lundi 19 novembre 2012

L'affaire Farewell à l'Institut Lumière: la guerre froide revue par Christian Carion


Bonjour à tous

L’ Affaire Farewell de Christian Carion sera projeté en présence du réalisateur à l'Institut Lumière le jeudi 22 novembre 2012 à 20h30.

La guerre froide n'a pas été un genre particulièrement prisé par les cinéastes français si on compare évidemment avec la production américaine.
Ce film revient avec brio sur cette période et notamment sur un épisode qui dit-on, préfigurait la chute de l'URSS. Celle-ci n'intervint cela dit qu'en 1991!

A bientôt
Lionel Lacour
COMMUNICATION
DE L'INSTITUT LUMIÈRE

D’après une histoire vraie :
L’Affaire Farewell s’inspire d’ "une des plus grandes affaires d’espionnage du XXème siècle". En 1983, un colonel soviétique a fourni des informations ultra-confidentielles à François Mitterrand. En pleine guerre froide, cela permit un rapprochement entre la France et l'Amérique de Ronald Reagan. Cette affaire a accéléré la chute de l’empire soviétique. A plus long terme, elle permit de mettre fin au conflit.


A propos du film :
Le cinéma français est connu pour être peu friand des représentations d'hommes politiques ayant existé. Christian Carion se place parmi la minorité. Mettre en scène François Mitterrand et Ronald Reagan est en partie ce qui l’a motivé. Il déclare s'inspirer de la tradition anglo-saxonne : "J'admire le cinéma anglo-saxon qui n'hésite pas à réaliser des films ancrés, sans faux-semblants, dans leur monde politique."


Synopsis :
 L’Affaire Farewell
de Christian Carion
(Fr, 2009, 1h53, couleur, avec Guillaume Canet, Emir Kusturica) 
Moscou, début des années 1980. Un colonel du KGB déçu du régime décide de faire tomber le système. Il prend contact avec un ingénieur français, qui se retrouve précipité dans l’une des affaires d’espionnage les plus stupéfiantes du XXe siècle.

Biographie de Christian Carion :
Ingénieur en agriculture de formation, Christian Carion est pourtant passionné de cinéma depuis ses 13 ans. Ses études terminées, il loue une caméra vidéo pour " bricoler des films sans intérêts". Mais sa carrière commencera véritablement en 2001 avec le tandem Michel Serrault/ Mathilde Seigner. Une hirondelle a fait le printemps fera 2.4 millions de téléspectateurs. Un grand succès qu’il réitère deux années plus tard dans Joyeux Noël. Le film sera présenté en Hors Compétition au Festival de Cannes 2005 nommé aux César et concourera aux Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger. Fidèle à ses thèmes de prédilection, Carion réalise L’Affaire Farewell en 2009. Aux commandes de ce thriller d’espionnage inspiré de faits réels, deux poids lourds : Guillaume Canet et Emir Kusturica. 

Critiques Presse : 
« (...) on ressort ébahis par les dessous de cette histoire vraie vécue par des hommes. » - Elle 
« Un thriller haletant (...) Une distribution exceptionnelle. » -  La Croix 
« L'Affaire Farewell est portée par un scénario précis (...) qui nourrit un duo d'acteurs inspirés, par ailleurs tous deux réalisateurs, Guillaume Canet et Emir Kusturica. » - Le Monde
« Le film montre bien la dimension prosaïque de l'espionnage, un "anti James Bond" comme le dit le cinéaste, où la vie privée est déterminante ainsi que les affinités psychologiques entre individus faillibles. » - Libération
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Tarifs  :
8,50 €, 6,50 € (abonnés)7,50 € (réduit), 6,50 € (abonnés)
www.institut-lumiere.org
25 rue du Premier-Film - 69008 Lyon 04 78 78 18 95 - Métro D : Monplaisir-Lumière

Télé Gaucho: une nostalgie des années 1990?

Bonjour à tous,

le 12 décembre, Michel Leclerc verra son nouveau film sur les écrans de France: Télé gaucho. S'appuyant sur un casting épatant, avec une mention toute particulière pour le premier rôle, Félix Moati incarnant à merveille le personnage de Victor, jeune étudiant cinéphile, plein d'illusions à son arrivée à Paris et une confirmation, s'il en fallait une, pour Eric Elmosnino, qui joue le rôle de Jean Lou, dirigeant de Télé gaucho, qui démontre encore une fois tout son talent au cinéma.
Le résumé est assez simple: un jeune provincial, Victor, débarque à Paris pour débuter un stage avec une vedette de la télé réalité, Patricia Gabriel, interprétée par Emmanuelle Béart, de la chaîne HT1, tout en devant suivre des études pour devenir cinéastes. Mais il rencontre une bande de fous furieux ayant créé une Télé libre contestatrice, "Télé Gaucho", dont les membres suivent toutes les manifestations remettant en cause l'ordre établi ou fustigent les rassemblements réactionnaires. Très vite, Victor va s'intégrer parfaitement dans ce moule, rencontrer une fille folle à lier mais tellement charmante, sympathiser avec la vedette de la chaîne et la trahir pour la cause de "Télé Gaucho", tout en mentant à ses parents sur toute sa vie parisienne!

Une ode aux années 1990?
Tous les spectateurs ayant vécu ces années prendront évidemment plaisir de revoir dans ce film des éléments oubliés de cette période. Ce plaisir est celui de se rendre compte surtout que la modernité de ces années a été engloutie par les progrès technologiques des débuts du XXème siècle. Ainsi le "Be Bop", premier téléphone portable mis en circulation ne fonctionnait qu'auprès de bornes dédiées, les caméscopes intégrant les magnétoscopes étaient d'une modernité incroyables, l'émission par voie hertzienne de cette télévision restait encore la seule possibilité de diffusion d'un discours audiovisuel non officiel. Spontanément, les spectateurs font les comparaisons avec aujourd'hui: la facilité de produire des images en 2012 et surtout de les transmettre, pas seulement dans le quartier mais dans le monde entier donne à ces hurluberlus d'hier à peine une dimension de pionniers et de combattants forcenés comparable en certains points à certains postant leurs vidéos sur Youtube ou d'autres sites de partages vidéo d'aujourd'hui mais avec une audience limitée à ceux venant dans leur local! Une télévision qui se voit en salle donc, avec des moyens de produire des images mais pas de les diffuser.
Cette générosité des ces années a été complètement oubliée parce que la technologie a rendu terriblement dépassé ces combats. Parce que l'enthousiasme montré à l'écran n'est pas celui de mai 1968 qui voulait changer le monde pendant une période de plein emploi, mais bien celui de maintenir ce qui avait été conquis par les générations précédentes en pleine période de crise économique et sociale. Même le combat pour le Pacs résonne comme la continuation de ce qui avait été entamé après 1968, à commencer par le droit à l'avortement, ce que montre d'ailleurs la manifestation contre ce droit par des groupuscules catholiques anti-avortement.

Emmanuelle Béart, alias Patricia Gabriel,
avatar d'Evelyne Thomas?
Une critique de la télévision commerciale?
Cette télé des années 1990, née de la privatisation entamée au milieu des années 1980 de quelques chaînes n'a plus cessé de produire des programmes racoleurs, mettant en scène les spectateurs, avec comme modèle dominant la première chaîne française. Michel Leclerc l'assume: TF1 a co-financé son film et pourtant, tout le monde a reconnu cette chaîne malgré le travestissement de son nom. Comme son héros Victor le dit à la vedette de la télévision, Patricia Gabriel, il pratique le Kung Fu en se servant de la force de son adversaire. La critique est facile mais pas si manichéenne. De fait, on ne voit que très peu ce que produit cette télévision si ce n'est par l'énonciation des thèmes de l'émission de Patricia. Peut-être parce que le réalisateur joue sur la connivence avec le public qui connaît très bien ce genre d'émissions qu'incarnait à merveille Evelyne Thomas (alias Patricia Gabriel?). De fait, la critique vient aussi et surtout par les réactions des membres du collectif de Télé Gaucho, mais aussi par les confessions de Patricia qui se livre à son stagiaire, Victor: "Tu ne sais pas que mon émission c'est de la merde?"
Or Télé Gaucho montre elle aussi ses limites quant à sa ligne éditoriale sans concession. Jean Lou multiplie les projets plus ou moins engagés, allant jusqu'à recruter un ancien couple ayant travaillé dans le porno pour le montrer en direct, sous prétexte que les ouvriers aussi ont droit à du porno! Si Yasmina, interprétée par Maïwenn, essaie de lui faire comprendre la dérive du projet Télé Gaucho par de telles programmations, elle ne se comporte pas forcément mieux en voulant "abattre" Patricia Gabriel. En pratiquant des enregistrements cachés, diffusant des images prises à l'insu des personnes, elle, comme Etienne d'ailleurs, interprété par Yannick Choirat, usent du sensationnalisme comme peuvent le faire les télés commerciales.

Ainsi, le film commence-t-il par des reportages tournés au cœur des manifs, avec des prises de positions clairement politiques, progressistes et anti-capitalistes pour finir dans la tentative de se faire connaître de tous en passant sur les antennes de HT1, coûte que coûte, de Jean Lou à Yasmina!
Par la séparation de Jean Lou et de Yasmina, le spectateur assiste à une segmentation du marché de la télévision indépendante, engagée avec elle, plus "œcuménique" avec lui. Et avec cela, ce sont tous les paradoxes qui apparaissent avec un medium dont la logique est d'être vu par un nombre important de spectateurs, poussant soit à plaire coûte que coûte, soit à toucher une cible bien précise, au risque de n'atteindre et de n'intéresser que peu de monde.


