lundi 4 avril 2011

L'oeil invisible: l'Argentine face à la dictature

Bonjour à tous,

le 24 mars 2011, les Rencontres Droit Justice et Cinéma projetaient en avant première le film de Diégo Lerman L'oeil invisible présenté en 2010 à la quinzaine des Réalisateurs de Cannes.

1. Une histoire somme toute banale
Le scénario est assez simple. Une jeune femme, surveillante dans un lycée de Buenos Aires en 1982 fait respecter les consignes ultra rigoureuses aux élèves. Cela va de la longueur des cheveux à la distance devant séparer des élèves marchant en rang en passant par la couleur des chaussettes réglementaires!
Cette jeune femme cherche à plaire au surveillant général en devenant "l'oeil invisible" de l'établissement pour surprendre les infractions des élèves. Elle va alors jusqu'à s'enfermer dans les toilettes des garçons pour les surprendre en train de fumer. Cette surveillance devient alors obsessionnelle jusqu'à en devenir tragique.

2. Une mise en scène fonctionnelle et efficace
Le réalisateur sait placer sa caméra et sait qu'un plan bien réalisé en dit aussi long que bien des dialogues empesés. Ainsi, l'héroïne marche-t-elle régulièrement dans la cour du lycée qui compose vue de haut un échiquier sur lequel elle ne serait qu'un pion. Ce pion est bien entendu celui de l'autoritarisme du lycée et qui, projeté à une autre échelle, est celui du régime dictatorial argentin de cette époque.
De même, le réalisateur s'apesantit sur les odeurs qui émanent des corps ou des lieux. Le parfum, le savon mais aussi l'urine et autres émanations corporelles semblent parvenir à nos narines à chaque plan ayant pour objectif de nous les faire ressentir. Ces odeurs deviennent pour nous spectateurs la seule source de liberté que le régime ne puisse contrôler.
C'est cette absence de liberté qui justifie aussi des cadrages très serrés sur les personnages. D'abord l'action se situe essentiellement dans le lycée, espace clos avec ses propres règles. Ensuite, les personnages, même hors du lycée, semblent prisonniers du cadre défini par la caméra. Ceux-ci semblent alors toujours être contraints par les murs, par les parois ou par les personnes qui les entourent, créant un effet de huis clos doublement oppressant: l'espace fermé et le cadrage serré.
Enfin, l'héroïne cherche à plaire à deux personnages masculins durant le film: son chef et un élève. Mais ce pour deux raisons bien différentes. Sa proximité avec son chef est voulue pour exercer un pouvoir. Celle souhaitée avec l'élève est par attirance sexuelle. Dans cette société du non dit et de l'absence de liberté, les gestes en disent long mais ne sont pas toujours compris. Ainsi elle ne comprend pas qu'elle envoie à son chef des signes semblant signifier qu'une aventure serait possible tandis que l'élève ne perçoit pas à quelle point elle se démène pour le séduire.

3. Revenir encore sur la révolution argentine
Diego Lerman fait partie de ces cinéastes comme Trapero (réalisateur du très bon Leonera) qui ont grandi pendant le régime des généraux durant lequel toute opposition était subversion, mot clé du film.
Il montre comment dans un système gigogne, chacun reproduit le système liberticide mis en place par la dictature en se défendant de tous ceux qui voudraient mettre en péril l'ordre:
la classe, le lycée, la ville, le pays, le monde.
Chaque personnage est montré comme ayant le choix de désobéir ou de ne pas dénoncer le "subversif". Le film montre que chacun tire intérêt  personnel de ce choix là tout en préservant le système qui lui donne un privilège, un droit, un pouvoir.
"L'oeil invisible", c'est le pouvoir de savoir, savoir que l'on sait sur l'autre sans que lui ne le sache.
Au système "géographique" gigogne, c'est donc aussi un sytème de surveillance gigogne qui est mis en place, accepté tant que le principe de la subversion inculqué aux plus jeunes et respecté par les moins jeunes est appréhendé comme une menace effective sur l'individu et ses droits, aussi mesquins soient-ils.

