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lundi 9 juillet 2018

Nouveau programme Histoire et Cinéma 2018 2019

Bonjour à tous

À la rentrée de septembre 2018, Cinésium proposera à nouveau ses conférences et ses formations Histoire et Cinéma.

Les conférences sont destinées aux collèges, lycées et universités français, en France et au-delà, mais aussi aux médiathèques, cinémathèques et autres institutions culturelles.

Depuis 2001, je propose ces conférences créées à l'Institut Lumière de Lyon et je permets à des enseignants de sciences

lundi 5 mars 2018

De quelle ambition européenne le cinéma est-il le témoin?



Bonjour à tous

en novembre 2017, je donnais une courte conférence aux Semaines Sociales de France sur le thème "De quelle ambition européenne le cinéma est-il le témoin?" En voici une transcription écrite.

Si le cinéma américain raconte son territoire continental avec ses mythes, ses ambitions mais aussi la remise en question du modèle américain, qu'en est-il de la représentation de l'Europe au cinéma? Si bien des films peuvent constituer une mémoire des grands lieux de l’Europe, en Italie, Allemagne, France ou ailleurs encore, peu d’entre eux semblent constituer un ciment du sentiment d’appartenance à l’Europe.
Pourtant, les débuts du cinématographe Lumière offraient une illusion de réalité européenne. Par exemple, le film Lumière Cortège des Anciens Germains (1896 opérateur inconnu) tourné à Stuttgart, permet de réaliser combien notre continent a une culture commune : histoire, traditions et religion se sont entremêlées tout au long des siècles. Pourtant peu de films abordent le fait européen en tant que tel, le cinéma européen se construisant sur des modèles nationaux. Expressionisme allemand des années 20, réalisme poétique français des années 30, néoréalisme italien d'après-guerre, nouvelle vague française de la fin des années 50 aux années 60. Si les genres ou les écoles ont influencé les autres cinémas, y compris hors d'Europe, les films évoquent bien la situation du pays où ils sont produits, à quelques rares exceptions près, comme Allemagne année zéro de Roberto Rossellini en 1947 évoquant la situation de l'Allemagne au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Sinon, pas le moindre vrai road movie digne de New-York Miami de Franck Capra en 1934 ou bien entendu de Easy Rider de Dennis Hooper en 1969. Rien qui n'exprime clairement les Européens comme un peuple avec un projet commun, sauf quelques tellement rares exceptions qu'elles ne font que confirmer la règle. Et encore, ces exceptions sont-elles quasiment exclusivement françaises.

Après la Première Guerre mondiale : le cinéma témoin d’une Europe traumatisée
Le cinéma d’après la Première guerre mondiale évoque surtout des pays disloqués, détruits. Le cinéma germanique propose un style, l’expressionnisme, pour accentuer les contrastes et témoigner du chaos qui a frappé l’Allemagne comme l’Autriche, ce que montre particulièrement Le cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene en 1920. Les angles aigus, les noirs et les blancs intenses témoignent de ce monde manquant d’harmonie comme d’autres films de même inspiration l’évoquent (Faust, Nosferatu, Metropolis…).
Mais le cinéma d’après-guerre, c’est aussi l’idée que les Européens ont tous été victimes. Dans Les croix de bois de Raymond Bernard en 1932, c’est bien l’idée que Français et Allemands ont participé à une expérience commune et humainement destructrice. Cette vision est celle d’un vainqueur prêt à faire la paix avec l’ennemi. Cet élan pacifiste s’observe dans bien d’autres films. Ainsi, dans  Allô Berlin ? ici Paris ! de Julien Duvivier en 1932, l’espérance d’un continent devenu immense fédération pacifiste accompagne l’idée même qu’une histoire d’amour entre une Française et un Allemand est possible.
Ce rapprochement passe également par des collaborations franco-allemandes comme le démontrent les deux versions du film Le chemin du paradis, réalisé en 1930, l’un en français et l’autre en allemand par Wilhelm Thiele, avec le même scénario et où seuls les comédiens changent selon la version.
Mais si la question européenne ne concerne pas que les relations franco-allemandes, ce qui se passe en Espagne intéresse peu les Européens comme le démontre La belle équipe de Julien Duvivier en 1936 dans lequel les affaires d’outre-Pyrénées semblent bien éloignées des soucis des ouvriers français, davantage intéressé par les réformes sociales du Front Populaire.  Ce désintérêt est encore plus frappant dans Hôtel du Nord de Marcel Carné en 1938 qui évoque clairement la guerre d’Espagne et un positionnement clairement nationaliste et xénophobe de beaucoup de Français.
Et tandis que la menace Nazie devient plus pressante, les cinéastes français adoptent des points de vue variés. Abel Gance revisite son Napoléon en 1935 et le transforme en visionnaire d’un bâtisseur d’une Europe des peuples face à l’hégémonie du peuple aryen.  Ce en quoi Jean Renoir semble acquiescer dans La Marseillaise en 1938 opposant deux visions de la nation, celle républicaine et celle nazie. Mais c’est certainement Jacques Feyder qui, dans La kermesse héroïque en 1935 qui, réitérant le pacifisme d’avant 1933 avec comme morale simple « tout vaut mieux que la guerre ! » correspond au mieux à l’opinion publique d’alors.
Pourtant, la réalité est tout autre. Et le cinéma nazi de propagande est bien explicite. Dans Hôtel Sacher d’Erich Engel en 1939, si l’action se passe le 31 décembre 1913, c’est bien la situation de la date de sortie du film qui est décrite pour les spectateurs, celle qui remet en cause tout système multinational et vante l’idée d’un territoire sous contrôle d’un seul peuple, d’un seul Etat : le IIIème Reich.