Un conte intemporel?
Le récit de Michel Leclerc place l'histoire dans les années 1990 et on se plaît, pour ceux ayant vécu cette période, à entendre parler en Francs. Mais clairement, le film ne cherche pas une reconstitution exacte de la période, avec des anachronismes multiples finalement sans intérêt. Par exemple, Télé Gaucho va filmer le débat sur le PACS qui n'est pas encore d'actualité au moment où le film commence et peut-être même pas quand il se termine!
De même, si le type d'émission de Patricia Gabriel existe déjà sur TF1 à cette époque avec notamment les émissions de Jean-Marc Morandini (Tout est possible de 1994 à 1997), il n'a pas manqué de critiques pour dénoncer le voyeurisme de ce genre de programme télévisuel, dans la presse écrite mais aussi au sein des chaînes de télévision, y compris chez TF1.
Trop d'éléments montrent clairement l'impossible réalisme du film et Télé Gaucho représente alors une sorte de sas de passage entre le monde réel et le monde idéalisé de chacun, un repère sans lequel beaucoup ont du mal à se positionner. Jean Lou est totalement angoissé à l'idée de se retrouver loin de son quartier et du métro lui permettant d'y retourner. De même, les relations entre Victor et sa famille qui financent leur fils pour ses études sont elles improbables. Cette famille représente le monde réel, avec ses petitesses bourgeoises, tandis que ce que vit Victor leur est totalement inconnu: Télé gaucho, Clara et Antoine leur fils. Seule la sœur de Victor a tout compris, car elle fait partie du monde des enfants et pas encore de celui des adultes.
Quant à Clara, interprétée par Sarah Forestier, elle est clairement le personnage lunaire improbable, immature à souhait et incapable de stabilité émotionnelle. Sa folie ne peut que s'insérer dans le "bestiaire" de Télé Gaucho rempli d'excentriques que seule l'anarchie de la "chaîne libre" peut accepter. Clara représente donc la part d'enfance à qui chacun d'entre nous souhaiterait tant parfois ressembler: tomber amoureux de ceux qui vous plaisent, apprendre l'arabe si cela nous chante, sans jamais se projeter dans l'avenir. C'est ce qui a séduit Victor. C'est ce qui le lassera aussi, tout comme il sera lassé des grands principes des autres de Télé Gaucho, à commencé par Etienne qui ne parle que de révolution et qui vit chez ses parents dans le 16ème arrondissement de Paris!
Le spectateur assiste donc à une forme de conte initiatique moderne d'un jeune adolescent qui croit que le monde l'attend, qui s'affranchit de sa famille pour vivre sa propre expérience et qui passe à l'âge adulte en se confrontant à toutes les contradictions et acceptations qui feront de lui un adulte, avec ses illusions, ses souvenirs mais aussi certainement ses amertumes.

Le film de Michel Leclerc prend donc le prétexte de sa propre expérience de Télé Bocal de la fin des années 1990 pour livrer un film aucunement sentencieux ni moralisateur, un film sur l'expérience humaine des adolescents pour qu'ils deviennent adultes, n'épargnant personne mais n'accusant personne.
Un flash back pas rigoureux mais assumé sur une période maltraitée jusqu'à présent et dont il rend néanmoins compte des bouleversements, économiques, culturels, technologiques, politiques et sociétaux qui se sont passés sous les yeux de ceux qui l'ont vécue. Et en plus, c'est drôle! Alors vivez l'expérience Télé Gaucho dès que vous le pourrez!

A bientôt
Lionel Lacour

mercredi 7 novembre 2012

Chaplin et Cassavetes pour finir l'année à l'Institut Lumière

  Bonjour à tous,

le temps des rétrospectives reprend à l'Institut Lumière. Et les Lyonnais comme les visiteurs pourront revoir dans des copies restaurées les chefs d'oeuvres de deux grands cinéastes, de deux genres bien différents, du 10 novembre 2012 au 6 janvier 2013.

Le premier est venu à Hollywood et a fait étinceler le genre du burlesque pour lui donner davantage que le seul plaisir de rire. Chaplin, dont un récent article de ce blog était consacré à son célèbre Les temps modernes, a élevé son art pour lui permettre de dire ce que peu de cinéastes ont su dire avant lui... et même après. Sa critique du capitalisme forcené aux détriments des plus faibles n'a que peu d'égal, surtout si on prend en compte la popularité de ses films. Pour s'en convaincre, deux projections exceptionnelles en ciné concert des Lumières de la ville auront lieu le samedi 8 décembre à 15h et le dimanche 9 décembre à 16h à l'Auditorium Maurice Ravel.




Pour la seconde rétrospective, les amateurs de l'underground new-yorkais pourront se régaler en se rendant à la salle du Hangar pour voir les oeuvres de celui qui a peut-être inventé ce qui allait devenir le nouvel Hollywood, avec en 1959 Shadows, projeté bien évidemment au cours de cette rétrospective.
Ainsi, le cinéma de Cassavetes reste soit à découvrir, soit à revoir, encore et encore, pour comprendre comment cet acteur a su filmer l'intime, le quotidien des vies banales tout en les rendant mémorables. L'occasion aussi de voir une famille de cinéma travailler ensemble, de Gena Rowlands à Peter Falk en passant par Ben Gazzara.
C'est donc une série de 5 films restaurés qui sera présentée lors de cette rétrospective avec notamment une soirée immanquable le mardi 27 novembre avec une conférence sur le cinéma de John Cassavetes donnée par Thierry Jousse à 19h30 en entrée libre sur inscription, suivie de la projection de Meurtre d'un bookmaker chinois de 1976.






Pour l'ensemble de la programmation, je vous invite à visiter le site de l'Institut Lumière:
www.institut-lumiere.org

Sinon, vous pouvez déjà consulter ces documents ci-dessous!

A très bientôt
Lionel Lacour







vendredi 26 octobre 2012

Après le festival Lumière 2012, le festival Lumière 2012

Le voleur de bicyclette



Bonjour à tous,

L'Institut Lumière joue les prolongations et propose aux Lyonnais et non Lyonnais de voir ou revoir, du 26 octobre au 8 novembre, les plus belles restaurations du festival Lumière.

Le prix Lumière Ken Loach, Max Ophuls ou Vittorio De Sica seront encore à l'honneur avec les projections de Kes, Le Plaisir, Le Voleur de bicyclette et d'autres classiques du cinéma projetés durant le festival.






Kes, un chef-d'oeuvre de Ken Loach



Une occasion pour tous ceux qui n'auront pas pu venir aux séances de profiter encore un peu de ce festival en attendant celui de 2013.


Vous trouverez le programme de toutes ces projections ci-dessous.

A très bientôt

Lionel Lacour



Les temps modernes de Chaplin ou les craintes de la modernité?

Bonjour à tous,

après quelques semaines consacrées au festival Lumière, je reviens pour un court article sur le film de Charlie Chaplin Les temps modernes. réalisé en 1936, tout a été à peu près dit sur ce film, notamment sur sa vision du monde ouvrier américain, sa représentation du combat des salariés contre le patronat ou encore sa manière de décrire le monde de l'entreprise soumis à la taylorisation du travail poussée à l'extrême dans des séquences mémorables allant de la chaîne sur laquelle les ouvriers travaillent sans que personne ne comprenne vraiment ce qui est produit, à la "mangeoire" automatique censée faire gagner du temps à l'ouvrier, donc au patron en quête de productivité optimale.

Ce qui est néanmoins troublant, c'est que ce film date d'une époque où plus personne ne fait du cinéma muet. Or Chaplin semble s'évertuer dans cette voie, comme s'il refusait de passer à la modernité technologique du cinéma. A bien y regarder, le film est tout sauf muet!

La musique est tout d'abord un élément important qui accompagne l'action de manière à ce que le spectateur identifie dans quelle situation se trouvent les héros du film en fonction du thème musical utilisé. Plus encore que la musique, c'est l'utilisation de sons synchronisés correspondant à des bruits logiques que les objets, machines et autres instruments montrés dans les différentes séquences, font ou sont censés faire. Ainsi un bruit de souffle puissant accompagne l'image quand la machine est en surchauffe; des petits sons aigus sont utilisés chaque fois que le personnage interprété par Chaplin appuie sur une burette d'huile; des interférences sonores correspondent à la
recherchent d'images par le patron surveillant le travail de ses ouvriers; la sirène de la police...
Cet usage du son, au-delà de la simple illustration de ce qui se passe à l'image, est déjà en soi la preuve que Chaplin avait intégré dans son art cette innovation de près de 10 ans, introduit en 1927 avec Le chanteur de Jazz sorti. Mais ce que les spectateurs attendaient, c'était bien sûr l'usage du "parlant". Or, en 1931, alors que l'ensemble de la production américaine avait abandonné le muet, Chaplin réalisait Les lumières de la ville, un mélodrame jonché de moments très drôles certes, mais toujours en muet. Allait-il garder cette manière de procéder au risque de se couper des spectateurs désormais habitués à entendre parler, crier ou gémir leurs héros?
En intitulant son film Les temps modernes, il y avait, au-delà du carton introductif moquant de fait la "croisade vers le bonheur des sociétés industrielles", une promesse d'un passage à la modernité du cinéma lui-même. Or tout ressemble d'emblée au cinéma d'antan de Chaplin, avec une musique très expressive, un montage comparant les ouvriers à des moutons, un jeu d'acteur très dynamique semblable à ceux des films muets classiques. Pourtant, le patron va prendre la parole en s'adressant à un de ses ouvriers, lui demandant d'accélérer la cadence de la chaîne n°5. Chaplin serait donc entré dans l'ère du parlant? Le film se déroulant, le doute reste néanmoins permis car chaque situation nouvelle est introduite par des cartons explicatifs, présentant soit les personnages, soit les lieux, soit le moment où l'action se déroule. Certains dialogues sont également écrits et non prononcés. Pourquoi alors avoir fait parler le patron? Et il n'est pas le seul que nous avons entendu durant le film puisque l'inventeur de la mangeoire a présenté sa machine au patron de l'usine et un journaliste s'exprime à la radio. Même Charlot (dans le générique original, il n'est désigné que comme un simple ouvrier de l'usine) y va de sa chanson dans une séquence mémorable.



De fait, les personnes que nous entendons parler ne parlent pas directement entre elles. Toutes parlent au travers d'une machine. Le patron s'adresse à ses ouvriers via une machine, sorte de proto-webcam; l'inventeur ne s'exprime pas lui-même mais passe un disque pré-enregistré expliquant l'ingéniosité de sa "mangeoire"; le journaliste ne s'exprime que par l'intermédiaire de la radio.




Il ne reste alors que Charlot dont nous entendons la voix. Mais si nous l'entendons, nous ne la comprenons pas car au moment de chanter, il a oublié les paroles. Sa fiancée lui dit alors d'inventer et de chanter quoi qu'il en soit. D'où ces paroles incompréhensibles qu'il interprète en mimant ce qu'il est censé chanter. A notre grand étonnement de spectateur, nous comprenons vaguement ce qu'il chante mais surtout, nous entendons les rires des spectateurs, seul autre son direct entendu dans le film, réaction à ce que chante Charlot, comme s'ils comprenaient pleinement ce qu'il interprétait.
Ainsi, dans son film, Chaplin montre que ces objets d'enregistrement sonore sont autant d'inventions merveilleuses mais qui servent in fine à accentuer encore un peu plus la domination des puissants sur les plus faibles, à manipuler l'auditoire car l'enregistrement sonore ne permet pas, de fait, l'échange avec l'autre. Au contraire, et Chaplin en fait la démonstration, la communication directe comme lors de sa chanson, permet de réagir, de s'adapter à ceux qui écoutent. Cette communication plus humaine n'a pas forcément besoin de la perfection puisqu'il arrive à se faire comprendre malgré des paroles... approximatives.

