vendredi 25 mars 2016
Publicité Mercedes: quelle cible pour ses nouveaux modèles?
Bonjour à tous,
Ces dernières semaines, Mercedes fait la promotion à la télévision de sa nouvelle gamme de véhicules. L'agence responsable de la réalisation du spot a donc choisi de raconter une histoire sur un scénario de fiction, une enquête policière, plutôt que de décliner de manière éclatée les qualités des différents modèles:
Si la démarche est extrêmement intéressante puisque les modèles sont présentés sur leurs différents usages et changes des présentations ne jouant que sur des "atmosphères", des couleurs, des sensations, la présentation fonctionnelle de chaque véhicule pose pourtant un réel souci.
Il ne s'agit évidemment pas de la réalisation, particulièrement efficace et qui reprend les codes des films policiers (ou des séries) reposant sur le brainstormingà partir d'informations données.
Le souci est plutôt la clientèle évoquée par cette publicité. Qui aurait acheté tel ou tel modèle Mercedes dans ce spot? Des cambrioleurs. De haut vol, certes, mais des hors la loi.
Le positionnement marque est donc de ce point de vue douteux car cela revient à dire qu'acheter une Mercedes, c'est acheter une marque que peuvent acheter des voleurs. Et tout ceci ne serait pas très grave si cela restait de la fiction. Or il se trouve que les véhicules utilisés par le grand banditisme sont justement des modèles de luxe allemands (Mercedes, BMW ou Audi).
La publicité, volontairement ou pas, vient donc faire correspondre une réalité connue de tous, y compris des acheteurs potentiels, avec la fiction de promotion de la marque. Or les acheteurs de Mercedes ne sont pas tous des hors la loi et beaucoup, compte tenu des prix de la marque, sont des personnes ayant des revenus élevés et un âge qui dépasse les 30 ans.
Je ne suis donc pas certain de l'efficacité commerciale auprès de la dernière catégorie de clientèle évoquée. À moins que le message audiovisuel les dépasse ou qu'ils fassent fi de ce message. Le risque est tout de même grand. Mais peut-être que je me trompe...
À bientôt
Lionel Lacour
mardi 22 mars 2016
Maîtriser sa communication dans les médias audiovisuels: ce que le cinéma nous apprend
Bonjour à tous,
En 2009, Christian Beaucoup publiait La croissance économique par la santé - Pour un New Deal de l'accès aux soins dans le monde. Il y rappelle comment, les multinationales pharmaceutiques avaient porté plainte contre l'Afrique du Sud qui avait décidé de produire des médicaments génériques contre le SIDA malgré les brevets détenus par ces mêmes multinationales. Or, page 22, il montre combien les accusateurs de bon droit - non respect de la propriété intellectuelle - devinrent les accusés aux yeux des opinions publiques internationales.
Que s'était-il passé? Les images de l'entente entre les multinationales furent montrées dans les JT du monde entier et présentaient des dirigeants riches, réunis dans des locaux cossus, habillés en complets gris et en bonne santé. Puis, dans ces mêmes JT étaient ajoutées des images des victimes du SIDA dans les pays pauvres ne pouvant payer les médicaments aux prix réclamés par les multinationales.
L'effet fut désastreux en image et, par conséquence, financièrement, poussant les laboratoires à retirer leur plainte et à baisser de manière radicale le prix des médicaments. Mais la partie était perdue pour l'image de ces entreprises. Quant au SIDA, la situation n'a pas évolué en Afrique du Sud, la question n'étant pas le coût du traitement mais l'information et l'accès aux médicaments, et ceci n'est pas un autre sujet.
Cet événement montre combien la communication audiovisuelle d'une entreprise, ou d'un secteur industriel tout entier, ne dépend pas seulement des images produites et contrôlées par les commanditaires. Les images de l'accord des multinationales avaient pour objectif de montrer l'unanimité de celles-ci, preuve de leur bon droit. Mais les directeurs de communication n'avaient pas anticipé que d'autres images viendraient interférer dans leur communication, parce qu'ils ne connaissent pas un effet fondamental du montage: l'effet Koulechov.
Cet effet tient son nom d'un réalisateur soviétique qui démontra par l'expérience que le montage d'images n'ayant aucune relation entre elles (photographies ou cinéma) présenté à des spectateurs induit chez eux une volonté de comprendre justement ce qui peut lier ces images entre elles: une causalité, un thème commun, une relation émotionnelle. Ainsi, si vous montrez l'image d'un homme, puis d'un couteau et enfin celle d'une volaille cuite, vous en déduirez que l'homme se réjouit de bientôt découper ce poulet griller pour le manger. Substituez à l'image de la volaille une image d'un nourrisson en train de pleurer, l'homme au couteau se transforme soudain en un terrible assassin d'enfants. L'effet Koulechov est donc l'effet qu'induit le montage sur les spectateurs.
Ce qui s'est passé avec les laboratoires pharmaceutiques en 1998, c'est l'effet Koulechov à l'échelle planétaire. Des images de personnes riches unis signant une sorte d'union industrielle, puis des images de mouroirs dans lesquels des malades du SIDA s'entassaient, sans accès aux soins. Ces images n'ont pas de lien entre elles. Le SIDA n'est pas transmis par les multinationales. La prévention et l'accès aux soins ne dépend pas d'elles non plus. Mais l'effet Koulechov a créé un lien entre ces deux séries d'images. Cet effet doit être immédiat, logique, intuitif. Ce qui est compris doit correspondre à ce qui est crédible à l'image: les gens meurent du SIDA en Afrique du Sud parce que les laboratoires s'opposent à la vente à bas prix des traitements contre la maladie. La preuve est la richesse et la bonne santé des uns au mépris de la misère et de la maladie des autres. La responsabilité du gouvernement sud-africain est effacée.
Cet exemple n'est qu'un parmi tant d'autres. Il est dû à une non maîtrise de la communication audiovisuelle de ces laboratoires devenus accusés. Mais parfois, cet effet Koulechov est utilisé par ceux qui veulent justement faire avancer leurs causes. L'association L214 le maîtrise d'ailleurs parfaitement. En filmant des abattoirs ne respectant pas les règles élémentaires pour tuer les animaux d'élevage destinés à être consommés, en montrant des actes de torture indigne, cette association permettait de mettre en accusation des individus voire une entreprise ne respectant pas la loi et les normes encadrant l'activité. Mais en utilisant des témoins - artistes comme Hélène de Fougerolles ou la chanteuse de Lilly Wood and the Prick - puis des images de personnes mangeant de la viande, l'ensemble fait un lien entre les actes de torture et ceux mangeant de la viande. Et ce lien est tout trouvé: ceux qui mangent de la viande sont complices des abattoirs. La communication est efficace. On se sert d'un élément commun, la viande, avec deux attitudes différentes, des actes de torture et un acte d'alimentation qui remonte à des millénaires, et on induit une relation entre les deux. L'objectif de l'association est moins de dénoncer les abattoirs que de promouvoir le régime vegan (ou végétalien). Mais pour y arriver, on passe par la mise en accusation de tous ceux qui mangent de la viande, co-responsables des actes de barbarie commis dans ces abattoirs ignobles. À la différence des laboratoires pharmaceutiques, l'association L214 a géré et maîtrisé les deux types d'images et créé son effet Koulechov.
On pourrait multiplier les exemples de communication maîtrisée ou non, par les entreprises mises en défaut, sachant ou pas retourner une situation par des images produites. L'affaire dite de "la chemise" lors des conflits chez Air France en est un exemple frappant. Ils montrent pourtant combien la communication des entreprises ou institutions ne prennent pas assez en compte ce que le cinéma nous apprend depuis les origines du montage: toute image associée à une autre crée du sens. Aux communicants de s'approprier ce langage, pas seulement en créant des images dont ils arrivent à maîtriser le sens, mais en anticipant sur ce avec qui leurs images pourraient être associées, transformant le message initial voulu. Cela passe par une formation plus efficace, surtout à l'heure de la numérisation et de la fluidité des images audiovisuelles devenues des vecteurs de communication parfois exclusifs. Parmi les vegans convertis suite aux affaires des abattoirs, qui a vraiment lu les principes et les objectifs finaux de l'association L214?
mardi 15 mars 2016
Quelle place a l'économie dans "Star wars"?
Bonjour à tous,
Cela fait donc maintenant 7 fois que nous vivons des aventures qui se passent dans une galaxie bien lointaine, et qui s'étalent sur environ un demi siècle. Et sur l'ensemble de ces épisodes, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'environnement idéologique et politique est copieusement décrit et défini. Pourtant, les personnages (et donc, par projection, nous, les spectateurs) évoluent dans un monde économique statique qui se caractérise par des critères immuables et jamais véritablement remis en cause par aucun des protagonistes, et encore moins expliqué.
1. Un monde technologiquement très évolué
Ce qui a fait le succès de la saga Star wars, dès le premier épisode, fut l'aspect "science fiction" avec des vaisseaux interstellaires pouvant voler plus vite que la lumière, faisant la taille de villes géantes, voire de satellites naturels (comme l'étoile noire) et pouvant se protéger des tirs de rayons laser de ceux les attaquant. D'autres véhicules, plus individuels, occupent régulièrement l'écran, avec des performances bien supérieures à celles de ceux d'aujourd'hui, et avec comme caractéristique commune de ne pas être en contact avec le sol, permettant de s'affranchir des obstacles, le tout à très vive allure (cf. course poursuite dans Le retour du Jedi ou le championnat de module dans La menace fantôme).
L'autre attraction fut évidemment la présence de robots ayant diverses fonctions et divers langages. Les plus célèbres sont bien sûr C3PO, le robot de protocole de forme androïde et R2D2, dont les missions sont finalement assez diverses mais permettent de guider les véhicules chasseurs, de réparer les ordinateurs ou de les comprendre, en effectuant si besoin des opérations de maintenance d'urgence.