Après la Seconde Guerre Mondiale : quand la réconciliation franco-allemande inspire les cinéastes
Après la Seconde guerre mondiale, on retrouve une transcription cinématographique du désastre. À l’expressionnisme d’après 1918 répond le néo-réalisme italien, témoignant de l’état de destruction de l’Europe en général, de l’Allemagne en particulier, comme Allemagne, année zéro de Roberto Rossellini en 1949.
Deux ans auparavant, Jacques Tourneur, dans Berlin express démontre cependant que cette Europe s’envisage, certes autour d’une reconstruction par les puissances victorieuses mais aussi et surtout sur deux piliers européens : la France et l’Allemagne.
C’est bien ce repère qui va alors orienter les spectateurs. La construction européenne passe par cette entente entre les deux ennemis d’hier. La question qui se pose est donc bien de comprendre comment l'Europe se présente désormais aux Européens sur grand écran. Et dans ce registre, avec Le déjeuner sur l’herbe, Renoir est certainement un des seuls qui, en 1959, imagine la construction européenne dans une dimension politique. Ainsi, Jean Renoir commence son film par la présentation d'un personnage interprété par Paul Meurisse, "probable futur président de l'Europe". Il est alors incroyable de voir que la logique du processus de la construction européenne puisse s’envisager par la création d'une Europe politique alors même que l'Europe économique n’était portée sur les fonts baptismaux par le Traité de Rome qu’en 1957. L'autre aspect intéressant du film de Renoir repose aussi sur le fait que ce "futur" président n'est pas un homme politique mais un scientifique parlant de problèmes scientifiques liés à la reproduction du vivant pour expliquer ce que l'Europe pourrait apporter comme solution. Ainsi, dès le début du film, tout le rapport de l'Europe aux citoyens qui la composent est présenté: projet en lien avec l’agriculture, seul domaine ayant finalement depuis une politique européenne commune avant l'Euro. Mais cela se fait dans des termes incompréhensibles et techniques qu'aucun spectateur ne peut comprendre, avec, pour couronner le tout, la conclusion du discours du "professeur futur président" que le journaliste estime très claire. Belle prémonition d'une élite qui comprend une Europe que les peuples ne comprennent pas !
En 1961, Audiard dialogue la construction de l'Europe dans le film d'Henri Verneuil Le Président avec dans le rôle-titre Jean Gabin. Dans un monologue extraordinaire, le dit président (du Conseil c'est-à-dire chef du gouvernement sous les Républiques précédant la Vème),  après s'être fait retoquer son projet d'union douanière en Europe met en accusation le contre-projet qu'il qualifie de projet des trusts "qui veulent s'étendre partout, sauf en Europe". Il reproche à ce projet d'être celui des banques et de ne pas s'occuper des Européens. Ce discours présente donc aussi et déjà les volontés d'impérialisme économique des Etats européens sous influence des lobbies industriels désireux de s'implanter dans les pays producteurs de matières premières. La délocalisation et ses dérives sont donc déjà envisagées alors même que l'idée de mondialisation telle que définie depuis la chute du bloc soviétique n’est évidemment pas à l'ordre du jour en 1961.
Le cinéma européen est cela-dit essentiellement un cinéma qui parle de France et d'Allemagne et plus largement du monde germanique. Ainsi, pour reprendre le film de Renoir, c'est bien avec une "germanique" que le futur président de l’Europe est fiancé. Et ces fiançailles à l’écran accompagnent celles entre la France de De Gaulle et l’Allemagne d’Adenauer. Elles se poursuivent au cinéma, dans celui notamment d'Audiard, que ce soit avec Denys de la Patellière pour Un taxi pour Tobrouk (1961) ou avec Gilles Grangier pour Le cave se rebiffe (1961). Ces films mettent souvent en scène la nouvelle entente franco- allemande. Pour le film Un taxi pour Tobrouk, il est tout à fait remarquable de voir comment le personnage interprété par Hardy Kruger, officier allemand fait prisonnier par des soldats français, dont un juif interprété par Charles Aznavour, se retrouve à devenir un compagnon de route dans ce road movie des sables. Pour la première fois peut-être, un soldat allemand n'est pas montré comme un sale nazi. Mieux, Audiard montrait ce que Français et Allemands partagent. Ils participent aux mêmes événements sportifs, le personnage de Ventura étant boxeur avant la guerre et empêché de boxer un Allemand pour cause de déclaration de guerre! De même, Kruger et Ventura ont fait la bataille de Narvik, l'un rapportant la Croix de guerre… l'autre des engelures ! Par des dialogues savoureux, le soldat interprété par Maurice Biraud rappelle à l'officier allemand que depuis Napoléon, les Français ne supportent pas que quiconque n'envahisse la Pologne à leur place. Déjà un projet européen !
Dans Le cave se rebiffe, Bernard Blier évoque d’abord l’industrie dans toute l’Europe avec par exemple des productions de « chaussures italiennes à Grenoble » puis des clients prestigieux de sa maison close: « des Hanovre, des Hollen Zollern, rien que des biffetons garantis Croisade ». Outre les origines allemandes des nobles cités, c'est bien encore la culture commune, celle des croisades chrétiennes, entre Français et Allemands qui est présentée ici. Ce rapprochement franco-allemand se fait également par des coproductions de films dans lesquels le passé "nazi" de l'Allemagne semble devenu un objet d'humour plutôt étonnant, comme par exemple dans le film de Georges Lautner Les tontons flingueurs en 1963
Mais le "cinéma à papa" n'est pas le seul à témoigner de ce rapprochement. François Truffaut adapte Jules et Jim à l'écran en 1962, racontant l'histoire d'un Français (Jim) et d'un Allemand (Jules) amis et amoureux d'une même femme. Outre ce ménage à trois sulfureux, c'est bien encore leur culture commune qui est mise en avant, notamment lors d'un visionnage de diapositives d'objets archéologiques européens.