Ce refus du parlant dans ce film n'est donc qu'un leurre. Chaplin a voulu insister sur l'illusion du parlant et des enregistrements sonores comme clé de la compréhension de tout. En finissant par ses deux héros en fuite mais en quête de bonheur, Chaplin renforce l'idée que le système dit libéral ne permet pas aux plus faibles de la société de s'en sortir mais il reste confiant cependant dans l'idée que la persévérance paiera. Pas un film misérabiliste donc, mais un film lucide sur la manipulation que le parlant introduit au cinéma, lui qui était un maître de la manipulation de l'image! Cette manipulation du son, il allait en faire la démonstration à son film suivant puisque Le dictateur présentait un certain Hynkel qui, à sa première apparition à l'écran prononçait un discours dans une langue imaginaire, traduit de manière adoucie et en contradiction avec ce que l'image du dictateur trahissait. Avec Le dictateur, Chaplin démontrait qu'il était bien un maître de tous les cinéma, muet ou parlant. 


À bientôt
Lionel Lacour

vendredi 12 octobre 2012

La maison de fous au festival Lumière

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, je propose aux spectateurs lyonnais ou qui seront sur Lyon pendant le festival Lumière des places pour la projection du film La maison de fous d'Andrei Konchalovsky.

Cette projection aura lieu à 19h30 au Comoedia le mardi 16 octobre 2012 en présence du réalisateur.
Une occasion unique d'échanger avec lui sur son choix de tourner à nouveau en Russie après une carrière cinématographique passée par les USA.

Si vous souhaitez assister à cette projection, contactez moi directement par email. 2 invitations seront disponibles par mail envoyé (attention, nombre de places très limité!).

Les places seront à retirer à l'accueil de la villa Lumière le mardi 16 octobre jusqu'à 18h30.

A bientôt

Lionel Lacour

samedi 6 octobre 2012

Jean Renoir à l'affiche au festival Lumière

Bonjour à tous,

un deuxième message cette journée pour vous signaler un autre événement pendant le festival Lumière. En effet, la Villa Lumière accueillera Pascal Mérigeau pour nous évoquer Jean Renoir dont il vient de publier une somme référence.
Un ouvrage indispensable pour tous les cinéphiles amateurs de ce géant du 7ème art, réalisateur de tant de chef-d'oeuvres d'avant guerre comme Les bas-fond, Le crime de Monsieur Lange, La marseillaise, La grande illusion ou encore La règle du jeu mais aussi d'après-guerre avec French cancan notamment où il retrouvait son acteur fétiche Jean Gabin.
Livre indispensable donc, pour tout connaître du Renoir cinéaste mais aussi des éléments de sa biographie, cocasses ou plus sombres.
Et pour les Lyonnais, puisque le festival Lumière se passe dans la ville qui a vu naître le cinéma, la curiosité de lire comment Renoir a côtoyé un natif de Lyon, écrivain et aviateur, Antoine de Saint Exupéry, lors de leur service militaire à Ambérieu en Bugey!

Alors pour en entendre davantage et même pour se faire dédicacer son livre, venez tous à cette conférence exceptionnelle le vendredi 19 octobre 2012 à 16h30 à la villa Lumière.

A très bientôt

Lionel Lacour

Mardi spécial Konchalovsky au Festival Lumière

Bonjour à tous,

Le festival Lumière offre des moments uniques pour tous les cinéphiles.
Le cinéma russe n'a jamais cessé d'exister, malgré la disparition des grands cinéastes du cinéma soviétique.

Andrei Konchalovsky fait partie de ces cinéastes qui ont régulièrement fait l'état des lieux de leur pays.

L'occasion est donc exceptionnelle de pouvoir l'écouter parler de son métier, de son cinéma, de sa manière d'évoquer la société russe puis de voir un de ses films en sa présence à l'occasion du festival Lumière, le mardi 16 octobre, à la Villa Lumière d'abord, au Comoedia ensuite (voir document ci-joint).

A très bientôt

Lionel Lacour

vendredi 28 septembre 2012

Master Class au Festival Lumière 2012

Bonjour à tous,


Le Festival Lumière qui ouvrira le 15 octobre propose outre une sélection de films très large une programmation de documentaires et de master class à la Villa Lumière durant toute la durée du Festival.

Dans une salle aux conditions acoustiques refaite à neuf pour le plus grand des conforts des spectateurs, les festivaliers pourront  profiter du Village situé entre la Villa Lumière et la salle du Hangar, aller voir un film dans la grande salle puis aller voir un documentaire sur l'Histoire du cinéma ou assister à une Master Class prestigieuse.

Les master class sont l'occasion de discuter avec des professionnels du cinéma de tous les domaines de la production: agent, producteurs, techniciens, réalisateurs, acteurs.




Le programme proposé cette année s'est donc particulièrement enrichi avec notamment:

- le 16 octobre à 17h: Master Class exceptionnelle du réalisateur russe Andrei KONCHALOVSKY

- le 17 octobre à 11h: rencontre avec François SAMUELSON, agent d'artistes

- encore le 17 octobre: une table ronde sur "Vittorio De Sica: réalisateur et acteur"

- toujours le 17 octobre, à 18h30: une Master Class exceptionnelle de Jacqueline BISSET

- le jeudi 18 octobre à 11h: rencontre autour de la restauration du film L'assassin habite au 21 en présence des représentants de Gaumont et des studios éclair.

- toujours le 18 octobre à 16h30: une Master Class de la comédienne Clotilde COURAU

- enfin, le vendredi 19 octobre à 11h30: ne manquez pas "La nuit du chasseur, l'histoire d'une édition", une table ronde autour de ce film mythique.

- et à 16h30: la conférence de Pascal MERIGEAU sur le réalisateur Jean RENOIR!


Une occasion pour les festivaliers de découvrir le cinéma par d'autres facettes que les films et échanger avec ceux qui le font naître, vivre et revivre.


Vous pouvez dès à présent retenir vos place en contactant les lieux ou numéros suivants:
- Hangar du Premier-Film - rue du Premier-Film - Lyon 8e, (du mardi au dimanche de 12h à 18h30)
Village du festival (parc de l’Institut Lumière), rue du Premier-Film
(tous les jours à partir du 13 octobre, de 10h30 à 21h)
- Par téléphone au 04 78 76 77 78 (du mardi au dimanche de 12h à 18h30).

Vous pouvez également consulter le programme pour les documentaires proposés ainsi que l'intégralité des films projetés pendant le festival. Toute la programmation se trouve sur le site du Festival Lumière:

A très bientôt au Festival Lumière

Lionel Lacour



mardi 25 septembre 2012

Bientôt le Festival Lumière!


Bonjour à tous,

Le festival Lumière invite ses spectateurs à découvrir les nouvelles de dernière minute, les invités confirmés ainsi que les séances à ne pas manquer… 
Présentations avec extraits de films, suivies d’un verre avec l’équipe !

> Mercredi 3 octobre à 19h et 20h30
> Mardi 9 octobre à 19h et 20h30

Entrée libre sur inscription au 04 78 78 18 85 / communication2@institut-lumiere.org

Suivez l’actualité du festival Lumière 2012 sur www.festival-lumiere.org , Facebook et Twitter.

Et n'oubliez pas le film de clôture le dimanche 21 octobre à la Halle Tony Garnier où sera programmé La porte du Paradis en copie restaurée, en présence d'Isabelle Huppert. 3H36 de l'oeuvre magistrale de Michael Cimino!

A bientôt
Lionel Lacour

mardi 18 septembre 2012

Loach, Cantona et le prix Lumière

Bonjour,

c'est aujourd'hui officiel, le Prix Lumière sera remis à Ken Loach le samedi 20 octobre 2013 et ce sera Eric Cantona qui lui rendra cet honneur.
Que ce soit ce footballeur qui remette le prix à Ken Loach est à un évènement sensationnel pour certains tandis que d'autres y trouveront une facilité pour ne pas dire du racolage pour faire venir des spectateurs, sous entendant peut-être que Ken Loach n'aurait fait son film Looking for Eric que pour des raisons commerciales. Or le personnage d'Eric Cantona dans le film de Loach est tout sauf un prétexte commercial. Il résulte de l'amour de ce sport par le cinéaste britannique, sport capable de créer des solidarités fortes et d'améliorer la vie des plus humbles. L'oeuvre de Loach est constellée d'évocations du plus populaire des sports, du héros de My name is Joe, entraîneur d'une équipe à un des personnages de The navigators dont la situation de supporter de Sheffield Wednesday est l'occasion d'une gentille moquerie d'une employée de société de recrutement.

Ainsi, le paradoxe est assez manifeste: les spectateurs français qui aiment Ken Loach ne sont pas forcément ceux qui aiment le football, loin s'en faut! Pourtant, Loach fait du cinéma parce qu'il aime le peuple. Sincèrement. Qu'il a plus que de l'empathie pour lui. Il en partage les plaisirs simples. Et voir Eric Bishop - le héros du film - rêver de son héros de Manchester United jusqu'à se remémorer les plus beaux buts de son idole est un plaisir que tous les amateurs de football et de beau jeu partage avec la même émotion et la même gourmandise que le héros du film et que le réalisateur lui-même.

Aussi, ce sera un autre plaisir immense que de voir un des footballeurs les plus charismatiques et les plus adulés des années 1990, qui faisait vibrer le stade d'Old Trafford à Manchester, connu pour son génie, ses aphorismes mystérieux et ses coups de sang remettre le prix Lumière au réalisateur qui a certainement le plus mis à l'honneur des héros ordinaires en les transformant en personnages hors normes.

Et quoi de mieux pour clore la soirée de remise de récompense que de projeter dans une salle de 3 000 spectateurs le grand Looking for Eric !

Alors rendez-vous tous au festival Lumière et réservez vos places pour cette soirée exceptionnelle sur le site du Festival Lumière!
http://www.festival-lumiere.org/

A bientôt

Lionel Lacour

vendredi 14 septembre 2012

Alyah: pas un film communautariste

Bonjour à tous,

Une fois n'est pas coutume, je voulais proposer sinon une critique de film, du moins une approche pas seulement historienne ou sociétale d'un film. En effet, le 19 septembre sortira le film Alyah réalisé par Elie Wajeman. Pour son premier long-métrage, il semble aborder un thème très identitaire puisque le titre évoque le terme correspondant au départ des juifs d'Europe ou d'ailleurs pour rejoindre Israël, Terre promise patrie des Juifs du monde entier.
Avec un tel point de départ, le risque était grand de tourner vers un film centré sur la communauté juive de France et de Paris, même si le film est pour bonne partie tourné dans le Grand Lyon avec une co-production de Rhône-Alpes Cinéma. Il était à craindre les clichés sur cette communauté, dans la caricature type La vérité si je mens, ou dans l'apologie de cette communauté qui a souffert et qui souffre encore.
Or, Elie Wajeman ne s'intéresse guère à l'aspect religieux de l'Alyah. Au contraire, il montre combien ces départs de Juifs vers Israël peut être motivé par d'autres considérations, et notamment celle de vouloir tout simplement changer de vie, comme on migrait aux USA au XIXème siècle ou encore aujourd'hui.


mercredi 12 septembre 2012

Bus stop: comédie romantique ou film témoin du machisme américain?