Ce sont enfin les armes qui dans Star wars montrent un degré de technologie très avancée, abandonnant les projectiles classiques (balles de fusil notamment) par des rayons énergétiques destructeurs.
Ce qui pouvait apparaître au premier épisode comme une vraie avance technologique l'est encore à ce jour, à l'exception de la partie communication. En effet, les progrès des télécommunications sur notre bonne vieille Terre ont rattrapé en grande partie ce qui était présenté alors comme un élément d'une modernité extrême.
2. Un monde qui repose sur la maîtrise des sources énergétiques
Aucun des épisodes ne semble montrer le moindre problème pour l'obtention d'énergie pour mouvoir les véhicules ou construire des bâtiments gigantesques. Or il est manifeste que l'énergie consommée dans cette lointaine galaxie est énorme au regard du nombre de véhicules utilisés, et surtout au regard de leur masse qui dépasse, et de loin, les millions de tonnes!
Cette maîtrise énergétique est également nécessaire pour la construction de ces véhicules, constructions métalliques et immobilières qui sont régulièrement à l'écran. Les villes de la "prélogie" sont à cet égard particulièrement gigantesque et proposent un monde urbain d'une densité et d'une hauteur faramineuse, nécessitant une énergie monumentale tant pour les édifier que pour ensuite leur permettre de fonctionner.
3. Un monde régit par du négoce interstellaire
La trilogie originelle faisait peu état d'une économie de négoce. Il faut attendre que Han Solo se rende sur la planète Bespin pour réparer son vaisseau, le faucon millenium, pour que soit abordé un point essentiel de l'empire. Celui-ci est certes un espace politique, mais également économique. Lando, l'ami de Han Solo, lui explique que Bespin se trouve en dehors de l'espace économique sous influence de l'empire, lui permettant de faire du négoce sans la contrainte impériale, chose qui va de fait évoluer au cours de l'épisode, montrant justement l'aspect impérialiste du régime politique que défend Darth Vader. De fait, on comprend que les échanges économiques sont sous contrôle de l'Empire qui tolère - ou pas - que certains soient affranchis des règles, jusqu'à ce que celles-ci s'imposent à eux, selon un rapport de force évidemment à l'avantage de l'Empire.
Dans La menace fantôme - 1er épisode de la prélogie - c'est une affaire de commerce et de taxes qui est au cœur de l'histoire, la Fédération du commerce refusant notamment de payer des taxes à la planète Naboo et opérant un blocus. Le conflit commercial doit se régler politiquement même si la Fédération a des volontés de conquérir la planète qui lui résiste.
4. Mais une absence du monde industriel...
Ce qui devrait finalement étonner, c'est qu'en 7 épisodes, jamais le monde de l'industrie n'ait véritablement été montré si ce n'est par les conséquences de cette production. Pourtant, on peut dire beaucoup de choses sur celle-ci. D'abord qu'il y a une production en série, ce que prouve R2D2 qui est un robot comme d'autres robots qui fréquentent l'univers Star wars. Dans La menace fantôme, on voit en effet d'autres droïdes presque identiques à celui qui semble être unique.
De même que pour les robots, le nombre de véhicules semblables (les chasseurs "X wings"), l'armement des troopers ainsi que leur tenue nécessitent une production de masse, de série, pour équiper de manière identique chaque combattant, qu'il soit dans un premier temps pour la défense de la République ou plus tard des soldats de l'Empire. Et on ne parle pas des quadripodes dans L'empire contre-attaque, eux aussi forcément construits en série!
Enfin, on imagine combien il a fallu de production sidérurgique ou d'autres métaux pour la construction de ces vaisseaux, satellites et autres monuments gigantesques. La taille des usines et des machines ainsi que la quantité de main-d'œuvre, humaine ou robotisée, doit être absolument invraisemblable pour permettre une telle production, sur un temps si court. Ainsi, les étoiles noires sont construites en quelques mois seulement, ce qui laisse envisager une logistique énorme en terme d'extraction des matières premières, de leur transformation, de leur transport et enfin de leur ajustement.
Or ce monde économique est absolument invisible.
5. ... mais une forte représentation de l'économie parallèle
Au contraire, l'économie interlope, de trafics en tous genres, de récupérations et d'occasion est largement représentée dans tous les épisodes, y compris dans le dernier volet sorti en 2015. Dans cet épisode, l'héroïne récupère sur des épaves de vaisseaux interstellaires des pièces mécaniques ou électroniques qu'elle vend ensuite à un récupérateur.
Dans la trilogie originelle, c'est bien du commerce à la marge qui est montré dans les bars louches que fréquente Han Solo. On comprend d'ailleurs qu'il est un vulgaire trafiquant et qu'il l'est resté par la suite, puisque, toujours dans Le réveil de la Force, il est en conflit avec diverses mafias.
Dans La menace fantôme, Anakin est un esclave et il travaille pour une sorte de receleur exploiteur.
Cette économie de récupération et de ventes d'occasion est en fait présente dès La guerre des étoiles, rebaptisée Un nouvel espoir puisque les deux robots-héros, C3PO et R2D2 sont vendus en lot à l'oncle de Luke Skywalker.
C'est enfin un monde de la bricole où chacun essaie de produire ce qu'il ne peut acheter. Anakin construit C3PO ou son propre module de course. Han Solo pilote un vieux vaisseaux qui nécessite des réparations permanentes, et ce dans tous les épisodes dans lequel il est présent!
6. Et un paradoxe de l'absence du progrès technologique...
Enfin, il faut partir d'un constat assez édifiant et mystérieux: les trilogies s'étalant sur environ un demi siècle, on aurait pu envisager un progrès technologique entre La menace fantôme et Le réveil de la Force. Or, mis à part le nouveau robot BB8, il n'y a aucune trace véritable de progrès technologique quotidien. Pour avoir un élément de comparaison, il suffit de prendre notre civilisation réelle sur la période allant du premier épisode de la saga (1977) au dernier (2015) pour réaliser combien notre environnement technologique a été bouleversé, que ce soit en terme des technologies de l'information et de communication (téléphones portables, smartphone, internet, wifi, écran led, numérique...), de transport (moins spectaculaire a priori mais réelle si on regarde les films des années 1970!), d'armement (hélas), dans la construction...
Au contraire, l'univers de Star wars présente un monde de haute technologie (comparer encore à la nôtre) mais une technologie figée. Les véhicules interstellaires ne sont pas plus performants dans Le réveil de la Force que le Faucon Millenium qui a pourtant plusieurs dizaines d'années. Et les armes ne sont pas plus efficaces non plus.
En fait, une vraie et seule innovation apparaît: l'utilisation de l'énergie du soleil pour détruire les planètes. Mais qui a permis cela? Quel(s) scientifique(s) sont à l'origine de cette découverte? Rien n'est jamais dévoilé. C'est comme si la Recherche et le Développement étaient absents, et que les progrès existaient par principe sans que des individus n'en soient la cause.
7. ... combiné à un espace économique clos
Ce qui fait la force narrative de Star wars est donc de proposer un monde à la fois immense (une galaxie!) et clos à plus d'un titre. Les limites de l'univers sont scientifiquement infinie et les technologies développées dans Star wars devraient permettre de quitter aisément cet empire intergalactique. Pourtant, il n'en est rien. Il est donc à ce titre clos puisqu'il n'y est jamais fait mention d'une émigration, de travail ou de fuite d'un régime dictatorial et liberticide.
Cet espace clos interdit toute concurrence externe, scientifique, technologique ou commerciale, maintenant la galaxie dans une situation figée, celle d'un conte, d'une fable ou d'un récit homérique dont les héros évoluent dans un cadre immuable et dans lequel les aspects économiques ne sont montrés que de manière triviale, marginale et ne sont évoqués que lorsqu'ils permettent de justifier une intervention militaire, une lâcheté individuelle ou une manifestation d'impérialisme.
Ce que montre en fait Star wars au fil des épisodes, c'est le rôle prééminent dans un récit, des idéologies qui s'affrontent, faisant de l'économie un élément secondaire, au service des acteurs défendant leur modèle de société. On imagine combien l'Empire a mis sous tutelle la production industrielle de la galaxie pour servir son dessein hégémonique. En arrive à envisager que la vision économique de la République version George Lucas est une vision plus libérale, plus concurrentielle, moins dirigiste. Mais dans chacun des camps, cette économie est tellement en arrière plan qu'elle en devient invisible à l'écran dans son fonctionnement et au premier plan dans ses conséquences: objets, énergie, communication...
Il ne reste à l'image que les éléments visibles d'une économie entre les individus, des actes interlopes aux achats plus légaux dans des commerces, éléments qui n'ont pas pour objet d'expliquer l'économie mais qui servent à créer une dramaturgie narrative entre les personnages, héros ou seconds couteaux.
Ce que révèle Star wars dans son succès - tout comme L'Iliade et l'Odyssée le faisaient déjà en leur temps - c'est l'importance des idéologies non économiques mais politiques, reposant sur l'équilibre entre les principes de l'autorité, de la sécurité et de la liberté. L'économie n'apparaît alors qu'au service de la défense de ces principes.
Ceci ne peut s'appliquer évidemment que dans un monde clos. Son ouverture à des espaces périphériques bouleverse ces équilibres, crée de la concurrence, provoque des fuites, notamment de main-d'œuvre, qui plus est le plus souvent qualifiée. Dès lors, l'économie devient Économie et supplante les intérêts idéologiques politiques et les valeurs qui y sont associées. On peut s'en réjouir quand l'Économie vient fissurer un régime autoritaire de notre point de vue occidental. On peut le redouter quand ce sont des valeurs démocratiques qui en font les frais.
