jeudi 2 mai 2013

Ken Loach ou le cinéma du peuple


Bonjour à tous,

en octobre 2012, le Festival Lumière honorait le réalisateur britannique Ken Loach, à un peu plus d'un mois de la désignation du prochain prix Lumière pour la 5ème édition de ce grand festival lyonnais, je vous propose de revenir un peu sur la filmographie de Ken Loach
dans cet assez long article.


Eric Cantona remet le prix Lumière à Ken Loach
le 20 octobre 2012
Amphi 3000 - Lyon - Festival Lumière

En 1966, Ken Loach frappait un grand coup avec un film coup de poing pour la BBC. Cathy come home racontait une histoire de famille anglaise a priori sans histoire mais qui, suite à un accident du travail du mari allait rapidement subir le chômage et la  perte de logement. Le talent de Loach sautait alors aux yeux et il était multiple. Sur le fond, Loach osait aborder en pleine période de croissance la réalité des Anglais des classes moyennes, fragilisés par une absence de réelle politique sociale et pouvant les amener à devenir des indigents. Sur la forme, il osait un style très proche du documentaire avec de nombreux plans sur des gens du peuple, des figures anonymes renforçant son propos, des paysages urbains sordides détaillés avec la précision de l’ethnologue. Sur la mécanique enfin, Ken Loach imprimait déjà son style rendant implacable et inexorable ce qui arrivait à ses héros, coincés entre la loi et le respect du système et les solutions alternatives plus ou moins légales. Quand la Nouvelle vague abordait le désespoir et les aspirations de libertés de la jeunesse française, Loach allait lui dynamiter le modèle anglais dont les dirigeants étaient si fiers. Cathy come home n’allait être que le début de l’œuvre d’un cinéaste qui toute sa carrière adoptera le point de vue des sans grades et des opprimés. Quitte à faire preuve de manichéisme.


Le Royaume Uni : un régime autoritaire
Bien qu’anglais, et peut-être parce qu’anglais, Ken Loach a une approche très critique de son pays et de son modèle. Presque tous ses films montrent un Etat très dur vis-à-vis de la population par l’intermédiaire de son administration, de sa police ou de son armée.
Loin de montrer le caractère libéral de son pays, Loach y décrit son caractère répressif, policier et liberticide. Ainsi, dans Family life en 1971, c’est bien les autorités médicales qui empêchent la jeune héroïne de s’émanciper de sa famille en la soignant de manière brutale, à coup d’injection médicamenteuses et d’électrochocs. Son mal était terriblement dangereux pour sa famille et la société britannique puisqu’elle voulait vivre sa vie comme bon lui semblait, aimer un jeune homme en dehors du mariage. La réponse de ses parents ne représente alors que celle d’un État voulant contrôler les individus, les encadrer, pour qu’elle devienne docile et soumise. En l’étant auprès de ses parents, elle le serait aussi vis-à-vis de l’État et l’ordre établi ne serait pas troublé. Dans Fatherland, en 1987, c’est bien l’État anglais qui surveille le héros et une jeune française pour savoir ce qu’ils font au Royaume Uni. Et que dire de Hidden agenda en 1990 dans lequel le personnage de Paul Sullivan, avocat américain, se fait tuer par des agents anglais parce qu’il poursuivait son enquête sur les exactions britanniques en Irlande. Quand Ingrid, l’héroïne, évoque ce qu’elle voit en Irlande, elle compare la situation avec ce qu’elle a vu au Chili pendant la dictature de Pinochet, alors encore au pouvoir. Cette comparaison est brutale, violente et sans nuance puisque sont mis sur le même pied d’égalité une dictature et un État qui se prétend démocratique et libéral. Et le personnel politique, très peu présent dans les films de Ken Loach, y est décrit ici comme voulant protéger la situation du pays et un ordre établi, quitte à ourdir des complots pour les Conservateurs contre les Travaillistes, au mépris des valeurs qui animent, dans les textes, le pays, à commencer par la liberté démocratique.
C’est toujours l’État qui est de toute façon remis en cause, pas en tant que structure, mais en tant qu’organisation conservatrice enlevant toutes les libertés des individus.


Que ce soit dans Riff-Raff en 1991 ou dans The navigators en 2001, l’État se désengage de son rôle protecteur en laissant libre cours aux exploitations diverses. La remise en cause de la politique de Margaret Thatcher est explicite dans Riff-Raff qui a conduit à l’accroissement de l’exploitation des travailleurs par leurs employeurs. Elle est implicite dans The navigators puisqu’elle aboutit à la privatisation des lignes de chemin de fer, à la concurrence entre des entreprises qui ne voient comme intérêt que le profit et en aucun cas la qualité des services et encore moins la sécurité et le bien-être des employés. L’État est donc toujours présenté comme manquant à ses devoirs élémentaires, et en premier lieu la protection de sa population. Il apparaît alors comme trop présent jusqu’à en être liberticide, ou trop absent, permettant toutes les dérives condamnant les classes populaires à être exploitées.
La sur-présence de l’État passe par ses agents qui en oublient toute forme d’humanité. 


