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samedi 1 octobre 2011

Soy Cuba sur Classic

Bonjour à tous,

cette semaine, Ciné + Classic diffuse deux films de Kalatozov. Si le premier, Quand passent les cigognes, est resté célèbre notamment par sa Palme d'Or à Cannes en 1957 et pour son hisoire mélodramatique, le second, Soy Cuba, est quasiment inconnu du grand public. Réhabilité par le grand Martin Scorcese, son édition DVD avait ravi il y a déjà quelques années les plus fervents admirateurs du cinéaste soviétique. Sorti en 1964, ce film qui relate la révolution castriste n'a pas reçu l'accueil qu'il était en droit d'attendre. Les questions géo-politiques eurent raison de lui. Pourtant, du point de vue formel, ce film recèle des véritables bijoux de mise en scène et de réalisation, avec notamment des plans séquences admirables qui présentent comme aucun cinéaste n'aurait pu le faire Cuba avant Castro puis l'enthousiasme révolutionnaire de 1959.



1. Deux plans séquences d'anthologie pour présenter Cuba sous Batista
L'ouverture du film commence par un poème à Christophe Colomb. Une voix représentant Cuba (Soy Cuba: je suis Cuba) rappelle la misère dans laquelle se trouve l'île. En contre-plongée extrême, une croix montre le poids du christianisme sur la population paysanne qui souffre. Ce long plan séquence, d'une esthétique rare, permet au spectateur de voir la dignité de ce peuple harassé par la chaleur et par le travail. La caméra placé sur une barque, le rythme est lent. Le spectateur découvre des enfants dénudés, des femmes qui lavent leur linge dans l'eau de la rivière L'image est chaude malgré le Noir et Blanc.
On retrouve ici la patte de Kalatozov dans la composition de ses plans. Chaque cm² est utilisé pour donner du sens à l'image.



Soudain, dans un montage cut brutal, le spectateur se retrouve sur la terrasse d'une tour. Au calme et au silence de la première séquence succède une musique d'inspiration rock. La caméra se focalise d'abord sur des musiciens puis suit des jeunes femmes défilant pour un concours de beauté. La vue dégagée présente une ville "à l'américaine". Ces jeunes femmes peu mais bien habillées semblent être en dehors de la vie. Le visage est glacé, le regard sans vie. La caméra continue son chemin dans le bruit des instruments, descend de quelques mètres pour débouler sur une autre terrasse remplie d'américains et d'américaines de tous âges. Leur blondeur ne laisse aucun doute sur leurs origines. Leur manière de se comporter, leur gestuelle non plus. Ils sont sur cette terrasse en occupants, en colons.

Les rares personnes brunes sont des serveurs ou des jeunes femmes alanguies dont une se lève pour se diriger vers une piscine. Elle y plonge. La caméra la suit. La musique résonne encore.
Nous sommes bien à Cuba, à La Havane. Cuba est une île pauvre, comme la première longue séquence l'annonçait. Mais cette pauvreté n'accable que les Cubains. Les Américains quant à eux profitent des richesses de cette île tropicale. Kalatozov réussit en deux séquences absolument fantastiques à montrer le contraste qui existe entre le peuple cubain, exploité, et ceux qui profitent de cette misère, notamment les Américains. Et entre les deux, des jeunes femmes ou des domestiques qui espèrent profiter de ce que ces occidentaux peuvent apporter: pourboire, mariage...