À bientôt
Lionel Lacour
Cela fait donc maintenant 7 fois que nous vivons des aventures qui se passent dans une galaxie bien lointaine, et qui s'étalent sur environ un demi siècle. Et sur l'ensemble de ces épisodes, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'environnement idéologique et politique est copieusement décrit et défini. Pourtant, les personnages (et donc, par projection, nous, les spectateurs) évoluent dans un monde économique statique qui se caractérise par des critères immuables et jamais véritablement remis en cause par aucun des protagonistes, et encore moins expliqué.
1. Un monde technologiquement très évolué
Ce qui a fait le succès de la saga Star wars, dès le premier épisode, fut l'aspect "science fiction" avec des vaisseaux interstellaires pouvant voler plus vite que la lumière, faisant la taille de villes géantes, voire de satellites naturels (comme l'étoile noire) et pouvant se protéger des tirs de rayons laser de ceux les attaquant. D'autres véhicules, plus individuels, occupent régulièrement l'écran, avec des performances bien supérieures à celles de ceux d'aujourd'hui, et avec comme caractéristique commune de ne pas être en contact avec le sol, permettant de s'affranchir des obstacles, le tout à très vive allure (cf. course poursuite dans Le retour du Jedi ou le championnat de module dans La menace fantôme).
L'autre attraction fut évidemment la présence de robots ayant diverses fonctions et divers langages. Les plus célèbres sont bien sûr C3PO, le robot de protocole de forme androïde et R2D2, dont les missions sont finalement assez diverses mais permettent de guider les véhicules chasseurs, de réparer les ordinateurs ou de les comprendre, en effectuant si besoin des opérations de maintenance d'urgence.
Ce sont enfin les armes qui dans Star wars montrent un degré de technologie très avancée, abandonnant les projectiles classiques (balles de fusil notamment) par des rayons énergétiques destructeurs.
Ce qui pouvait apparaître au premier épisode comme une vraie avance technologique l'est encore à ce jour, à l'exception de la partie communication. En effet, les progrès des télécommunications sur notre bonne vieille Terre ont rattrapé en grande partie ce qui était présenté alors comme un élément d'une modernité extrême.
2. Un monde qui repose sur la maîtrise des sources énergétiques
Aucun des épisodes ne semble montrer le moindre problème pour l'obtention d'énergie pour mouvoir les véhicules ou construire des bâtiments gigantesques. Or il est manifeste que l'énergie consommée dans cette lointaine galaxie est énorme au regard du nombre de véhicules utilisés, et surtout au regard de leur masse qui dépasse, et de loin, les millions de tonnes!
Cette maîtrise énergétique est également nécessaire pour la construction de ces véhicules, constructions métalliques et immobilières qui sont régulièrement à l'écran. Les villes de la "prélogie" sont à cet égard particulièrement gigantesque et proposent un monde urbain d'une densité et d'une hauteur faramineuse, nécessitant une énergie monumentale tant pour les édifier que pour ensuite leur permettre de fonctionner.
3. Un monde régit par du négoce interstellaire
La trilogie originelle faisait peu état d'une économie de négoce. Il faut attendre que Han Solo se rende sur la planète Bespin pour réparer son vaisseau, le faucon millenium, pour que soit abordé un point essentiel de l'empire. Celui-ci est certes un espace politique, mais également économique. Lando, l'ami de Han Solo, lui explique que Bespin se trouve en dehors de l'espace économique sous influence de l'empire, lui permettant de faire du négoce sans la contrainte impériale, chose qui va de fait évoluer au cours de l'épisode, montrant justement l'aspect impérialiste du régime politique que défend Darth Vader. De fait, on comprend que les échanges économiques sont sous contrôle de l'Empire qui tolère - ou pas - que certains soient affranchis des règles, jusqu'à ce que celles-ci s'imposent à eux, selon un rapport de force évidemment à l'avantage de l'Empire.
Dans La menace fantôme - 1er épisode de la prélogie - c'est une affaire de commerce et de taxes qui est au cœur de l'histoire, la Fédération du commerce refusant notamment de payer des taxes à la planète Naboo et opérant un blocus. Le conflit commercial doit se régler politiquement même si la Fédération a des volontés de conquérir la planète qui lui résiste.
Ce qui devrait finalement étonner, c'est qu'en 7 épisodes, jamais le monde de l'industrie n'ait véritablement été montré si ce n'est par les conséquences de cette production. Pourtant, on peut dire beaucoup de choses sur celle-ci. D'abord qu'il y a une production en série, ce que prouve R2D2 qui est un robot comme d'autres robots qui fréquentent l'univers Star wars. Dans La menace fantôme, on voit en effet d'autres droïdes presque identiques à celui qui semble être unique.
De même que pour les robots, le nombre de véhicules semblables (les chasseurs "X wings"), l'armement des troopers ainsi que leur tenue nécessitent une production de masse, de série, pour équiper de manière identique chaque combattant, qu'il soit dans un premier temps pour la défense de la République ou plus tard des soldats de l'Empire. Et on ne parle pas des quadripodes dans L'empire contre-attaque, eux aussi forcément construits en série!
Enfin, on imagine combien il a fallu de production sidérurgique ou d'autres métaux pour la construction de ces vaisseaux, satellites et autres monuments gigantesques. La taille des usines et des machines ainsi que la quantité de main-d'œuvre, humaine ou robotisée, doit être absolument invraisemblable pour permettre une telle production, sur un temps si court. Ainsi, les étoiles noires sont construites en quelques mois seulement, ce qui laisse envisager une logistique énorme en terme d'extraction des matières premières, de leur transformation, de leur transport et enfin de leur ajustement.
Or ce monde économique est absolument invisible.
5. ... mais une forte représentation de l'économie parallèle
Au contraire, l'économie interlope, de trafics en tous genres, de récupérations et d'occasion est largement représentée dans tous les épisodes, y compris dans le dernier volet sorti en 2015. Dans cet épisode, l'héroïne récupère sur des épaves de vaisseaux interstellaires des pièces mécaniques ou électroniques qu'elle vend ensuite à un récupérateur.
Dans la trilogie originelle, c'est bien du commerce à la marge qui est montré dans les bars louches que fréquente Han Solo. On comprend d'ailleurs qu'il est un vulgaire trafiquant et qu'il l'est resté par la suite, puisque, toujours dans Le réveil de la Force, il est en conflit avec diverses mafias.
Dans La menace fantôme, Anakin est un esclave et il travaille pour une sorte de receleur exploiteur.
Cette économie de récupération et de ventes d'occasion est en fait présente dès La guerre des étoiles, rebaptisée Un nouvel espoir puisque les deux robots-héros, C3PO et R2D2 sont vendus en lot à l'oncle de Luke Skywalker.
C'est enfin un monde de la bricole où chacun essaie de produire ce qu'il ne peut acheter. Anakin construit C3PO ou son propre module de course. Han Solo pilote un vieux vaisseaux qui nécessite des réparations permanentes, et ce dans tous les épisodes dans lequel il est présent!
6. Et un paradoxe de l'absence du progrès technologique...
Enfin, il faut partir d'un constat assez édifiant et mystérieux: les trilogies s'étalant sur environ un demi siècle, on aurait pu envisager un progrès technologique entre La menace fantôme et Le réveil de la Force. Or, mis à part le nouveau robot BB8, il n'y a aucune trace véritable de progrès technologique quotidien. Pour avoir un élément de comparaison, il suffit de prendre notre civilisation réelle sur la période allant du premier épisode de la saga (1977) au dernier (2015) pour réaliser combien notre environnement technologique a été bouleversé, que ce soit en terme des technologies de l'information et de communication (téléphones portables, smartphone, internet, wifi, écran led, numérique...), de transport (moins spectaculaire a priori mais réelle si on regarde les films des années 1970!), d'armement (hélas), dans la construction...
Au contraire, l'univers de Star wars présente un monde de haute technologie (comparer encore à la nôtre) mais une technologie figée. Les véhicules interstellaires ne sont pas plus performants dans Le réveil de la Force que le Faucon Millenium qui a pourtant plusieurs dizaines d'années. Et les armes ne sont pas plus efficaces non plus.
En fait, une vraie et seule innovation apparaît: l'utilisation de l'énergie du soleil pour détruire les planètes. Mais qui a permis cela? Quel(s) scientifique(s) sont à l'origine de cette découverte? Rien n'est jamais dévoilé. C'est comme si la Recherche et le Développement étaient absents, et que les progrès existaient par principe sans que des individus n'en soient la cause.
7. ... combiné à un espace économique clos
Ce qui fait la force narrative de Star wars est donc de proposer un monde à la fois immense (une galaxie!) et clos à plus d'un titre. Les limites de l'univers sont scientifiquement infinie et les technologies développées dans Star wars devraient permettre de quitter aisément cet empire intergalactique. Pourtant, il n'en est rien. Il est donc à ce titre clos puisqu'il n'y est jamais fait mention d'une émigration, de travail ou de fuite d'un régime dictatorial et liberticide.
Cet espace clos interdit toute concurrence externe, scientifique, technologique ou commerciale, maintenant la galaxie dans une situation figée, celle d'un conte, d'une fable ou d'un récit homérique dont les héros évoluent dans un cadre immuable et dans lequel les aspects économiques ne sont montrés que de manière triviale, marginale et ne sont évoqués que lorsqu'ils permettent de justifier une intervention militaire, une lâcheté individuelle ou une manifestation d'impérialisme.
Ce que montre en fait Star wars au fil des épisodes, c'est le rôle prééminent dans un récit, des idéologies qui s'affrontent, faisant de l'économie un élément secondaire, au service des acteurs défendant leur modèle de société. On imagine combien l'Empire a mis sous tutelle la production industrielle de la galaxie pour servir son dessein hégémonique. En arrive à envisager que la vision économique de la République version George Lucas est une vision plus libérale, plus concurrentielle, moins dirigiste. Mais dans chacun des camps, cette économie est tellement en arrière plan qu'elle en devient invisible à l'écran dans son fonctionnement et au premier plan dans ses conséquences: objets, énergie, communication...