Dans Ladybird en 1994, Loach se sert d’une histoire vraie pour raconter comment l’héroïne, Maggie, se voit retirer progressivement ses enfants par les services sociaux britanniques. Loach présente une femme fragilisée par la vie, violée quand elle était adolescente et qui n’a jamais été alors aidée par ces mêmes services sociaux. Or ceux-ci se montrent féroces et particulièrement vigilants avec elle sans véritablement lui laisser la moindre chance. Ce sentiment d’oppression se caractérise par des cadrages toujours aussi serrés que ceux des premiers films, en limitant les espaces dans lesquels évolue Maggie. Son appartement, le pub où elle chante, les chambres d’hôpital où elle accouche sont autant de lieux de liberté qui se transforment brutalement en lieu d’oppression et de violences. Et celles qu’elle subit à l’hôpital ou dans son appartement sont d’autant plus difficiles à accepter pour le spectateur qu’elles sont commises par les agents de l’État, les services sociaux qui viennent littéralement lui arracher ses enfants. Toute la chaîne de l’État se rend d’ailleurs complice de cette barbarie puisque sa déchéance de mère est confirmée dans un tribunal qui n’interprète ses cris de douleurs que comme ceux émis par une hystérique instable.

L’État est donc représenté par des agents multiples, opprimant l’autre tels des machines appliquant un logiciel sans état d’âme. C’est ainsi que dans My name is Joe, en 1998, le héros, Joe, s’en prend à un inspecteur du travail qui vient de le surprendre à travailler illégalement et qui vaudra à Joe de voir ses allocations chômage amputées de quelques jours. Mais c’est bien sûr dans sa présence répressive que Loach assimile l’État britannique aux régimes les plus dictatoriaux. Dans Le vent se lève, l’armée anglaise n’est pas montrée différemment que ce qu’auraient pu l’être les SS nazis ou les bataillons des polices politiques communistes. La violence barbare qui anime ces hommes se fait au nom d’une supériorité anglaise supposée, et derrière, celle d’un État représenté par des individus issus eux aussi pourtant du peuple. Cette oppression transformée en répression par les agents de l’État n’est pas nouvelle au cinéma. Celui de l’entre-deux-guerres a donné des chef-d’œuvres qui ont marqué l’Histoire du cinéma, que ce soit Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein en 1925 dans lequel les soldats réguliers s’en prennent d’abord aux mutins puis au peuple dans la séquence mémorable de la descente vertigineuse de l’escalier d’Odessa, ou que ce soit dans Metropolis en 1927 dans lequel les domestiques des classes dirigeantes repoussent les enfants des ouvriers alors qu’ils découvrent les merveilles du jardin dans lesquelles s’amusent les jeunes gens riches. Mais Loach va plus loin en plaçant son discours à tous les temps, de la monarchie contemporaine, de l’Angleterre triomphante du lendemain de la 1ère guerre mondiale qui avait abouti au fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à celui de son présent dans lequel la situation sociale des classes populaires est resté figé, de par le conservatisme étatique. C’est ce même conservatisme qui transforme alors les familles en miniature de l’État, imposant un modèle immuable et d’où personne ne doit sortir. Dans Poor cow en 1967, le jeune Joy devient mère et épouse le père, un être brutal et vivant de vols et braquages. Or le système la maintient dans son statut d’épouse et de mère tandis qu’elle ne rêve que de liberté. De même, dans Family life, c’est bien la jeune Janice qui est en quête de liberté et qui est maintenue dans l’ordre établi par sa famille très conservatrice. Loach ne cessera plus de montrer que le carcan de la famille vient se sur-imposer aux individus à celui imposé par l’État lui-même de manière gigogne, empêchant toute émancipation. Dans Just a kiss, c’est le modèle pakistanais qui semble être dénoncé puisque la famille du héros, un Pakistanais du nom de Casim, veut le marier à une inconnue venue de leur pays, au nom des traditions. Mais à ce conservatisme répond un autre, celui de la société britannique - l’action se déroule ici en Écosse – qui elle aussi veille à ce que les règles soient conservées pour ne pas troubler un ordre ancestral. Ainsi, Roisin, amoureuse de Casim, ne peut vivre ouvertement avec lui. Deux conservatismes qui vivent dans un même pays et permis parce que celui du Royaume Uni exclut ceux qui viennent y vivre les poussant à se recroqueviller dans un système dont il pense qu’il va les protéger : la tradition du pays d’origine plutôt que celui du pays d’accueil, la famille au sens traditionnel plutôt que celle née des sentiments amoureux et libres.
Ceux qui veulent s’extraire de ce carcan peuvent s’en sortir, comme dans Just a kiss mais au prix de la rupture avec leurs racines. D’autres s’en trouvent broyés et voués souvent à s’affranchir des valeurs morales. Dans Sweet sixteen en 2002, le jeune héros de 16 ans, Liam, veut extraire sa mère, condamnée pour avoir servi les intérêts d’un minable truand, de sa condition sociale. Mais c’est au prix de bien de compromissions, de trafics et d’actes hors la loi. Dans It’s a free world en 2007, Angela se fait licencier après avoir « osé » refuser de se faire tripoter par son patron. Elle décide alors de monter elle-même une entreprise mais dont le fonctionnement sera de plus en plus illégal, comme si cela était une règle inéluctable. De fait, Loach fait très souvent de ses héros des personnages qui perdent leur identité quand ce n’est pas leur âme. Les ouvriers de Riff-Raff travaillent sous un nom d’emprunt et ne peuvent pas encaisser leur chèque. Dans Carla’s song, l’identité de Carla est longtemps inconnue. Et les héros qui travaillent illégalement n’ont pas de réelle existence puisqu’ils sont justement contraints à accepter ce qu’on leur donne sans pouvoir faire valoir leurs droits, que ce soit dans Raining stones en 1993, dans My name is Joe et dans bien d’autres encore. C’est cette situation très précaire qui pousse finalement les personnages de Loach à regarder du côté des gangs et des mafias qui pourraient les sauver.
La plupart des personnages de Loach ont alors un choix à faire entre celui de rester dans la légalité et ne plus pouvoir vivre ou bien envisager de travailler dans l’illégalité jusqu’à devenir membre d’un gang ou d’une mafia locale. Or c’est bien l’absence réelle d’un réel welfare-state qui conduit les personnages à devenir des illégaux voire des criminels. Quand dans Sweet sixteen,  Liam vole de la drogue pour la vendre ensuite, c’est pour offrir un mobile home à sa mère. Il devient alors progressivement membre de la mafia locale le conduisant à devenir plus puissant et surtout plus violent, allant jusqu’au meurtre de celui qui tient sa mère sous son influence. Criminel par insuffisance de l’État. Le film se finit sur la plage, un peu comme le film de Truffaut, Les 400 coups en 1959, à ceci près que Liam n’est pas Antoine Doinel et que si ce dernier était en quête de liberté, Liam vient de la perdre définitivement, et avec elle, ce qui lui restait aussi d’innocence. Dans My name is Joe, c’est bien aussi avec le caïd de la ville que Joe veut régler certains problèmes d’un des ses amis junkie et ce en vendant de la drogue pour rembourser ses dettes. Dans Raining stones, Bob surprend la fille de Tommy trafiquer de l’ecstasy dans une boîte de nuit, lui permettant de vivre mieux, quitte à devenir une victime. Et c’est Angela, qui fut elle-même victime d’un système machiste et oppresseur dans It’s a free world qui devient une exploiteuse et une vendeuse de sommeil pour sortir de sa vie misérable emplie de dettes, au risque d’y perdre ses amis, son fils, ses parents et son âme. Enfin, c’est Eric Bishop, héros de Looking for Eric qui doit sauver son fils du mafieux qui, de manière illusoire, lui a permis de devenir quelqu’un tout en le rendant complice de crimes. La récompense, de l’argent et des places en loge pour voir les matchs de foot de Manchester United n’en sont que plus dérisoires !
L’œuvre de Ken Loach est donc très marquée par la critique à la fois du système politique britannique, dont peu de représentants ne figurent de fait à l’écran, si ce n’est dans Hidden agenda comme évoqué précédemment, et de ceux qui en sont les agents qui exécutent les lois sans discernement, protégeant de fait les plus forts et écrasant les plus faibles.