L'Europe, terre d’espérance ? Le scepticisme des cinéastes

Pourtant, il n’est rien de dire que l’idée même de l’Europe ne soulève pas l’enthousiasme populaire. Ne serait-elle qu'une construction pour les entreprises et les Etats? Dans Rue des prairies de Denys de la Patellière en 1959, le fils de Jean Gabin se demande bien l'intérêt de connaître les volumes des différentes productions économiques en Europe. Elle apparaît donc comme inintéressante pour les citoyens et la jeunesse car elle ne fait manifestement pas rêver! Trente ans plus tard, Eric Rochant fait d’ailleurs dire au personnage principal de son film Un monde sans pitié :
« Si au moins, on pouvait en vouloir à quelqu'un. Si même, on pouvait croire qu'on sert à quelque chose, qu'on va quelque part. Mais qu'est-ce qu'on nous a laissés ? Les lendemains qui chantent ? Le grand marché européen ? On n’a que dalle. On n'a plus qu'à être amoureux, comme des cons et ça, c'est pire que tout ».
Cette mise en comparaison du modèle communiste, autre proposition d’unité européenne mais à l’agonie avec le projet européen clairement libéral montre à quel point ce projet se déconnecte de plus en plus de la population, en tout cas française. Les illusions d’après-guerre, avec lesquelles se trouve la construction européenne ne conduisent finalement pas au bonheur espéré.
Pourtant, il y a des volontés de montrer que l’Europe peut être une chance et une force. En 1992, un projet cinématographique a pour ambition à la fois de célébrer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb par la réalisation de 1492 de Ridley Scott. Film européen par le casting comme par la production, 1492, date clé dans l’Histoire mondiale, fait écho à l’année 1992, année de l’acte de naissance du projet d’Union Européenne, prémices des possibles futurs États-Unis d’Europe. Ce rêve européen est d’autant plus légitime en 1992 qu’il propose un modèle vers lequel s’est finalement tourné toute la partie Est du continent.
Ouvertement libéral et pacifique, ce projet européen est clairement séducteur pour ceux ne le vivant pas. Et Good bye, Lenin ! de Wolfgang Becker témoigne formidablement de cette aspiration à la démocratie de l’Europe occidentale et à ces libertés nouvelles. Mais le film montre aussi combien les Allemands de l’Est deviennent immédiatement un nouveau marché et une proie pour les entreprises capitalistes, avec toutes les désillusions que cela entraînent pour ces populations.
Pourtant, l'Europe devient un sujet central d'un projet cinématographique dans L'auberge espagnole de Cédric Klapisch en 2002. Raillant l'aspect technocratique et économique de l'Union européenne, le cinéaste fustige la complexité administrative, et donc répulsive, pour qu’un étudiant puisse participer au dispositif Erasmus permettant de suivre un cursus universitaire en Europe. En rappelant qu’Erasmus vient de l'Humaniste ayant vécu au XVIème siècle ayant voyagé dans toute l'Europe, Klapisch inscrit encore une fois l’identité culturelle et donc civilisationnelle des Européens. Mais contrairement aux films d'Audiard vantant cette culture commune, le personnage semble justement ignorer l'existence de ce personnage, héraut de l'Europe s'il en est! Ceci montre donc bien un effacement d'une culture à dimension clairement  européenne chez les Européens! En revanche, une fois arrivé à Barcelone, le héros parvient à se loger dans un appartement dans lequel vivent des étudiants de toutes nationalités: espagnols, italien, irlandaise, allemand, danois... Or, bien qu'en Espagne catalane, tous parlent en anglais, langue européenne non officielle mais de fait commune à tous. L’acceptation du Français dans l’appartement passe par la négociation et par le pragmatisme pour aboutir à une décision unanime des déjà locataires. Le cinéaste sous-entend finalement que cette volonté de vivre ensemble n’aboutit que si on se connaît, que si on partage des choses ensembles. Pas si on les impose.
Ainsi, moins que protéger, le cinéma relaie surtout l’image d’une Europe technocratique, impuissante à faire face aux lois du marché capitaliste et libéral. Dans It’s a free world, Ken Loach dénonce en 2007 un marché du travail ne servant que les intérêts des capitalistes et des patrons, y compris les plus petits, exploitant les travailleurs européens, ici ukrainiens, donc hors Union Européenne, sacrifiant leur vie, et leurs économies, pour des salaires misérables.
À ce libéralisme échevelé que dénonce Ken Loach ne répond même plus une protection des Européens par les Etats construisant cette Europe. Dans No man’s Land en 2001, Denis Tanovic rappelle que le sort de la Yougoslavie est réglé par l’ONU et les USA, la présence européenne étant davantage symbolique, par la venue notamment du président de la République française François Mitterrand, ou en tant que Casque bleu, donc sans autorité européenne. Si l'Europe capitaliste et libérale ne fait plus rêver ses propres habitants, elle n’arrive également plus à représenter une solution alternative qu’elle se proposait d’être pour ses voisins européens : une solution généreuse pour vivre dans la prospérité et dans la paix entre les peuples.

Conclusion
Le cinéma français, mais il en est de même pour les autres cinémas européens, montre donc très peu d'enthousiasme quant à la représentation de la construction européenne. En revanche, il montre que les Européens, et particulièrement les Français et les Allemands, ont une culture et une histoire communes. Moins que des films montrant l'Europe, c'est davantage des collaborations d'acteurs et d'actrices européens dans des projets européens qui montrent l'Europe à l'écran, que ce soit dans l’entre-deux guerres ou depuis les années 1960. Luc Besson a appelé sa société de production EuropaCorp et a distribué en 2010 un film s'appelant La révélation évoquant les procès des crimes perpétrés en Yougoslavie dans les années 1990 faisant intervenir le Tribunal Pénal International de La Haye. Les Européens s'intéressent de plus en plus aux pays d'Europe qui avaient justement été hors du processus de construction européenne, c'est-à-dire les pays du bloc communiste comme ce fut le cas pour Good bye, Lenin ! Cette volonté de raconter le passé de la part des cinéastes de l'Europe de l'Est semble aujourd'hui satisfaire les spectateurs européens dans leur envie d'Europe au sens large, comme autrefois les Français ont vu leur rapprochement avec les Allemands consacré à l'écran. Mais cela montre surtout que pour l'instant, l'Europe n'est qu'une somme de nations qui vivent côte à côte, avec des références communes, mais pas encore ensemble. Si le modèle de L'auberge espagnole où tout le monde conserve sa langue mais échange avec les autres par l'anglais est un fait qui est encore loin de pouvoir être institutionnellement appliqué tant la désignation d’une langue commune reste certainement un des derniers remparts à la construction européenne, plus fort que la monnaie commune et unique qui elle a pu se décréter par les Etats membres.
Or, et la langue en est une des caractéristiques, il s’avère que ce sont bien les différences culturelles et historiques entre les peuples qui resurgissent pour remettre en cause le projet d’une Europe pacifiée. Dans la séquence introductive de Joyeux Noël, Christian Carion montre le point de vue des Européens avant la Première guerre mondiale, imposant à leur jeunesse une propagande nationaliste prononcée dans chacune des langues du continent. Mais son film s’adresse aux spectateurs du XXIème siècle, rappelant de fait le danger de ces revendications nationales aboutissent au repli sur son identité et dans ses frontières. Et on sait le tribut que les Européens ont payé il y a un siècle après avoir adopté ce comportement. Au regard des situations dans certaines régions d’Europe, le message du cinéaste est plus que jamais d’actualité montrant que les tentations nationalistes sont une menace évidente pour la pérennité du projet européen devant conduire à la paix et à la prospérité des peuples.

À très bientôt
Lionel Lacour

jeudi 26 octobre 2017

Un site internet pour la légende Gregory Peck

Bonjour à tous

Le Festival Lumière 2017 est terminé mais cela n'empêche pas de revenir sur ceux qui ont fait le cinéma de l'âge d'or d'Hollywood. Et Gregory Peck fait partie de ceux-là.
Pour les Français, il est celui qui joua dans Les canons de Navarone en 1961, dans Moby Dick en 1956 ou encore Vacances romaines en 1953.
Pour les Américains, il est assurément un immense acteur oscarisé pour son rôle d'Atticus Finch dans l'adaptation cinématographique de To kill a mocking bird par Robert Mulligan en 1962 (voir à ce sujet Du silence et des ombres:chef-d'œuvre indispensable).