Bonjour à tous,

en 1956, Joshua Logan réalisait son 4ème film avec Marilyn Monroe en tête d'affiche, sans aucun grand acteur ou autre actrice majeure pour lui donner la réplique: Bus stop. Tourné en cinémascope et couleur, Marilyn imposait pour la première fois un rôle qui à la fois ressemblait à celui qu'elle avait déjà joué, une jeune femme pas très futée rêvant d'une vie meilleure avec une certaine assurance néanmoins, et en même temps un personnage qui la présente davantage comme une victime, un être fragile dont le rêve semble bien inaccessible. Et les premières séquences qui la présentent ne font qu'installer d'emblée ce personnages pour les spectateurs dans ces caractéristiques: une jeune femme certes jolie dont tout le monde se fiche ou presque et qui semble perdue dans ce monde quasi exclusivement masculin. Tout le monde, sauf Bo, un jeune cow-boy venu à Phoenix pour un concours de rodéo et accessoirement, en quête d'un ange et de son premier amour. Ce sera bien sûr Marilyn, alias CHÉRIE, qui sera celle qu'il veut ramener dans son ranch du Montana. Qu'elle le veuille ou non!


1. Un film témoin du mythe américain
D'emblée, l'histoire nous projette dans des représentations classiques du modèle américain: deux cow-boys, fiers de l'être, vêtus de jeans et portant une selle, voyagent dans un bus pour rejoindre Phoenix au départ du Montana, avec des arrêts prévus pour se restaurer et se reposer comme autrefois dans les westerns quand les diligences faisaient office de bus sillonnant les différents États de l'Union.
A Phoenix, les deux cow-boys, Bo et Virgile, rencontrent Chérie. Elle ressemble assez au personnage que Marilyn Monroe interprétait dans La rivière sans retour d'Otto Preminger. Mais elle est plus fragile. Et surtout, elle rêve du rêve américain. Comme elle le montre à son amie dans le saloon, elle vient de la campagne, plutôt à l'Est des USA et elle s'est tracée sur la carte le trajet qu'elle a déjà effectué, indiquant au rouge à lèvre chaque endroit où elle s'est arrêtée avant d'atteindre son but ultime: Hollywood! Le mythe de la conquête de l'Ouest perdure, et l'eldorado n'est plus la Californie et ses mines d'or mais la Californie pour briller soit même et devenir célèbre... et donc riche.
Ce mythe de la conquête d'un territoire pour s'accomplir est constitutif d'un pays jeune. Or ce pays a besoin aussi de repères pour que cette population se sente pleinement solidaire. La parade dans Phoenix correspond à ces moments dans lesquels la population américaine sait se fédérer et se retrouver derrière ce qui constitue une culture commune des USA. Les épreuves de rodéo ne sont pas seulement des épreuves physiques d'éleveurs en manque de sensations. C'est aussi un rappel à la population du comment le territoire a été conquis, par des paysans et des éleveurs, qui ont bâtis des villes et qui ont ensuite prospéré. La série Dallas ne disait rien d'autre que cela comme dans les années 1950 le film Géant de George Stevens: des éleveurs de bétail qui se sont enrichis ensuite en exploitant le pétrole et en développant une industrie moderne.
Bus stop est donc une image du temps présent (celui de 1956) avec sa modernité (bus, appareil photo...) mais dans laquelle l'origine même des USA se retrouve à chaque séquence: relais pour les bus, rodéo, chanteuse de saloon... comme dans les westerns!

2. Une remise en cause du modèle du héros américain
Dès que le spectateur voit Bo, il comprend que ce personnage vit à une autre époque. Il a 21 ans, c'est un cow boy qui n'a aucune éducation et surtout, il pense que le monde lui appartient et que tout est possible s'il suffit de le vouloir. En réalité, ce personnage est caractérisé comme n'importe quel héros américain de western. C'est un homme de la terre, il est costaud, sait excellemment faire du cheval, il aime et sait se faire respecter, il sait ce qu'il veut et décide et impose ses décisions. Comme tous les héros de western, il est remarquable... à tous les sens du terme.
Car ce qui marque aussi le spectateur, c'est que toutes ces qualités sont présentées à l'excès, et l'interprétation de Don Murray n'est pas en cause, bien au contraire. Son comportement est en déphasage complet avec celui des autres personnages et avec celui de la foule. Paradoxalement, il est en dehors de son temps. Bo évolue dans un monde qui ressemble dans ses valeurs et ses repères à celui des conquérants de l'Ouest, sauf que la population ne vit plus ainsi. Pour le scénario, une explication est donnée puisqu'il vit dans un ranch du Montana dans lequel il n'a jamais côtoyé de filles. Il a donc évolué selon des principes du XIXème siècle et seul Virgile semble comprendre, bien que plus âgé, le "nouveau monde" que sont les USA de 1956. Ce Jiminy Cricket se transforme en à la fois le traducteur des pensées de Bo, son modérateur mais aussi une sorte de soupape pour le spectateur qui est rapidement, et sciemment agacé par le personnage de Bo. De drôle et pittoresque, il devient rapidement lourd puis gênant voire oppressant.

Bo vient de tomber amoureux de Chérie... son premier baiser!
Son attitude avec les femmes marque évidemment ce qui provoque chez le spectateur le plus de rejet. Parce qu'il a embrassé une fois Chérie, il en déduit qu'ils sont fiancés et prévoit le mariage pour le lendemain, sans même avoir demandé son avis à Chérie, considérée finalement comme une vraie tête de bétail. Or elle se refuse à lui plusieurs fois sans qu'il ne daigne l'écouter. Avec cette phrase résumant ce qu'il est: "les femmes sont vraiment différentes des hommes" , tout son comportement fait de lui non un héros, bien que doté de tout ce qui fait habituellement un héros, mais un lourdaud de plus en plus désagréable, le point d'orgue étant la prise au lasso de Chérie tentant encore une fois de s'échapper de Bo.


Bo vient réveiller Chérie dans sa chambre pour l'épouser.
Ils ne se connaissent que depuis quelques heures!
3. Un message ambigu sur la place de la femme
Une grande partie du film ressemble davantage à du harcèlement qu'à une comédie romantique traditionnelle. Comme cela a été dit plus haut, le comportement de Bo devient de plus en plus oppressant et l'humour qui s'égraine tout le long du film arrive finalement de moins en moins à faire sourire tant Bo apparaît comme une sorte de tyran. La morale du film est alors assez stupéfiante puisque, après l'avoir tant rejeté, Chérie tombe finalement amoureuse de Bo et le suit dans son ranch du Montana. Elle rejoint ainsi un homme qui l'a harcelé et surtout, elle abandonne son rêve et son ambition d'aller se faire un nom à Hollywood. Même si le personnage de Bo a changé à la fin du film, justifiant le revirement de Chérie, la morale du film justifierait alors presque son attitude de macho puisque c'est bien son acharnement à la conquérir physiquement qui lui a permis finalement de la conquérir sentimentalement.
Si la morale est apparemment conventionnelle avec une sorte de "happy end" flattant l'acharnement de Bo, il faut se remettre en 1956 pour réaliser que cette morale implique que les temps changeaient. Ce n'est plus l'homme qui a décidé puisque c'est Chérie qui a choisi alors même qu'elle aurait pu partir et le quitter définitivement. Durant tout le film, elle a fui le modèle classique du héros américain, rustre et non civilisé. Quand tous les spectateurs ne rêvent que de le gifler, il faut attendre le climax du film qui se situe presque à la fin pour que leur rêve devienne réalité, par l'intervention du chauffeur de bus. En effet, alors que le bus qui ramène Bo au Montana avec sa prisonnière Chérie, celui-la est obligé de s'arrêter chez Grace, un restaurant relai, à cause de chutes importantes de neige. Chérie tente encore de s'échapper mais Bo la saisit brutalement et ne comprend toujours pas le refus de sa "fiancée". C'est alors que le chauffeur de bus le prie de laisser Chérie et lui administre une correction monumentale, avec l'assentiment d'ailleurs de Virgile!
Cette séquence en dit long sur les temps qui changent. Le chauffeur de bus avait été caractérisé dans le scénario comme un ancien champion de lutte. Plusieurs fois, les spectateurs l'ont vu faire des avances à Grace sans toutefois la brusquer. Défiant le code Hays, il fait de nombreuses allusions à Grace pour avoir une aventure sexuelle dans sa chambre. Or c'est bien elle qui décide et non lui qui la force. Il correspond donc au héros américain moderne: un homme fort mais éduqué, civilisé et qui respecte les femmes. C'est ce héros moderne qui éduque finalement "à l'ancienne" le jeune Bo. Il n'est plus le héros des films des années 1950. En quelque sorte, il préfigure le personnage de James Stewart dans le film de John Ford de 1962, L'homme qui tua Liberty Valance.
Humilié et ramené à la simple condition d'homme et non de héros, Bo doit s'excuser auprès de tous, notamment des femmes, qui l'excuse assez facilement puisque pour la première fois, il fait preuve d'humilité.
C'est parce qu'il se livre émotionnellement à Chérie que celle-ci découvre une autre personne qui était finalement victime de son éducation, ou plutôt de sa non éducation.
Les temps changent. L'héroïne si pure des films classiques, comme par exemple Grace Kelly dans tous ses films, amoureuse d'un seul homme, n'est que le revers de la pièce qui présentait sur sa face le héros masculin fort et qui avait déjà eu tant d'aventures avec les femmes. Bus stop présente l'exact inverse. C'est Bo qui est pur puisqu'il n'avait jamais embrassé de femmes avant Chérie. Et c'est elle qui a connu des aventures avec de nombreux hommes et qui finalement succombe à l'amour.
Et l'impression finale de la voir renoncer à son rêve prend davantage de sens. Dans les films classiques, ce sont les hommes qui voyagent et qui rencontrent une femme qui les "fixe" pour qu'ils deviennent non des héros errants mais des sédentaires qui s'accompliront dans une vie de famille. Les westerns sont des modèles quasi inépuisables de ce genre d'histoire. Or dans Bus stop, c'est Chérie qui est la nomade et c'est l'homme, Bo, qui est le sédentaire et qui va fixer Chérie.

Marilyn - Chérie: une femme fragile 
Conclusion
Bus stop a donc marqué un tournant dans la carrière de Marilyn Monroe. Seule véritable vedette d'un film comme pouvait l'être un acteur masculin à Hollywood, impliquée dans la production du film, celui-ci semble se conclure par une fin très conventionnelle faisant de l'homme le vainqueur. Or la morale est bien plus complexe. Ce n'est plus le même homme qui gagne le coeur de Marilyn, même si pour la chute du film, il semble se comporter avec Virgile comme il s'était comporté avec Chérie, c'est-à-dire de manière possessive. C'est bien elle qui finalement décide de son destin. Sous son aspect très fragile grâce à un maquillage la rendant quasiment diaphane, elle manifeste une force et une volonté que la conclusion du film simule de lui ôter. Mais les temps sont vraiment en train de changer, à Hollywood comme ailleurs. Ce n'est pas encore la pleine émancipation de la femme mais Bus stop a participé à sa manière à témoigné de l'évolution en marche de la société américaine tout en feignant encore de laisser gagner le héros masculin en lui permettant de construire une famille selon le modèle américain classique... une victoire à la Pyrrhus.