Par une chute violente, Diego Lerman réussit à conclure son film qui semblait s'enliser dans une répétition assez pénible de la surveillance des lycéens par l'héroïne. Le choc de cette séquence clé donne alors au film une plus grande épaisseur et permet surtout de mieux appréhender le pourquoi d'une révolution dans une dictature. Lerman qui partait de la classe pour aller jusqu'au pays renverse alors son système gigogne: la révolution qui gronde en 1982 dans le pays touche alors de proche en proche tous ceux qui comprennent qu'ils subissent plus ce régime qu'ils n'en tiren un profit.
Ce n'est donc pas "LA" révolution qui est montrée mais bien le "Comment" une révolution peut se développer et recruter parmi ceux qui vivaient dans et du système, sans pour autant le défendre idéologiquement.


En cette période de révolution dans les pays arabes qui montrent comment des dictatures qui semblaient solides peuvent s'effondrer en quelques semaines, le film offre une lecture plus qu'intéressante: le succès d'une révolution dépend notamment de l'accumulation des frustrations individuelles qui se manifestent parfois à la suite d'un événement catalyseur à la portée disproportionnée au regard de l'incident. Le dirigeant tunisien pouvait-il imaginer qu'un jeune s'immolant pour protester contre sa situation économique allait provoquer son départ?

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 29 mars 2011

L'ivresse du pouvoir de Claude Chabrol: de tous les pouvoirs

Bonjour à tous,

le 22 mars était projeté au Comoedia le film de Claude Chabrol L'ivresse du pouvoir.
Le débat qui a suivi a permis d'aborder d'abord la définition du juge d'instruction en France et ses différentes évolutions historiques.
Ensuite, l'approche s'est faite plus à partir du film.

1. Pas de doute possible: l'affaire Elf en filigrane
A l'écran, ce qui saute bien sûr aux yeux, c'est l'introduction: "toute ressemblance avec des faits réels serait, comme on dit, fortuite".
Ce "comme on dit" en dit justement long sur la nécessaire lecture critique de la fameuse affaire Elf.
Tout répond à cette affaire: Isabelle Huppert ne s'appelle pas Eva Joly mais Jeanne Charmant. nom auquel il faut rajouter Killman! François Berléand interprète un président d'une multinationale qui ressemble furieusement à celui d'Elf Loïk Lefloch Prégent, même narbe, même allergie de peau. L'homme politique représentant Roland Dumas est interprété par ... Roger Dumas. Et une Christine Deviers Joncourt plus femme fatale que jamais suce le bout du cigare de Roger Dumas avant qu'il ne le fume. Et si toute allusion ne suffisait pas, le nom de la société est...FMG. On voit ici que Chabrol s'inspire du grand Kubrick qui, dans son fameux 2001, l'odyssée de l'espace avait appelé son ordinateur HAL, qui, si on déplaçait chaque lettre sur la lettre de l'alphabet la précédant revenait à lire IBM. Il en est de même avec FMG = ELF: CQFD!
Chabrol et sa coscénariste Odile Barski ont donc bien écrit un film ayant pour cadre une affaire existante et dont bien d'autres similitudes sont présentes tout au long de l'histoire.

2. Une critique des pouvoirs
Le film nous montre une série d'interrogatoires du juge d'instruction Jeanne Charmant sur des personnages dont la caractéristique commune est d'avoir tous été décorés d'au minimum la légion d'honneur. Or il s'avère que tous semblent être plus ou moins impliqués dans une vaste opération de corruption et d'abus de biens sociaux. En montrant bien à chaque fois que les personnes impliquées sont des honorables de la République, Chabrol semble de fait dénoncer le système qui permet par collusion d'honorer des industriels et autres hommes d'affaires par des politiques. Car la critique est forte. C'est bien la trop grande proximité entre pouvoir politique et pouvoir économique qui est projeté à l'écran. Des intérêts communs sont dénoncés: les politiques se servent des industriels pour être présents dans certains pays du sud tandis que les industriels se servent des relations diplomatiques favorables de la France avec ces pays pour être encore plus puissants. Le tout à coup de commission et rétrocommissions.
Au faste du pouvoir politique et économique répond la misère du pouvoir judiciare.Pourtant, celui-ci ne manque pas non plus d'être critiqué. Le président du Tribunal de Grande Instance, qui n'a que l'Ordre du mérite lui, est montré comme assez velléitaire et peu enclin à soutenir le travail de sa juge d'instruction. Celle-ci semble obnubilée par l'affaire, de manière obsessionnelle. Son pouvoir lui permet d'interroger voire d'humilier les plus puissants. Elle va même rencontrer un haut dirigeant de FMG pour qu'il lui livre des informations compromettantes. Cette surpuissance du juge d'instruction affirmée dans le film a été néanmoins très nuancée dans le débat, rappelant que finalement très peu d'affaires aboutissait dans les bureaux des juges d'instruction (environ 5%). Quant à la rencontre de la juge evec un dirigeant d'entreprise, elle est bien sûr contraire à la légalité et aurait dû provoquer le désaisissement du juge de cette affaire.