Internationalisme et socialisme : une utopie ?
La filmographie de Ken Loach ne se contente pas de critiquer. Elle apporte aussi sinon des solutions, en tout cas un idéal socialiste et internationaliste. Cet idéal rejette une autre forme d’internationalisme qui serait l’impérialisme, celui du Royaume Uni du temps de sa splendeur coloniale, celui des Etats-Unis imposant sa vision du monde reposant sur l’exploitation capitaliste des ressources et des hommes au profit de multinationales.
Le modèle envisagé par Ken Loach transparaît dans des œuvres représentant des moments d’Histoire avec le point de vue de ceux qui le vivent et non celui des grandes fresques historiques montrant tous les protagonistes d’un événement. C’est ainsi que la révolution irlandaise de 1920 dans Le vent se lève, la guerre d’Espagne de 1936 dans Land and Freedom en 1995 ou encore la situation au Nicaragua dans Carla’s song sont autant d’inspirations pour le réalisateur anglais. La cause irlandaise est au centre du film qui a reçu la palme d’or au festival de Cannes en 2006, Le vent se lève. Le film montre comment le processus révolutionnaire se met en route avec des individus qui subissent une oppression digne des régimes totalitaires, qui l’acceptent puis qui craquent en se soulevant militairement. Loach n’a pas de vision romantique de ce conflit, filmant le caractère impitoyable qui aboutit parfois à éliminer ceux des siens qui ont trahi. Le moment du film témoignant de ceci n’est pas sans rappeler la séquence du film de Jean-Pierre Melville, L’armée des ombres en 1969 qui conduisait des Résistants français à l’occupant nazi à tuer un des leurs qui avait été contraint à donner des Résistants à la gestapo. Mais surtout, le cinéaste britannique ne s’arrête pas en cours de révolution et raconte  comment la révolution de 1920 aboutit inexorablement à une division entre ceux qui veulent l’accomplissement des revendications avec l’indépendance totale de l’Irlande tout entière et ceux prêts à accepter, de bonne foi pour certains, le compromis du Royaume Uni. Cette division marque une nouvelle étape dans la révolution irlandaise avec l’élimination de ceux qui refusent le traité par ceux qui l’acceptent et qui ont mené ensemble la révolution. Symboliquement, c’est Teddy qui a mené son frère Damien à la révolution. Or c’est ce dernier qui n’accepte pas le compromis faisant de l’Irlande un Dominion du Royaume Uni et qui ne remet surtout pas en cause le système économique et social dans lequel les propriétaires terriens restent ceux qui ont le pouvoir. Les revendications sont clairement socialistes avec une solidarité de classe et un partage des richesses, à commencer par celui des terres cultivables. Cela ne peut aboutir de fait qu’à une lutte fratricide entre les révolutionnaires défendant le traité et ceux voulant continuer le combat, les premiers devenant les nouveaux bourreaux des seconds, le grand frère, Teddy, commandant l’exécution de Damien pour avoir agi contre le pouvoir irlandais désormais en place !