A bientôt
Lionel Lacour

lundi 10 septembre 2012

La trilogie des Parrains à l'Institut Lumière

Bonjour à tous,

l'Institut Lumière ne fait pas qu'organiser le Festival Lumière. Il offre depuis près de 30 ans la possibilité de voir et revoir les chefs-d'oeuvre du cinéma. Mais surtout, il permet à toutes les cinéphilies de trouver leur bonheur. Ainsi, pour les amoureux de l'oeuvre de Coppola, il est donc indispensable de réserver ses places et sa journée à l'Institut Lumière qui propose les samedi 22 et 29 septembre, la projection de la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola. Deux dates pour plonger dans les affaires de la famille Corleone...

Horaires: 
Le Parrain : 14h (1972, 2h55)
Le Parrain 2 : 17h15 (1974, 3h20)
Le Parrain 3 : 21h15 (1990, 2h42)
Restauration possible entre les séances. Films en VO sous titrée.
Pass 3 films : 18€ / 15€ (tarif étudiants) / 12€ (tarif abonnés)




Pour tous ceux amateurs de ces films évoquant la mafia d'où qu'elle soit, cette trilogie est évidemment à mettre en parallèle avec d'autres films, que ce soit Les affranchis de Martin Scorcese en 1990, Gomorra de Matteo Garrone en 2008 ou d'autres encore.

Très bonne trilogie à tous!

Lionel Lacour

jeudi 6 septembre 2012

E.T. au Festival Lumière 2012

Bonjour à tous,

Vous le savez, le 4ème festival Lumière se tiendra du 15 au 21 octobre 2012 à Lyon. Comme chaque année, le mercredi après-midi, 17 octobre, est tout spécialement réservé pour les enfants!
Cette année, le mythique E.T de Steven Spielberg sera présenté en copie restaurée dans d'exceptionnelles conditions à la halle Tony Garnier. Les places sont déjà en vente à l'Institut Lumière - 04 78 78 18 95 - pour les enfants, et pour les plus grands!




Au-delà du spectacle grandiose qu'offre ce chef-d'oeuvre de Spielberg, ce sera aussi l'occasion pour les parents et grands-parents de le revoir en salle et surtout de voir les modifications apportées à la version originale.

En effet, certains éléments ont été modifiés à l'histoire originale. Ainsi, ceux qui surveillent la maison où s'est réfugié E.T. étaient armés avec des armés à feu alors qu'ils sont désormais munis de talkie-walkies. N'allez pas y voir une simple volonté de rendre moins violente l'histoire pour les enfants qui sont depuis bien longtemps (hélas?) habitués à voir des armes à feu et surtout à leur utilisation à l'écran quand ce n'est pas ailleurs, surtout aux USA.
Pour ceux qui se souviennent de la première version du début des années 1980, il existait un sentiment d'oppression assez fort dans le film, sentiment renforcé par les armes des ces personnages étranges qui cernaient le quartier. Leur côté agressif et dangereux ne faisait aucun doute pour les spectateurs. Et nous savions évidemment que E.T. était leur cible. Or la version actuelle n'enlève pas l'interrogation sur l'identité de ces personnages. Mais leur présence demeure étrange mais pas vindicative car il n'y a plus les armes.
La version originale se passait dans un contexte international très marqué par la guerre froide et une nouvelle montée de tension  entre les deux super-puissances qu'étaient les USA et l'URSS. E.T. représentait en quelque sorte un ennemi de l'extérieur doté d'une technologie puissante pouvant constituer une menace pour les USA. La parabole était peut-être comprise par les adultes, sûrement pas par les enfants. Mais elle reprenait un discours idéologique fort de l'ère Reagan, ressemblant en quelques points au maccarthysme des années 1950. Et Spielberg, dans cette fable, apporte justement le contre-point à cette politique anti-communiste. En montrant "l'étranger" extra-terrestre doté d'une haute technologie comme ne représentant pas une menace voire se montrant pacifiste et "humain", le réalisateur propose une autre vision de "l'autre" depuis si longtemps désigné comme l'adversaire à combattre. Ce message humaniste était d'autant plus efficace que l'environnement médiatique distillait cette peur de l'autre bloc.
Or aujourd'hui, cette menace n'existe plus. En tout cas, plus de cette manière. Et le propos pouvait devenir incongru pour ce film qui se veut un conte initiatique pour enfant. Or le principe des contes est souvent d'être universel, dans l'espace et dans le temps. En modifiant la nature de ceux qui menaçaient E.T. et ses jeunes hôtes par la substitution des armes par des objets inoffensifs, Spielberg a su adapter son film pour que la toile de fond de la version originale disparaisse. Mieux, il arrive presque à apporter une approche écologiste et bienveillante vis-à-vis des "immigrés"!

En revanche, ce qui ne change pas, c'est bien les éléments constitutifs de la société américaine telle qu'elle a évolué depuis l'après-guerre. Avec une péri-urbanisation forte, la ville américaine se constitue autant à l'extérieur que dans les CBD. Le modèle de la banlieue américaine est souvent présenté dans le film avec ces pavillons et jardins ouverts. Ceux de Desperate housewives ne sont pas si différents!
L'éclatement familial est aussi une réalité sociale et sociologique des USA avec des familles dont les parents sont séparés. Les films américains ne cessent de le montrer, même si de nombreuses séries cherchent à vanter les mérites des familles unies, mais le plus souvent au travers de familles recomposées.
Enfin, parce que cet article n'a pas la prétention aujourd'hui n'analyser en détail le film, la séquence sur Halloween, fête à laquelle participe E.T., montre combien cette société individualiste américaine est paradoxale car elle est capable de réunir des communautés locales à des moments festifs rassemblant toutes les composantes de cette communauté, comme un signe fort d'appartenance à la même nation américaine. C'est vrai pour Halloween mais aussi pour des nombreuses célébrations comme les remises de diplômes et autres défilés municipaux, fêtes et rassemblements vécus comme tellement ringards par les Français qui se prétendent pourtant défenseurs d'une culture commune forte.
C'est bien le sentiment d'appartenance à une communauté nationale qui dépasse les sous-communautés qui constitue une des forces des USA et c'est en partie montré dans ce film. Et ceci perdure encore, et peut-être davantage maintenant aux USA.

Voilà, rendez-vous donc au Festival Lumière pour redécouvrir E.T. l'extraterrestre.

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 29 août 2012

Programmation Lumière 2012: toujours la diversité cinématographique!




Bonjour à tous,
Du 15 au 21 octobre 2012 à lieu le Festival Lumière à Lyon.
Si vous souhaitez découvrir sa programmation complète, l'Institut Lumière propose à tous, Lyonnais ou non, d'assister à la présentation officielle de toutes les séances et autres plaisirs cinématographiques.

Et avant de découvrir les informations sur ces présentations, vous pouvez regarder la Bande annonce de l'édition 2012 du Festival Lumière:


Voici maintenant les précisions officielles:

FESTIVAL LUMIÈRE 2012 : SOIRÉES DE PRÉSENTATION DU PROGRAMME COMPLET !

À l'occasion de 9 soirées, l'équipe du festival dévoilera l'intégralité du programme et donnera plus de détails à propos du prix Lumière Ken Loach, des invités et des soirées incontournables du festival.

Des soirées cinéma pour bien choisir vos séances

Présentation du programme détaillé et lancement de la billetterie :
Jeudi 6 septembre à 19h et à 20h30
Samedi 8 septembre à 11h30
Mardi 11 septembre à 19h et 20h30

Les dernières annonces (les invités, les séances à ne pas manquer…) :
Mercredi 3 octobre à 19h et 20h30
Mardi 9 octobre à 19h et 20h30

Entrée libre sur inscription au 04 78 78 18 85 / communication2@institut-lumiere.org

Il suffit de choisir une date et un horaire et de confirmer sa présence au 04 78 78 18 85 ou par mail à communication2@institut-lumiere.org
(Entrée libre sur inscription)
A l’issue de la présentation, rendez-vous autour d’un verre avec l’équipe ! 


A très bientôt donc au Festival Lumière
Lionel Lacour

mardi 28 août 2012

Les Africains noirs dans le cinéma occidental


 Bonjour à tous,

le cinéma est une somme régulière de représentation de l'Autre tel que les spectateurs se plaisent à le percevoir. Et plus cet autre est lointain, plus son image passe par le prisme de ceux qui la renvoie. Ce fut le cas bien évidemment des Africains et de leur continent. Aux représentations picturales liées aux grandes découvertes et au commerce triangulaire ont suivi les images photographiques de la colonisation de la fin du XIXème siècle pour aboutir enfin à l'animation cinématographique d'abord, télévisuelle ensuite.
Après plus d'un siècle de représentations à l'écran, grand ou petit, un constat sauterait aux yeux, celui d'un seul peuple avec des caractéristiques immuables malgré les bouleversements historiques successifs que le continent a connu. Comment justifier cela à l'heure où cet autre, l'Africain noir, est de moins en moins "lointain" du fait des migrations successives, en Europe ou en Amérique du Nord?




Les wacombas, tribu africaine présentée à Jane par son père
dans Tarzan l'homme singe

1. Les Africains du temps des colonies

Le cinéma a rapidement représenté le monde exotique. Les opérateurs Lumière ont sillonné le monde pour apporter des images des pays lointains à projeter aux spectateurs européens. Mais pour les Africains, le voyage ne fut pas aussi long. En effet, quelques films saisissant des tribus noires ont été tournées en France, dont une au Parc de la Tête d'or, à quelques kilomètres seulement de la résidence de la famille Lumière. C'est qu'à cette époque, les peuples du continent noir ne sont perçus que de manière péjorative.