Il ne reste à l'image que les éléments visibles d'une économie entre les individus, des actes interlopes aux achats plus légaux dans des commerces, éléments qui n'ont pas pour objet d'expliquer l'économie mais qui servent à créer une dramaturgie narrative entre les personnages, héros ou seconds couteaux.
Ce que révèle Star wars dans son succès - tout comme L'Iliade et l'Odyssée le faisaient déjà en leur temps - c'est l'importance des idéologies non économiques mais politiques, reposant sur l'équilibre entre les principes de l'autorité, de la sécurité et de la liberté. L'économie n'apparaît alors qu'au service de la défense de ces principes.
Ceci ne peut s'appliquer évidemment que dans un monde clos. Son ouverture à des espaces périphériques bouleverse ces équilibres, crée de la concurrence, provoque des fuites, notamment de main-d'œuvre, qui plus est le plus souvent qualifiée. Dès lors, l'économie devient Économie et supplante les intérêts idéologiques politiques et les valeurs qui y sont associées. On peut s'en réjouir quand l'Économie vient fissurer un régime autoritaire de notre point de vue occidental. On peut le redouter quand ce sont des valeurs démocratiques qui en font les frais.
À bientôt
Lionel Lacour
lundi 22 février 2016
Comment le cinéma raconte-t-il le monde du travail?
Bonjour à tous,
en 2013, les Semaines Sociales de France m'avaient demandé d'y participer en proposant une conférence à Lyon et diffusée dans d'autres sites.
À partir de nombreux exemples de films, à commencer par La sortie d'usine, premier film de l'Histoire du cinéma, cette conférence aborde différents thèmes, que ce soit la présentation des activités économiques ou encore les revendications sociales et les mutations actuelles face à l'ultra-financiarisation de l'économie mondiale.
Cette conférence a été filmée et je vous la propose dans son intégralité ici, sur le site des Semaines Sociales de France:
http://www.dailymotion.com/video/x17qimd_le-travail-dans-le-cinema-une-longue-histoire_news
À très bientôt
Lionel Lacour
en 2013, les Semaines Sociales de France m'avaient demandé d'y participer en proposant une conférence à Lyon et diffusée dans d'autres sites.
À partir de nombreux exemples de films, à commencer par La sortie d'usine, premier film de l'Histoire du cinéma, cette conférence aborde différents thèmes, que ce soit la présentation des activités économiques ou encore les revendications sociales et les mutations actuelles face à l'ultra-financiarisation de l'économie mondiale.
Cette conférence a été filmée et je vous la propose dans son intégralité ici, sur le site des Semaines Sociales de France:
http://www.dailymotion.com/video/x17qimd_le-travail-dans-le-cinema-une-longue-histoire_news
À très bientôt
Lionel Lacour
mardi 16 février 2016
La question noire dans le cinéma américain
Bonjour à tous,
Mardi 9 février, j'ai donné une conférence à la cinémathèque de Saint-Etienne dirigée par Philippe Léonard, en présence de Clayton Stanger, Consul des USA et de Victor Vitelli, directeur de communication du consulat. En voici une synthèse.
Mardi 9 février, j'ai donné une conférence à la cinémathèque de Saint-Etienne dirigée par Philippe Léonard, en présence de Clayton Stanger, Consul des USA et de Victor Vitelli, directeur de communication du consulat. En voici une synthèse.
Introduction : Un Noir est-il un Américain comme un autre ?
La conférence porte à partir du cinéma parlant et donc ne prendra pas en compte les films d'avant 1927. Naissance d’une Nation de Griffith, film particulièrement raciste faisant quasiment l'apologie de mouvement comme le Ku Klux Klan est donc en dehors du champ d'analyse. De même, la filmographie étant immense, une sélection restreinte de films était proposée pour correspondre aux différents thèmes abordés.
En 1927, le film d'Alan Croland Le chanteur de jazz évoquait magnifiquement la place des noirs dans la société américaine. En effet, le personnage principal, un juif américain, se retrouve dans la situation de chanter du jazz dans une comédie musicale de Broadway en adoptant la Black face, maquillage caricaturant ce à quoi étaient censés ressembler les Noirs. Cela témoigne en fait de l'interdiction faite aux artistes noirs de jouer dans certains théâtres leur étant interdits. Si un Blanc se maquille en noir, ce n'était que parce que la société américaine était raciste et ségrégationniste, avec ce paradoxe que la société blanche appréciait cette musique noire: le jazz.
Ainsi, le cinéma américain a longtemps été à l’image de sa société : un monde ségrégationniste qui reproduisait les inégalités entre Blancs et Noirs, mettant en avant la culture noire, le Jazz notamment, et acceptant de montrer parfois des relations entre Blancs et Noirs mais régulièrement sous un angle paternaliste, faisant des Noirs des éternels mineurs. Cette représentation cinématographique allait évoluer progressivement à mesure des mutations de la société et des revendications de la communauté noire du pays.
La conférence porte à partir du cinéma parlant et donc ne prendra pas en compte les films d'avant 1927. Naissance d’une Nation de Griffith, film particulièrement raciste faisant quasiment l'apologie de mouvement comme le Ku Klux Klan est donc en dehors du champ d'analyse. De même, la filmographie étant immense, une sélection restreinte de films était proposée pour correspondre aux différents thèmes abordés.
En 1927, le film d'Alan Croland Le chanteur de jazz évoquait magnifiquement la place des noirs dans la société américaine. En effet, le personnage principal, un juif américain, se retrouve dans la situation de chanter du jazz dans une comédie musicale de Broadway en adoptant la Black face, maquillage caricaturant ce à quoi étaient censés ressembler les Noirs. Cela témoigne en fait de l'interdiction faite aux artistes noirs de jouer dans certains théâtres leur étant interdits. Si un Blanc se maquille en noir, ce n'était que parce que la société américaine était raciste et ségrégationniste, avec ce paradoxe que la société blanche appréciait cette musique noire: le jazz.
Ainsi, le cinéma américain a longtemps été à l’image de sa société : un monde ségrégationniste qui reproduisait les inégalités entre Blancs et Noirs, mettant en avant la culture noire, le Jazz notamment, et acceptant de montrer parfois des relations entre Blancs et Noirs mais régulièrement sous un angle paternaliste, faisant des Noirs des éternels mineurs. Cette représentation cinématographique allait évoluer progressivement à mesure des mutations de la société et des revendications de la communauté noire du pays.
Scarlett obéit à Mammy! |
Longtemps, les rôles accordés aux noirs ont été ceux des esclaves, serviteurs, musiciens. En bref, ils étaient au service ou amusaient les Blancs et étaient cantonnés à des fonctions inférieures.
Autant en emporte le vent, adaptation du livre éponyme de Margareth Mitchell par Victor Fleming (entre autres) en 1939, montrait particulièrement cette situation, renvoyant les Noirs à n'être que des esclaves. Et si Mammy, interprétée par Hattie McDaniel, première comédienne noire à obtenir un oscar (meilleur second rôle féminin pour sa performance dans ce film), semble donner des ordres à Scarlett (Vivien Leigh), il n'en demeure pas moins que cela apparaît comme une transgression de ce à quoi l'assignait sa fonction. Et elle pouvait se le permettre parce que sa maîtresse l'acceptait. D'une certaine manière, le film minimisait la réalité de l'esclavage au Sud. Dans la réalité, la relation, même affective entre les deux personnages ne pouvait effacer la différence de statut juridique entre eux: la Blanche était libre et la Noire ne l'était pas, faisant de fait de cette dernière un humain de catégorie inférieure.
C'est cette même Vivien Leigh qui se retrouve en 1951 dans l'adaptation de la pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé désir, dont l’action se passe en Nouvelle Orléans, ville très marquée par la ségrégation aux USA mais aussi une des capitales du jazz avec notamment Louis Armstrong.
Les musiciens sont noirs et amusent les Blancs. Mais jamais ils ne se côtoient, jamais ils échangent. Les musiciens ne sont qu'un décor pour cette histoire qui ne concerne que les Blancs.
C'est encore plus étonnant quand, la même année 1951, le réalisateur Stuart Heisler tourne pour la Warner, studio orienté Démocrate, Storm warning avec Ronald Reagan dans un de ses rares premiers rôles. Ce film vient dénoncer les agissements d'une structure semblable au Ku Klux Klan pourtant officiellement interdit en 1877. Reagan y interprète un policier faisant respecter la loi et ridiculisant le cérémonial grotesque de adhérents à cette congrégation raciste. Dans la séquence finale, il assiste à une réunion sacrificielle. Le policier intervient et salue une enfant présente avec ses parents, symbole d'une éducation raciste auprès des plus jeunes. Aussi progessiste que soit le film, l'absence de noirs à l'écran saute aux yeux. Le problème évoqué est un problème avant tout de Blancs, à régler par les Blancs. Les Noirs n'ont pas leur place à l'écran pour revendiquer leurs droits.
Quand Hollywood s’empare de la cause noire
Les cinéastes et les producteurs n’ont cependant pas oublié les artistes noirs. Quand Otto Preminger réalise Carmen Jones en 1954 (il ne sortira en France qu'en 1981 pour d'obscures histoires de droit), il décide de ne recruter que des acteurs noirs. Si ce n'est pas la première fois qu'Hollywood recourt à ce type de casting dans un film. Mais Hallelujah ! de King Vidor en 1929 ou Stormy weather de Andrew L. Stone en 1943 maintenait la représentation des Noirs dans un environnement musical qui les renvoyait à leur culture, celle du jazz et de la comédie musicale. En adaptant l'opéra le plus célèbre du monde, Carmen, et en le faisant interpréter uniquement par des Noirs , Preminger plongeait les spectateurs dans une réalité différente. Les comédiens Noirs pouvaient ne pas être cantonnés à des rôles les maintenant dans un état habituel d'amuseurs. Entendre Harry Belafonte chanter l'opéra à l'écran (même si le paradoxe est qu'il fut doublé bien que lui-même chanteur) montrait combien un Noir pouvait interpréter d'autres rôles que ceux de serviteur ou de musicien. Soldats américains, boxeurs, ouvrières, managers, le film faisait des noirs des personnages comme n'importe quels autres. Le film correspond de fait à ce débat naissant aux USA sur la revendication des Noirs à être traités avant tout comme des citoyens de pleins droits. En 1955, Rosa Parks allait refuser de céder sa place à un Blanc dans un bus.