2. La victoire de la Révolution
L'ensemble du film montre donc comment le peuple cubain s'est révolté contre ceux qui les maintenaient dans la misère. Le soulèvement est populaire. Au passage, le comédien français Jean Bouise vient jouer un rôle étonnant dans ce film! Mais toute cette révolution peut se résumer dans une séquence finale faisant là encore preuve d'un vrai génie de mise en scène. Si les deux premiers longs plans séquences étaient à la fois descriptifs et présentaient les contrastes de développement entre les deux Cuba, la séquence finale est plus une parabole de la révolution. Elle commence par un paysan rejoignant les révolutionnaires. Ne possédant pas de fusil, il se fait signifier que la possession d'une telle arme s'obtient en la conquérant sur l'ennemi. Ainsi, le voit-on tuer un légaliste et lui voler son arme à feu. Dans cette longue séquence, les ennemis de la révolution sont toujours hors cadre. La marche des castristes se fait à l'écran de droite vers la gauche, de l'Est vers l'Ouest. L'ennemi est soutenu par les occidentaux. Aux coups de feu des insurgés répondent des coups de canon. La caméra, dans un long traveling, suit ce paysan dont on découvre qu'il a été vraisemblablement été tué. Pourtant, le voici qui se relève, continue le combat. Dans un plan onirique, il marche seul, face aux tirs des canons qui semblent ne plus le toucher. Kalatozov réussit à transcrire à l'image ce que Maurice Druon et Joseph Kessel écrivait dans Le chant des partisans: "Si tu tombes un autre prends ta place..." Le cinéaste magnifie à l'écran l'idéal révolutionnaire cubain. C'est une lutte du peuple contre l'oppression capitaliste. Après cette longue séquence, par une ellipse limpide, le spectateur retrouve le paysan au milieu des autres "résistants", unis sous le drapeau cubain, en contre-plongée, la même que celle du début. Sauf que maintenant, ce sont les Cubains qui deviennent maîtres de leur sort. La voix qui se présentait comme étant Cuba reprend la parole. Cuba vient de se libérer. Et dans un mouvement de caméra d'une grande fluidité, les insurgés triomphants marchent maintenant de la gauche vers la droite, de l'Ouest vers l'Est, des USA vers l'URSS?

3. Un accueil glacial
Malgré le triomphe de Quand passent les cigognes, les pays occidentaux goûtèrent peu cette épopée castriste. Les raisons sont évidentes. Castro avait renversé un dictateur à la solde des USA, les Américains s'étaient empêtrés dans la baie des Cochons et avaient tremblé quand les missiles soviétiques avaient été installés sur cette île devenue communiste. Pour les mêmes raisons, l'Europe avait boudé ce film qui ne présentait pas les mêmes caractéristiques pacifistes qui avaient fait la gloire de Quand passent les cigognes.  En U.R.S.S., le film fut à peine distribué. En effet, réalisé en 1964, le film mettait en scène une révolution qui avait trouvé son soutien chez le leader soviétique, Khrouchtchev. Or celui-ci est évincé du pouvoir justement en 1964. Kalatozov semblait être le réalisateur de la politique Khrouchtchevienne, marquée par la coexistence pacifique de 1956 et le soutien à la révolution cubaine. Quant à Cuba, le film déplut à Fidel Castro, la place au leader de la Révolution étant très faible tandis que celle faite au peuple était totale, comme en témoignait la séquence finale.


Témoignage étonnant de la révolution castriste avec un point de vue beaucoup plus soviétique et khrouchtchevien que cubain, ce film fut donc quasiment oublié. Jusqu'à ce que Scorcese, réalisateur américain, redécouvre la beauté formelle de ce film. Et permette aux spectateurs du monde entier de le découvrir aussi. Je vous recommande donc de voir ce film sur Ciné + Classic, ou de le commander pour voir et revoir encore ce chef d'oeuvre.

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 14 septembre 2011

Les sentiers de la gloire: un travestissement de l'Histoire?

Bonjour à tous,

régulièrement, le cinéma propose des films qui ont pour sujet l'Histoire, les fameux films "sur" une période que j'évoquais dans un des premiers articles de ce blog. Et avec la même régularité, les historiens s'invitent, ou sont invités, pour débattre et analyser les dits films et évaluer leur validité historique. Ce fut le cas pour tellement de films que la liste serait impossible à établir. Citons récemment le film Indigène ou le diptyque de Clint Eastwood Mémoires de nos pères et Lettres d'Iwo Jima.
Parmi les films qui ont suscité le plus de débat se trouve celui de Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire qui présente un épisode de la Première guerre mondiale dans lequel l'état-major, et surtout un général, sont dénoncés par le réalisateur pour avoir commis des actes absurdes et criminels contre leurs propres troupes. Certains savent déjà l'accueil qui fut fait au film en France, c'est-à-dire son absence des écrans de cinéma. Qu'en fut-il réellement? Et surtout, en quoi ce film pose-t-il une vraie question sur la relation entre Cinéma et Histoire?