La carrière de Gregory Peck se caractérise par un éclectisme incroyable, tournant dans des films de guerre comme dans des westerns, des films d'aventures, d'espionnage ou des films plus romantiques.

lundi 2 octobre 2017

Lumière 2017 - Documentaire sur Carlo Di Palma: un regard sur l'Italie

Bonjour à tous,

Le festival Lumière, comme chaque année, propose des documentaires consacrés à ceux qui permettent aux cinéastes d'obtenir les images, les couleurs et les contrastes de leurs rêves. Cette année, c'est donc autour du grand chef opérateur italien Carlo Di Palma qu'un documentaire sera proposé le Vendredi 20 octobre 2017 à 11h, à l'Institut Lumière (Salle 2 Villa)
Intitulé De l'eau et du sucre, Carlo Di Palma, les couleurs de la vie et réalisé par Fariborz Kamkari, ce documentaire plonge pendant 1h30  le spectateur dans l'Italie de la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu'à la fin de la carrière de

jeudi 28 septembre 2017

Lumière 2017 - "La Continental, le mystère Greven" ou le cinéma français sous l'occupation

Bonjour à tous

Découvrir ce documentaire, c'est comme découvrir un pan entier d'une histoire cachée depuis longtemps et que Bertrand Tavernier avait commencé à révéler dans Laissez passer en 2002. C'est donc tout légitimement que le réalisateur français intervient autant comme réalisateur cinéphile que comme historien du cinéma dans ce passionnant documentaire. Car Claudia Collao, la réalisatrice, a trouvé ce qui se fait de mieux comme historiens du cinéma français. Jean Ollé-Laprune et Pascal Mérigeau apportent leurs connaissances mais aussi leurs doutes sur cette période étonnante du cinéma français

Lumière 2017 - "Dans les pas de Jean-Paul Rappeneau", une histoire de cinéma

Bonjour à tous

Le Festival Lumière 2017 projettera le documentaire Dans les pas de Jean-Paul Rappeneau à l'Institut Lumière (salle 2 - Villa) le mercredi 18 octobre à 19h45. Réalisé par Jérôme Wybon, le film propose à la fois un entretien avec le réalisateur de Cyrano de Bergerac et une leçon de cinéma pour les spectateurs.

Toute la filmographie de Rappeneau est abordée par des anecdotes qu'il apporte lui-même ou par

vendredi 22 septembre 2017

Lumière 2017 - "Jean Douchet, l'enfant agité": la passion cinéphilique

Bonjour à tous,

Samedi 21 octobre à 11h sera projeté un documentaire sur le critique de cinéma, mais surtout cinéphile Jean Douchet. Ce n'est pas la première fois qu'un film est consacré à cet historien du cinéma, plume majeure dans Les cahiers du cinéma et grand spécialiste d'Hitchcock, de Truffaut et de tant d'autres. Mais Jean Douchet, l'enfant agité a cette particularité

lundi 18 septembre 2017

Lumière 2017 - Gene Tierney, une star oubliée: une Histoire américaine

Bonjour à tous

Après Et la femme créa Hollywood programmé au Festival Lumière 2016, Clara et Julia Kuperberg reviennent pour l'édition 2017 avec leur nouveau documentaire Gene Tierney, une star oubliée présenté le vendredi 20 octobre à l'Institut Lumière (salle 2 - Villa).

Les amateurs du cinéma de l'âge d'or d'Hollywood ne pourront qu'être ravis de ce documentaire qui s'ouvre sur le témoignage formidable de Martin Scorcese, cinéphile par excellence. Et l'histoire de l'actrice commence, comme par une ouverture de rideaux, avec les affiches de Laura et de Péché mortel de part et d'autre, deux de ses nombreux films, suivant le point de vue de la comédienne par la lecture des quelques extraits de ses mémoires.

Gene Tierney, une star oubliée fait, au travers de l'actrice, un panorama sur ces réalisateurs tyranniques des studios avec qui elle a travaillé, de Fritz Lang à Ernst Lubitsch en passant par John Ford, puis un autre sur les actrices qui comme elle remplissaient les salles de cinéma, de Lana Turner à Marilyn Monroe. Au travers de sa filmographie, on voit sa spécificité d'actrice, dépassant les archétypes des personnages féminins satisfaisant habituellement les fantasmes masculins, "la pucelle ou la putain" comme l'affirme une autre historienne intervenant dans le documentaire.

Mais là où nombre de documentaires biopics se contentent de n'aborder que la partie artistique et personnelle des stars, celui-ci propose une sorte d'Histoire parallèle entre la carrière de l'actrice et son époque, à commencer par la machine hollywoodienne. Ainsi, quand une historienne du cinéma évoque les personnages de femmes exotiques incarnés à l'écran par Gene Tierney, c'est pour ensuite mieux expliquer les stratégies commerciales des majors visant une exploitation internationale avec des comédiens n'étant pas trop typés. Voici comment Gene Tierney pouvait incarner une chinoise comme une orientale: pour répondre à une logique économique, depuis appelé soft power.

Plus encore, c'est une partie de l'Histoire de ces années de seconde guerre mondiale et post-guerre que le film révèle. Par exemple, nous apprenons, images à l'appui, que Gene Tierney, comme d'autres stars, masculines ou féminines, a participé à l'effort de guerre, comme Humphrey Bogart ou John Wayne, en tournant des films de propagande et en soutenant les troupes américaines, comme Thunder birds de W. Wellman en 1942.

Loin des hagiographies, Gene Tierney, une star oubliée permet donc de comprendre, par le prisme d'une actrice dont le nom s'est, comme d'ailleurs tant d'autres à l'instar de Jean Simmons, effacé de nos mémoire, d'appréhender une période de l'Histoire des USA, tant du point de vue culturel, économique que politique. Mais également de comprendre que la machine à rêves que représentait Hollywood était aussi une machine à broyer, qui a fait la fortune des studios comme des institutions psychiatriques californiennes.

Riche d'archives de studios ou privées, avec une iconographie dense, Clara et Julia Kuperberg donnent donc aux spectateurs un documentaire captivant, dans lequel on découvre autant une actrice qu'un âge du cinéma béni par certains. Il donne surtout envie de redécouvrir les films que Gene Tierney a tourné pour John Ford, Mankiewicz, Preminger et tant d'autres!