Ces propos ne sont pas nouveaux dans la caméra de Ken Loach. Dans Land and Freedom, ce sont les Espagnols qui combattent du côté des Républicains qui revendiquent en 1936 les mêmes droits dont celui du droit à la terre par la collectivisation. A ces revendications correspondent les mêmes limites que dans Le vent se lève. La nécessité de posséder ses terres plutôt que de les collectiviser pour éviter que certains profitent du travail des autres. Dans les deux films, Loach montre des scènes de débats démocratiques où chacun peut apporter ses arguments. Mais dans les deux films, ceux qui l’emportent ne voient pas leurs décisions respectées. La force de Land and freedom est de partir de la mort d’un Irlandais, David, dont on découvre qu’il a participé aux milices internationales qui combattaient en Espagne pour l’idéal des Républicains, pour finir par son enterrement. Or, entre les deux séquences, le spectateur suivra par flash back ses combats et ses doutes quant à la ligne à suivre. En plaçant sa caméra du point de vue des jeunes républicains, Loach empêche toute autre approche que celle que pouvaient avoir, selon lui, ceux qui combattaient contre les Franquistes. Son approche est internationaliste, signifiant que le combat mené dépasse le seul combat des Espagnols. Mais il remet en cause la forme totalitaire de cet internationalisme représenté par les Brigades internationales soumises à Staline. Comme pour la lutte en Irlande, il y aura une lutte entre deux factions combattant contre Franco. Et, comme en Irlande, c’est le groupe le mieux organisé et soumis à un pouvoir fort qui va imposer ses vues et liquider tous ceux qui ne se soumettent pas à eux, jusqu’à éliminer les opposants. Cette assimilation entre l’Irlande et l’Espagne se manifeste par une séquence forte passant par l’héritage laissé par David à sa petite fille, un foulard rouge comportant de la terre d’Espagne, les deux associés symbolisant à la fois la terre pour laquelle les Républicains véritables combattaient et la liberté. C’est cette terre qui sera déposée sur la tombe de David tandis que les Irlandais assistant aux funérailles lèvent le poing en signe de lutte, comme si le combat des Irlandais de 1920 et des Espagnols de 1936 n’était pas fini.

En liant combat irlandais et espagnol, Ken Loach ouvrait ouvertement son discours aux combats menés par les plus opprimés où que ce soit sur la planète. Ainsi, dans Carla’s song, c’est le combat mené par les sandinistes du Nicaragua qui est magnifié tandis que le rôle de la CIA, soutenant les contre-révolutionnaires appelés les contras, est comparé à celui des organismes totalitaires comme pouvait l’être le KGB pour l’Europe de l’Est. Le héros anglais, George, qui a suivi Carla dans son pays, devient le témoin de ce que subit le peuple nicaraguayen, notamment l’attaque armée des villages et des écoles par les contras. À cela se rajoute la torture des révolutionnaires comme ultime solution des alliés américains pour que le pays redevienne un État inféodé aux USA. Le discours est univoque, renforcé par le rejet de la politique américaine par Bradley, un ancien de la CIA !
Le personnage de Carla est une des marques de fabrique de Loach qui introduit régulièrement dans ses histoires des personnages dont les origines ne sont pas anglaises, ayant subi des sévices ou l’oppression dans leur pays d’origine. Les meurtrissures physiques de Carla  répondent de fait à celles que Jorge, héros de Ladybird, a vécu au Paraguay avant que d’être contraint de vivre en Angleterre comme un exilé politique, perdant de fait son épouse et sa famille. Dans It’s a free world, Angela doit faire face à des demandeurs d’emplois de toutes origines, du Chili et de l’Europe de l’Est. Certains sont des immigrés légaux, mais d’autres sont clandestins, comme cette famille iranienne à qui elle viendra en aide. Tous viennent en Angleterre avec le rêve de vivre mieux, préférant ne plus être médecin ou ingénieur plutôt que de vivre dans leur pays. Comme les héros de America America d’Elia Kazan, la réalité est beaucoup plus dure que celle imaginée, relayée par les médias. C’est bien cette difficulté à être traité d’égal à égal par les Britanniques que les Pakistanais de Just a kiss en 2004 évoquaient en refusant finalement de s’assimiler aux cultures locales. Cette attitude est plus compliquée pour leurs enfants nés en Écosse et qui sont écartelés entre deux cultures mais avec le désir d’être membre à part entière de la communauté écossaise.
Ainsi, les films de Ken Loach offrent une cohérence dans le discours avec une approche clairement socialiste, privilégiant le bien commun et l’enrichissement mutuel sans accaparement des biens par quelques uns aux dépens de ceux qui produisent les richesses. À ceci, il oppose toutes les formes de pouvoir qui conduisent à confisquer celui du peuple. Loach condamne sans nuance le stalinisme, que ce soit dans Land and Freedom ou précédemment dans Fatherland, stalinisme qui de fait avait conduit à la séparation physique du peuple allemand, même si le mur ne fut construit que huit ans après la mort de Staline. Mais le cinéaste ne ménage pas moins le totalitarisme capitaliste qui s’exprime par la dictature des plus riches, ne concédant au peuple qu’une parodie de pouvoir politique, ce que Hidden agenda montrait, et conduisant à la spoliation des richesses par n’importe quel moyen, y compris par la guerre et la torture, comme dans Carla’s song mais également dans Route Irish en 2010. En effet, dans ce film, l’Irak est devenu une terre conduite au chaos pour en récupérer toutes les ressources, amenant les profiteurs mercenaires à se substituer aux armées occidentales engagées dans le conflit, et en premier lieu celles américaines et britanniques, puis à chercher à s’enrichir sur place, coûte que coûte, au mépris de la population irakienne elle-même. Le film a la force du contre point médiatique. En effet, la presse n’évoque les Irakiens que par les attentats subis et perpétrés par d’autres Irakiens, assimilés souvent par facilité aux membres d’Al Qaida. En centrant l’action sur la mort d’une famille irakienne, Loach rappelle à ses spectateurs que la population qui y vit est d’abord une population civile qui aspire seulement à vivre en paix, comme tous les Occidentaux, et qui se trouve écrasée entre deux puissances à vocation hégémonique ayant recours aux violences pour imposer leur présence et leur idéologie.