Ainsi, le cinéma allait devenir un amplificateur des revendications d'égalité de droits civiques pour les Noirs. Par exemple, en 1960, Le sergent noir de John Ford propose un discours profondément humaniste. En recourant au procès du sergent Rutledge (formidable Woody Strode), le réalisateur donne son point de vue sur la question qui anime la société américaine de cette période. Sa réponse est double. Progressiste en prenant fait et cause pour les revendications noires, faisant dire à son héros accusé de lâcheté qu'il n'est pas comme ces esclaves qui fuient mais qu'il est un homme ("I am a man!"). Ford reprend à ce titre les slogans des militants pour l'obtention des droits civiques guidés notamment par Martin Luther King. Et dans la même séquence, Sergent Rutledge rappelle que l'armée américaine est l'institution qui lui a permis de retrouver sa dignité et du respect. Pour Ford, les institutions, y compris la plus conservatrice comme l'armée, sont des vecteurs d'intégration dans la communauté civique. Ce qui est condamnable, c'est l'attitude de ceux qui, par racisme, s'opposent à l'égalité entre les Blancs et les Noirs.
Dans un autre genre, c'est bien dans ce même contexte que Robert Mulligan adapte To kill a mocking bird ("Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur") en 1962 traduit mystérieusement en français par Du silence et des ombres. Véritable chef-d'œuvre, avec comme acteur principal un Gregory Peck au sommet de son art dans le rôle d'Atticus Finch, l'histoire est centrée dans le sud des USA pendant la grande dépression des années 1930. Un Noir est accusé d'avoir violé une femme blanche. Et c'est un avocat blanc, Finch, qui accepte de défendre l'accusé. La sensibilité du film passe autant par le courage de l'avocat qui ose de fait affronter sa propre communauté que par l'innocence de ses enfants qui ne manifeste aucune forme de racisme, sont élevés par une gouvernante noire, et rejoignent pendant le procès la communauté noire, reléguée en haut de la salle d'audience, ségrégation oblige. Le procès aboutit à une séquence forte pendant laquelle ces spectateurs noirs se lèvent au passage de cet avocat blanc pour le remercier de ses efforts pour que la justice triomphe.
Ces années 1960 sont donc marquées par des films qui accompagnent les marches des associations noires pour les droits civiques. Comme par exemple le film de Stanley Kramer réalisé en 1967 et réunissant Spencer Tracy, Katharine Hepburn et Sidney Poitier, Devine qui vient dîner est devenu un des films références traitant de cette nécessité de tolérance entre les deux communautés. L'intrigue tourne autour d'un mariage entre une jeune femme blanche, fille des personnages de Tracy et Hepburn, et un jeune homme noir, inteprété par Sidney Poitier. Cet homme ne correspond pas au cliché des Noirs montrés au cinéma. Il est brillant, éduqué à l'occidentale et ressemble en tout point au gendre idéal. Mais il est noir. Et si le père de sa fiancée est en théorie très libéral, il doit s'avouer qu'il a du mal à accepter ce qu'il préconise pour les autres! Quant au parent du futur époux, ils sont tout aussi réticent au mariage, faisant preuve d'un communautarisme tout aussi diviseur. Le film est une ode à la liberté et au renoncement aux préjugés. Mais il est aussi, comme tous les films évoqués jusqu'alors, un point de vue de Blancs sur les noirs.
Et certains Noirs vont réclamer, comme le réclamaient Malcom X ou les Black Panthers après, des droits sans attendre qu'ils leurs soient concédés par le pouvoir blanc ou qu'ils soient défendus par les Blancs progressistes.
Les cinéastes et les producteurs n’ont cependant pas oublié les artistes noirs. Quand Otto Preminger réalise Carmen Jones en 1954 (il ne sortira en France qu'en 1981 pour d'obscures histoires de droit), il décide de ne recruter que des acteurs noirs. Si ce n'est pas la première fois qu'Hollywood recourt à ce type de casting dans un film. Mais Hallelujah ! de King Vidor en 1929 ou Stormy weather de Andrew L. Stone en 1943 maintenait la représentation des Noirs dans un environnement musical qui les renvoyait à leur culture, celle du jazz et de la comédie musicale. En adaptant l'opéra le plus célèbre du monde, Carmen, et en le faisant interpréter uniquement par des Noirs , Preminger plongeait les spectateurs dans une réalité différente. Les comédiens Noirs pouvaient ne pas être cantonnés à des rôles les maintenant dans un état habituel d'amuseurs. Entendre Harry Belafonte chanter l'opéra à l'écran (même si le paradoxe est qu'il fut doublé bien que lui-même chanteur) montrait combien un Noir pouvait interpréter d'autres rôles que ceux de serviteur ou de musicien. Soldats américains, boxeurs, ouvrières, managers, le film faisait des noirs des personnages comme n'importe quels autres. Le film correspond de fait à ce débat naissant aux USA sur la revendication des Noirs à être traités avant tout comme des citoyens de pleins droits. En 1955, Rosa Parks allait refuser de céder sa place à un Blanc dans un bus.
Ainsi, le cinéma allait devenir un amplificateur des revendications d'égalité de droits civiques pour les Noirs. Par exemple, en 1960, Le sergent noir de John Ford propose un discours profondément humaniste. En recourant au procès du sergent Rutledge (formidable Woody Strode), le réalisateur donne son point de vue sur la question qui anime la société américaine de cette période. Sa réponse est double. Progressiste en prenant fait et cause pour les revendications noires, faisant dire à son héros accusé de lâcheté qu'il n'est pas comme ces esclaves qui fuient mais qu'il est un homme ("I am a man!"). Ford reprend à ce titre les slogans des militants pour l'obtention des droits civiques guidés notamment par Martin Luther King. Et dans la même séquence, Sergent Rutledge rappelle que l'armée américaine est l'institution qui lui a permis de retrouver sa dignité et du respect. Pour Ford, les institutions, y compris la plus conservatrice comme l'armée, sont des vecteurs d'intégration dans la communauté civique. Ce qui est condamnable, c'est l'attitude de ceux qui, par racisme, s'opposent à l'égalité entre les Blancs et les Noirs.
Dans un autre genre, c'est bien dans ce même contexte que Robert Mulligan adapte To kill a mocking bird ("Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur") en 1962 traduit mystérieusement en français par Du silence et des ombres. Véritable chef-d'œuvre, avec comme acteur principal un Gregory Peck au sommet de son art dans le rôle d'Atticus Finch, l'histoire est centrée dans le sud des USA pendant la grande dépression des années 1930. Un Noir est accusé d'avoir violé une femme blanche. Et c'est un avocat blanc, Finch, qui accepte de défendre l'accusé. La sensibilité du film passe autant par le courage de l'avocat qui ose de fait affronter sa propre communauté que par l'innocence de ses enfants qui ne manifeste aucune forme de racisme, sont élevés par une gouvernante noire, et rejoignent pendant le procès la communauté noire, reléguée en haut de la salle d'audience, ségrégation oblige. Le procès aboutit à une séquence forte pendant laquelle ces spectateurs noirs se lèvent au passage de cet avocat blanc pour le remercier de ses efforts pour que la justice triomphe.
Ces années 1960 sont donc marquées par des films qui accompagnent les marches des associations noires pour les droits civiques. Comme par exemple le film de Stanley Kramer réalisé en 1967 et réunissant Spencer Tracy, Katharine Hepburn et Sidney Poitier, Devine qui vient dîner est devenu un des films références traitant de cette nécessité de tolérance entre les deux communautés. L'intrigue tourne autour d'un mariage entre une jeune femme blanche, fille des personnages de Tracy et Hepburn, et un jeune homme noir, inteprété par Sidney Poitier. Cet homme ne correspond pas au cliché des Noirs montrés au cinéma. Il est brillant, éduqué à l'occidentale et ressemble en tout point au gendre idéal. Mais il est noir. Et si le père de sa fiancée est en théorie très libéral, il doit s'avouer qu'il a du mal à accepter ce qu'il préconise pour les autres! Quant au parent du futur époux, ils sont tout aussi réticent au mariage, faisant preuve d'un communautarisme tout aussi diviseur. Le film est une ode à la liberté et au renoncement aux préjugés. Mais il est aussi, comme tous les films évoqués jusqu'alors, un point de vue de Blancs sur les noirs.
Et certains Noirs vont réclamer, comme le réclamaient Malcom X ou les Black Panthers après, des droits sans attendre qu'ils leurs soient concédés par le pouvoir blanc ou qu'ils soient défendus par les Blancs progressistes.