FILM PRESENTÉ PAR LES RÉALISATRICES
Gene Tierney, une star oubliée de Clara et Julia KUPERBERG
Vendredi 20 octobre - 16h45 - Institut Lumière (Salle 2 - Villa)

À très bientôt
Lionel Lacour

dimanche 17 septembre 2017

Lumière 2017 - "Filmworker": dans l'ombre de Kubrick

Bonjour à tous,

Quand on est un Kubrick addict, le documentaire Filmworker est celui qu'il faut voir absolument. Régulièrement, le Festival Lumière apporte un éclairage nouveau sur ce cinéaste, comme en 2013 quand il recevait son producteur James B. Harris. Pour sa neuvième édition, ce documentaire passionnant présenté par son réalisateur Tony Zierra, vient encore un peu plus satisfaire les fans du réalisateur de The Shining.

Filmworker est le portrait de Leon Vitali, acteur prometteur et

jeudi 14 septembre 2017

"Histoire et Cinéma" à l'Institut Lumière 2017 - 2018

Bonjour à tous


Comme chaque année, je propose un cycle de conférences "Histoire et Cinéma" à l'Institut Lumière, avec cette année des nouvelles séances pour coller au plus près des programmes de collèges et de lycées pour les classes étudiant le monde contemporain.

Le programme de ciné-conférences « Histoire et Cinéma » a pour objectif de montrer combien les films sont des témoins de leur temps. Chaque séance aborde des points des programmes d’Histoire

jeudi 7 septembre 2017

"La journée de la jupe": le diagnostic avant les drames

Bonjour à tous

En 2009, Arte diffusait La journée de la jupe avant sa sortie en salles. Réalisé par Jean-Paul Lilienfeld et avec Isabelle Adjani dans le rôle de Madame Bergerac, professeur de français d'un collège de banlieue, le film avait été accueilli plutôt positivement par les médias sans pour autant pointer forcément du doigt ce que ce film révélait. Le revoir 8 ans après est assez troublant car il porte en lui tous les éléments de l'actualité depuis 2015.

Le recul de l'autorité des enseignants
Le film plonge rapidement dans son sujet: une professeur de banlieue avec une population immigrée majoritaire se fait malmener par les élèves, garçons comme filles. Elle se fait insulter, intimider, humilier mais elle essaie tout de même de

mardi 5 septembre 2017

Etre Blanc et filmer les Noirs: quand le communautarisme envahit l'écran

Bonjour à tous,

Après la sortie du film de Sofia Coppola Les proies et avant celle du film Detroit de Kathryn Bigelow (déjà sorti aux USA), certains noirs prétendus intellectuels montent au créneau. Coppola blanchirait ses personnages pour effacer les noirs du roman et Bigelow serait incongrue en tant que blanche à filmer une révolte de noirs. Voir l'article du Monde "Le débat sur la légitimité de l'artiste à s'emparer de sujets qui échappent à sa culture est effarant"

L'argument n'est pas nouveau aux USA. Depuis que la question des droits civils est abordée par le

samedi 26 août 2017

"Impitoyable", chef-d'œuvre absolu, à l'Institut Lumière

Bonjour à tous

en 1992 sortait Impitoyable sur les écrans du monde entier.
Réalisé par Clint Eastwood, ce film aux 4 oscars, renouait avec la légende de l'Ouest de la meilleure des manières, sans nostalgie, mais avec un sens inouï de la définition du mythe américain.
Vingt-cinq ans après, l'Institut Lumière de Lyon propose une séance exceptionnelle du film le jeudi 31 août à 20h00 en copie restaurée, le tout présenté par Fabrice Calzettoni, responsable pédagogique de l'Institut Lumière.

vendredi 11 août 2017

La planète des singes - Suprématie: retour vers le futur

Bonjour à tous,

ainsi donc, le 3ème opus de la nouvelle saga Planète des singes est en salles depuis le 2 août 2017. L'attente était grande car le premier volet, La planète des singes - Les origines avait été une merveilleuse surprise réalisée par Rupert Wyatt (voir La planète des singes 2011: le mythe régénéré) et permettait de revisiter l'histoire de Pierre Boulle de manière radicale. Le deuxième volet, La planète des singes - l'affrontement avait été donc le blockbuster de l'été 2014 réalisé par Matt Reeves. Moins surprenant que le premier, il proposait une vision plus sombre de notre civilisation (voir La planète des singes - l'affrontement: parabole du chaos de notre civilisation?). Aussi, la sortie de La planète des singes - Suprématie devait apporter la réponse finale aux spectateurs: comment la planète Terre allait être finalement

mardi 8 août 2017

Djam ou le syndrome du cinéma borgne

Bonjour à tous

Tony Gatlif est un cinéaste du temps présent, des marginaux, et du souffle. Son nouveau film co-produit par Auvergne-Rhône-Alpes-Cinéma, Djam, qui sort le 9 août 2017, ne déroge pas à la règle. Il plante son histoire non pas en Grèce continentale, mais sur l'île de Lesbos, un espace intermédiaire entre Turquie et Europe. Dans un road-movie en boucle, les héroïnes de Djam empruntent le bateau, marchent beaucoup, voyagent un peu en bus et, éventuellement en voiture, suivant, involontairement pour les héroïnes, volontairement pour le scénariste et réalisateur, une partie du trajet suivi par les réfugiés syriens. C'est donc un film "de" et "dans" l'actualité que Gatlif a réalisé. Avec sa force habituelle. Mais aussi et

mardi 1 août 2017

Le cinéma: une autre lecture du XXème siècle

Bonjour à tous,

Au printemps 2008, j'écrivais un article pour la revue Lire au collège (numéro 79 - "Cinéma dans les classes") sur la possibilité d'utiliser le cinéma, tout le cinéma, comme source historique, tant pour la recherche que pour la pédagogie.
En voici la copie:

Le cinéma: une autre lecture du XXème siècle

Bonne lecture et à bientôt.

Lionel Lacour

dimanche 14 mai 2017

L'Allemagne de Weimar au cinéma: la République mal née

Bonjour à tous,

Mercredi dernier, je donnais une ciné-conférence sur la République de Weimar vue par son cinéma. En voici le compte rendu.

LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR VUE PAR LE CINÉMA, 
LA RÉPUBLIQUE MAL NÉE

Au lendemain de la 1ère guerre mondiale, la représentation du monde le divise entre le mal, symbolisé par des êtres sombres, vivant dans des espaces hostiles et agressant le bien, représentés par des symboles blancs, clairs, lumineux, images de l’innocence ou de la vertu. Cette vision très marquée, très manichéenne, avec des forts contrastes notamment esthétiques, correspond à l'état dans lequel se trouvent l'Allemagne et avec elle, le camp des perdants de la guerre: ce sont des pays ruinés économiquement, traumatisés par les traités de paix dont celui de Versailles, aboutissant notamment à des frais de guerre colossaux et à l'éclatement territorial des pays vaincus. Les arts allaient vite y trouver une forme d'expression correspondant à cette situation, accompagnant par la suite le régime né de la défaite militaire, la République de Weimar. Le cinéma particulièrement, avec des réalisateurs de première importance, sans jamais représenter expressément cette République, témoigne pourtant de l'évolution du pays, de la situation difficile d'après guerre à l'agonie d'une République ne sachant répondre à la crise venue des USA, en passant par une phase d'espérance. 


LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR : NAISSANCE ET ESPÉRANCES
Une Allemagne traumatisée – une identité à reconstruire

Esthétiquement, l’expressionnisme allemand est flamboyant : forts contrastes, forte utilisation des angles saillants, distorsion des perspectives, décors symboliques, ce qui est particulièrement visible dans La cabinet du Docteur Caligari réalisé en 1919 par R. WIENE. Le monde dans lequel vivent les personnages est un monde sans soleil, sans joie, avec des paysages de ronces. L’action évoque des fous, un asile faisant face à d’autres ne l’étant pas. C’est en fait une société de chaos que doit vivre la population allemande. L'expressionnisme permit ainsi de retranscrire l'état psychologique des peuples germaniques après la guerre et la défaite.


Dans Nosferatu de F. W. MURNAU en 1922, le mal vient de l’étranger - suggéré par son arrivée sur un bateau. Le mal est symbolisé par un étranger au physique sec, visage anguleux, yeux exorbités, doigts crochus. Cette description correspond d'ailleurs à celle des êtres mauvais dans l'iconographie traditionnelle. Il est accompagné des rats se trouvant dans le même navire, eux aussi symboles du mal - ils portent les maladies les plus mortelles comme la peste. On y retrouve aussi la symbolique du mal représenté par la couleur noire, les angles aigus et la disproportion, comme l'ombre de Nosferatu quand celui-ci vient s'en prendre à l'héroïne, symbole du bien et de la vertu, forcément représentée en blanc.
Ces deux mondes, celui du mal et du bien, sont séparés (par une fenêtre) mais ils se voient. Et surtout, le mal peut interférer et nuire au bien. L'ombre (forcément noire) de la main de Nosferatu sur le cœur de sa victime montre l'objectif final de l'étranger: tuer la vertu et l'innocence des autochtones...

En 1926, ce même Murnau réalisait sa version de Faust, autre représentation très apocalyptique du monde et donc de la société germanique avec utilisation du mythe de Faust. Plus que dans Nosferatu, il recourt à une utilisation extrême de l’esthétique expressionniste. Le diable couvre le ciel de sa cape noire tandis qu'il fait fort usage des décors symboliques et peu réalistes. Mais la fin est plus optimiste avec le triomphe du bien (les anges sont de blanc vêtus et lumineux) et des valeurs chrétiennes (c'est l'amour des autres qui est plus fort que tout) qui repoussent le diable en dehors de la ville et permet au peuple de retrouver la paix.


Cet optimisme se caractérise aussi par un rapprochement avec l’ennemi d’hier, notamment lors de coproductions franco-allemandes comme ce film, Le chemin du paradis de W. THIELE réalisé en 1930. Mêmes scénarios, mêmes décors, mêmes dialogues, mêmes plans. Juste la langue et les acteurs … et le pas militaire filmé dans une séquence sont différents ! Attention cependant, ce rapprochement franco-allemand est plus du fait du pacifisme français et d’un réel rapprochement franco-allemand de la fin des années 20… Il n'empêche, ces films franco-allemands comme par exemple Allo Berlin? Ici Paris de J. Duvivier  en 1932 manifestent une période moins belliqueuse et revancharde chez les Allemands, malgré la montée en puissance du parti nationaliste d'Hitler.




WEIMAR, LA RÉPUBLIQUE EN CRISE DE LÉGITIMITÉ
De la crise économique à la crise d’autorité

Le réalisateur autrichien G. W. PABST dont une bonne partie de la carrière de cinéaste est allemande, tourne La rue sans joie en 1925  dont l’action se passe à Vienne, en Autriche. Mais les spectateurs sont tout autant Allemands qu’Autrichiens. PABST filme les stigmates de la guerre, comme ce plan avec un unijambiste, victime manifeste de la guerre, usant d'une esthétique encore marquée par l’expressionnisme mais avec davantage de réalisme. Les murs ne sont pas droits, les angles sont encore saillants, les contrastes marqués mais on est loin des décors théâtraux des premiers films expressionnistes. Il dépeint la crise économique avec les difficultés de ravitaillement. La police, dont les membres sont évidemment issus du peuple, fait régner l’ordre au profit des puissants. Ainsi en est-il pour cette file d'attente de personnes attendant de pouvoir acheter de la viande à la boucherie. Tout comme dans Nosferatu, une fenêtre sépare le peuple de ceux qui profitent de lui, comme ici le boucher. Ainsi, pour obtenir de la viande alors qu'il n'y en a officiellement plus, des femmes s'agenouillent pour se montrer au boucher. Elles s'humilient auprès de lui pour obtenir la viande qu'il a cachée - viande à laquelle, de manière très imagée, PABST donne un double sens évident (de la viande contre une faveur sexuelle), montrant de fait que ce monde est pourri par la corruption.
La représentation du mal se fait ici par des figures de personnes grasses (le boucher, une bourgeoise, le capitaliste).  Le capitalisme est le mal et vient forcément de l’étranger. Le spéculateur international s'appelle Canez et il profite du peuple en spéculant sur une grève créée de toute pièce pour pouvoir ensuite acheter les actions à bas prix. La musique jazz jouée dans le restaurant bourgeois accentue l'aspect non germanique de ceux préférant les valeurs non nationales plutôt que de se soucier du peuple. En creux, c'est la non intervention d'autorités publiques pour empêcher ces manœuvres qui vient définir la République de Weimar. Le peuple se trouve livré à lui-même face aux spéculateurs.