Bread and Roses
Le peuple, héros de cinéma !
C’est de fait ce que tous les spectateurs retiennent des films de Ken Loach. Un cinéma social. Ce cinéma social était clairement dans la veine de Cathy come home pour ses premiers films. Un cinéma violent par sa forme accompagnait un discours violent dans les idées. Et la violence était celle perpétrée par l’État à sa population. En faisant des personnages simples, sans talent particulier, des héros de ses films, Ken Loach confirmait ce que Edgar Morin en 1956 dans Le cinéma ou l’homme imaginaire avait résumé par l’expression « Projection-identification ». L’intérêt du spectateur tenait dans sa capacité à exprimer de l’empathie pour Cathy ou son mari parce qu’il pouvait se projeter et s’identifier à leur sort et aux brutalités des différents services de l’État, qu’ils soient sociaux ou policiers. L’angle documentaire était manifeste par de très nombreux plans sur des individus isolés ou en groupe, généralisant par des anonymes déconnectés de la narration du film le propos du réalisateur. Le recours aux voix off des personnages était une solution trouvée pour à la fois avancer dans le récit et pour témoigner de manière plus globale de ce qui y était dénoncé.
En faisant des individus modestes les héros de ses films, Loach réussit à associer à ses personnages les mêmes valeurs habituellement associées aux héros classiques du cinéma. Il n’est pas très éloigné en cela des films du réalisme poétique du cinéma français des années 1930. La belle équipe de Julien Duvivier en 1936 ne faisait finalement pas autre chose que de mettre en avant des héros ordinaires dans une vie ordinaire avec des conditions de vie similaires à celles des héros de Loach : chômage, implication dans la guerre d’Espagne, volonté d’unir ses forces et richesses pour réussir ensemble, proclamation du drapeau français comme celui non d’une nation mais des travailleurs. Le film de Duvivier a la même dimension tragique que ceux réalisés par le cinéaste anglais, avec deux fins, une dite optimiste et l’autre pessimiste, qui, à bien y regarder, ne correspondaient pas à ce qui pourrait ressembler à un véritable happy end ! Loach a donc repris cette veine cinématographique et n’a jamais cessé de l’exploiter, créant presque un genre en soi de film « social », genre dans lequel les portraits dressés de ses personnages sont autant d’image de personnes courageuses à qui le réalisateur peut trouver des excuses à chaque faux pas, à chaque trahison, parce qu’elles ne disposent pas du libre arbitre plein et entier. Rosa dans Bread and roses en 2000 a trahi ceux qui travaillaient avec elle à Los Angeles et qui manifestaient pour avoir davantage de droits et de salaire. Mais sa trahison n’était pas égoïste puisque c’était pour permettre une opération de son mari atteint de diabète. Dans une scène poignante, elle révèle à sa sœur, meneuse du mouvement social contestataire qu’elle s’est prostituée pour permettre de vivre à sa famille restée à Mexico ou lui obtenir un emploi dans son entreprise de Los Angeles alors qu’elle n’avait pas encore ses papiers de résidente légale.