 Des êtres à peine humains
L    Les Africains sont montrés d'abord comme des personnages sans valeur particulière sinon que pour la force physique utile dont ils peuvent faire preuve. Les nombreux films d'explorateurs européens découvrant l'Afrique témoignent de cette vision de ces populations. Tarzan l'homme singe de W.S. Van Dyke en 1932 les présente comme des porteurs pour la plupart, acceptant l'Homme blanc comme un maître (Bouana) tandis que eux sont traités comme de véritables esclaves, hommes objets et véhicules pour le transport des effets et matériels des Européens en quête d'aventure. Dans le premier opus de Tarzan avec Johnny Weissmuller (cf. celui sus mentionné), une séquence illustre parfaitement cela. Ainsi, alors que les explorateurs, dont Jane Porter et son père, franchissent une falaise très escarpée, un porteur tombe dans le vide dans un hurlement qui en dit long sur son sort! Or, la première remarque que le père de Jane prononce consiste à se demander ce qu'il y avait dans les paquets qui ont forcément suivi la chute du porteur. C'est seulement dans un second temps que ce qui lui est arrivé semble émouvoir les Blancs. "Pauvre diable". 
      Plus tard, alors que Jane a été libérée du repaire de Tarzan qui l'avait enlevée par son père et les autres Européens, celle-ci semble triste dans le campement. Elle explique cette mélancolie à son père par le fait que le singe qui la gardait et qui a été tué - il s'agissait de celui qui avait élevé Tarzan dans le jungle - avait provoqué une détresse chez l'homme-singe. Ce à quoi son père répondit  que les êtres vivant dans cette jungle n'étaient que des sauvages à peine humains! Réponse immédiate de Jane à propos de Tarzan: "IL EST BLANC". 
      On a donc une population qui n'est pas à asservir mais qui semble l'être de fait de par le manque d'humanité qui lui est conférée par les colonisateurs. Il s'agit là d'un racisme qui n'est pas seulement lié à la couleur comme le suggère la remarque du père de Jane sur l'humanité de Tarzan. C'est un racisme presque environnemental, un territoire qui ne peut générer une civilisation humaine développée.
      "Importée" en Europe, la marchandise "nègre" servait à illustrer les aspects sauvages de la culture européenne autant que pour faire "exotique". A l'écran, l'utilisation de l'Africain noir était reléguée là encore au décor ou à l'objet. Dans Metropolis de Fritz Lang en 1927, la femme-robot arrive sur scène portée sur un socle par des "nègres" caricaturaux, là encore relégués à l'état d'objet mais objet brut, symbolisant l'aspect bestial de celle qui allait chanter et haranguer les mâles présents dans la salle.
      La relégation à une situation de "sous-humanité" confinant à la "chose" s'explique donc par une approche culturelle autant que physique. À environnement hostile correspondait une civilisation adaptée mais sans commune mesure avec celle européenne. Le terme de civilisation semblait d'ailleurs impropre tant le regard des Européens des films occidentaux, hollywoodiens ou européens considérait cette culture noire africaine comme tout sauf comme de la civilisation. Dès lors, les Noirs africains sont quasi exclusivement présentés comme faisant partie non d'une nation mais de tribus dans lesquelles l'individu n'est que rarement mis en avant. Cette culture tribale se caractérise à l'écran par des tenues particulièrement exotiques, des pratiques de "décoration" du corps à même la peau. Le recours aux scarifications et autres insertion d'objet dans le corps est assez récurrente dans la représentation de ces peuples. C'est encore dans Tarzan l'homme singe que la plus saisissante séquence permet de témoigner de cela. Ainsi, dans une présentation à Jane des divers peuples vivant autour du magasin de son père, différentes tribus sont alignées, chacune en tenue d'apparat. Jane se montre alors bien suffisante vis-à-vis de leur "look" fait de tenues minimalistes, colliers autour du cou et autres tortures infligées au corps, le tout ponctué de phrases très condescendantes: "j'ai peur de ne pas être à la mode" ou encore "les femmes doivent souffrir pour être belles". Vu aujourd'hui, le film pourrait presque faire sourire tant la mode occidentale s'est emparée, jusqu'au ridicule parfois, de l'esthétique tropicale et notamment africaine. Rien de cela dans les phrases de Jane qui s'adresse autant à son père qu'aux spectateurs de l'époque et qui pourraient être traduites selon le principe de l'anti-phrase: si elles souffrent de leurs pratiques esthétiques, elles ne sont en rien belles. Et que dire de la mode africaine au moment où justement, la notion de mode populaire se développe dans ces pays ayant connu la révolution industrielle et donc en pleine société de consommation.
Préparation d'une jeune femme prête à être sacrifiée.
      Que dire également de leur musique? Loin des mélodies européennes, les seuls instruments que connaissent ces populations sont des percussions, tam-tam ou autres. C'est vrai dans Tarzan l'homme singe, les tam-tams symbolisant à la fois un moyen de communication comme une musique accompagnant des cérémonies sacrificielles, mais c'est vrai également dans tous les autres films reprenant le même schéma que Tarzan. Du même réalisateur en 1931,Trader horn montrait un héros blanc remontant le fleuve au son des tam-tams des tribus rencontrées. Dans King Kong (M.C. Cooper et E.B. Schoedsack, 1933), l'action ne se déroule pas à proprement parlé en Afrique mais tout le paysage ressemble à l'Afrique et le peuple de l'île où vit King Kong a hérité des mêmes caractéristiques que celles décrites plus haut. À commencer par la musique qui relève de la seule percussion et qui rythme la venue de la menace d'au-delà de la palissade: le dieu Kong.
      Cette musique peut être plus mélodieuse par les chants qui accompagnent les rythmes. Dans ce cas là, il s'agit de chants collectifs correspondant à des sortes de vœux, de récits légendaires ou encore d'invocations divines. Car ces peuplades sont le plus souvent polythéistes, pouvant, comble de l'horreur, pratiquer des sacrifices humains, ce qui est le cas dans King Kong. Les peuples qui vivent auprès de Porter dans Tarzan l'homme singe chantent par exemple pour que les dieux du commerce les aident face à lui.Ce qui montre encore une caractéristique de sous civilisation puisque le polythéisme a été abandonné en occident depuis bien des siècles. De plus, leurs échanges se fait par troc, preuve s'il en était que leur économie est archaïque. Mais la preuve la plus évidente de la supériorité des Blancs, c'est bien que sur un bouclier, le même symbole indique que le guerrier a tué 10 lions... ou 10 hommes. Un peuple qui ne distingue pas dans son propre langage les hommes des animaux n'est peut-être pas encore tout à fait humain... Et ainsi cela justifierait la présence dominatrice des Européens en Afrique.
      C'est cette perception de la barbarie ou de la sauvagerie des Africains vivant en Afrique qui conduit alors à représenter les peuplades africaines le plus systématiquement dénudées, du moins une partie du corps, preuve s'il en était qu'ils ne sont pas civilisés puisqu'ils se présentent aux autre à la fois vêtus, comme les hommes, mais en partie aussi sans vêtements, comme les bêtes.
      Bien des films ont donc véhiculé ce modèle de l'Afrique. Et si les excès des premières représentations ont cessé, notamment par l'aspect clairement raciste - mais comme toutes les œuvres de cette époque traitant de ce sujet - ceux qui ont suivi la Seconde guerre mondiale ont perpétué une certaine représentation des Noirs africains, que ce soit dans les tenues et les chants. Moins raciste et plus paternaliste, tels pourraient être les caractéristiques de ces films. Ainsi Les mines du roi Salomon (C. Bennett et A. Marton, 1950), African Queen (John Huston, 1951), ou encore Mogambo (John Ford, 1953) jusqu'à Hatari! (Howard Hawks, 1962), tous ont mis en avant la présence des Blancs dans un monde où les Africains devraient subir cette domination. Mais les héros blancs sont différents et sont souvent devenus en quelque sorte des Africains blancs. Ce l'était déjà un peu avec les suite de Tarzan, faisant de Jane une véritable ménagère dans une villa suspendue, réplique du confort européen. Rien de tel dans les films cités. Au contraire, les Blancs vivant depuis longtemps en Afrique semblent s'être acclimatés en adoptant certaines pratiques autochtones pour mieux vivre en Afrique.
      Ainsi Stewart Granger dans Les mines du roi Salomon interprète-t-il Alan Quatermain et sert de guide à des scientifiques européens venus en Afrique. Il sert de traducteur mais aussi de guide. véritable instructeur des dangers naturels qui sont multiples en Afrique, le film met en avant un bestiaire très exotique de "monstres" plus ou moins méchants, des araignées aux reptiles en passant par tous les gros mammifères.
       Ces bestiaires se retrouvent dans tous les films. Dans Hatari!, ce bestiaire est même maîtrisé pour l'Europe puisque les héros capturent divers animaux pour les zoos européens. Mais dans tous ces films, les héros doivent initier des Européens fraîchement arrivés à la vie africaine et à s'adapter aux coutumes locales des différents peuples.
      Car une des caractéristiques de ces films passe aussi par la présentation de portraits caricaturaux des Africains. Si les tribus obéissent à des lois pluri-séculaires et à des peurs irrationnelles - ce que montrent les boys dans Tarzan fuyant l'expédition quand ils entendent le cri de l'homme-singe - quelques individus apparaissent néanmoins dans les films. En général, ils ne sont que des clichés toujours mis selon le regard des Blancs. Ainsi peuvent se repérer quelques grands types de représentation d'individus africains. Le courageux qui risque sa vie pour sauver son patron, tel celui qui va jusqu'à se faire écraser par un éléphant dans Les mines du roi Salomon parce que le fusil de Quatermain s'est enrayé. Le collaborateur fidèle est également présent dans tous les films avec un rôle souvent de simple intermédiaire entre les Blancs et les autres Africains. Enfin, le noble africain fait figure d'image récurrente. Il est à la fois proche des Blancs mais il constitue aussi une menace. Il a la sagesse et l'intelligence que les Occidentaux reconnaissent comme pouvant faire de lui un personnage qui les vaut. Mais cette noblesse est suspecte car justement, il se sent libre face à une autorité européenne prétendue supérieure. Il n'est jamais soumis aux principes des Blancs. Cette affirmation de ses valeurs et de ses principes est alors souvent perçue comme une provocation et un signe de suffisance et d'arrogance. Par exemple, dans Les mines du roi Salomon, si Quatermain rencontre un prince d'un peuple, celui-ci est prêt à aider l'expédition guidée par le héros mais ne le fait sans aucune pression ni aucune crainte de ce que représente l'autorité blanche puisqu'il ne la craint pas.

Elsa Martinelli transformée en Africaine "Mama Tambo"
dans Hatari! face à John Wayne
      Le reste est montré sous l'angle collectif: pas de véritables individus méchants mais des tribus vues comme mauvaises en soi. Sinon, après la seconde guerre mondiale, les tribus sont montrées dans leur aspect ritualiste. Soit qu'elles perpétuent des pratiques anciennes, soient dans des cérémonies de type cultuel. Dans Hatari!, la tribu travaillant avec John Wayne (qui interprète le héros du film) remercie à sa manière l'héroïne Dallas pour avoir sauvé des éléphanteaux de la mort. Dallas (c'est le nom de l'héroïne) est alors maquillée et habillée selon les rituels de la tribu, et ce au son des percussions et des chants traditionnels tout en étant désormais appelée "Mama Tambo" (la mère des éléphanteaux). C'est à elle que John Wayne explique également comment est géré un puits par deux tribus différentes, l'une puisant l'eau pour les bêtes, l'autre entretenant le puits quand il est bouché. Dixit John, le premier peuple est trop fier pour faire ce travail!
      Ainsi, si les films se montrent moins clairement racistes, la place des Africains est toujours en subordination des Occidentaux blancs.