samedi 9 juillet 2011

Soleil vert au Festival Lumière 2011

Bonjour à tous,

Durant le 3ème Festival Lumière (du 3 au 9 octobre 2011) sera projeté le film de Richard Fleischer Soleil vert réalisé en 1973. Ce film est un classique du genre "anticipation" comme il y en avait tant en cette période, et qui prévoyaient soit l'apocalypse nucléaire (La planète des singes) soit la fin du monde et la barbarie de retour (New York ne répond plus). Mais ce qui fait la force de Soleil vert, c'est de mettre l'action dans le futur (qui l'est de moins en moins pour nous!) dans un décor loin d'être futuriste, rendant encore plus efficace la critique de la société des années 1970. Certains répondront que c'est l'essence même du film d'anticipation que de parler d'un futur proche pour évoquer le présent du film. C'est vrai. Sauf que plus le film vieillit, plus on réalise que ce film d'anticipation est une critique immuable de notre société de consommation, jusqu'à sembler ne plus devenir un film d'anticipation mais un film d'actualité!



1. Un générique original et didactique

Avant d'entrer dans le coeur du film, il y a toujours un générique qui présente parfois le décor, les personnages ou encore la situation. Celui de Soleil vert présente un contexte historique et économique qui est d'autant plus impressionnant qu'il se construit sur une musique divisée elle-même en trois temps. Le premier est assez lent, illustré en Split screen d'images nostalgique d'un temps passé, fin XIXème début XXème siècles, où les hommes vivaient à la campagne et de l'agriculture, découvraient les joies de la première automobile devenu véritable transport en commun! Puis le deuxième temps musical est marqué par une accélération du rythme correspondant à la marche du progrès du monde occidental. Toujours en split screen, l'écran voit se succéder des photographies de la croissance industrielle des villes américaines, l'explosion démographique et urbaine, la démultiplication de l'automobile entraînant pollution et gestion des carcasses de voitures s'amoncelant en périphérie des villes. Secondes après secondes, les images défilent et montrent une époque qui se rapproche de plus en plus du présent du spectateur, celui de 1973 mais aussi celui d'aujourd'hui, avec des illustrations devenues tellement symboliques comme le masque sur le visage des piétons luttant contre la pollution atmosphérique ou encore des métro bondés remplis par des employés chargés de pousser les derniers voyageurs dans les voitures! Dans le dernier temps musical du générique, les images sont montrées plus longuement, s'accordant à un tempo lui aussi ralenti. Ce moment sert de constat: qu'avons nous fait de notre monde moderne? Les étangs pollués aux hydrocarbures sont suivis de zones de déchets urbains et de décharges sauvages. L'espace naturel disparaît de l'image comme les zones agricoles d'ailleurs. Sur ce générique, aucun nom d'acteur ni de l'équipe technique. Il se compose comme un court métrage en préambule du film lui-même dont le titre apparaît sur la Skyline d'une ville polluée et embrumée, New York: Soylent green en Version originale, "Soleil vert" dans sa version française.

2. La congestion urbaine
Dès la première image, le spectateur se situe par rapport au temps futur annoncé: New York, 2022, soit près de 50 ans après, pour les premiers spectateurs du film. Mais dans seulement à peine plus de dix ans pour nous, spectateurs de 2011!
À cette précision temporelle et de lieu se rajoute un élément démographique: "Population: 40 000 000".
Ce nombre est absolument vertigineux car l'agglomération la plus peuplée ne devait pas atteindre les 10 millions à l'époque. Or depuis, Tokyo et le Kanto dépasse les 30 millions et d'autres agglomérations n'en sont pas loin. On voit donc que cette anticipation qui avait pour objectif d'effrayer les spectateurs n'était pas si dénuée de raison et que les faits confirment cette tendance à l'explosion urbaine des grandes métropoles, même si celles qui ont le plus crû sont les mégapoles asiatiques.