Ces personnages courageux sont en lutte contre un système qui les empêche de se révolter, sauf au risque de tout perdre. Le chômage détruit les familles, et la drogue ne fait qu’amplifier cela. Dès la séquence d’ouverture de My name is Joe, le héros principal témoigne aux alcooliques anonymes de sa dépendance à la boisson. Le personnage est immédiatement caractérisé par ses failles mais aussi son courage et son absence de renoncement. Il ose témoigner pour permettre à d’autres de s’en sortir, ce qui le grandit. Il osera affronter ceux qui ont mené son ami Liam à la dépendance à la drogue et à s’endetter auprès d’eux. C’est un trait redondant chez Loach que de montrer le courage de ses personnages. Mais ce courage est souvent une manifestation de l’abandon des plus faibles par ceux qui devraient les protéger. 
Quand Bob, dans Raining stones, veut arracher la fille de son ami au trafic de drogue ou quand il veut éliminer celui qui a racheté ses dettes et qui a terrorisé sa femme et sa fille, il le fait par courage mais aussi parce qu’il sait qu’il ne trouvera pas de réponse auprès des autorités quelles qu’elles soient. C’est face à ces mêmes autorités que Maggie réagit courageusement en continuant à avoir des enfants malgré les retraits successifs par les services sociaux. Le prix à payer fut grand. Elle ne verra plus ses cinq premiers enfants ! Dans Riff-Raff, Stevie a aussi le courage de se rebeller contre ceux qui dealent dans son immeuble et son ami Larry a celui de porter les revendications auprès des employeurs pour des questions de sécurité. Steevie le paiera de quelques ecchymoses, Larry par son licenciement. Mais c’est surtout un des leurs qui continuant à travailler sur le chantier non sécurisé d’un immeuble en construction, tombe et est envoyé à l’hôpital dans un état très grave. Le courage de Steevie s’exprime finalement dans ce qui lui reste de capacité d’indignation par l’incendie de l’immeuble, symbole de l’exploitation de ces ouvriers qui ne sont jamais considérés par personne. C’est de la même manière qu’Eric, dans Looking for Eric en 2009, affronte seul le caïd dénommé Zac parce qu’il menace son fils et le pousse à devenir complice de ses meurtres, même si dans un premier temps, son courage est transformé en humiliation par les hommes de main du caïd. C’est encore une autre forme de courage dont les deux amants de Just a kiss font preuve en affrontant leur communauté, Casim en s’opposant à son père et sa mère voulant le marier à une Pakistanaise qu’il ne connaît pas et Roisin en affrontant l’Église catholique écossaise qui lui reproche une vie amoureuse et sexuelle en dehors du mariage. Car le courage ne réside pas seulement dans l’affrontement du mal, mais aussi dans la lutte contre soi. Si Joe lutte contre son addiction à l’alcool et Casim et Roisin résistent contre leurs propres préjugés et leur culture, Eric doit affronter son passé et sa lâcheté qui l’ont amené à abandonner la femme qu’il aimait et leur fille. Sa repentance passe par le fait d’avoir retrouvé des liens avec sa fille et s’occuper de sa petite-fille. Elle se prolonge dans le film par la force qu’il retrouve pour expliquer à Lily pourquoi il a fui ses responsabilités.

Le courage des héros de Loach est donc une constante avec des réponses pas toujours en phase avec la loi, comme si Loach admettait que certaines réponses peuvent être apportées en dehors du cadre légal. Loach accorde même un soutien étonnant en la personne du prêtre dans Raining stones qui conseille Bob de ne pas se rendre à la police après la mort de l’usurier. Pourtant, sa mort, bien qu’accidentelle, est tout de même conditionnée par l’agression commise par Bob. Si le représentant de Dieu apporte sinon une bénédiction du moins un large pardon, la révolte des plus faibles contre les exploiteurs devient forcément plus acceptable ! Celle de Steevie dans Riff raff, compréhensible aussi, n’en est pour autant cette fois pas moins criminelle. Le héros ne sera pas arrêté dans le film. Loach nous laisse avec l’image de l’incendie. Mais la réponse est dans le non montré. Steevie ne pourra pas s’en sortir.  Comme Liam après son meurtre commis sur son beau-père dans Sweet sixteen. Et que penser de la scène de torture menée par Alex dans Route Irish pour faire avouer un mercenaire d’un crime perpétré sur un ami qui voulait dénoncer les exactions menées en Irak pour le compte d’hommes d’affaires voire de politiciens ? Son courage est lié à ses capacités développées par ses états de service. Mais quand il apprend que les aveux étaient contraires à la vérité, il élimine les vrais responsables et se suicide finalement, sachant que son courage n’avait permis que la vengeance, seule forme de justice possible pour châtier les puissants. Parce qu’il sait que ce n’est pas non plus la justice et qu’en revanche, celle-la même qui épargnait les dignitaires s’abattra sur lui sans pitié. Parce que, tout comme la jeune Maya dans Bread and roses, la justice est implacable pour ceux du peuple qui luttent en respectant d’abord la loi et qui se trouvent parfois acculés à l’enfreindre, un peu ou beaucoup ! Maya n’a fait que voler quelques dizaines de dollars pour aider un ami à payer ses études. Mais elle est confondue par la police par ses empreintes la conduisant  à être expulsée des Etats-Unis au risque de faire de la prison si elle y revenait. C’est une faveur de l’Etat qui lui est clairement signifiée. Eric de Looking for Eric n’a lui aussi d’autres recours que de mobiliser ses amis pour aller régler son compte physiquement à Zac et ses sbires dans une scène d’anthologie où tous sont déguisés en Eric Cantona. Loin de l’apologie du hooliganisme, cette séquence met en scène ce que Loach a si souvent présenté à l’écran : la nécessité de s’unir pour une cause commune, pour le bien de la communauté. Cette unité doit être indéfectible au risque de perdre la bataille. C’est parce que l’unité a été brisée que l’Irlande ou l’Espagne n’ont pas réussi en leur temps révolutionnaire à imposer les aspirations du peuple. Au contraire, dans Bread and roses, l’unité des employés de nettoyage a abouti à l’acceptation des revendications par leur employeur. Les trahisons et autres problèmes individuels n’ont pas réussi à diviser le mouvement, et l’ont peut-être même renforcé. L’unité passe souvent dans les films de Loach par le mouvement syndical. 