      2. Les Africains de la décolonisation

À partir des décolonisations africaines, les cinémas européen et américain ne vont pas abandonner la représentation exotique de cette Afrique noire ni même des Africains. Le film Hatari! se trouve à la croisée des deux périodes. Ainsi, les Noirs sont des éléments identifiants de l'Afrique au même titre que la faune, comme ils l'étaient déjà pendant la période coloniale. Mais la nouveauté réside dans la richesse que comporte le territoire intéressant les Occidentaux. Et c'est justement la faune qui constitue un capital exploitable, faisant l'objet d'une véritable industrie menée par des Blancs pour le seul intérêt de Blancs. L'hôpital d'Arusha était dirigé par des médecins blancs avec des infirmières blanches. Hatari! proposait déjà en quelque sorte ce qui allait être bientôt appelé la néo-colonisation. 
En effet, la richesse des territoires anciennement colonisés était toujours convoitée par les anciens maîtres ou par les plus grandes puissances. Le remake de King Kong réalisé en 1976 par John Guillermin est en soi particulièrement intéressant. La première version montrait que l'île était trouvée sinon par hasard, du moins pour l'intérêt de la science, de la géographie et du mystère puisqu'on ignorait tout d'elle. Au contraire, le remake propose une démarche volontariste des Américains s'étant embarqués dans le but de trouver un gisement pétrolifère. Le peuple ressemble toujours à une peuplade africaine archaïque. Mais la conquête du territoire n'avait comme seul but non d'étendre la civilisation occidentale et de l'imposer aux autres, mais d'accaparer les richesses du territoire. 
C'est donc bien une autre forme de colonisation qui se mettait progressivement en place et dont le cinéma témoignait à sa façon, soit par la représentation imaginaire d'histoires mettant en scène l'exploitation de richesses, soit en s'appuyant sur des faits historiques importants. 
Le cinéma occidental a donc accompagné à sa façon les divers mouvements d'indépendance ou ayant suivi ces mouvements, comme par exemple Les canons de Batasi toujours de John Guillermin, réalisé en 1964 racontant l'histoire d'un pays africain peu après son indépendance. Or celle-ci n'empêche pas la présence de troupes occidentales - ici britanniques - montrant une présence européenne de fait, même si elle ne s'accompagne plus directement d'une domination politique.
Laurent Malet dans La légion saute sur Kolwesi
Cette présence militaire a en réalité un rôle lié au fait que le pouvoir économique demeure pour une grande partie dans les mains d'Occidentaux qui exploitent les grandes richesses, notamment minières, du continent africain. Ainsi, dans La légion saute sur Kolwesi réalisé en 1980, Raoul Coutard filme l'intervention militaire menée par les Français et les Belges pour contenir une rébellion au Sud-Est du Zaïre. Cette région était riche en cuivre et habitée par des Européens ce qui justifiait l'intervention armée. Le film de Coutard souligne cette présence européenne vivant dans des quartiers de Blancs dans lesquels les Noirs n'habitaient pas. De même, dès les premières séquences, il apparaît que les dirigeants et cadres de l'exploitation minière à ciel ouvert sont Européens et que les Noirs ne constituent que la main-d'œuvre la moins qualifiée. Ainsi, alors que Bruno Cremer montre à un coopérant joué par Laurent Malet la puissance de son engin pour creuser la mine, de jeunes Africains sont filmés à pied, torses nus avec des outils à la main. 
Si les colonies n'existent plus du point de vue politique, les faits montrent que le pouvoir est encore dans les mains des Occidentaux qui sont les grands bénéficiaires des richesses africaines quelles qu'elles soient, y compris humaines. Car les Européens n'importent pas seulement des matières premières du continent noir. En effet, la misère de ces pays nouvellement indépendants conduit de nombreuses personnes à quitter leur pays pour rejoindre une terre plus prospère. Cette émigration ne s'accompagne pas toujours d'un accueil enthousiaste de la part notamment des Européens, surtout après la crise des années 1970. Au cinéma, cette présence est rarement montrée si ce n'est, étonnamment, dans des comédies. Peu de films de cette période traitent de manière sérieuse et engagée cette immigration souvent mise à l'écart des villes. Les représentants de cette minorité d'immigrés sont d'ailleurs souvent présentés avec des accents proches des clichés des périodes précédentes. Quand l'institutrice jouée par Josiane Balasko dans Le maître d'école de Claude Berri en 1980 tombe amoureuse d'un Noir africain, celui-ci nous est présenté non par un acteur mais par l'évocation de sa culture. Or il s'agit de la même représentation stéréotypée: boubou africain porté par Balasko, musique de percussions, fumée se dégageant de plantes comme pour signifier un rituel ancestral. C'est l'Afrique des clichés qui est proposée aux spectateurs de 1980. La situation sociale réelle des Noirs de cette période n'est envisagée que par le personnage d'un élève qui ne veut pas faire plus tard comme son papa parce qu'il est chômeur. Lui veut faire chômeur "maintenant". Ce qui montre de manière bien édulcorée la situation économique de sa famille. Mais au passage, sa réflexion repose aussi sur le cliché de l'Africain paresseux vivant des aides de l'Etat.
C'est dans une autre comédie, plus féroce celle-ci, que la situation des immigrés africains à Paris est montrée avec un peu plus de réalisme, témoignant de la précarité du logement de nombreuses familles africaines dans la capitale. Ce réalisme a été depuis hélas vérifié par des faits divers meurtriers au début du XXIème siècle avec des incendies dans des immeubles vétustes tuant de nombreux habitants immigrés d'Afrique. Car ce que montrait Michel Blanc dans son film Marche à l'ombre en 1984, c'est l'existence de squat en plein cœur de Paris dans lesquels vivent des communautés africaines dans des conditions de salubrité très peu digne d'une grande métropole occidentale. C'est une image également des solidarités entre les différents occupants, récupérant les objets pour les rendre utiles à la communauté. Mais la mise en scène de Michel Blanc va plus loin. Ce squat semble être séparé de la ville des Blancs par une palissade et une frontière faite de gravats qu'il faut franchir. Ainsi est reconstituée une petite Afrique en plein Paris, avec des migrations internes d'Européens de "bonne famille" venus acheter des doses de drogue, de manière discrète et en même temps sous le regard de tous ceux qui veulent bien regarder. Cette herbe circule facilement et notamment pendant que des musiciens se regroupent pour improviser un concert en plein squat. Il s'agit d'une musique là encore rythmée mais plus complexe que les simples percussions des films des années 1950. De fait, les deux héros blanc interprétés par Gérard Lanvin et Michel Blanc deviennent à leur tour des Noirs par leur mode de vie, notamment par leur manière de gagner de l'argent en trafiquant divers produits plus ou moins légalement. Cette relégation des habitants venus d'Afrique noire en marge de la métropole se voit également par le mépris que certains citoyens français blancs ont pour ces Africains. Par exemple, celui qui permet aux deux héros de vivre dans le squat vit quant à lui dans un hôtel sordide. Mais il paie sa chambre bien qu'il n'y dorme que le jour puisqu'il travaille la nuit. Ceci n'empêche pas le gérant de la louer la nuit à des prostituées sans prévenir le locataire. Et quand celui-ci s'en aperçoit et proteste, il est ramené à sa condition d'Africain inférieur aux Blancs, se faisant traiter de "Bamboula". La décolonisation n'a pas enlevé certains réflexes racistes et nostalgiques d'une France coloniale chez certains Français qui appliquent dans l'hexagone les mêmes méthodes et mêmes traitements à ceux qu'ils jugent inférieur. La relégation est donc à la fois géographique - ce qu'on retrouvera dans La haine de Mathieu Kassovitz - mais également économique par des emplois sous qualifiés ou informels et illégaux, mais enfin et surtout sociale et sociétale puisque ces populations ne sont pas traitées à l'égal des autres communautés, à commencer par celles blanches.

Pourtant, le cinéma a aussi montré des Noirs africains pouvant devenir une élite au comportement ou au mode de vie équivalent aux élites européennes. Dans La légion saute sur Kolwesi, un des personnages secondaires est un Zaïrois, instruit, qui fait partie du cercle des Européens. Son rôle est ambigu car il est à la fois Européen dans sa culture, dans son expression et même ses relations avec les autres. Mais en même temps il joue avec les préjugés des Blancs sur les Noirs qui sont traités comme des barbares. Personnage de transition, le bon Noir qui n'est pas comme les autres, l'exception qui confirme la règle, il est de fait le modèle de Noir dont rêvent les Blancs et qui serait prêt à renier ses compatriotes pour être intégré aux "civilisés". Ce film n'est pas le seul qui distingue les élites noires du reste de la population. Dans Les sous-doués de Claude Zidi, un des personnages est un Noir fils de ministre africain. En classe dans un lycée privé, il sait que malgré son manque de travail scolaire, sa filiation lui permettra d'être ministre "au minimum"! À une épreuve orale du bac, son père l'aide à tricher en lui soufflant les réponses d'un sujet qu'il avait déjà eu à traiter en tant que lycéen. Au passage, la séquence reprend tout de même les clichés africains puisque ce père communique les réponses par le tam-tam dont chaque son, chaque rythme est transposé par le fils en mots et phrases. Curieusement, cela traduit aussi un vrai langage élaboré qui prouve le contraire de ce que sont les préjugés  


Félix, le loser blanc et Jamal, le fils de diplomate noir
Si le film de Zidi était une caricature, Métisse de Kassovitz en 1993 n'en est pas une. Le personnage interprété par Hubert Koundé, Jamal, est le fils d'un diplomate africain. Il vit dans un grand appartement luxueux, à la différence du personnage interprété par Kassovitz, Félix, qui partage sa chambre chez ses parents. Jamal correspond à l'élite comme pourraient l'être d'autres fils de diplomates... blancs. En retournant la situation classique, Kassovitz montrait que la perception des personnages était d'abord  une provocation. Un Noir riche et instruit face à un Blanc débrouillard vivant dans un appartement surpeuplé, voilà qui était difficilement concevable. Dans un second temps, il convainc le spectateur à réaliser que cette situation n'est pas une pure invention et que bien sûr, ces personnages peuvent effectivement exister. Enfin, le dernier effet consiste à intégrer la situation non en fonction de la couleur de peau ou l'origine géographique ou ethnique des individus mais en fonction de leur origine sociale. Kassovitz va même plus loin en donnant à Jamal une petite amie blanche, Lola. Jouant sur l'inconscient des spectateurs et sur les clichés, ce n'est plus le riche blanc qui a pour fiancée une petite noire mais bien l'inverse. Et la rencontre de Lola avec la famille de Jamal prend une saveur particulière quand Lola est critiquée par les parents parce qu'elle n'est pas de leur monde. 
Cette représentation n'est pas unique. Dans une comédie américaine de John Landis de 1988 intitulée Un prince à New-York, Eddie Murphy joue le rôle du prince Akeem se rendant aux USA pour découvrir l'amour. Le postulat du film part encore du cliché d'une société africaine archaïque puisque le prince doit épouser dans son pays africain une femme qu'il ne connaît pas. Mais son arrivée aux USA renverse cependant le point de vue du film, faisant du personnage du prince un être autrement plus éduqué que les Américains. Travaillant dans une restaurant fast food, il doit faire face à la bêtise des clients et au regard raciste de tous, y compris des patrons noirs. Tombant amoureux de la fille du patron, tous deux noirs, il est à la fois rejeté par le père de sa bien-aimée qui ne veut pas d'un immigré pour sa fille et par ses parents qui veulent une belle-fille issue de la haute société pour leur fils et pas d'une simple fille de commerçant, fut-elle américaine. 
De fait, cette élite africaine est présentée le plus souvent selon deux caractéristiques: soit des personnes acculturées souhaitant vivre avec les Blancs et tournant le dos à leurs origines africaines, soit des personnes représentant une élite de leur peuple au comportement finalement identique - mais renversé - des élites blanches vis-à-vis des populations d'une autre origine, ethnique ou sociale. 