Tout dans le film montre les limites de la sur-urbanisation: difficulté de gestion des logements, pression démographique, violence urbaine, difficulté d'approvisionnement en eau et produits alimentaires ainsi qu'en énergie. À ces difficultés répondent des solutions souvent non maîtrisées par les pouvoirs publics: protection privée et armée des immeubles, marché noir, rationnement de l'électricité et production personnelle de cette énergie -le personnage joué par Edward G. Robinson pédale sur son vélo pour générer de l'électricité! - présence policière massive dans les marchés d'alimentation.
La paupérisation de ces villes provoque alors une ségrégation par classe sociale. Ainsi, la ville semble être le territoire de la misère tandis que des quartiers périphériques protégés tels des châteaux forts par des murs de béton et autre protection comme la surveillance vidéo - je rappelle que le film date de 1973 - accueillent les classes bourgeoises qui ont accès à l'énergie, à l'eau et aux aliments sans restriction aucune.
De fait, certains des classes populaires essaient de vivre dans ce monde de luxe et d'abondance par tous les moyens. Il en ressort que les hommes riches habitent des appartements meublés, c'est-à-dire avec les meubles inanimés mais aussi animés, par la présence de femmes. Celle(s)-ci est (sont) vendue(s) avec l'appartement et entretenue(s) par un majordome d'immeuble, lui aussi vivant avec les classes supérieures bien que faisant partie de la classe populaire.
En quelque sorte, Soleil vert, c'est Metropolis à l'horizontal!

3. Un monde qui vire à l'anarchie
De cet univers ressort une impression d'absence de pouvoir. Pourtant, celui-ci est bien présent, mais sans jamais être clairement défini hiérarchiquement.
Le pouvoir politique existe bien, il y a même une campagne politique qui est en cours avec affichage du principal candidat. Mais ce pouvoir politique n'est qu'un simulacre de pouvoir du fait que la pratique démocratique ne peut vraiment s'exprimer avec une population dont la première des préoccupations est de survivre en se nourrissant d'aliments industriels ("Soleil vert", "Soleil jaune"...) et en vivant dans des logements de fortune voire dans les escaliers. Ce pouvoir politique s'exerce pourtant mais en collusion avec un autre pouvoir, celui économique représenté par les dirigeants de la société Soylent, fabriquant les fameux Soleil vert. Cette collusion politico-économique arrive à maintenir un équilibre précaire de sécurité dans la ville. Un autre pouvoir ressort du film, c'est celui de la connaissance. En effet, l'appauvrissement des ressources naturelles et de la société ont contraint manifestement au renoncement à l'éducation. Le "livre" devient une richesse rare, préservée par quelques irréductibles, seuls capables de résister face au pouvoir économique que représente Soylent, et avec lui celui des politiques corrompus. Le pouvoir de l'Eglise est lui aussi régulièrement montré à l'écran. Ce pouvoir est un pouvoir moral, spirituel mais qui n'a plus d'influence sur le fonctionnement de la société. Au mieux est-il un refuge pour les miséreux et les âmes égarées, le tout dans une représentation médiévale. Pour que l'ensemble de ces pouvoirs s'affrontent, le scénario fait ressortir un dernier pouvoir, celui non organisé et qui sied si bien à la mentalité américaine: le pouvoir de l'individu libre d'agir, même contre les pouvoirs en place.
Trois personnages incarnent cette liberté: un dirigeant qui pris de remords se confesse à l'église et se sait alors condamné à être exécuté; un vieillard qui a connu un monde meilleur et qui refuse de vivre dans celui tel qu'il est devenu; enfin un policier qui enquête sur la mort du premier, malgré les pressions exercées sur lui par sa hiérarchie, le pouvoir politique et la multinationale.