Dans Metropolis, F. LANG illustre en 1926 cette même division du monde entre riches et pauvres mais dans un film de science fiction. Les riches sont cette fois ci séparés du monde des pauvres non par une fenêtre mais par une porte. Les mondes ne se voient même plus. Comme les policiers dans La rue sans joie, les domestiques protègent le monde des riches et leur opulence des pauvres dont ils font pourtant partie. On voit ici comment cette société inégalitaire est défendue par ceux qui peuvent obtenir quelques minces avantages sans pour autant faire partie du monde qu'ils défendent. Mais si la jeunesse bourgeoise est oisive et richement vêtue, le peuple lui est au contraire habillé de vêtements fonctionnels et uniformes, les enfants découvrant les merveilles du monde riche contrastant avec le monde bétonné de leur cité souterraine et de l'usine dans laquelle travaillent leurs pères. LANG filme alors des machines devenues des "dieux" tandis que les ouvriers sont assimilés à des esclaves. L'Allemagne de 1926 est donc marquée par des films dénonçant un capitalisme féroce ne permettant pas aux couches populaires d'accéder au bonheur. Cependant, Metropolis finit de manière optimiste, laissant penser qu'un dialogue entre le patron et les ouvriers est possible.


En 1927, F.W. MURNAU tourne L'aurore, son premier film américain. Il plonge le spectateur dans une histoire intemporelle mais dans laquelle toutes les caractéristiques esthétiques et thématiques de la période se retrouvent. Le vampire de son Nosferatu est alors remplacé par une femme tentatrice mais aux mêmes objectifs : détourner les hommes du Bien. Mais cette fois, MURNAU propose une approche à la fois plus réaliste tout en restant poétique et un point de vue de sa société idéale. Il sur-valorise le monde traditionnel: monde rural, travail de la terre, le mariage, la famille et dénonce le monde urbain, corrupteur et sans valeur, oisif et tentateur. Ce sont les valeurs positives qui l'emportent comme le symbolise la musique traditionnelle jouée dans une fête pour les héros du film, se retrouvant soudain en ville, faisant de fait cesser la musique jazz qui y était interprétée jusque là.



Le monde de la ville et ses valeurs sont également mis en cause dans Asphalt de J. MAY en 1929. Une jeune femme est surprise en train de voler une bague dans une bijouterie ouverte la nuit. Deux systèmes de valeurs s'affrontent ainsi: la permissivité, l’excès de tolérance face aux infractions d'un côté et de l'autre, le respect pointilleux des lois. Comme le film précédent, le rôle tentateur de la femme soumise à la mode, aux plaisirs futiles, au plaisir du crime est dénoncé. Elle réussit à corrompre un policier pourtant intègre, le conduisant à tuer l'amant de cette femme, une voleuse. Coupable, il cherche du soutien auprès des ses parents. Si sa mère protège son fils, le père, policier, décide lui de protéger la société en arrêtant son fils pour le livrer à la justice. Film analysé parfois comme pré-nazi puisque le père met sa fonction au-dessus de sa nature paternelle, il ne montre cependant que le fait que les spectateurs acquiesçaient à une police faisant respecter la loi et dont l'autorité était non négociable ni corruptible.


C'est bien de cela qu'il s'agit d'ailleurs dans le chef-d'œuvre de J. VON STERNBERG L'ange bleu en 1930. Là encore, la ville est montrée avec des espaces interlopes séparés des quartiers civilisés. Mais le déclin de Weimar, c’est-à-dire de ceux censés la représenter, vient du fait que ces derniers s’abaissent à s'amuser et vivre avec ceux qui ne vivent que de plaisirs futiles, aux valeurs immorales, c'est-à-dire contraire à la morale convenue pour un pays en reconstruction. Le héros, un enseignant, se décrédibilise ainsi en se rendant au cabaret "L'ange bleu" dans lequel chante Lola Lola, interprétant notamment qu'elle n'est faite que pour l'amour. Amour charnel évidemment, et donc infidèle! Pire, il l'épouse et abaisse son statut jusqu'à même faire la poule lors du repas de mariage. Avec lui, c'est la déchéance des valeurs républicaines qui sont ainsi projetées à l'écran, puisqu'il en est un des serviteurs.

Et ce désamour avec la République de Weimar se retrouve dans les derniers instants d’expressionnisme au cinéma. Dans M le maudit, F. LANG réalise en 1931 une œuvre ambiguë. Autour d'une histoire tirée d'un fait divers, il montre que les assassins n’ont pas peur des autorités publiques et la défient même, comme l'ombre, symbolisant le mal, portée sur l’affiche de recherche de l’assassin d'enfants et qui est justement celle ... de l'assassin!
LANG décrit l'hystérisation de la population prête à accuser quiconque pourrait ressembler au criminel, notamment par l'utilisation de plongées et contre plongées extrêmes, accentuant les impressions et les tensions. À cette angoisse de la population, la police échoue à trouver le meurtrier. Pourtant, elle utilise tous les moyens modernes (empreintes digitales, police scientifique) et même le profilage avec analyse psychologique et psychanalytique, discipline récente et due aux travaux de Freud. Mais à l'image, tous ses efforts semblent minimisés, représentés comme peu efficaces. En réalité, il y a une rupture entre deux mondes : le monde légal dépositaire de l’autorité publique (celui de la République de Weimar), moderne mais ne refusant de s'appuyer sur le peuple, et de l'autre, un monde illégal, incarné par le syndicat du crime, qui réussit à arrêter le criminel avec l’appui des témoignages des populations les plus misérables, notamment un vendeur de ballons aveugle. De fait, la justice semble ne pas protéger les citoyens des assassins. Et le film témoigne de l'échec de Weimar face au triomphe de ceux qui, bien qu'étant des malfrats, savent eux compter sur les citoyens pour empêcher un criminel de sévir. Pis encore, en organisant un simulacre de procès, le juge-procureur répond aux demandes de l'assassin qu'il est hors de question de le livrer à la police et de le faire comparaître devant un vrai juge, car il serait emprisonné puis libéré pour bonne conduite. Il constituerait de fait à nouveau un danger pour la société. Si les SA de Hitler se sont sentis représentés dans le syndicat du crime, c'est davantage le divorce entre la République de Weimar et les Allemands que LANG avait filmé.
Sur ce film, voir M le maudit: critique de Weimar ou du nazisme

LE NAZISME OU L’ANTI-WEIMAR
Du renoncement des élites à l’évacuation de toute valeur républicaine

