dimanche 18 mai 2014

"Welcome to New York": de l'intérêt du Biopic au cinéma

Bonjour à tous,

hier, samedi 17 mai 2014, était projeté dans deux salles en exclusivité à Cannes, hors sélection officielle, le film d'Abel Ferrara Welcome to New York. Accessible le soir même en VOD en France puisqu'il ne sera pas distribué en salles, du moins en France, ce film faisait pourtant la sensation auprès des médias du fait du sujet: la fameuse affaire du Sofitel ayant conduit à l'arrestation du dirigeant du FMI, Dominique Strauss Kahn. Fait divers sulfureux, réalisateur provocateur, le personnage principal interprété par l'ogre Depardieu et accompagné d'une épouse, incarnée par la merveilleuse Jacqueline Bisset. Ce qui agite la presse est alors l'aspect biopic, le récit cinématographique qui pourrait révéler ce que nous ne saurions pas encore. Et le réalisateur a beau eu le soin de changer les noms, DSK s'appelant désormais Devereaux et Anne Sinclair n'ayant plus que le prénom de Simone, personne ne fut dupe de ce que ces noms d'emprunt pouvaient cacher.
Pourtant, les premiers retours critiques furent plus que mitigés pour ne pas dire décevants. Sauf pour la presse étrangère qui a pu trouver un intérêt certain à voir cette histoire qui allait avoir un tel retentissement planétaire mais qui résonnait surtout en France puisque le personnage principal, promis à une arrivée triomphale à l'Élysée se retrouvait menottes aux poignets tel un vulgaire criminel de bas étage.


Ces appréciations diverses posent alors la question de l'intérêt de réaliser des Biopics et pour quels spectateurs. Cet article n'a pas pour objectif d'être exhaustif sur le biopic cinématographique. Un article n'y suffirait pas. Et je n'ai pas encore eu le temps de visionner le film d'Abel Ferrara. La question que je voudrais soulever réside plutôt dans le choix d'un personnage comme sujet de film, puis dans le choix du traitement.




Le choix d'une personnalité dont la vie mérite d'être racontée au cinéma
Pour rester à Cannes mais en intégrant la sélection officielle, un autre biopic s'est fait d'autant plus remarquer qu'il évoquait Yves Saint Laurent, lui aussi connu pour ses trois initiales, YSL, et qui avait donné lieu à un autre film, sorti quelques mois avant. Ce film, réalisé par Jalil Lespert était titré sans ambiguïté Yves Saint Laurent tandis que celui sélectionné à Cannes s'intitule Saint Laurent et réalisé par Bertrand Bonello. L'influence mondiale de cet artiste de la mode ainsi que sa vie romanesque justifiait sans aucun doute qu'un film porte ceci à l'écran. La concomitance relève du hasard de la bonne idée, de ces hasards qui avaient conduit à la réalisation de deux films évoquant Coco Chanel il y a quelques années! 2014 sera donc l'année du biopic Yves Saint Laurent.
 La différence? Forcément le traitement, le choix de la période traitée. Quand celui de Lespert commence en 1958, moment de la rencontre entre le couturier et Pierre Bergé, financier et mentor, celui de Bonello commence son histoire à la fin des années 1960. Mais les deux films se terminent en 1976. Les choix de Lespert et de Bonello sont donc déjà différents dans la période de la vie représentée à l'écran, influençant forcément à la fois le récit mais aussi l'angle d'approche du personnage.
De fait, avec deux films différents, ce sont deux distributions différentes pour interpréter les différents protagonistes, influant forcément sur la perception qu'aurons les spectateurs de Bergé ou de Saint Laurent, pour ne citer qu'eux.
Mais la plus grande différence réside finalement aussi dans le caractère "autorisé" du film. Car, si à la différence du film de Ferrara, les héros des films de Lespert ou de Bonello ont les vrais noms de ceux qu'ils sont censés incarner, le film du premier a bénéficié du soutien plein et entier de l'entrepreneur mécène Pierre Bergé, ce dont le film de Bonello n'a pas pu être gratifié. Il peut ainsi apparaître étrange d'imaginer qu'un film puisse être réalisé sous contrôle ou avec l'assentiment d'un des protagonistes principaux, mettant à disposition des archives, documents ou vêtements des collections Saint Laurent, permettant de lisser de fait, certaines aspérités qui pourraient le gêner.
Le film de Bonello peut au moins se prévaloir de l'indépendance du point de vue et du récit. La qualité cinématographique étant un autre point.
Cette qualité ne semble manifestement pas être celle du film d'ouverture de ce même festival de Cannes édition 2014. Son Grace de Monaco relève évidemment du biopic et on peut se demander comment un parcours individuel si atypique n'avait pas encore été abordé par des cinéastes, français et surtout américains. Tout comme les biopics sur Yves Saint Laurent, les noms des personnages n'ont pas été changés. Reste à raconter une histoire de cinéma.