Du « Black power » à la “Blaxploitation”
C'est ainsi que les revendications plus radicales pour l'obtention des droits civiques des Noirs qui se sont manifestées dans tous les domaines par les Noirs eux-mêmes vont aussi trouver leur expression au cinéma. En 1971, Melvin Van Peebles, cinéaste noir, réalisait ce film manifeste, Sweet Sweetback’s Badasssss song, créditant au générique la communauté noire tout entière et rappelant que le combat de cette communauté était celui contre les Blancs. D'une première séquence introductive présentant la condition sociale des Noirs - pauvreté, prostitution, trafics divers - le réalisateur développe son récit sur un fond de musique afro-américaine rythmée et violente, loin des standards aseptisés dont les Blancs raffolent. L'esthétique de l'image est également radicale, jouant sur les couleurs vives, le rouge et l'orange, avec des surexpositions créant un inconfort revendiqué, symbole de la condition des Noirs. En une séquence, le réalisateur témoigne du double discours des autorités policières, laissant penser aux médias leur respect des citoyens noirs quand dans le même temps, le chef de la police donne l'ordre de passer à tabac un suspect... parce qu'il est noir. La prise à partie violente de ces policiers prend soudain une légitimité pour les spectateurs. Révolte, incendie, destruction, sur fond de riff de guitare électrique et de saxophone, avec saturation du rouge et de l'orange sont autant d'appels à la réclamation sans attendre de ces droits dont les Blancs ne cessent de parler depuis tant de temps mais qui reculent face au racisme encore influent d'une grande partie de la population et des institutions.
C'est cette même logique que, curieusement, le cinéaste Jack Lee Thompson réalise en 1972 La conquête de la Planète des singes. Ce 4ème opus de l'adaptation du livre de Pierre Boulle est certainement un des plus critiques de la société américaine. En mettant en scène des primates suffisamment intelligents pour travailler mais maintenus dans leur statut d'êtres sous-intelligents ne pouvant bénéficier d'aucun droit, le réalisateur ose faire une assimilation entre condition de ces grands singes de science fiction et celle des Noirs aux USA. Il faut dire que les éléments d'identification sont évidents. Dans une très longue séquence, Thompson filme la révolte des gorilles et chimpanzés domestiqués à grand renfort de destruction et de flammes, ressemblant à s'y méprendre aux grandes révoltes urbaines que connurent les USA, comme celle de Watts en 1965, dans la banlieue de Los Angeles. Le leader, un singe venu du futur, s'exprime parfaitement et reprend les principes presque mots pour mots du leader Malcom X. Il en appelle à la révolte de tous les singes comme le leader Noir en appelait à l'unité de tous les Noirs pour combattre leur situation d'éternels esclaves. C'est d'ailleurs un Noir qui lui demande de retrouver de la mesure et de mettre fin à cette révolte, lui rappelant que lui aussi est descendant d'esclaves. Au pacifisme de ce personnage, reprenant de fait les arguments de Martin Luther King, César répond par l'intransigeance et la réclamation d'une future "Planète des singes". Le film est d'autant plus brutal qu'il renverse les insultes des plus racistes, ne considérant pas les Noirs comme des Hommes et les caricaturant en singes. César ne manque d'ailleurs pas de signifier à ses compagnons qu'ils ne sont pas "humains" mais de se comporter comme tel...
Ces films comme d'autres ont cependant révélé que l'on pouvait en faire à destination des spectateurs noirs et qu'il y avait un public suffisamment important pour produire des œuvres permettant d'être rentabilisées. Ainsi donc, les studios d'Hollywood ont accompagné ce mouvement en proposant des films dont le héros était un Noir et pour lequel les citoyens noirs pouvaient entrer en empathie.En 1971, Shaft (connu en France sous le titre "Nuits rouges à Harlem") fut donc produit par la MGM. Gordon Parks, réalisateur noir accompagnait son film d'une bande son qui allait devenir mythique du compositeur noir Isaac Haye. Richard Roundtree interprétait quant à lui le rôle titre. Mais qui est Shaft? Le suspense sur sa fonction dure plusieurs minutes sur un générique qui voit se promener ce personnage dans les rues de New-York. La couleur rouge se détache sur fond de musique soul, classique des représentations des Noirs au cinéma. Shaft traverse sans respecter les feux, insulte les automobilistes, porte un manteau de cuir comme pourraient le porter quelques caïds noirs. Soudain, il rencontre avec un vendeur noir à la sauvette qui l'interpelle "frère" et lui présente des montres manifestement volées. Au gros plan sur ces montres dorées et clinquantes, la caméra s'arrête sur la plaque de police de Shaft, elle aussi dorée. Gordon Parks joue ainsi avec les préjugés sur la représentation des noirs au cinéma, montrant que s'il fait bien partie de cette communauté, il n'en est pas moins un représentant de forces de l'ordre du pays. Shaft fait partie de ces films qui marquent un tournant dans la production cinématographique et il s'inscrit dans un genre désormais appelé "Blaxploitation", fait de films dont les héros sont des Noirs et ayant comme public cible surtout des Noirs.
Si la qualité de cette Blaxploitation est inégale, elle a l'avantage de mettre en avant de plus en plus d'artistes noirs au cinéma, y compris les musiciens. En 1980, John Landis réalise alors Les Blues Brothers, renversant l'ordre habituel pour du cinéma de Blanc, puisque ses héros, des frères blancs, sont présentés comme complètement possédés par cette musique noire qui les transcende. Ce sont eux qui viennent presque se soumettre au talent des plus grands artistes de la musique noire, de Ray Charles à Aretha Franklin en passant par Cab Calloway. Jazz, soul, Rythm'n blues, tous les styles y passent.
C'est parce que cette musique est devenue un élément du patrimoine culturel américain autant qu'une culture afro-américaine que le film sera un succès. Si bien que la recette de la Blaxploitation va être reprise ensuite - un héros noir - mais en visant un public de toutes couleurs. Le flic de Berverly Hills en est une illustration parfaite. Martin Brest le réalise en 1984 et il confirme le statut de star d'Eddie Murphy. Celui-ci s'était déjà illustré dans Un fauteuil pour deux de John Landis en 1982, mais il partageait la vedette avec Dan Ayckroyd. En 1984, son personnage de flic, Axel Fowley, est une synthèse entre Shaft et tous les flics hollywoodiens, mêlant bagout, humour et efficacité policière. Le succès fut considérable!
C'est parce que cette musique est devenue un élément du patrimoine culturel américain autant qu'une culture afro-américaine que le film sera un succès. Si bien que la recette de la Blaxploitation va être reprise ensuite - un héros noir - mais en visant un public de toutes couleurs. Le flic de Berverly Hills en est une illustration parfaite. Martin Brest le réalise en 1984 et il confirme le statut de star d'Eddie Murphy. Celui-ci s'était déjà illustré dans Un fauteuil pour deux de John Landis en 1982, mais il partageait la vedette avec Dan Ayckroyd. En 1984, son personnage de flic, Axel Fowley, est une synthèse entre Shaft et tous les flics hollywoodiens, mêlant bagout, humour et efficacité policière. Le succès fut considérable!
Banalisation des Noirs à Hollywood
Le succès considérable des films avec des comédiens noirs auprès d'un public non noir a alors ouvert la porte aux récits dont les personnages ne seraient que des Noirs. Quand Spielberg adapte en 1985 le livre d'Alice Walker publié en 1982, La couleur pourpre, il sait que le sujet est désormais accepté en tant que tel par les Américains, sauf par les irréductibles racistes et ségrégationnistes. Si le récit met en scène des Noirs, la dramaturgie ne renvoie pas spécifiquement à cette communauté et aurait pu être transposée avec quelques modifications dans la communauté blanche. Bien sûr, il y a de l'émotion à l'écran, bien sûr le destin des héroïnes est unique. Mais l'œuvre a des accents de tragédies classiques et le fait que les héros soient noirs ne vient en rien affaiblir ou accentuer ces parcours individuels et collectifs. Spielberg met en scène ces histoires familiales comme Ford aurait pu diriger ses histoires sociales, sans approche raciale mais en insistant sur la dimension humaine.
Il met à son casting des comédiens noirs qui allaient devenir par la suite parmi les plus connus : Danny Glover, Oprah Winfrey et bien sûr Whoopi Goldberg.
C’est donc cette banalité de la présence des noirs au cinéma qui permet désormais de les montrer dans les films en communiquant sur leur présence à l’écran, parfois en étant même les artistes sur lesquels le film pouvaient se monter, sachant que leur popularité dépasse leur seule communauté. On peut même rire des lieux communs pouvant accompagner la culture noire comme dans Ghost en 1990, réalisé par Jerry Zucker, dans lequel Whoopi Goldberg joue le rôle d’une voyante comme pouvaient l’être dans d'autres films certaines femmes pratiquant le vaudou ! Utilisation d'un cliché pour mieux s'en moquer et construire un récit romantique et fantastique dans lequel le personnage de la voyante serait un personnage clé de l'histoire, voilà ce qui n'aurait pas pu être réalisé avant. Pas avant ces années de prise de conscience de la question noire à Hollywood car il aurait été incongru qu'un couple de Blancs puisse se retrouver par l'intercession d'une Noire. Pas à l'époque de Devine qui vient dîner, où la peur de cantonner une Noire au statut caricatural de voyante aurait renvoyé à une certaine forme de racisme.
Or désormais, l'essentiel de la production américaine utilise des comédiens et comédiennes noirs sans aucune retenue. Tarantino par exemple a dans sa bande des comédiens noirs qui lui sont fidèles comme par exemple Samuel L. Jackson, que l'on retrouve d'une manière ou d'une autre dans presque tous ses films, et notamment Jackie Brown en 1997. Véritable hommage aux films de la Blaxploitation, Tarantino engage l'actrice Pam Grier pour jouer le rôle titre plus de 20 ans après avoir incarner Foxy Brown au cinéma, film classique du genre. Cinéphile absolu, amoureux des films de genre, Tarantino permettait avec Jackie Brown de toucher un public acquis à sa cinéphilie et lui proposait de redécouvrir un cinéma autrefois destiné surtout aux communautés noires. Or désormais, les Américains peuvent revoir ces films sans pour autant devoir être noirs tout en y prenant du plaisir, peut-être kitsch mais un plaisir réel.