C’est vrai dans Bread and roses ou dans The navigators. Mais le cinéaste distingue bien les syndicalistes sur le terrain de ceux qui dirigent les syndicats qui ménagent finalement aussi leurs intérêts et le pouvoir qu’ils peuvent représenter. C’est particulièrement criant dans Bread and roses où Sam Shapiro s’intéresse réellement au sort des employés et mène des actions fortes tandis que son syndicat lui demande d’arrêter le combat car les résultats ne sont pas assez rapides et risquent de coûter de l’argent en procès et donc en avocats. L’unité de Loach ne s’accommode donc pas de la constitution de pouvoirs, fussent-ils syndicaux, qui se coupent des aspirations des gens ordinaires.
À l’unité des individus derrière une cause commune se conjugue un autre internationalisme, moins politique mais pas moins important chez Loach. Ses personnages sont très souvent marqués par la mixité d’origine, qu’elle soit sociale comme Joe et Sarah, ou nationale pour ne pas dire ethnique et culturelle. Maggie et Jorge dans Ladybird, Roisin et Casim dans Just a kiss, George et Carla dans Carla’s song, David et Blanca dans Land and Freedom, Angela l’anglaise et Dave le Polonais dans It’s a free world et d’autres encore. Ce métissage à l’écran passe par des séquences amoureuses parfois torrides, notamment dans Just a kiss. Mais Loach ne filme ces scènes que pour montrer que le concept même de nation au sens restreint du terme est une ineptie. Par la sensualité et la grâce de ces scènes d’amour, Loach ne cherche pas à attirer le spectateur par l’érotisme racoleur. Ces séquences font sens dans son discours, nécessaires pour justifier et accepter les métissages, mais sobres et réalistes pour ne pas en faire la scène qui sera retenue du film. Par ces scènes romantiques, Loach complète une idéologie anti-raciste qui saute aux yeux dans presque chaque film, sans avoir souvent besoin même de l’énoncer. Si le racisme est ouvertement dénoncé dans Just a kiss, avec une séquence dès l’ouverture dans laquelle Tahara, une jeune Pakistanaise d’un lycée de Glasgow, dénonce le racisme anti-musulman en le jugeant aussi idiot que le racisme anti-chrétien, c’est surtout par le choix des personnages que le cinéaste britannique distille son anti-racisme. Dans Ladybird, Maggie a eu ses premiers enfants de pères différents parmi lesquels un noir. Jamais cela n’est mis en avant. C’est un fait. Tout comme les enfants d’Eric dans Looking for Eric. L’un d’eux est noir. Est-il celui qu’il a eu avec une autre femme ou bien est-ce son beau-fils ? Le fait est qu’il l’appelle « papa » et qu’Eric se comporte avec lui sans différence d’avec son autre fils. Angela dans It’s a free world travaille avec une femme noire,Rose,  sans que, là encore, cette différence d’origine ne soit jamais évoquée dans le film. Dans Riff-Raff, nombre d’employés sont noirs, d’origine africaine. Pourtant, si l’un d’eux rêve de vivre dans un continent où sont ses origines, aucun d’eux n’est traité autrement par les blancs. Et quand l’un d’eux leur permet d’encaisser leurs chèques en se faisant rétribuer de 5 livres par transaction, il n’y a aucune réaction raciste. Au plus est-il traité de profiteur. Ce qui ne l’empêchera pas non plus de dénoncer ceux qu’il a aidés quand ils ne lui paieront pas la somme qui était promise. Pas de racisme chez lui non plus. De fait Loach a une approche sociale liée à la lutte des classes et ses personnages sont issus du peuple, quelles que soient leurs origines. S’il oppose les riches aux pauvres, les faibles aux puissants, il idéalise la possibilité d’avoir une classe sociale populaire unie qui ne soit pas divisée par des sentiments individualistes propres aux puissants. C’est pour cela qu’il est indulgent pour ceux qui craquent, le junky, l’employée qui pour survivre trahit. Mais il est impitoyable avec ceux qui sont issus du même milieu populaire que ses héros et qui appliquent avec zèle les ordres des puissants, leur donnant l’illusion d’un petit pouvoir sans comprendre que cela ne se fait qu’au bénéfice des donneurs d’ordre. Sans comprendre surtout qu’ils seront les premières victimes de la colère des opprimés, comme le montre de manière tellement explicite Le vent se lève où la violence des Irlandais insurgés est née de la bestialité des soldats anglais, défendant l’illusion de la supériorité de leur nation plutôt que de s’unir avec ceux de leur classe sociale.
Le cinéma de Loach ne propose ni une vision misérabiliste du peuple ni une simple empathie pour cette population oubliée si souvent des politiques, des médias et du cinéma. Il en partage au contraire les goûts simples, comme le fait de se retrouver au pub, celui des réunions de famille et particulièrement le football. Si Looking for Eric pouvait apparaître pour ceux qui ignoraient l’œuvre de Loach comme un film racoleur à visée commerciale, il n’en est de fait rien tant ses films sont régulièrement traversés par des images de football. Son héros Joe est entraîneur d’une équipe de football tandis que Tarah est supportrice d’une équipe de Glasgow. Dans The navigators, un des techniciens désormais au chômage doit s’enregistrer comme demandeur d’emploi. La secrétaire lui signifie non sans humour que le fait qu’il soit supporter de Sheffield Wednesday ne sera pas retenu contre lui. Les scènes dans lesquelles des personnages jouent au football sont légions comme dans Raining stones ou Riff-Raff. 


