Bonjour à tous
Tous les hivers, une chaîne de télévision programme le film
culte de Patrice Leconte Les bronzés font du ski sorti en
1979. Si les spectateurs retrouvent les héros du premier opus Les
bronzés sorti un an auparavant, ils vont aussi assister à un ensemble
de situations renvoyant à la production, au management et à la relation client.
Une base de travail formidable pour toutes les écoles de commerces en quelque
sorte !
BANDE ANNONCE
Une société de services et de loisirs
Dès le début du film, Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) se
trouve dans une gare parisienne pour partir en vacances dans une station de
ski. Il a donc recours au service des transports collectifs pour rejoindre ses
amis pour faire du ski. Et tout le film va décliner ensuite les services qui
gravitent autour de cette activité touristique.
Ainsi Jean-Claude dort dans un hôtel et prend des leçons de
ski avec un professionnel, Bernard et Nathalie (Gérard Jugnot et Josiane
Balasko) louent leur matériel de ski dans lequel travaille Popeye (Thierry
Lhermitte). Quant à Gigi (Marie-Anne Chazel), elle tient un restaurant dans la
station de Val d’Isère où tous se retrouvent donc. Quant à Jérôme (Christian
Clavier), s’il est médecin, il passe aussi son temps libre à skier et à
emprunter les remontées mécaniques, un autre service loué aux touristes.
Ainsi, tout au long du film, c’est une bonne partie de l’économie
touristique qui est déclinée reposant essentiellement sur des services mis en
place pour les résidents éphémères. À ces services globaux s’ajoutent des
services désignés aujourd’hui comme « premium »
proposés en plus ou spécifiquement aux clients souhaitant des prestations moins
ordinaires et forcément plus chères. Ainsi Popeye donne des cours particuliers
à des clientes fortunées. De même, la bande d’amis organise une journée
hors-piste avec dépôt de chacun en hélicoptère au sommet d’une montagne. Le
surcoût de ces prestations est censé apporter un progrès plus rapide dans la
maîtrise du ski ou des sensations plus fortes que celles de dévaler des pentes
damées !
Une société de consommation
Le développement de la société de loisirs a entraîné une
consommation lui étant spécialement dédiée. Mais si l’équipement pour le
tourisme d’été est assez limité, ce n’est pas le cas pour le tourisme en
montagne. Et le film va là encore déployer toutes les consommations spécifiques
et les moyens pour pousser à la consommation.
Ainsi, le tourisme en montagne est clairement un tourisme de
classes moyennes ou supérieures ayant les moyens de s’équiper. Vêtements chauds
et adaptés à la neige, matériel pour rouler sur la neige comme les chaînes aux
roues, matériel pour skier… L’arrivée de Bernard et Nathalie montre même des
parvenus s’habillant avec des vêtements de marque à la mode comme Daniel
Hechter. Si la marque est un critère de consommation, il en est un autre qui
est celui de l’identification à des champions. Ainsi Jérôme est fier de skier
avec des skis qui ont fait deuxième à Crans Montana, faisant référence aux
compétitions du championnat du monde de ski. Mais Val d’Isère est montrée comme
une station accueillant un tourisme de masse. Aussi les personnages du film ne
sont pas ceux fréquentant les stations huppées des Alpes. Val d’Isère n’est pas
Courchevel ou Megève. C’est pourquoi le film insiste sur les éléments rappelant
que si le tourisme se démocratise, il touche des touristes n’étant pas encore
des grands bourgeois. Cela passe par l’uniformisation des objets de
consommation comme la Renault 20 de Bernard qu’il confond avec la même Renault
20 d’un autre touriste. Ce sont aussi
les skis qui se ressemblent tous car étant tous de même marques. Ce qui est d’ailleurs
à l’origine d’un gag entre Bernard et un autre skieur lui ayant pris ses skis
neufs au lieu des siens plus anciens !