4. Un film "décroissant"
Dès le générique, il s'agit bien de montrer que la sur-exploitation industrielle de la planète amène une pollution et un amoncellement de déchets que l'homme n'arrive plus à gérer. Le film s'inscrit ici dans un schéma de pensée de l'époque qui, sous l'influence du Club de Rome se concrétise par la rédaction d'un rapport en 1972 dit "Rapport Meadows" intitulé Halte à la croissance (Limits to Growth dans sa version originale). Ce rapport met en évidence les conséquences d'une croissance qui consisterait à exploiter de manière irraisonnée les ressources quelles qu'elles soient, au risque de subir une décroissance par pénurie et donc le chaos. C'est donc le vrai premier mouvement décroissant qui apparaît alors même que la première crise pétrolière n'a pas eu lieu. Le film serait donc une illustration de ce que le rapport Meadows dénonçait, illustrant de fait la conséquence de cette sur-exploitation des ressources terrestres.

À l'image, cela donne un ensemble de séquences que certains critiques d'aujourd'hui jugent naïves mais qui ont particulièrement marqué les spectateurs de l'époque. Ainsi, quand le policier incarné par Charlton Heston, rapporte de la viande de boeuf et des légumes chez lui, c'est Edward G. Robinson, le vétéran qui pleure devant cette nourriture devenue quasiment introuvable sinon hors de prix. Le voir cuisiner ces aliments, apprendre à son ami comment les déguster puis savourer ce repas pour nous si habituel mais que l'on comprend comme unique en 2022 stimule en nous, spectateurs, l'idée que manger des aliments issus de l'agriculture classique est un bien précieux.
De même, dans une séquence mémorable, Edward G. Robinson se rend dans une institution - il faut taire ici le pourquoi - dans laquelle il voit un montage d'images de la nature, faune, flore, océans et autres merveilles terrestres sur une musique de Vivaldi. Charlton Heston découvre alors ce monde dont il ignorait tout et comprend alors quelles merveilles existaient avant que le monde deviennent un univers quasiment stérile croulant sous la canicule. Car c'est aussi une des conséquences que le film illustre de la sur-exploitation . Elle a provoqué un réchauffement planétaire si bien que pouvoir se rafraîchir par de la climatisation est un luxe au-delà de l'imaginable, même pour nous!

A l'arrière plan, le jeu vidéo "moderne" de 2022...
On est loin des Play Station et autres Wii!
 5. Les limites des films d'anticipation
Comme tous les films d'anticipation, il faut envisager une évolution scientifique moderne afin de faire comprendre aux spectateurs qu'on est dans le futur. Or, si tout les points précédents ont finalement non seulement bien vieilli mais correspondent aussi et encore aux enjeux économiques et sociétaux d'aujourd'hui, la modernité "anticipée" d'aujourd'hui est largement dépassée. Le plus bel exemple relève des jeux vidéos avec lesquels jouent les femmes "mobilier". Ils ressemblent à ceux de la fin des années 1970. L'évolution technologique que nous avons connu depuis ne pouvait être envisagée à ce point en 1973. Ce qui donne un aspect kitsch à cette caractéristique du film.

Charlton Heston découvrant les merveilles de son monde...
avant qu'il ne soit détruit par sa surexploitation




6. Un sujet moral: l'euthanasie
Dans ce film est enfin posé la question du rapport de l'homme à la mort.
En effet, comment doit-on ou peut-on mourir dans un monde surpeuplé? Et que faire des cadavres dans ce même monde pollué et où la nature semble se réduire à un point tel que seuls les océans pourraient encore nourrir les populations de la planète grâce aux entreprises agro-alimentaires?
Plus loin encore, la réflexion tourne finalement sur notre humanité. Serons -nous encore des hommes dans un monde à ce point vidé de tout lien avec la nature, jusqu'aux besoins les plus essentiels, à savoir se nourrir sans recours à des produits industriels.
Ainsi, Fleischer nous amène à réfléchir sur la condition même de l'homme et sur la question de la fin de l'humanité. L'organisation et encadrement par l'État de la mort des individus, qui viendraient donc volontairement mettre fin à leur vie, est manifestement dénoncé comme une régression et un aveu d'impuissance par les autorités elles-mêmes. Le film pose donc des questions sur le bien fondé à autorisé ce suicide assisté, non en jugeant moralement pourquoi ceux qui souhaite avoir recours à cela, mais en se positionnant par rapport aux autorités politiques qui l'accepteraient.


