Le crime de Monsieur Lange |
voici la deuxième partie de cette comparaison entre années 30 et aujourd'hui. La dernière partie viendra bientôt.
2. Quelles réponses à la crise ?
Deux types de réponse sont apportés dans les films des années 30. Le retour à la terre que prône par exemple Pagnol en 1939 dans Regain en adaptant une nouvelle de Jean Giono vante le vrai travail et montre la perte des vraies valeurs des populations des villes. On retrouve la même logique dans L’homme du jour de Duvivier en 1936, les bourgeois et citadins étant ridiculisés par la mère du héros, interprété par Maurice Chevalier. Celle-là est une paysanne qui ne connaît rien des potins qui font le succès d’un jour mais connaît la vraie vie, celle qui permet aux hommes de se nourrir. Duvivier, dans son film précédent déjà évoqué, La belle équipe, illustre le rêve des amis chômeurs ayant gagner à la loterie : une ferme avec des poils et des plumes !
A cette réponse classique s’oppose celle portée par le Front populaire. Dans A nous la liberté, René Clair préfigurait déjà en 1931 les aspirations de la classe ouvrière : la machine doit libérer l’homme du travail et non l’asservir, lui permettre d’augmenter ses temps de loisirs à partager entre ses proches, famille ou amis. Le rêve n’est pas celui de la consommation mais celui du temps passé ensemble. Des guinguettes du bord de la Marne aux séjours à la montagne proposés sur affiches dans La belle équipe, c’est une autre manière de concevoir la société. Même le travail peut être fait dans la bonne humeur, sans le sentiment d’être exploité. Le crime de Monsieur Lange (1936) propose justement un exemple de coopérative dans laquelle tous les salariés profiteraient de leur travail à part égale. Cette forme d’égalitarisme se retrouve encore chez Renoir dans La marseillaise, rendant l’importance de chacun dans la société.
Comparativement, la réponse à la crise proposée au cinéma depuis les années 1970 est elle aussi double. Elle est d’abord une volonté de changer de conception de la société, mettant en avant bien des principes nés des mouvements de la jeunesse des années 60 et magnifiés en 1960. Dans La gifle de Claude Pinoteau en 1974, Isabelle Adjani rappelle à son père que ses diplômes ne l’ont pas empêché de se trouver au chômage. Elle veut vivre pas autrement « mais autre chose ». Si cette affirmation correspond à sa volonté d’émancipation vis-à-vis de son père, cette réplique résume pourtant tout ce qui va être proposé pour s’opposer au modèle productiviste en place à qui on reproche finalement de profiter de la crise aux dépens des populations d’abord, de la nature surtout. Car c’est une des caractéristiques majeures du cinéma français que de proposer finalement une vision plus politique que dans la crise des années 30. Dans La zizanie, Annie Girardot, femme de l’industriel Louis de Funès mais aussi son adversaire politique à la mairie, propose une « croissance plus juste, respectueuse de la nature ». Les idées écologistes n’avaient pas attendu Yann Arthus Bertrand pour être proclamées. Ce même retour aux valeurs écologiques s’observe dans bien des films. En 1992, Coline Serreau propose dans La crise une réflexion sur le plaisir de la contemplation simple de la nature. A ce rythme effréné imposé par la société qui broie les individus, elle oppose une volonté de prendre son temps. A la course au profit et au rendement, elle propose l’écoute. C’est vrai pour son héros Vincent Lindon qui ne pense qu’au travail pour le confort de sa famille, ne voyant pas que cette conception l’éloigne justement de sa famille. C’est vrai aussi pour le médecin qui préfère devenir homéopathe, quitte à passer une heure ou plus avec un patient pour mieux le soigner et le comprendre plutôt que de faire des ordonnances tous les quarts d’heure.
C’est donc souvent une approche de remise en cause de la société de la superficialité, des convenances, de l’argent roi qui est dénoncé. Un retour aux valeurs simples qu’on retrouve curieusement souvent dans des comédies ou des comédies dramatiques. Les films scénarisés par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri (Cuisine et dépendances, Un air de famille, On connaît la chanson…) ne sont que dénonciation d’une société qui oublie l’essentiel : l’individu et les relations humaines simples.
Néanmoins, le retour à la terre et aux valeurs des anciens n’a pas pour autant disparu du cinéma français. Comme dans les années 30, bien des films vantent les méritent du travail de la terre ou des goûts authentiques. Les marmottes d’Elie Chouraqui (1993), Le bonheur est dans le pré d’Etienne Chatiliez (1995), Une hirondelle a fait le printemps de Christian Carion (2001) et même Fatal de Michael Youn (2010) et bien d’autres encore ont pour propos que les vraies relations sont dans les espaces humanisés en communion avec la nature, coupés du rythme frénétique de la ville.
Le film de Chatiliez en est un exemple parfait jusque dans le titre. Ce que Gabin souhaitait dans La belle équipe, Serrault va le vivre en devenant le patron, malgré lui, d’une ferme produisant du foie gras de canard. Certaines répliques sont aujourd’hui devenues cultes comme la fameuse « c’est pas lourd le confit », adressées à des spectateurs urbains qui voient qu’une autre vie est possible. Que les plaisirs simples de voir un coucher de soleil, de manger des plats roboratifs et d’être généreux avec même ceux qu’on ne connaît pas sont accessibles à tous, même à un vieil homme comme Serrault dans le film.
Ainsi, que ce soit dans les années 1930 ou depuis les années 1970, deux réponses à la crise sont proposées : une remise en cause de la modernité qui n’aboutit qu’à l’asservissement des classes populaires et un retour aux sources, c'est-à-dire un retour à la terre. Si ce dernier point se retrouve dans les deux périodes, la remise en cause de la société de production et de consommation n’a pas été si importante que cela durant les années 1930. Peut-être parce que le Front populaire a été au pouvoir en 1936 et que la guerre a été déclenchée en 1939. La crise de la croissance depuis les années 1970 dure finalement depuis près de 40 ans, sans guerre sur le sol européen. La critique de la société a pu donc s’exprimer sur davantage de temps. Et l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 puis en 1997, sorte d’équivalents du Front populaire des années 30 (de l’ « Union de la gauche » à la « gauche plurielle ») n’a pas eu pour effet d’endiguer réellement la crise pour les classes les plus populaires.
A venir:
3. Une république malade ?
A bientôt
Lionel Lacour