Deux ans après M le maudit, F. LANG tourne Le testament du Dr Mabuse, soit en 1933, après l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Le film raconte la mort d’un criminel mais dont le médecin légiste affirme qu’il était un génie avec un dessein de reconstruire un monde nouveau. Séduction post mortem d’une pensée criminelle donc avec un vocabulaire clairement puisé dans la dialectique nazie: fin d'un monde ancien et corrompu, émergence d'un monde nouveau. Le film est clairement destiné aux spectateurs allemands de 1933. En effet, le médecin légiste regarde la caméra en proférant son analyse sur le Docteur Mabuse, tandis que dans le contre-champ suivant, le policier à qui il parle fait  un clin d’œil également face caméra. Ce clin d'œil marque clairement une connivence voulue avec les spectateurs pour qu’ils réalisent combien ces idées sont folles et hors de toute raison.
Le rapprochement avec le parti nazi est encore plus flagrant quand, dans le bureau du Docteur Mabuse, le médecin découvre et lit le testament de ce criminel. Le document semble montrer que les crimes commandités par Mabuse répondent à une logique pour créer le chaos, et l’incompréhension par la société des actes perpétrés ont pour objectif de mieux abattre le régime en place, se tournant vers ceux prétendant pouvoir remettre de l'ordre. Ces textes, tirés de quelques discours de Hitler, prennent ici une dimension moins politique mais montrent l'aspect funeste et manipulateur d'une telle stratégie. Mais LANG va plus loin dans sa démonstration. Par un procédé fantastique, le Docteur Mabuse apparaît à l'écran tel une sorte d'ectoplasme et lit avec le médecin les passages du fameux testament. Et tout en disant ce qui y est écrit, l'ectoplasme rejoint le médecin et investit son corps. Symboliquement, il le vampirise. LANG montre ainsi comment les élites scientifiques ou intellectuelles se sont fait contaminer par ces théories criminelles pour mieux ensuite participer à leur mise en œuvre.

Après l'accession d'Hitler à la chancellerie, bien des cinéastes ont quitté l'Allemagne. F. LANG par exemple en 1933. Mais G.W. PABST également. Il tourna alors un film en France cette même année, Don Quichotte, en se servant d'un personnage de la littérature pour symboliser ce que fut Weimar mais aussi l'arrivée au pouvoir du parti Nazi. Don Quichotte, bien que héros espagnol de fiction du début du XVIIème siècle, devient l’allégorie de la République, qui veut le bien des populations mais qui n’a pas su empêcher les taxes et l’appauvrissement des habitants en se trompant de combat. La séquence des moulins à vent apparaît bien comme la parabole de l’échec de Weimar, n'attaquant pas la cause de la crise économique qui frappe la population. Don Quichotte ruiné, épuisé est donc mis hors d’activité, enfermé et moqué par les habitants. La séquence finale montre que tous les livres qui inspiraient le combat de Don Quichotte l’ont amené à se tromper. Ceux procédant à leur destruction lui disent alors: « une nouvelle vie commence » indiquant alors explicitement que les valeurs et enseignement de ces livres doivent être oubliées. L'autodafé final renvoie évidemment à ceux perpétrés par les Nazis à leur prise de pouvoir en 1933, autodafés devant purifié l'Allemagne des idées du passé l'ayant conduite à la situation de misère et de soumission aux autres puissances européennes dans laquelle elle aurait été depuis 1918. Pabst, exilé hors d’Allemagne, allait pourtant revenir dans le IIIème Reich pendant la guerre… 

Parmi les idées nouvelles, il y avait notamment la valorisation de la culture germanique, le retour de tous les Allemands dans l’Allemagne, et l'émergence d’un nouveau système de valeurs remettant en cause celles du passé qui ont abouti à la défaite. C'est ce que montre Heimat réalisé en 1938 par C. FROELICH. Bien que l'action se passe en 1885, Heimat reprend tous ces thèmes chers aux nazis. Le pangermanisme se voit notamment par le retour en Allemagne d'une cantatrice allemande ayant fait carrière à l'étranger. Mais c'est bien dans la dénonciation d'un monde ancien, reposant sur de vieilles valeurs nuisibles et dépassées, alors qu'un monde nouveau se construit sous leurs yeux, avec un nouvel honneur,  que le film prend sa dimension de propagande nazie. En réalité, ce monde ancien qui se détruit dans le film est bien pour les spectateurs de 1938 la République de Weimar, en leur rappelant de fait que le IIIème Reich, est le monde nouveau, plus favorable au peuple et plus à l'écoute de ses attentes, en voulant leur rendre la dignité perdue depuis le déshonneur du "Diktat" de Versailles.

Ce monde nouveau s’appuie cependant sur des figures historiques mythiques, comme dans le film de G. UCICKY Das Mädchen Johanna réalisé en 1935. Jeanne d’Arc représente une héroïne prisée par le régime nazi car elle est celle qui a chassé les Anglais du continent. Or les Anglais représentent un des deux ennemis à combattre pour Hitler avec l’URSS, parce qu'elle représente une autre forme d' "Internationale", celle du capitalisme.
Ainsi, par analogie, Jeanne est assimilable à Hitler. Comme lui, elle est d’origine modeste, elle est appelée au pouvoir pour mettre fin au désordre et établir une unité nationale, et dans le film, on lui demande de guider le peuple. Or Hitler est bien le guide, le Führer du peuple allemand. 
Dans la séquence pendant laquelle on lui demande de devenir la guide du peuple, la mise ne scène ressemble à celle des cérémonies filmées par L. RIEFENSTAHL dans le Triomphe de la volonté. Les torches brûlent et encadrent la place où s'est réuni le peuple. Jeanne est située en haut des escaliers, filmée en contre-plongée, comme pouvait l'être le Führer. Et à peine le pouvoir de conduire le peuple lui est-il confié qu’un incendie est déclaré contre le symbole de l’autorité fédératrice : dans le film la Cathédrale, représentant une autorité religieuse. En Allemagne, ce fut le Bundestag représentant ce qui restait de Weimar…

Avec ce film, c’est la fin de la République  Weimar qui est représenté par l’avènement d’un chef charismatique pour sauver le peuple. Cette République  naquit sans enthousiasme, devant gérer l'après guerre mondiale (traités, crises économiques) et l'opposition de ses adversaires, communistes ou nationalistes. Elle mourut dans l'indifférence du peuple allemand. Le cinéma accompagna ce régime mal aimé en illustrant autant ses déboires que les aspirations des Allemands à un régime restaurant une autorité respectable et soucieuse du sort de la population. Comme le dit S. Kracauer (lire à ce sujet Kracauer, l'Allemagne et le cinéma), le cinéma allemand témoigna des dispositions psychologiques de ce peuple pour un régime plus fort. Les films qui en témoignèrent n'étaient pas des films nazis. Mais ils permettaient de comprendre comment les Allemands purent finalement accepter le pouvoir nazi et la propagande anti-Weimar qui suivit.


À bientôt
Lionel Lacour