Alexandre Astier voit enfin son film Kaamelott sortir sur les écrans le mercredi 21 juillet 2021. Après de longs mois d’attente, le film adapté de la série culte est désormais accessible aux spectateurs. Ceux-ci vont donc voir si Arthur, qui a été vendu en tant qu’esclave, va pouvoir reconquérir son royaume contre le tyran Lancelot. Avec un casting hors norme, rassemblant bien sûr les comédiens de la série, des guests habituels (François Rolin, Alain Chabat…) et d’autres encore (Christian Clavier, Guillaume Gallienne… et Sting !), Kaamelott était une promesse de bon moment en voyant se combiner des talents qui assurément se sont plu à jouer dans ce film enthousiaste. Mais un film sur Arthur renvoie forcément à une quête ? Laquelle ?
Attention, l’analyse du film implique forcément des révélations de l’intrigue, aussi mince soit-elle… Et il ne s'agit pas d'une critique de film...
BANDE ANNONCE
Le royaume de Logres, autrefois dirigé par Arthur,
est donc dans un état avancé de ruine et de misère. Lancelot dirige en
autocrate, obsédé par la mort d’Arthur son prédécesseur et par la reine Guenièvre
qui se refuse à lui. Quant au gouvernement, il est constitué d’anciens
conseillers d’Arthur l’ayant trahi et sans aucun lien avec la population qu’ils
méprisent au point de pressurer les plus pauvres en ayant recours à des
mercenaires saxons. Le retour d’Arthur est donc vu comme celui de l’homme
providentiel. Rien de très original en soi. C’est un peu le retour de Richard Cœur
de Lion dans la geste médiévale ressuscitée par Walter Scott au XIXe s, propulsant
Robin des Bois et Ivanhoé comme héros de la concorde entre Saxons et Normands.
Mais à la différence de Richard, Arthur refuse de redevenir roi et de reprendre
son trône.
Forcément, le spectateur ne peut s’empêcher de penser
à la situation française. Pas la situation sanitaire, le film ayant été écrit
et en partie tourné avant la pandémie. Mais plutôt celle d’un pays qui voit ses
dirigeants contestés, vus comme des privilégiés pratiquant les taxes touchant essentiellement
les classes populaires ne vivant pas proche des lieux de pouvoir. Et de fait,
le personnage d’Arthur incarne ce que les Français apprécient le plus
finalement. Un personnage providentiel.
Car derrière le roi déchu, volontairement ou pas, se
dissimule le chef que les Français aiment avoir autant qu’ils aiment le détester.
De Gaulle avant d’avoir procédé à la synthèse entre république et monarchie
avait été cet homme providentiel, celui qui avait dit non à la collaboration
pour rétablir la république dans un territoire fragmenté, pour finalement
claquer la porte en démissionnant en janvier 1946. Son retour au pouvoir en
juin 1958 ne fut permis qu’à la faveur d’un soulèvement dans une partie du
territoire alors français. Il est à nouveau vu comme le seul capable de
rétablir l’ordre et la concorde dans un pays en guerre depuis 1954. De fait, le
parcours d’Arthur s’inscrit totalement dans cette mythologie. Et malgré son refus
initial de redevenir roi, il change d’avis en voyant l’espoir qu’il suscite
auprès de la population de ce qui fut naguère son royaume. Alexandre Astier emploie
même le terme de « Résistance » pour justifier les actions de
Perceval et de Karadoc, expression plutôt chargée du point de vue historique. La
vue d’une table ronde faite de bric et de broc l’émeut car ce sont des humbles
qui se rêvent chevaliers, fidèles à l’idéal que représentait Arthur, à sa
vision du royaume. Et même si ses soutiens sont de qualité médiocre, ses
adversaires, internes ou externes, ne valent de fait pas beaucoup mieux. Reste
à Arthur de prouver qu’il est bien l’homme providentiel. Au « Je vous ai
compris » répond le retrait de l’Excalibur de son rocher. Il est bien celui
qui a été et qui est désormais à nouveau le roi de Longres.
La quête du film serait donc celle inconsciente d’Arthur
pour redevenir roi. Derrière sa figure se rallient à lui des groupes ayant été
parfois ses opposants mais qui lui étaient malgré tout fidèles. Car le message d’Arthur
imposait une vision pour la société et imposait une éthique pour ses chevaliers
que la quête du Graal symbolisait. Une fois encore, la parabole gaullienne peut
se lire en filigrane. Le général fut rejoint en 1940 par des hommes et des
femmes de toutes obédiences religieuses comme politiques mais qui avaient la
défense de la France et de ses valeurs en commun. De la même manière, de Gaulle
en 1958 rassemble au-delà des lignes politiques traditionnelles car il propose
à la fois un idéal, maintenir la France comme une grande nation, et une ambition,
la modernisation d’un pays prospère. Le pouvoir est dénoncé comme autocratique,
Mitterrand parla même du Coup d’Etat
permanent en 1964 pour un régime conçu par ses fondateurs comme une
monarchie républicaine. Le message d’Astier n’est donc en rien révolutionnaire
et son « bon » roi s’inscrit pleinement dans la tradition française
de se satisfaire d’un homme incarnant les valeurs du pays et son histoire.
