Bonjour à tous et meilleurs vœux pour cette nouvelle année!
Le 10 décembre 2020, le chef du gouvernement annonçait que
les salles de cinéma n’ouvriraient pas le 16 décembre. Douche froide pour les
exploitants, mais aussi pour les distributeurs. Derrière cette catastrophe
économique annoncée pour un secteur déjà largement éprouvé, c’est une autre
réalité qui touche le pays. Car la salle de cinéma n’est pas tout à fait la
même chose qu’une autre salle de spectacle. Loin de vouloir opposer ou
hiérarchiser les lieux de culture, il faut néanmoins reconnaître une spécificité
des salles de cinéma relevant du brassage de la société comme nulle part
ailleurs.
Tout commence d’abord par l’œuvre cinématographique.
Celle-ci ne se réduit pas à un artiste et à un ou quelques outils. Elle
s’inscrit dans une logique à la fois créatrice, économique et technologique. En
effet, le film doit d’abord raconter une histoire et relève donc d’une écriture
plus ou moins originale qui trouve sa forme finale par le talent du réalisateur
qui décide des positionnements et des mouvements de la caméra, exige telle
lumière, tel environnement sonore, tel décor et fait se mouvoir et parler ses
comédiens selon ses désirs. Même s’il n’est souvent pas celui qui assemble
chaque plan, son découpage technique induit globalement le montage final, du
moins pour la majorité des cas. Mais cette créativité est largement encadrée
par la contrainte économique définie par le producteur. Au talent du cinéaste
répond ainsi le prosaïsme de celui qui finance chaque minute tournée, veille
aux dépenses et s’assure des recettes. Et si les ambitions du réalisateur ne
correspondent pas au budget alloué, alors c’est à l’artiste de s’adapter et de
trouver une solution lui permettant de garder son ambition mais dans un cadre
financier non extensible. Enfin, le film ne peut exister que dans un
environnement technologique donné qui permet au cinéaste d’accomplir son geste
créatif et dont le coût est validé par le réalisateur. Si on peut rire des
effets spéciaux du
King Kong original
de 1932, il n’y a aucun doute que celui-ci ne pouvait être produit autrement et
qu’il constituait pour l’époque un trucage formidable correspondant à ce que
l’artiste pouvait le plus espérer. Car depuis le cinématographe Lumière de
1895, les innovations technologiques de la caméra mais également de toutes les
machines participant à la production cinématographique ont ouvert des
possibilités artistiques de plus en plus grandes, permettant des plans aériens
vertigineux, des effets spéciaux de plus en plus réalistes voire époustouflants
et des reproductions du réel à la fois de plus en plus vraisemblables mais
aussi finalement, et paradoxalement, de moins en moins onéreuses.
Or toutes ces données, créatrices, économiques et
technologiques, sont dans les mains de plusieurs dizaines d’individus, hommes
ou femmes, jeunes et moins jeunes, grands bourgeois ou simples ouvriers. Comme
l’évoquait Siegfried Kracauer dans
De
Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand publié en
1947, le film de cinéma est un métissage d’influences sociales diverses, plus
ou moins fortes mais malgré tout sensibles dans le rendu final de l’œuvre
filmique. Celle-ci est donc bien une création de celui qui le signe, le
réalisateur, mais aussi une œuvre collective comme l’attestent les crédits du
générique. Chaque film produit dans des pays démocratiques implique que tous
les paramètres mentionnés plus haut soient respectés, surtout la liberté de
création et la maîtrise d’un budget. Cela correspond alors à une sorte de
synthèse assez proche des sensibilités de toutes les couches de la société,
même si certaines sont parfois sous représentées à l’écran. En tout état de
cause, cela correspond alors de fait à l’état de la société dans lequel le film
est produit. La femme de
New York-Miami interprétée
par Claudette Colbert en 1934 n’incarne-t-elle pas ces femmes plus libérées que
celles des générations précédentes ?