Cette non différenciation entre Noirs et Blancs s'observent encore dans des films pour lesquels la couleur de peau entre finalement peu dans la dramaturgie. Dans Million Dollar Baby, Clint Eastwood retrouve en 2004 Morgan Freeman avec qui il avait tourné Impitoyable. Eastwood joue également dans son film le rôle d'un coach de boxe, entraînant essentiellement des Noirs. Ce lieu commun est pourtant balayé par la venue d'une jeune femme blanche voulant s'entraîner elle aussi. Ses motivations sont sportives mais aussi sociales. Car c'est de cela qu'il s'agit dans le film. Et quand un jeune blanc simple d'esprit se fait rouer de coups par un boxeur noir qui se moque de lui, c'est l'adjoint du coach, Morgan Freeman, noir, qui vient l'aider, prend sa défense et corrige ce Noir prétentieux et mauvais. On est loin du propos du film de Melvin Van Peebles. Ici, un Noir défend un Blanc contre un arrogant boxeur noir. Cette séquence montre l’absence totale de réponse communautariste : Morgan Freeman défend une victime blanche plutôt que de laisser un noir le battre à mort.
Le succès considérable des films avec des comédiens noirs auprès d'un public non noir a alors ouvert la porte aux récits dont les personnages ne seraient que des Noirs. Quand Spielberg adapte en 1985 le livre d'Alice Walker publié en 1982, La couleur pourpre, il sait que le sujet est désormais accepté en tant que tel par les Américains, sauf par les irréductibles racistes et ségrégationnistes. Si le récit met en scène des Noirs, la dramaturgie ne renvoie pas spécifiquement à cette communauté et aurait pu être transposée avec quelques modifications dans la communauté blanche. Bien sûr, il y a de l'émotion à l'écran, bien sûr le destin des héroïnes est unique. Mais l'œuvre a des accents de tragédies classiques et le fait que les héros soient noirs ne vient en rien affaiblir ou accentuer ces parcours individuels et collectifs. Spielberg met en scène ces histoires familiales comme Ford aurait pu diriger ses histoires sociales, sans approche raciale mais en insistant sur la dimension humaine.
Il met à son casting des comédiens noirs qui allaient devenir par la suite parmi les plus connus : Danny Glover, Oprah Winfrey et bien sûr Whoopi Goldberg.
C’est donc cette banalité de la présence des noirs au cinéma qui permet désormais de les montrer dans les films en communiquant sur leur présence à l’écran, parfois en étant même les artistes sur lesquels le film pouvaient se monter, sachant que leur popularité dépasse leur seule communauté. On peut même rire des lieux communs pouvant accompagner la culture noire comme dans Ghost en 1990, réalisé par Jerry Zucker, dans lequel Whoopi Goldberg joue le rôle d’une voyante comme pouvaient l’être dans d'autres films certaines femmes pratiquant le vaudou ! Utilisation d'un cliché pour mieux s'en moquer et construire un récit romantique et fantastique dans lequel le personnage de la voyante serait un personnage clé de l'histoire, voilà ce qui n'aurait pas pu être réalisé avant. Pas avant ces années de prise de conscience de la question noire à Hollywood car il aurait été incongru qu'un couple de Blancs puisse se retrouver par l'intercession d'une Noire. Pas à l'époque de Devine qui vient dîner, où la peur de cantonner une Noire au statut caricatural de voyante aurait renvoyé à une certaine forme de racisme.
Or désormais, l'essentiel de la production américaine utilise des comédiens et comédiennes noirs sans aucune retenue. Tarantino par exemple a dans sa bande des comédiens noirs qui lui sont fidèles comme par exemple Samuel L. Jackson, que l'on retrouve d'une manière ou d'une autre dans presque tous ses films, et notamment Jackie Brown en 1997. Véritable hommage aux films de la Blaxploitation, Tarantino engage l'actrice Pam Grier pour jouer le rôle titre plus de 20 ans après avoir incarner Foxy Brown au cinéma, film classique du genre. Cinéphile absolu, amoureux des films de genre, Tarantino permettait avec Jackie Brown de toucher un public acquis à sa cinéphilie et lui proposait de redécouvrir un cinéma autrefois destiné surtout aux communautés noires. Or désormais, les Américains peuvent revoir ces films sans pour autant devoir être noirs tout en y prenant du plaisir, peut-être kitsch mais un plaisir réel.
Cette non différenciation entre Noirs et Blancs s'observent encore dans des films pour lesquels la couleur de peau entre finalement peu dans la dramaturgie. Dans Million Dollar Baby, Clint Eastwood retrouve en 2004 Morgan Freeman avec qui il avait tourné Impitoyable. Eastwood joue également dans son film le rôle d'un coach de boxe, entraînant essentiellement des Noirs. Ce lieu commun est pourtant balayé par la venue d'une jeune femme blanche voulant s'entraîner elle aussi. Ses motivations sont sportives mais aussi sociales. Car c'est de cela qu'il s'agit dans le film. Et quand un jeune blanc simple d'esprit se fait rouer de coups par un boxeur noir qui se moque de lui, c'est l'adjoint du coach, Morgan Freeman, noir, qui vient l'aider, prend sa défense et corrige ce Noir prétentieux et mauvais. On est loin du propos du film de Melvin Van Peebles. Ici, un Noir défend un Blanc contre un arrogant boxeur noir. Cette séquence montre l’absence totale de réponse communautariste : Morgan Freeman défend une victime blanche plutôt que de laisser un noir le battre à mort.
Noirs et Américains !
La banalisation de la représentation des noirs au cinéma a abouti au fait que les Noirs sont désormais montrés comme des Américains avant d’être des Noirs. Mais ceci a aussi parfois été une stratégie de propagande idéologique.
John Wayne, anticommuniste avéré, justifia la présence des USA au Vietnam dans Les bérets verts réalisé en 1968. Dès le début du film, le ton est donné. Un sergent noir rappelle aux journalistes et aux citoyens, dans une conférence de presse, les valeurs démocratique des USA pour convaincre de l’intervention américaine. manière de dire que tous les habitants étaient unis derrière le pays, quelle que pouvait être leur couleur de peau. Or on est en plein mouvement « Black Panthers » qui se traduisit la même année par cet épisode fameux des poings levés et gantés de noir des sprinters sur 400 mètres, Tommy Smith et John Carlos, noirs américains sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico pour dénoncer le racisme et l'inégalité des droits entre Blancs et Noirs américains! Mais pour John Wayne, la question ne se pose pas. Et un soldat, noir ou blanc, est d'abord un américain qui défend et véhicule les principes des fondateurs du pays, oubliant à quel point ces principes étaient bafoués.
En 1976, c'est un italo-américain qui allait devenir un symbole de l'Amérique et de son rêve, celui où tout est possible. En réalisant Rocky, John G. Avildsen traduit le scénario de Sylvester Stallone, incarnant lui-même Rocky. Le film aboutit à la même idée que celui de John Wayne mais avec un angle différent. C’est Apollo Creed, le boxeur américain noir et champion du monde qui cite un haut fait de la guerre d’indépendance américaine, s’identifiant ainsi pleinement à un Américain. Sa référence n'est pas celle de la guerre de sécession qui aboutit à la fin officielle de l'esclavage sur le sol américain mais bien à un épisode constitutif de l'existence des USA et de la mise en place de sa constitution contre un État colonisateur et oppresseur. La signification est immense car elle implique qu'un Noir américain s'intègre totalement dans l'Histoire de son pays, y compris avant que ses aïeux n'aient pu eux-mêmes être Américains. Il est de ce point de vue même plus américain que Rocky, d’origine immigré italien et donc plus récemment américain.
Plus récemment, dans Couvre-feu d'Edward Zwick en 1998, c’est un fédéral Noir, incarné par Denzel Washington (dont le nom est en soi un hymne aux origines des USA !) qui rappelle les lois fondamentales qui protègent les citoyens du pays contre les agissements d’un général blanc interprété par Bruce Willis. Le fait qu'un réalisateur utilise un Noir comme modèle de défenseur de la démocratie américaine et des principes sur lesquels elle repose, dans un film à gros budget et ayant une cible large, prouve combien la population américaine a accepté que des Noirs puissent accéder à des fonctions de commandement et de décision, amenant à faire arrêter un général, fut-il blanc.
La banalisation de la représentation des noirs au cinéma a abouti au fait que les Noirs sont désormais montrés comme des Américains avant d’être des Noirs. Mais ceci a aussi parfois été une stratégie de propagande idéologique.
John Wayne, anticommuniste avéré, justifia la présence des USA au Vietnam dans Les bérets verts réalisé en 1968. Dès le début du film, le ton est donné. Un sergent noir rappelle aux journalistes et aux citoyens, dans une conférence de presse, les valeurs démocratique des USA pour convaincre de l’intervention américaine. manière de dire que tous les habitants étaient unis derrière le pays, quelle que pouvait être leur couleur de peau. Or on est en plein mouvement « Black Panthers » qui se traduisit la même année par cet épisode fameux des poings levés et gantés de noir des sprinters sur 400 mètres, Tommy Smith et John Carlos, noirs américains sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico pour dénoncer le racisme et l'inégalité des droits entre Blancs et Noirs américains! Mais pour John Wayne, la question ne se pose pas. Et un soldat, noir ou blanc, est d'abord un américain qui défend et véhicule les principes des fondateurs du pays, oubliant à quel point ces principes étaient bafoués.
En 1976, c'est un italo-américain qui allait devenir un symbole de l'Amérique et de son rêve, celui où tout est possible. En réalisant Rocky, John G. Avildsen traduit le scénario de Sylvester Stallone, incarnant lui-même Rocky. Le film aboutit à la même idée que celui de John Wayne mais avec un angle différent. C’est Apollo Creed, le boxeur américain noir et champion du monde qui cite un haut fait de la guerre d’indépendance américaine, s’identifiant ainsi pleinement à un Américain. Sa référence n'est pas celle de la guerre de sécession qui aboutit à la fin officielle de l'esclavage sur le sol américain mais bien à un épisode constitutif de l'existence des USA et de la mise en place de sa constitution contre un État colonisateur et oppresseur. La signification est immense car elle implique qu'un Noir américain s'intègre totalement dans l'Histoire de son pays, y compris avant que ses aïeux n'aient pu eux-mêmes être Américains. Il est de ce point de vue même plus américain que Rocky, d’origine immigré italien et donc plus récemment américain.