3. L’Afrique contemporaine

Depuis les années 1990, un genre de film revient régulièrement, se déroulant en Afrique et présentant les pays de ce continent depuis la décolonisation. Et une des constantes est la violence qui sévit dans ces pays du fait d'un régime politique le plus souvent corrompu et contesté par une opposition le plus souvent éclatée et illégale. Mais c'est surtout la place des Blancs qui est l'autre constante de ces films. Point de films occidentaux sur l'Afrique sans y intégrer de fait la présence européenne.
Ce que ces films montrent aux spectateurs européens est à la fois une guerre civile perpétuelle entre les différentes factions des différents pays et sinon une satisfaction, du moins l'idée que la décolonisation n'a pas été forcément une amélioration de la situation des peuples.
Ce qui saute d'abord aux yeux dans ces films, c'est une situation démographique particulièrement défavorable à ces pays, connaissant une croissance trop forte au regard des richesses et des infrastructures du pays. Ainsi, les images de population grouillante dans des villes aux rues insalubres ou dans des villages surpeuplés quand ce ne sont pas de véritables camps de réfugiés sont monnaie courante dans ces films. La jeunesse de cette population n'est également pas oubliée avec la multiplication de plans sur des enfants de tous âges, rarement montrés à l'école mais représentés comme jouant, mendiant, trafiquant ou se débrouillant pour survivre, y compris en tant que combattant. The constant gardener, Lord of war, La chute du faucon noir, Blood diamond, Le dernier roi d'Ecosse sont autant d'exemples qui illustrent cela. 
À cette surpopulation et à cette jeunesse ne correspondent donc plus les paysages autrefois représentés pour illustrer l'Afrique. Au contraire, c'est bien le modèle urbain qui est montré avec des villes dans lesquelles s'entasse cette population, le plus souvent inactive. Les villes de Somalie dans La chute du faucon noir de Ridley Scott en 2001 ou celles de Lord of war d'Andrew Niccol (2005) sont sales, avec une voirie non asphaltée, sans égoût. A cette représentation caractéristique des villes du Sud s'ajoute une utilisation de couleurs indiquant soit une extrême chaleur, avec des jaunes ocres, de l'orange et du rouge, et surtout une sur-luminosité. C'est le cas notamment dans Lord of war ou dans The constant gardener de Fernando Mereilles en 2005. Au contraire, certaines couleurs choisies peuvent être dans le verdâtre avec des contrastes forts et une lumière plus faible. Dans ce cas, c'est la pesanteur et l'humidité qui est représentée à l'écran ce qui se voit particulièrement dans Blood diamond d'Edward Zwick en 2006 ou dans La chute du faucon noir. L'absence de végétation est donc devenue une autre caractéristique pour représenter cette Afrique contemporaine, comme si celle-ci tournait le dos à une réalité. Car ce continent, bien qu'en pleine croissance démographique reste encore largement sauvage avec une densité humaine plutôt faible (environ 35 hab/km²) . Mais ce qui constituait le décor des films d'avant la décolonisation n'est plus d'actualité. Seuls Out of Africa de Sydney Pollack en 1985 et Chasseur blanc coeur noir de Clint Eastwood en 1990 répondent encore à ces représentations classiques. Mais l'action de ces films se passe avant la décolonisation. 
Plus de grands espaces donc, plus de bestiaires mais toujours une identification de l'Afrique par la musique de percussion qui est présente dès le générique des films pour la plupart du temps. Et les tribus d'antan ont fait place aux factions s'affrontant pour prendre le pouvoir, de manière aussi radicale que du temps d'avant, à ceci prêt que le pouvoir politique est désormais dans les mains d'Africains.
Pourtant, ce pouvoir semble toujours contesté dans les films occidentaux. Ceci passe par les nombreuses représentations de conflits armés opposants des groupes armés, conflits mettant toujours face-à-face des tyrans et leurs sbires face à des libérateurs. Mais le plus souvent, cela se fait sous le regard des Blancs, qu'ils soient témoins passifs ou partie-prenante de cette lutte. Mais quelque soit le rôle des Européens ou Américains, c'est toujours sous-jacente l'idée que le départ des colonisateurs n'a en rien amélioré le sort du peuple. 


Dans Banzaï de Claude Zidi en 1982, Michel, interprété par Coluche se rend en Afrique et se trouve impliqués dans un combat entre légalistes dictateurs et rebelles armés et favorables au peuple. Si sa présence est conditionnée par son métier - il travaille pour une assistance touristique - il participe néanmoins à l'évasion du chef rebelle. Au passage, Claude Zidi n'oublie pas certains clichés, que ce soit la musique africaine ou bien le moustique africain ne piquant que les Blancs et provoquant une réaction allergique monstrueuse chez Michel. Plus intéressante est l'approche du développement de ces pays africains quand le médecin noir se sent vexé par le rapatriement d'un Français par Mondial Assistance, affirmant haut et fort que ses compétences sont les mêmes que celle d'un médecin français, ayant lui-même fait ses études dans l'hexagone. Le seul manque qu'il reconnaît, c'est l'approvisionnement en antiseptique et autres produits de première nécessité.
Dans des films plus récents et américains, le rapport aux Blancs n'est pas si différent même si l'implication est plus directe. Dans Lord of war, les factions africaines s'affrontent avec des armes et munitions vendues par des Blancs pour qui la guerre civile est d'abord source de profit. Dans Blood diamond, l'enrichissement passe par l'exploitation des diamants produits dans en Afrique. 


Le dernier roi d'Ecosse avec Amin Dada en kilt!
Plus subtilement, un film comme Le dernier roi d'Ecosse met en scène le médecin britannique de Amin Dada, leader de l'Ouganda. Si le film montre bien sûr l'aspect à la fois séducteur et surtout monstrueux de ce chef africain, le point de vue est encore Blanc et ce ne sont pas les Africains qui sont les héros du film. Le film joue même sur un registre plus ambigu puisque le héros noir semble être doté d'une culture très occidentale, s'habillant comme les Britanniques et appréciant le mode de vie européen. Son aspect sanguinaire n'en apparaît que plus terrible et le renvoie aux représentations plus anciennes des Noirs africains.
Dans The constant gardener, s'il y a des Noirs qui interviennent dans le film pour lutter contre les pratiques de certaines sociétés pharmaceutiques en Afrique, notamment avec le personnage interprété par Hubert Koundé, ce sont bien les dirigeants africains qui sont corrompus, acceptent des pots de vin leur permettant de vivre grand train et sacrifient leur population à des essais cliniques illégaux. Et ce sont surtout deux Américains qui interviennent, la femme d'abord, membre d'une association humanitaire, son mari ensuite, diplomate, pour lutter, révéler et abattre ces pratiques. Le rôle des Blancs est donc toujours présent dans le sort des Africains dans les représentations occidentales de ce continent. Ce qui a permis à un président français de dire que "l'homme africain n'était pas entré dans l'Histoire" dans un discours fameux à Dakar. Pourtant, ce point de vue n'est qu'une perpétuation d'images véhiculées par les cinémas occidentaux comme ils véhiculaient avant les indépendances que les Noirs étaient à civiliser. 

C'est paradoxalement un film américain qui infirme ce point de vue excluant les Africains de l'Histoire. Dans La chute du Faucon noir, un aviateur américain s'est fait abattre lors de l'opération Restore hope en 1993. Fait prisonnier, un de ses geôliers veut négocier avec lui, ce qu'il ne peut pas faire. La réponse du Somalien est alors cinglante: "tu as le droit de tuer mais pas de négocier; chez nous, tuer, c'est négocier." Mais c'est surtout ce qu'il dit sur l'intervention américaine qui est radicalement nouvelle, remettant en cause les interventions occidentales en Afrique comme ailleurs. Il se moque en effet de la volonté des Américains de vouloir imposer la démocratie, notamment en tuant leur leader, dans un pays qui ne veut pas du système américain et dont le peuple serait prêt à suivre un autre leader qui s'opposera à son tour à ce système.



Conclusion
    La représentation de l'Afrique et des Africains est ainsi passée d'une vision colonialiste dans laquelle les Blancs devaient civiliser les Noirs dans un territoire hostile. Cette représentation évolua jusqu'à ce que les décolonisations aient abouti. Une autre manière de présenter ces populations fut alors proposée, s'appuyant il est vrai sur des événements réels et meurtriers, à savoir les guerres civiles post-décolonisation. Mais de fait, cette vision n'était en quelque sorte qu'une autre manière de confirmer ce qui était dit avant. Que penser en effet de populations qui se sont battues pour l'indépendance contre les colons européens qui les exploitaient et qui finalement continuent à se battre contre les intérêts du peuple? Cette représentation ne fait que maintenir une approche coloniale dans la perception de l'Afrique puisqu'elle semblait au moins en paix sous la domination française, britannique ou belge. Sauf que ces films ne traitent que de la conséquence sans jamais envisager que les drames post coloniaux sont aussi dus à la manière dont les colonies ont séparé des peuples, créant à la décolonisation des pays aux populations éclatées et aux nations artificielles.  
      Bien d'autres films auraient pu être présentés dans ce court article comme Les racines du ciel de John Huston en 1958, L'africain de Philippe de Broca en 1982 ou Les dieux sont tombés sur la tête de James Uys en  1981 et bien d'autres encore reprenant de fait ces mêmes schémas.Tous permettent d'envisager l'Histoire de l'Afrique par le cinéma occidental et comme un très bon moyen pour comprendre comment le continent africain est perçu par les Européens et Américains. Les films montrent des réalités historiques, politiques et culturelles. Mais ils n'envisagent que ce que les Européens et Américains sont prêts à recevoir. C'est-à-dire une représentation dans lesquels les stéréotypes et clichés ne manquent pas et dont les héros sont des personnages dans lesquels ils peuvent se projeter: des Blancs. Il manque donc une approche cinématographique africaine pour compléter cette Histoire des Africains vue par le cinéma. A ce sujet, je renvoie à l'article de Vincent Marie sur Cinéhig sur le cinéma africain par les Africains.
      http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article258

      A bientôt
      Lionel Lacour