Comme vous l'aurez compris, ce film est d'une grande richesse par les thèmes qu'il brasse et par l'actualité étrange qu'il a encore. Il faut sans cesse se rappeler que le film est de 1973 et que les questions d'écologie et de développement durable ne sont pas nées avec Nicolas Hulot ou Al Gore. Bien sûr, le film est marqué par une esthétique très seventies. Pourtant, tous les enjeux d'une société modernes sont là. Peut-on continuer à croître sans cesse au risque non seulement de détruire la planète mais même l'humanité dans tous ses aspects.
Construit comme un polar, le film est en fait un vrai plaidoyer pour la sauvegarde non pas d'une "nature musée", mais d'une humanité qui continuerait à croître en harmonie avec la nature. L'aspect suranné du film est donc largement dépassé par le message qu'il porte et que, dans un dernier plan sublime, Charlton Heston transmet à son tour à tous les spectateurs qui ne peuvent accepter de voir leur monde se transformer comme dans Soleil vert.

Un film à revoir de toute urgence et à montrer à tous ceux qui ne l'auraient pas encore vu.

À bientôt

Lionel Lacour

Cet article vous a plu? Allez voir celui-ci:
Anticipation ou science-fiction?



mercredi 26 janvier 2011

Harry Brown, un nouveau justicier dans la ville?


Bonjour à tous.
À l'affiche ces jours, Harry Brown. Ce film de 2009 de Daniel Barber sort donc en France en 2011. C'est Michael Caine qui joue le rôle titre.
Après l'avoir vu, plusieurs réflexions à vous soumettre.

1. Le style
Après une introduction assez pénible, genre tournage avec un portable, image saturée, aucun cadrage et ouvertement violent, le film continue après le générique sur une réalisation beaucoup plus classique. Cinéma intimiste, radiographie sociale de l'Angleterre, nous retrouvons là un cinéma avec lequel nous avons été habitué par les réalisateurs outre-manche.
Néanmoins, si aucune séquence ne retrouvera le choix esthétique de celle d'ouverture du film, il ressort de certaines une violence assez crue, mêlant plusieurs influences, tant nord américaine qu'asiatique.
Mais c'est moins le style que le contenu qui est intéressant dans le film.

2. Une crise sociale visible
La peinture du quartier décrit montre une situation sociale terrbile pour cette Angleterre de début de XXIème siècle. Les immeubles présentés ressemblent en bien des points aux grands ensembles français: immenses barres, des locataires entassés, déterrioration des façades par des tags, incivilités contre les plus faibles, notamment les retraités, errance des jeunes le soir dans des zones coupe-gorges, séparation de ces quartiers de la ville par une voie rapide, trafics de drogues en tout genre et prostitution.
Le tableau  n'est donc pas sans nous rappeler ce que nous connaissons en France. Cela prouve aussi que la France n'a pas le monopole des crises de banlieue, ce qui n'est pas fait pour rassurer!


3. Une population de ces banlieues différente
Ce qui saute aux yeux pour un Français, c'est que le quartier présenté ne soit pas peuplé par des populations d'origine immigrées. Là où Kassovitz avait décrit dans La haine desimmeubles habités par une population cosmopolite, le réalisateur d'Harry Brown ne montre que des Anglais bien anglo-saxons. La violence de la jeunesse anglaise des banlieues apparaît donc comme interne à la société britannique et non comme une conséquance de l'échec d'une immigration.
De même, jeunes et vieux vont dans les mêmes pubs, honnêtes gens et délinquants également.
Que penser de cette présentation?
On peut imaginer que le point de vue est une point de vue généraliste et que le réalisateur n'a pas voulu mettre en avant, stigmatiser comme on dit aujourd'hui, une communauté plutôt qu'une autre. La société britannique étant plutôt commnautaire, celà pouvait éventuellement être reproché à Daniel Barber.
Mais on peut aussi accepter le représentation du réalisateur non comme une vision générale mais comme un simple constat. La violence du quartier de son film est celle que subit l'Angleterre, sans qu'aucune communauté étrangère ne soit impliquée dedans. A la différence de la perception française, l'analyse qui est faite dans ce film est bien une analyse sociale. Plusieurs plans, en début et en fin de film semblent bien montrer que c'est l'environnement dans lequel vivent ces populations qui est propoice, surtout en période de chômage et de crise, aux violences et à l'existence de "gangs".