Plus récemment, dans Couvre-feu d'Edward Zwick en 1998, c’est un fédéral Noir, incarné par Denzel Washington (dont le nom est en soi un hymne aux origines des USA !) qui rappelle les lois fondamentales qui protègent les citoyens du pays contre les agissements d’un général blanc interprété par Bruce Willis. Le fait qu'un réalisateur utilise un Noir comme modèle de défenseur de la démocratie américaine et des principes sur lesquels elle repose, dans un film à gros budget et ayant une cible large, prouve combien la population américaine a accepté que des Noirs puissent accéder à des fonctions de commandement et de décision, amenant à faire arrêter un général, fut-il blanc.
Mais le plus drôle est finalement que les Noirs qui furent les plus critiques des USA et de leur racisme - racisme ordinaire ou plus grave, racisme institutionnel - sont devenus aujourd'hui des personnages participant au mythe même des USA. Quand Michael Mann tourne Ali en 2001, c'est parce que le projet est soutenu par Will Smith, immense star noire américaine. Et paradoxalement, Ali participe à cette identification complète des noirs aux USA car l'ancien champion du monde est devenu une icône, un mythe vivant, symbolisant la lutte contre les discriminations. Son indépendance, son insoumission face à l’injustice ont fait de lui aujourd’hui un héros dont se revendiquent bon nombre d’Américains, blancs y compris. En 1996, il fut d’ailleurs celui qui alluma la flamme olympique aux JO d’Atlanta. Et avec Will Smith pour l’incarner, c’est un trait d’union qui est fait entre le porte parole de la cause noire et la star de l’entertainment ayant bénéficié justement des combats du poids lourd, pas ceux menés sur le ring mais contre les institutions américaines, à commencer par l'armée.
La question noire, une question du passé?
Le cinéma semblerait le prétendre. Pourtant, d'autres cinéastes pointent régulièrement du doigt la différence entre ce qui est montré sur grand écran et ce qui se passe réellement dans les villes américaines.
Spike Lee fait partie de ces rares cinéastes noirs ayant réussi à Hollywood. Pourtant, sa filmographie est plutôt contestatrice de l’ordre blanc et de la ségrégation qui perdure malgré tout. En réalisant un biopic sur le leader Malcom X en 1992, Spike Lee rappelait que le combat pour l’égalité de traitement des Noirs avec les Blancs était toujours d’actualité. Le titre sur le générique comme sur la bande annonce présentait un X majuscule occupant tout l'écran. X comme "ex esclave", signification de ce surnom de ce leader noir américain né Malcom Little. Si le film relate la période des revendications des droits civiques, il s'adresse aussi et surtout aux spectateurs américains de 1992, en fin de 12 années de gouvernement républicain ayant particulièrement dégradé les conditions sociales des plus défavorisés et des quartiers populaires, et donc, des populations noires, faisant des pauvres des parasites de la société, permettant une remontée des actes racistes dans le pays.
Il faut dire que les violences faites par des mouvements renvoyant au néo-nazisme ou au Ku lux Klan sont toujours d’actualité aux USA. Dans American History X, réalisé par Tony Kaye en 19998, la violence ordinaire et alimentée par le racisme de certains groupes de Blancs identitaires est montrée de manière très directe tandis que les motivations sont esthétisées, comme pour démontrer que ces actes racistes sont perpétrés par des hommes ne prenant pas conscience de leurs crimes, certains de leur bon droit et de leur système de valeur, réduisant les Noirs à des êtres inférieurs que l'on peut éliminer. Le film démonte notamment cette prétention de ces racistes à agir au nom d'un Dieu chrétien. Film traumatisant, honni par certains pour une forme de voyeurisme et d'esthétisation du racisme dans sa sauvagerie la plus abjecte, il est pour d'autres un électrochoc salvateur rappelant que le racisme le plus primaire sévit encore aux USA.
Aussi, quand Tarantino réalise Django unchained en 2012, il plonge son histoire juste avant la guerre de sécession et fait de son personnage principal, interprété par Jamie Foxx, un esclave affranchi devenant chasseur de prime cherchant à son tour à libérer sa femme. Le racisme dont est victime Django est évident mais il rencontre aussi des Blancs ne l'étant pas. Par ce film, Tarantino ne minimise pas le racisme dont la communauté noire. Il en raconte même une de ses manifestations, à commencer par l'esclavage perpétré au nom de la supposée supériorité des Blancs sur les Noirs. Mais en faisant de Django un être civilisé, habillé tout de bleu (couleur symbolique des USA), il montre qu'un Noir peut être un Américain au même titre qu'un Blanc. Mais que son acceptation est encore aujourd'hui difficile par une certaine partie de la population. Le tout raconté avec le style caractéristique de Tarantino!
Le cinéma américain a donc raconté comment la question noire a été centrale dans la société américaine depuis plus d'un siècle. Elle en a montré les aspects ségrégationnistes, parfois sans prendre position pour ou contre, ensuite en s'en détachant de plus en plus pour enfin ne plus véritablement faire de différence entre communautés blanches ou noires. Pourtant, malgré un certain consensus dans la production, quelques réalisateurs osent filmer ce qui n'ose parfois être affirmé. Oui, un Noir est un Américain comme un autre, mais il est souvent pour certains d'abord un Noir. Et le paradoxe est bien dans ces deux réalités. D'un côté, un Noir a été élu président des USA, chose inimaginable il y a encore 20 ans. Mais des policiers de plus en plus nombreux tuent des Noirs dans la rue, dans le dos, par racisme ordinaire. Et pour parler de cinéma, les comédiens noirs sont de plus en plus présents à l'écran, de plus en plus appréciés, intégrant même des premiers rôles dans des sagas où ils étaient quasiment absents, comme le montre le dernier opus de Star wars. Mais cela fait 2 ans que la cérémonie des oscars ne met aucun artiste noir dans sa liste des potentiels lauréats.
De ce point de vue encore, le cinéma américain reflète bien, par la diversité de sa production, les paradoxes de la société américaine, société qui se veut la plus progressiste mais qui a encore des réflexes extrêmement conservateurs, freinant tant que possible l'accès aux honneurs aux Noirs ou les traitant comme des citoyens de seconde catégorie.
À très bientôt
Lionel Lacour
Il faut dire que les violences faites par des mouvements renvoyant au néo-nazisme ou au Ku lux Klan sont toujours d’actualité aux USA. Dans American History X, réalisé par Tony Kaye en 19998, la violence ordinaire et alimentée par le racisme de certains groupes de Blancs identitaires est montrée de manière très directe tandis que les motivations sont esthétisées, comme pour démontrer que ces actes racistes sont perpétrés par des hommes ne prenant pas conscience de leurs crimes, certains de leur bon droit et de leur système de valeur, réduisant les Noirs à des êtres inférieurs que l'on peut éliminer. Le film démonte notamment cette prétention de ces racistes à agir au nom d'un Dieu chrétien. Film traumatisant, honni par certains pour une forme de voyeurisme et d'esthétisation du racisme dans sa sauvagerie la plus abjecte, il est pour d'autres un électrochoc salvateur rappelant que le racisme le plus primaire sévit encore aux USA.
Aussi, quand Tarantino réalise Django unchained en 2012, il plonge son histoire juste avant la guerre de sécession et fait de son personnage principal, interprété par Jamie Foxx, un esclave affranchi devenant chasseur de prime cherchant à son tour à libérer sa femme. Le racisme dont est victime Django est évident mais il rencontre aussi des Blancs ne l'étant pas. Par ce film, Tarantino ne minimise pas le racisme dont la communauté noire. Il en raconte même une de ses manifestations, à commencer par l'esclavage perpétré au nom de la supposée supériorité des Blancs sur les Noirs. Mais en faisant de Django un être civilisé, habillé tout de bleu (couleur symbolique des USA), il montre qu'un Noir peut être un Américain au même titre qu'un Blanc. Mais que son acceptation est encore aujourd'hui difficile par une certaine partie de la population. Le tout raconté avec le style caractéristique de Tarantino!
Le cinéma américain a donc raconté comment la question noire a été centrale dans la société américaine depuis plus d'un siècle. Elle en a montré les aspects ségrégationnistes, parfois sans prendre position pour ou contre, ensuite en s'en détachant de plus en plus pour enfin ne plus véritablement faire de différence entre communautés blanches ou noires. Pourtant, malgré un certain consensus dans la production, quelques réalisateurs osent filmer ce qui n'ose parfois être affirmé. Oui, un Noir est un Américain comme un autre, mais il est souvent pour certains d'abord un Noir. Et le paradoxe est bien dans ces deux réalités. D'un côté, un Noir a été élu président des USA, chose inimaginable il y a encore 20 ans. Mais des policiers de plus en plus nombreux tuent des Noirs dans la rue, dans le dos, par racisme ordinaire. Et pour parler de cinéma, les comédiens noirs sont de plus en plus présents à l'écran, de plus en plus appréciés, intégrant même des premiers rôles dans des sagas où ils étaient quasiment absents, comme le montre le dernier opus de Star wars. Mais cela fait 2 ans que la cérémonie des oscars ne met aucun artiste noir dans sa liste des potentiels lauréats.
De ce point de vue encore, le cinéma américain reflète bien, par la diversité de sa production, les paradoxes de la société américaine, société qui se veut la plus progressiste mais qui a encore des réflexes extrêmement conservateurs, freinant tant que possible l'accès aux honneurs aux Noirs ou les traitant comme des citoyens de seconde catégorie.
À très bientôt
Lionel Lacour
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