Mais c’est bien sûr avec Looking for Eric que le football devient un héros du film par l’apparition magique de Eric Cantona, dieu vivant pour Manchester United. Mais cela permet aussi à Loach de donner à ce jeu une dimension sociale et sociétale. Les classes populaires ne peuvent plus aller au stade car le prix des places est devenu prohibitif. Pourtant, elles restent supporter de leur club avec un aphorisme fameux dans lequel un supporter explique qu’on peut changer de femme ou de travail mais on ne change pas d’équipe. L’équipe de foot devient une sorte de nouveau cadre dans lequel chacun peut se reconnaître, quelle que soient ses origines, une forme de micro-nation. Et Loach d’en déterminer un monde utopique dans lequel le leader, incarné ici par Cantona, n’est plus un dirigeant mais un inspirateur, et même pas Anglais ! Car le personnage de Cantona n’est pas réel dans le film. Il est un mirage qui donne du courage au héros dans lequel il se reconnaît, avec lequel il échange, manifestement aidé par des substances pas très licites ! Par l’évocation des buts de la star des red devils, Eric, facteur de son état, apprend par Eric le footballeur, que ce qui lui reste comme plus beau souvenir n’est pas les buts qu’il a mis mais ceux nés d’un mouvement d’équipe, d’une passe amenant au but, affirmant qu’il faut faire confiance aux autres pour que le beau se réalise. Le football, jeu d’équipe avec des individualités qui se font confiance pour la réussite collective, voilà qui ne pouvait que plaire à Ken Loach. Si bien que la séquence dans laquelle tous les amis d’Eric vont donner une leçon à Zac pour qu’il arrête de menacer Eric correspond à cet idéal. En se déguisant en Eric Cantona, ils sont à la fois anonymes et en même temps, ils sont chacun Eric Cantona. Avec ses qualités et ses défauts. Le film se finit alors par un des rares happy end de l’œuvre de Loach puis par une image d’archive culte dans laquelle Cantona s’exprime en anglais, se moquant des journalistes par un aphorisme sibyllin !
  

En promouvant le peuple comme héros à part entière, Loach pouvait prendre un risque en devenant prisonnier de l’image du cinéaste social. Or il a su explorer plusieurs genres de cinéma, que ce soit le thriller politique, la fresque historique, le drame social et d’autres encore. Mais il l’a fait en prenant toujours le point de vue de ceux qui subissent l’Histoire ou le système, cherchant vaille que vaille à lutter contre ceux qui les oppriment. Peu de grands personnages évoqués avec ici ou là Churchill ou Thatcher ou quelques révolutionnaires comme Zapata ou d’autres d’Irlande ou d’Espagne. Aucun n’est incarné à l’écran. Parce que le cinéma de Loach n’est pas qu’une succession de chronique sociale. Ouvertement manichéen, le peuple est toujours vu avec bienveillance parce qu’il est accablé par les puissants qui, loin de partager par altruisme, veulent conserver ce qui constitue leurs richesses et avec cela, le pouvoir politique. Cinéma social comme l’était le cinéma français des années 1930, il est aussi un cinéma engagé, prenant clairement position contre tout ce qui peut opprimer les classes populaires. Sa vision politique est clairement marquée par un socialisme réel, fustigeant les usurpateurs de cette idéologie, à commencer par les Staliniens et leurs successeurs. Sa remise en cause du modèle libéral britannique soi-disant émancipateur n’a d’égal que sa critique de l’impérialisme américain soumis au capitalisme le plus sauvage, s’accaparant les richesses du monde aux dépens du bien commun et des populations. Pourtant, son manichéisme revendiqué à l’écran n’est pas stérile puisqu’il ne fait pas que dénoncer, il apporte également sinon des solutions, du moins une espérance dans laquelle les racismes de toutes sortes peuvent être combattus. Souvent désespéré, parfois réjouissant, lucide sur la diversité de ceux qui compose les classes populaires mais magnanime avec ceux qui peuvent se tromper ou trahir, le cinéma de Ken Loach propose à la fois des œuvres exigeantes, un discours politique et des films populaires, qui en fait assurément un des plus grands cinéastes des son temps.


Lionel Lacour

1 commentaire:

  1. Pour info :

    http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2758

    La BA du film : http://www.youtube.com/watch?v=DBLByhfDKu8

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