4. Le feu dans le quartier
Comme dans les événements urbains français, le déclencheur est une suite de faits divers meurtriers qui entraîne une réaction policière mal comprise par les victimes ou les proches des victimes. Daniel barber montre comment alors la montée de la violence se fait à coup de règlements de compte personnels que la police ne maîtrise pas.Dans des plans spectaculaires, le quartier s'embrase lors d'une intervention musclée de CRS à l'anglaise. La réponse des voyous du quartiers est similaire à celle des quartiers français: pratique de guerilla faisant reculer les forces de l'ordre.
La conclusion est tout aussi semblable: rien n'a vraiment changé, sinon une paix illusoire, dans un quartier qui reste le même mais dont on pressent qu'il sera prêt à exploser à nouveau.

5. Une violence gratuite?
Michael Caine joue le rôle d'un héros de l'armée ayant servi en Irlande du Nord. A bien des égards, il peut être assimilé à un vétéran de la guerre d'Algérie. Surtout quand il fait son analyse sur la violence qu'il a subi en Irlande et celle qu'il voit dans son quartier. Pour lui, l'IRA défendait une cause. Pour la jeunesse du quartier, c'est juste "entertainment" (divertissement, plaisir). Or c'est bien ce que la séquence d'ouverture montrait d'emblée, doublée par une autre séquence dans le film. La violence devient un spectacle dans lequel l'agresseur est à la fois acteur puis son propre spectateur.
L'incapacité de la police à protéger les sujets de sa Majesté (ou des citoyens de la République) pousse inexorablement les honnêtes gens à se défendre par eux mêmes. Leur violence n'est pas gratuite, mais elle affronte ceux pour qui la vie des autres ne mérite aucun respect.

6. Les institutions de la société
La police montre donc à plusieurs reprise son incompréhension de la situation. Les victimes pouvant devenir même des suspects d'agressions contre les vrais voyous. La réaction disproportionnée montre aussiles limites de la gestion de ces quartiers laissés à l'abandon.
Le politique est absent du film. Cette absence démontre combien la police est laissée seule face à la situation. A aucun moment on ne voit une décision du maire ou d'un élu quelconque aider les forces de l'ordre à agir.
Enfin, la présence de l'avocat pendant ce qui ressemble à des garde-à-vues est essentiellement visuelle car jamais l'avocat ne parle. Pourtant, sa présence n'est pas que symbolique. Son influence, son rôle dans la défense des prévenus sont suggérés non par des interventions verbales mais par la police elle-même: "votre avocat vous a conseillé de ne rien dire".

Conclusion
Ce film résonne curieusement pour les spectateurs français qui se retrouvent fortement dans la situation proposée et dans le personnage de Michael Caine. A la différence du film qui fit la gloire de Charles Bronson, il n'y a pas de plaisir à voir le héros vengeur à débarrasser le quartier de la racaille. Nous sommes juste en voyeurs d'une situation dans laquelle certains pourraient se dire qu'ils pourraient un jour être contraints à faire de même, tout en espérant ne jamais avoir à le faire. Harry Brown est une victime de la société et n'est animé que par la volonté de vengeance plus que par celle de régler les problèmes du quartier tout entier.
La défiance envers la justice, envers la police, le fait qu'un particulier soit celui qui ait finalement ramené le calme dans le quartier n'est pas une vision en soi très optimiste des sociétés occidentales.
Celà montre le déficit du politique quant à la gestion des quartiers de banlieue minés par le chômage et dans lesquels, des trafiquants en tout genre prospèrent. Les réponses coup de poing ne sont pas des réponses dignes d'Etats progressistes et soi-disant civilisés, n'offrant qu'une paix illusoire.
Rien que pour cette morale, ce film est bigrement intéressant.

À bientôt
Lionel Lacour