3. La solitude du pouvoir
Ce que le film montre, c'est aussi la solitude dans laquelle les hommes ou femmes de pouvoir s'enferment. Le président Humeau (Berléand) est laché par tous ceux qui le soutenaient avant sa mise en examen. Jeanne Charmant voit son mari s'éloigner d'elle. Elle décide alors de vivre seule, entourée de ses gardes du corps.
Le Président du TGI est lui aussi bien seul face à la tempête générée par sa juge d'instruction.
C'est également de la solitude que les politiques du film se méfient, celle d'être à leur tour abandonné par certains. Le film renvoie aussi aux spectateurs français l'image de la solitude de Christine Deviers Joncourt abandonnée de tous.
C'est enfin deux solitudes qui se croisent dans l'avant dernière séquence, le juge Charmant rencontrant à l'hôpital dans une situation improbable le président Humeau, elle présente pour voir son mari ayant tenté de se suicider, lui déambulant dans les couloirs après une grave dépression.

Conclusion
Les erreurs factuelles ne manquent pas dans le film notamment dans la procédure judiciaire. Il est en effet impossible pour un juge d'instruction d'interroger un mis en examen sans présence de son avocat. D'autres erreurs se trouvent tout le long du film. Mais celui-ci a plusieurs mérites, à défaut d'être un grand film. Il égratigne les collusions entre pouvoir politique et économique. Mais il montre aussi que le pouvoir judiciaire peut tourner la tête à un juge. L'ambition de pouvoir de cette juge Charmant est presque prophétique quand on voit ce que le modèle est devenu depuis!

A bientôt

Lionel Lacour

dimanche 27 mars 2011

L'instant criminel au cinéma: Robert Badinter et Jean-Jacques Bernard

Crédit photographique Université Jean Moulin Lyon 3 - David Venier

Bonjour à tous,

Le 21 mars 2011 a eu lieu la soirée d'ouverture des 2èmes Rencontres Droit Justice et Cinéma à l'Auditorium Malraux de l'Université Jean Moulin Lyon 3.

J'ai eu le plaisir de proposer à M. Robert Badinter un montage sur le thème de "L'instant criminel au cinéma". Jean-Jacques Bernard, rédacteur en chef de Ciné Cinéma Classic offrait une réplique cinéphilique de très haute qualité. L'ensemble de cette conférence est aujourd'hui consultable sur le lien suivant.
http://www.univ-lyon3.fr/fr/actualites/rencontres-droit-justice-et-cinema-2eme-edition-498430.kjsp?RH=INS-ACCUEIL_FR

Vous y verrez un ancien Président du Conseil être un très grand connaisseur du cinéma et pouvant encore être profondément ému à l'évocation de moments dramatiques de sa carrière d'avocat.

Je reviendrai vous parler des des films des autres soirées. Bon visionnage.

A bientôt

Lionel Lacour

dimanche 20 mars 2011

Petite pause!

Bonjour à tous,

un petit message aujourd'hui pour vous dire que pendant toute la semaine, les Rencontres Droit Justice et Cinéma m'occuperont matins et soirs.Il n'y aura donc pas de message durant toute cette période!

Mais je reviendrai bientôt faire un bilan des différents des débats avec Robert Badinter sur l'"Instant criminel au cinéma" ainsi que tous ceux des soirées, notamment sur L'oeil invisible et Welcome. Ce dernier sera en présence de Philippe Lioret.

Pour les Lyonnais ou ceux de la région, les places peuvent s'acheter toute la semaine au Comoedia.

Viendra aussi bientôt un article sur la ville de Lyon au cinéma.

Je vous dis donc à très bientôt.

Lionel Lacour