Bien sûr, les analogies ne sont pas permanentes au
gré du scénario. Pourtant l’alliance objective avec le roi des Burgondes,
ennemi ancestral du royaume de Logres, ne manque pas de ressembler à celle
entre de Gaulle et la perfide Albion. D’ailleurs, le roi des Burgondes dans le
film ne serait-il pas un peu gras comme pouvait l’être Winston Churchill ?
Point de discours sur le présent alors ? Peut-être que si… Car les
Français n’ont de cesse de se rechercher un chef providentiel. Or cette
providence n’était possible jusqu’alors qu’avec des personnages à forte
épaisseur historique et incarnant un vrai changement. De Gaulle l’a été
évidemment. Mitterrand aussi. Or depuis, les présidents sont régulièrement
désavoués. Et si Chirac a fait deux mandats, il a subi deux désaveux cinglants,
un en 1997 après la dissolution de l’Assemblée nationale et un autre en 2005
après que le peuple a refusé massivement de soutenir un projet de constitution
européenne. Le film d’Astier s’inscrit donc parfaitement dans le sentiment des
Français d’être orphelin d’un dirigeant à la légitimité historique et au projet
fédérateur et ambitieux.
Un flash-back du film vient pourtant poser question.
En effet, Arthur y est montré adolescent dans la légion romaine dans un pays
oriental et pas encore musulman évidemment. Deux femmes apparaissent pourtant
le visage camouflé, dont une jeune fille dont il tombe amoureux. Celle-ci est
alors battue au sang pour avoir eu une relation avec le jeune légionnaire. Battue
par son aînée. Sa mère ? Mais Arthur ne le supporte pas et va venger celle
qu’il a aimée et qui fut défigurée pour l’avoir aimé elle aussi. Astier fait de
cet épisode une des raisons pour lesquelles Arthur ne veut plus tuer ses
ennemis, car ce qu’il a fait le hante. Mais le récit qu’il en fait reste étonnant
car il montre d’abord que les gardiens de la pudeur et de la pudibonderie d’une
société où les femmes sont voilées ne sont pas forcément des hommes. Et que les
femmes peuvent faire preuve de violence et de cruauté à l’égal des hommes. Et s’il
ne s’agit pas de musulmans pour des raisons chronologiques, l’action se passe
au Ve siècle, les spectateurs ne peuvent pas ne pas faire le lien avec
certaines pratiques comme le crime d’honneur. D’autant que les comédiennes sont
clairement de type oriental et que l’action est censée se passer dans l'Est méditerranéen de l’empire romain. Astier se positionne dans un féminisme
universaliste condamnant les sévices infligés aux femmes voulant s’émanciper et
mener la vie amoureuse qu’elles souhaitent. Mais les remords de son héros d’avoir
tué celle qui avait châtié son amoureuse démontrent qu’il refuse aussi de
recourir à la manière forte pour convaincre ceux appliquant ces châtiments au
nom de leur morale ou de leurs traditions. C’est d’ailleurs du fait de ce
flash-back que Lancelot-du-Lac est finalement épargné mais que le royaume se reconstitue
derrière Arthur.
Toutes les quêtes du film semblent avoir trouvé une
réponse. Y compris celle de l’ex/nouveau roi qui découvre que Guenièvre lui a
été fidèle, suscitant chez lui, et peut-être pour la première fois à son égard,
un amour lui faisant escalader le mur d’un donjon ! La quête du Graal reste
donc la grande oubliée. Mais le chef Saxon, ex allié de Lancelot, désormais
seigneur d’une île du royaume de Logres et vassal d’Arthur, demande à faire
partie de la Table ronde. Et de fait, appelle à repartir en quête du fameux
calice christique. Car le retour de l’homme providentiel, c’est-à-dire reconnu
par le peuple comme tel, ne suffit pas. Faut-il encore qu’il donne une
direction, une ambition et une morale à son royaume. Astier s’en défendrait
certainement. Mais la morale de son film est très gaullienne pour ne pas dire
gaulliste. Et les images de fin ne viennent que confirmer cela. Lui, formant un
couple uni avec son épouse, ses fidèles et le peuple derrière lui… Pourquoi
voudrions-nous qu’il commence une carrière de dictateur ? Il n’a pas
abattu le royaume, il l’a rétabli…
À très bientôt
Lionel Lacour
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