Une fois terminé, le film doit être distribué et exploité en
salle. Et le cinéma y démontre à nouveau son caractère universel. En effet,
quelque soit le film, le prix
du billet dans
la salle sera le même pour tous, et presque quelque soit la salle, à Paris ou
dans une région éloignée. Car là est la magie du cinéma, le spectacle le plus populaire
qui soit. Les sièges occupés ne dépendent ni du prix ni des qualités des
individus mais de l’heure d’arrivée. Le premier arrivé choisit la place qu’il
préfère. Et ainsi en va-t-il jusqu’à ce que l’ensemble des sièges soit rempli.
Pas de privilèges selon ses revenus ou sa classe socio-professionnelle. Une
fois installés, les spectateurs subissent les mêmes avant-programmes, que ce
soit les publicités locales ou nationales et les bandes annonces des films à
venir. Arrive enfin le film pour lequel chacun a payé sa place. Et une fois
encore, s’il y a des films qui segmentent la clientèle, cela se fait par le
degré de cinéphilie. Et il est vrai que les films d’auteur rencontrent
davantage un public d’étudiants ou de personnes de plus de quarante ans. Mais les
revenus ne sont pas le critère. Des cadres supérieurs peuvent n’aller voir que
des
blockbusters quand des ouvriers
vont plutôt voir le dernier Ken Loach. Ou inversement. Quant aux grands films
populaires, leurs succès viennent du fait justement d’avoir su attirer des
publics larges dans toutes les cibles de spectateurs, chacun voulant voir le
film dont tout le monde parle. Or qu’est-ce qu’un succès dont tout le monde
parle sinon le résultat du fameux « bouche à oreille » où les
premiers spectateurs conseillent à leurs proches, leurs collègues ou à
quiconque veut les entendre d’aller voir tel ou tel film. Même s’il est moins
présent aujourd’hui, le phénomène subsiste malgré la rotation frénétique des films
à l’affiche chaque semaine. Les réseaux sociaux constituent désormais une caisse
de résonnance plus puissante qu’auparavant. Pour la réussite comme pour l’échec
du long-métrage, et ce malgré l’intensité de sa promotion, notamment à la
télévision. Ainsi
Valérian de Luc
Besson peut avoir fait plus de 3 millions d’entrées en France, cela est loin de
représenter le succès escompté tant le film a coûté cher et nécessitait
d’obtenir plus du triple. Et que dire de son échec fracassant aux USA, retiré
de l’affiche dans la plupart des salles après moins d’une semaine d’exploitation !
Dans une salle de cinéma, les spectateurs votent avec leurs
pieds en se rendant à la séance d’un film, avant de le recommander ensuite,
supplantant les critiques de la presse. À tort ou à raison. Le succès du film
se fait pour des raisons à la fois qualitatives mais aussi pour ce qu’il
représente au moment de sa première programmation en salle. Le succès ou
l’échec de la sortie ne présage pas pour autant du devenir du film dans les
mémoires collectives et bien des films ont pu être loués à un moment et être
oubliés voire méprisés les années passant. Mais l’expérience en salle reste un
moment unique de communion avec des spectateurs qui vont rire, pleurer ou être
effrayés en même temps. Ou pas. Et si prendre conscience que d’autres éprouvent
les mêmes émotions que soit n’est pas l’apanage du 7
ème art, aucun autre
spectacle ne permet un tel brassage sociologique pour un tarif finalement
modique. En prenant des maîtres de leurs arts respectifs, combien coûte une
place pour voir un film de l’immense Spielberg comparé au tarif pour assister à
un concert de Bruce Springsteen, un opéra avec Roberto Alagna ou même un
« seul en scène » de Gad Elmaleh ?
Parce qu’au cinéma les sensibilités de tous sont portées à
l’écran, la salle devient l’urne démocratique accueillant un public constitué
de toutes les strates de la société. À cela, les plateformes de SVOD et autres
moyens de regarder des films en petit comité ne peuvent répondre puisqu’ils
constituent une forme de consommation individuelle, sans partage, sans échange.
Sans même pouvoir réaliser qu’un public différent vient voir un autre film que
soi sur un autre écran. La salle de cinéma, c’est se confronter à l’autre, aux
autres. Défendre les salles, c’est défendre une composante de la
démocratie : voir et accepter les différences ou partager les mêmes
représentations du monde avec des parfaits inconnus.
À très bientôt
Lionel Lacour
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