Cette uniformisation des produits industriels se voit pourtant opposer l’existence de produits plus locaux et plus authentiques que recherchent ces touristes. Bien sûr la fondue savoyarde fait partie de ceux-là et il faut voir la colère de l’équipe quand Marius (Maurice Chévit) met du fil dentaire dans la préparation pour faire un gag mais gâchant le repas. Cette authenticité se retrouve aussi quand des Italiens rencontrés dans un refuge cuisinent pour tous des « spaghetti al pesto ».
Le terroir se retrouve enfin quand les amis sont réfugiés chez des vrais montagnards. Gigi est subjuguée par un napperon fait à la main loin des standards des textiles industriels. Mais ce terroir offre également des produits non aseptisés aux goûts très prononcés et fabriqués artisanalement. Cette découverte donne lieu à une double séquence où les héros du film doivent manger un plat fait de restes de couennes et de fromages, puis boivent un alcool très fort. L’authenticité est parfois violente et ne correspond plus aux goûts désormais normés des citadins !Mais c’est aussi dans le logement que se révèlent plusieurs
stratégies de consommation. Si Jean-Claude réside à l’hôtel, la croissance
économique des Trente glorieuses a amené à l’idée que le luxe était de devenir
propriétaire de son logement puis d’une résidence secondaire. Des solutions ont
donc été trouvées pour permettre d’atteindre ce rêve de classe moyenne à moindre
coût. Ainsi Bernard et Nathalie ont acheté un appartement en « Time share », achetant non un bien
immobilier mais une période d’utilisation de ce bien. De fait, ils sont
copropriétaires avec jouissance du bien selon une période définie par contrat.
L’illusion de la propriété est maintenue avec la possibilité de mettre sa carte
de visite à la porte d’entrée et de disposer d’une décoration personnelle à son
arrivée ! On est donc loin des chalets et des palaces de certaines
stations luxueuses. Enfin, si Jérôme et Gigi vivent dans un petit chalet,
Popeye, bien que saisonnier, doit vivre chez ses clientes au gré de ses
aventures amoureuses, preuve que le coût du logement est aussi un problème pour
ceux travaillant dans les stations le temps des périodes touristiques.
Relation clients et management des équipes
Le plus étonnant dans ce film reste la représentation du
management et de la relation avec la clientèle, montrant de fait combien ces
questions se posent déjà dans une France en pleine crise économique et devant
repenser son modèle économique en s’adaptant.
La relation clientèle est montrée à différents moments dans
l’écoute des professionnels à l’égard des clients. C’est par exemple la
réceptionniste de l’hôtel qui doit faire face à la demande de chambre double de
Jean-Claude. Ce sont les conseils donnés par le professeur de ski à ce même
Jean-Claude pour qu’il améliore sa technique de ski et son fameux « planté
de bâton ». C’est enfin Popeye qui conseille ses clients pour l’achat de
matériel de ski, notamment des chaussures pour Nathalie.
Mais le film montre que cette relation positive avec la
clientèle ne semble pas toujours aller de soi. Ainsi Gigi s’agace face à un
client demandant une crèpe au sucre non présente sur la carte de son
restaurant. Si la situation fait rire et l’exigence du client (Bruno Moynot) paraît
exagérée, la réponse violente de Gigi et de son cuisinier témoigne de l’incapacité
d’un commerçant à répondre à une demande simple d’un client aux arguments
pourtant limpides : « vous avez de la pâte, vous avez du sucre… »
Dans le même couple, le médecin Jérôme doit faire face à des clients peu
ordinaires amenant leur cochon malade. Dans une colère semblable à celle de Gigi,
Jérôme refuse de servir son client, rappelant qu’il est médecin et pas
vétérinaire. Mais cela montre aussi qu’il a su un jour s’adapter vis-à-vis de
personnes n’ayant manifestement pas de vétérinaires à proximité. Or cette
adaptation entraîne chez ses clients une habitude. Ce qu’il a fait une fois,
pourquoi ne le referait-il pas ? Quant aux activités de sport d'hiver, le service client laisse à désirer. Quand Jean-Claude Dusse prend son télésiège, il ne le prend pas en douce ou hors délai. Or l'employé des remontées mécaniques interrompt leur fonctionnement alors que Jean-Claude se trouve au milieu du trajet. Certes cela permet un gag devenu célèbre où il attend la nuit pour se laisser tomber dans la neige. Mais cela montre un service défaillant et peu précautionneux de ses clients. Il est évident que cela entrainerait aujourd'hui une poursuite en justice!
