mardi 21 septembre 2021

Lumière 2021 - "Casser la baraque – L’âge d’or du Blockbuster américain 1980 – 2000"

 

Bonjour à tous

Il est de bon ton de critiquer le cinéma dit « Blockbuster » aujourd’hui. Mais Nicolas Billon, le réalisateur de ce documentaire enthousiasmant, fait un travail enthousiasmant en nous rappelant à la fois les origines de ces blockbusters (jusqu’à l’étymologie), la diversité de ce type de films et son dévoiement depuis la surexploitation des superhéros semblant supplanter ce qui pourrait presqu’être appelé un genre.

S’appuyant sur de vrais spécialistes (critiques de cinéma, réalisateurs, universitaires), le documentaire égraine une filmographie riche en œuvres qui ont marqué à la fois les spectateurs les ayant vus en salle mais également l’histoire du cinéma. A commencer par le pionnier des films ayant été considéré comme un blockbuster, Les dents de la mer réalisé par celui qui allait devenir la référence absolue, Steven Spielberg.

Ce que le documentaire de Nicolas Billon transmet est une réflexion sur ce qu’est le cinéma populaire, s’appuyant sur des acteurs devenus des stars parce qu’ils incarnaient des héros de ce type de films (Arnold Schwarzenegger, Tom Cruise etc.), et proposant de vraies thèmes de société sur un traitement mêlant effets spéciaux parfois énormes et minimalisme de l’intrigue. Ainsi en est-il des films de Paul Verhoeven ou de James Cameron. Mais le réalisateur montre aussi combien ce cinéma touchait des publics variés, de part et d'autre de l'Atlantique, car le discours de ces films avait une portée universelle.

Le documentaire aborde aussi les techniques de réalisation permettant de rendre de plus en plus spectaculaires des films étant avant tout des grands spectacles familiaux – avec un focus sur Les Gremlins – ou pour un public plus âgé en recherche de sensations fortes – ou on retrouve Spielberg avec Jurassic Park. Nicolas Billon montre que cette débauche d’effets spéciaux correspondait aussi à la mutation technologique du cinéma faisant de plus en plus appel à la numérisation de l’image permettant de produire des images non réalisables autrement que par un traitement informatique. Pour le meilleur comme le pire.

Pour tous ceux qui ont grandi avec ces blockbusters dans les années 80 et 90, ce documentaire est une madeleine de Proust qui réhabilite nombre de films parfois méprisés par la critique à leur sortie. Pour les plus jeunes, ils découvriront combien les cinéastes pouvaient être imaginatifs, créatifs et divers pour proposer des films dont les héros n’avaient pas forcément des super pouvoirs et surtout, horreur absolue, étaient très genrés !

Mardi 12 octobre - 14h15 - Salle 2 Institut Lumière

Casser la baraque – L’âge d’or du Blockbuster américain 1980 – 2000 (2021, 52 min) 

de et en présence de Nicolas Billon

Réservation

Lumière 2021 – « Trintignant par Trintignant », un portrait subtil

 Bonjour à tous

Avec Trintignant par Trintignant, Lucie Cariès réalise un documentaire révélant toute la délicatesse d’un acteur dont elle révèle aussi, non pas une part sombre, mais la complexité de celui qui fêtera ses 91 ans le 11 décembre prochain.

Pas de voix off hormis celle de Jean-Louis Trintignant qui est le seul témoin invité à parler de lui, accompagné d’innombrables archives. La réalisatrice construit son documentaire de manière à la fois chronologique mais également de manière thématique, des tous débuts de la carrière de l’acteur à son dernier film Amour, intégrant la citation de Jacques Prévert lors de la remise de la Palme d’Or à Michael Haneke.

Audacieux dans la forme, le documentaire de Lucie Cariès est tout sauf une hagiographie mais bien un regard sur ce qu’est un acteur de la dimension de Trintignant, aîné de la génération d’acteurs des Delon et Belmondo. Ecartelé entre ses doutes, ses névroses, ses malheurs, son soi réel et l’image qu’il renvoie de lui. Trintignant se révèle sans concession à son égard et pas seulement maintenant qu’il s’est retiré du monde artistique. La réalisatrice a su agréger des archives confirmant toute l’ambivalence de celui qui pouvait être un père à la fois tendre et cruel, de celui qui s’est découvert une passion pour la course automobile tout en étant un expert du poker.

Trintignant  Finalement, Trintignant par Trintignant est presque un documentaire résume ce que devrait être un acteur : un artiste qui sait quand et comment tricher, quitte à se faire saigner en s’enlevant les croutes de ses plaies.

