joueurs blancs à l'égard de Robinson. Le réalisateur-scénariste réussit à éviter le passage brutal du refus à l'acceptation de ce joueur dans l'équipe. Au contraire, c'est bien la difficulté culturelle mais aussi la crainte du regard des siens qui est montré comme un frein à cette acceptation qui se fera de manière progressive. Quand Jackie se fait insulter pendant toute la partie par le coach de Philadelphie, un joueur vient lui intimer l'ordre de se taire. Quand Jackie le remercie de ce geste, le joueur lui répond que c'est pour l'équipe. Puis, progressivement, chaque joueur va se positionner par rapport à Jackie, acceptant de se présenter lié à lui dans un stade aux spectateurs notoirement racistes, ou même, acte suprême d'intégration, à l'inviter à prendre sa douche avec eux.
Là est d'ailleurs le plus intéressant dans le film. En effet, ce qui jaillit est autant le racisme de la communauté blanche qu'une certaine acceptation de la communauté noire d'une telle situation. L'exemple de la douche est de ce point de vue symptomatique. Jackie se met lui même à l'écart de la douche pour ne pas provoquer des joueurs dont il comprend que sa présence les gêne. C'est pour ne pas provoquer de scandale ou d'émeutes que Wendell Smith emmène Robinson dans une autre maison que celle dans laquelle il vit à son arrivée au club, maison située dans un quartier blanc. Et si un noir ose se rebeller, Rachel Robinson a pu voir de quelle mesquineries sont capables les racistes par mesure de rétorsion!

Cette acceptation transparaît de fait dans le questionnement de Jackie à Rickey: pourquoi a-t-il engagé un joueur noir dans son équipe? La réponse est formidable car elle recouvre ce que bon nombre d'Américains blancs devaient vivre au quotidien. C'est parce qu'il n'était pas intervenu pour que de joueurs noirs puissent intégrer une équipe de Base Ball des années auparavant qu'il n'éprouvait plus le même plaisir pour ce sport. Et c'est parce qu'il en a désormais le pouvoir qu'il a décidé d'engager un joueur noir ayant à la fois le talent et la force mentale pour résister au racisme primaire, et ce pour permettre à ce que d'autres joueurs noirs puissent ensuite être engagés au nom de leur talent.

Le président Obama recevant Rachel Robinson (la vraie!)
3. Un film à la gloire des USA?
Tout le paradoxe américain est présent dans ce film. À l'image tout d'abord, c'est la séquence introductive qui montre combien les soldats noirs ont été utiles pendant la seconde guerre mondiale et ont été loyaux à l'armée. C'est ensuite le patriotisme sincère des Noirs américains qui est filmé, mains sur le cœur pendant l'hymne des USA, avant chaque partie de Base Ball. C'est toujours cette volonté d'être reconnu pour son talent malgré la ségrégation qui règne sans partage dans le pays. C'est enfin cette séquence qui clôt l'histoire, avant celle récapitulant ce que chacun des protagonistes du film est devenu, et qui met en scène dans un home run fantastique (pour les non spécialistes de Base Ball, disons que c'est l'équivalent d'un but exceptionnel au football... les spécialistes me lyncheront pour cette comparaison peu pertinente!) Jackie Robinson avec force de ralenti et de musique symphonique caractéristique du cinéma américain aimant les happy end! Car l'histoire continue bien d'après le film, chaque protagoniste du film étant des personnages ayant vraiment existé, tous devenant des légendes de ce sport, entrant au Hall of fame ou ayant mené une grande carrière professionnelle, ou bien, pour les personnages négatifs, ayant dû quitter définitivement le Base Ball!
Pour les spectateurs européens, ce personnage apparaît comme presque artificiel tant notre culture historique des USA concernant la période de lutte pour les droits civiques nous renvoie à des combats plus politiques et rédicaux, de Rosa Parks à Mohammed Ali, en passant par Luther King, Malcom X et les Black Panthers. Or, comme l'a rappelé Mark Schapiro, consul des USA à Lyon, Jackie Robinson représente une autre facette du combat pour les droits civiques des Noirs américains. Ainsi, les spectateurs français pourraient n'y voir qu'une vision idéalisée de la réussite très circonscrite de la communauté noire dans le sport, sans prendre en compte la popularité du Base Ball aux USA, sport national à l'égal du Basket Ball, du Football américain ou du Hockey. Dans l'opinion publique américaine, il n'y a pas cette distinction aussi radicale entre sport et culture, le sport faisant partie de la culture comme peut l'être le cinéma, la musique ou la littérature. En portant l'histoire de ce personnage à l'écran, le cinéaste sort des biopics sur les personnages classiques de la lutte pour les droits civiques et des conditions des Noirs durant la ségrégation. Il n'occulte jamais cette réalité mais s'inscrit dans un discours de progrès dans lequel Jackie Robinson ne fut qu'une étape, peut-être oubliée, mais importante dans l'évolution des mentalités, et qui a permis à ce qu'un candidat noir puisse être élu président des USA un peu plus de soixante ans après.


Pour conclure, ce film pourra être jugé académique dans sa forme, gênant pour qui voudrait absolument comprendre les règles de ce sport (mais comme dit précédemment, ce n'est vraiment pas important pour suivre le film), il n'en reste pas moins vrai qu'une fois encore, le cinéma américain est capable d'affronter une période redoutable de son Histoire, marquée par la ségrégation et le racisme ordinaire, et ce jusqu'au cœur des institutions quelles qu'elles furent. Le film marque aussi ce besoin de se trouver des héros, parfois malgré eux, Jackie Robinson étant un héros avant même que d'avoir véritablement prouvé quoi que ce soit (un peu comme le président Obama d'ailleurs!). C'est par ce recours à l'incarnation de rupture historique que les USA semblent se construire une mythologie dans un pays neuf qui ne peut se référer à des personnages d'avant le XVIIIème siècle. Point de Jeanne d'Arc ou de Saint Louis dans l'Histoire américaine mais des héros issus du peuple ou issus de l'élection, des incarnations de causes qui font progresser la société américaine et dans lesquels les citoyens peuvent se projeter.. Progrès pas assez rapide pour certains, héros trop "markettés" pour d'autres. Peut-être. À titre de comparaison, le premier joueur noir à intégrer l'équipe de France de football (preuve qu'il jouait donc en club au moins cette même année) est Raoul Diagne en 1931! Quant à Marius Trésor, il fut le premier joueur noir français à être capitaine de l'équipe nationale en 1976. Et pourtant, la représentation politique des noirs en France, mais également des autres élites, intellectuelles comme économiques, est loin d'équivaloir ce qui se passe aux USA. Et quel personnage contemporain français, noir ou maghrébin, est montré au cinéma ou dans la littérature? Quel jeune noir français sait seulement que Gaston Monnerville, un noir, a été président du Sénat de 1959 à 1968? Le cinéma américain, avec tous ses défauts, raconte ces personnages comme Ali, Robinson ou Malcom X avec leur part d'ombre, certes, mais aussi et surtout de lumière.


À bientôt

Lionel Lacour

2 commentaires:

  1. J'espère qu'une sortie DVD est prévue car j'aimerai beaucoup voir ce film. Merci pour l'article.

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    1. Prévue certainement. La question est bien pour quand? Il se peut que le film passe aussi sur Canal +.

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