Mais Les bronzés font
du ski montre aussi les rapports entre patron et employé. Et c’est avec le
personnage de Popeye que les situations sont déclinées. D’abord dans le magasin
dans lequel il travaille. Employé par son ex-femme et son ex-beau-frère, il est
régulièrement raillé et dénoncé devant les clients. Le malaise généré est
montré par les postures prises par les clients, Bernard et Nathalie et les explications
que Popeye trouve pour justifier les propos à son encontre. Or il apparaît
manifeste pour le spectateur que le patron n’a pas le bon comportement, réglant
un problème avec un employé devant des clients. Certes ceux-ci sont des amis de
Popeye, mais ils peuvent être aussi des prescripteurs du commerce. Cette
attitude managériale est évidemment moquée dans le film et influe sur la
relation client puisque le patron refuse une remise aux clients s’étant
pourtant largement équipés. Popeye est encore au cœur d’une relation
patron-employé quand il se fait renvoyer par le mari d’une de ses clientes, de
fait son employeur. Le spectateur identifie évidemment le licenciement pour faute
lourde puisqu’on comprend que Popeye n’a pas seulement donné des leçons de ski.
Si la séquence est drôlement filmée et interprétée, elle montre aussi la
violence qui peut exister dans les relations employeurs et employés.
Enfin, Popeye est aussi montré comme un manager de projet
quand il guide ses amis dans la sortie hors-piste qu’il organise. Tel en
entreprise, il doit amener son équipe d’un point A à un point B en les aidant
et en faisant valoir ses qualités d’expert. Or il s’avère que ses compétences
ne sont pas à la hauteur créant une situation de désagrégation du groupe,
chacun remettant en cause violemment, verbalement ou physiquement, l’autorité
du chef d’équipe. Que ce soit face à une concurrence – des Italiens accaparent
la meilleure partie d’un refuge – ou que ce soit dans la connaissance du
terrain – Popeye se trompe pour rejoindre la station de ski.
De fait, Popeye ressemble à ces managers qui s’appuient sur
leur charisme mais dont les compétences pour diriger une équipe sont vite
remises en cause. En revanche, il apparaît meilleur dans l’action pure plutôt
que dans la décision, mettant ses qualités individuelles au service du groupe
perdu. De fait, ces qualités sont importantes dans une équipe et c’est
finalement Jérôme qui va reprendre le management du groupe, se servant des
compétences de Popeye, sélectionnant ceux pouvant mener l’action de secours à
bien et veillant à l’efficacité de celle-ci. Jérôme, loin de son attitude
suffisante et prétentieuse observable dans tout le film a réussi à montrer ses
qualités de leader tout en ménageant son ami Popeye pour conserver ses réelles
qualités.
Ainsi, cette comédie culte développe tout un discours autour
de l’économie. Elle identifie un secteur d’activité, le tourisme d’hiver, et l’inscrit
dans un propos plus large en intégrant ceux qui participent globalement à l’économie :
les clients, les employés et les patrons. Hormis les services publics des
trains, montrés cependant comme un service commercial comme un autre, le grand
acteur économique absent de ce film reste donc la puissance publique. Jamais
celui-ci n’intervient. Nous sommes clairement dans un film libéral dans lequel
les enjeux économiques ne sont pas encadrés par
les collectivités territoriales ou les aides de l’État, pourtant
présentes pour le développement de ces stations. Si ce film devait être tourné
après la pandémie, pas sûr que l’État puisse être autant absent et que les
relations clientèles soient montrées ainsi !
À très bientôt
Lionel Lacour
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