Lundi 11 Octobre - 14h15 - Institut Lumière - Salle 2

Trintignant par Trintignant (2021) de et en présence de Lucie Cariès

Réservations

 

 

lundi 13 septembre 2021

"Délicieux" vs "Bac Nord": de la faillite de l'autorité

 

Bonjour à tous,

Cet été sont donc sortis deux films aux antipodes. Bac Nord de Cédric Jimenez sorti le 18 août 2021 a été suivi quelques semaines plus tard de Délicieux d'Eric Besnard, en salles depuis le 8 septembre. Ces deux films ont vu leur sortie repoussée à cause de la crise du COVID. Aucun rapport entre ces deux films puisque le premier relate, même si les faits seraient modifiés, une affaire mêlant des policiers de la Bac de Marseille ayant eu lieu en 2012 et le second se place en 1789 et évoque comment fut inventé le premier restaurant en France.
Au-delà des thèmes et de la période, c'est aussi le style des films qui est radicalement différent. Bac Nord est tendu, sec, la caméra instable, le montage incisif et une surexposition de la lumière créant une sensation de fébrilité permanente. Et puis un vocabulaire évidemment vulgaire, les flics parlent comme les racailles qu'ils arrêtent, le tout sous une musique envahissante, parfois interrompue par les bruits des kalach ou des hurlements des prisonniers. Tout le contraire pour Délicieux où la lumière semble n'être que naturelle, les bougies venant déchirer l'obscurité de la nuit quand les arbres atténuent l'ardeur du soleil. Le montage est plus calme, les plans plus longs, les séquences parfois séparées par des natures mortes. Et la musique renvoie à cette fin de XVIIIe siècle, veille de la Révolution française. Nous sommes loin de la funk et du rap de Bac Nord


BANDES ANNONCES


Deux films, deux ambiances pour reprendre une expression désormais commune. Pourtant, il est quelque chose d'assez étrange en voyant ces deux films. En effet, les histoires aussi éloignées soient-elles témoignent d'une similitude quant au rapport entre la population et les autorités. Que ce soient Manceron le cuisinier du Duc ou Greg, le flic de la Bac, les deux ont été lâchés par ceux censés les protéger, et ce après avoir été encensés. Pour Délicieux, l'affaire est entendue. Les spectateurs comprennent que l'arrière-plan est la Révolution française nourrie par les idées des Lumières, que le fils de Manceron ne manque pas de citer. La contestation populaire est rapportée dans une province loin de Paris. Et les remises en cause du pouvoir par les députés ne sont comprises ni par le roi ni par le duc de Chamfort et les autres nobles qui méprisent ce peuple en leur daignant le droit de manger ce que eux mangent. Ces nobles incarnent les privilégiés à plus d'un titre. Ils sont nobles par leur sang, mais aussi par le droit qu'ils ont d'humilier ceux qui ne le sont pas. Une supériorité morale qui leur permet tantôt de soutenir un roturier puis de l'insulter. Ces représentants d'une société d'ordre vivent sur des valeurs artificielles et ce qui justifiait initialement leur rang ne signifie plus rien qu'une injustice. Habillés et coiffés de manière excentrique, se rengorgeant de bons mots et de traits d'humour, ils ne représentent plus la fonction qui leur est assignée dans cette société hiérarchisée.

Dans Bac Nord, la hiérarchie politique et administrative se fiche du sort de la population sous contrôle d'une voyoucratie organisés en gangs occupant le territoire. Cet abandon des citoyens par le pouvoir politique saute aux yeux de ces flics qui reçoivent l'ordre de reculer face à ceux qui terrorisent les habitants des quartiers nord de Marseille. Certes la société n'est plus officiellement divisée en ordres comme sous l'ancien régime, Jimenez montre pourtant combien chaque strate de la hiérarchie lâche les flics pour mieux se faire valoir de la République qu'ils prétendent incarner. Tout comme le duc de Chamfort accablait Manceron pour montrer combien lui l'aristocrate défendait cette société où un cuisinier était traité comme un moins que rien car non noble. Chamfort est remplacé par l'officier Jérôme, chef de Greg et de ses coéquipiers, prêt à abandonner ses hommes pour sauver sa carrière. Tout comme le Duc pour être reçu à Versailles.

Mais si dans Délicieux, le spectateur connaît la fin de l'histoire avec un grand H, il se trouve dans le même questionnement que celui de Greg qui doit agir sans ordre officiel.  Si en regardant Délicieux nous savons ce qui arrive ensuite en 1789, le spectateur comme le réalisateur ignorent où la faillite du pouvoir et le renoncement de l'autorité à imposer ses valeurs et ses principes mèneront. Manceron a courageusement quitté son protecteur jusqu'à le défier. Et l'Histoire nous a appris que la multiplication des Manceron a donné naissance à un mouvement irréversible renversant un pouvoir dans toutes ses strates qui n'avait pas vu ou su prendre en compte les aspirations nouvelles de son peuple. Bac Nord nous montre Greg, mais aussi Antoine et Yass ses coéquipiers. Eux aussi lâchés par leur hiérarchie. Le spectateur ne peut pas s'empêcher d'imaginer que si les Greg, Antoine et Yass se multipliaient, un autre mouvement irréversible pourrait s'enclencher. Et l'Histoire nous a appris que toute enthousiasmante soit-elle, une révolution porte aussi sa cohorte de violences et d'injustices. Parce que le pouvoir a failli. 

Eric Besnard, lors d'une avant-première lui-même trouvait étrange les similitudes entre la situation en France au moment de faire son film et celle du scénario de Délicieux. Les derniers événements à Marseille ou aux Tarterêts démontrent que Bac Nord tout en étant une fiction n'est pas si éloigné de la réalité. Le cinéma n'annonce jamais rien que ce qui n'existe déjà. 


A bientôt

Lionel Lacour