Quelle histoire raconter dans un biopic?
Si le cinéma a souvent raconter la vie de ses personnages historiques, jusqu'à l'exhaustivité parfois, la tendance depuis plusieurs décennies est de centrer désormais sur une période, ou sur certains caractères du héros.
Ce qui ne veut pas dire que le premier type de biopic a disparu. Mais même eux se sont concentrés sur une caractéristique principale du héros. Gainsbourg, vie héroïque réalisé en 2010 par Joann Sfar comme Cloclo de Florent-Emilio Siri en 2012 sont à la fois des biopics classiques, racontant la vie de leurs héros, de leur enfance jusqu'à leur mort. Mais dans les deux cas, c'est un aspect de leur personnalité qui est largement mis en avant, le personnage double chez Gainsbourg, le maniaque-exigent-déraciné chez Claude François.
En recentrant sur une période de vie ou sur un trait de caractère, les cinéastes peuvent alors éviter l'écueil du récit chronologique fastidieux, accentuer leur point de vue en acceptant d'omettre un aspect de la vie connue de leur héros mais ne s'inscrivant pas dans l'angle choisi pour en raconter le parcours. Olivier Dahan, encore lui, avait réalisé La môme en 2007. Le récit portait essentiellement sur la vie dramatique de son héroïne, Edith Piaf, occultant tant de témoignages qui pouvaient inciter le spectateur à ne plus suivre le point du vue du réalisateur.
Il ne s'agit pas de mensonge de sa part, ni de la part des autres réalisateurs d'ailleurs. Le cinéma doit se concentrer en environ 2 heures sur un récit compréhensible et ne permettant pas autant de nuances que la littérature. Si nuance il y a, elle doit être soit un élément marginal ne détournant pas le spectateur de la ligne principale, soit un élément principal du personnage, témoignant donc de son incroyable diversité et complexité, si bien que la nuance n'existe de fait plus à ce moment!
Aller voir un film racontant la vie d'un personnage a alors plusieurs objectifs qui se différencient par le degré de connaissance que l'on a de lui.
Le premier est souvent lié à l'intérêt que l'on peut porter à ce personnage. Plus un héros du réel intéresse de monde ou subjugue au-delà de son seul périmètre, plus le public cible est large. Ainsi, Edith Piaf fait partie des rares Français à pouvoir transcender à la fois les générations et l'origine nationale des spectateurs. Le cas de Grace Kelly relève de cette même logique mais avec moins d'amplitude. À ceci doit se rajouter une dramaturgie forte qui marque le destin du personnage. La vie d'Edith Piaf en est constellé, celle de Grace Kelly l'est moins si ce n'est par sa mort brutale et inattendue. Quand Antoine de Caunes réalise Coluche, c'est l'histoire d'un mec, il joue sur l'aspect dramatique de sa candidature à la présidentielle qui se finit de manière elle aussi assez violente et contraire à l'image que l'on pouvait se faire du personnage. Dans tous les cas, ces biographies jouent aussi sur l'éloignement temporel du spectateur avec la vie du héros, en reposant sur la notion du mythe que le film pourrait écorner ou au contraire, raviver. Le public cible reste d'abord les fans du personnage qui ne se rassasient jamais de ce qui peut être dit, raconté ou filmé sur leurs idoles, quitte à ne rien apprendre.
Le deuxième objectif est pour certains qui connaissent le personnage par son aspect médiatique sans pour autant maîtriser sa biographie de mieux comprendre pourquoi ces héros l'ont été, et parfois mieux comprendre aussi pourquoi ils sont passés à côté d'eux.
Enfin, le dernier objectif relève parfois presque du documentaire, afin de découvrir un personnage, une époque, un mythe. Sans aucune connaissance au préalable, le film biopic devient source quasi unique pour ce type de spectateur dont le jugement du réalisateur ou son point de vue sur le personnage deviennent alors le seul référent pour lui.

Et le cinéma dans tout cela?
C'est justement une des limites du biopic. Le récit de la vie d'un homme ou d'une femme, parfois de deux  individus relève de la biographie mise en image. Si elle peut satisfaire l'inculte par son aspect exhaustif, rempli d'anecdotes, elle peut aussi convenir au passionné qui traquera tout ce qu'il sait déjà sur sa star! Avec l'effet boomerang qui, si le film se contente en une suite d'informations, tout manque pourrait être vécu comme défaut par le fanatique voulant retrouver son Cloclo ou son Edith Piaf.
La limite du biopic apparaît justement ici. Plus la vie du personnage est connue, plus le spectateur devient exigeant sur son contenu "historique", comparant le scénario avec ce qu'il sait être vrai. Et la partie romancée ou inventée par les scénaristes, pour permettre de lier les séquences, pour introduire ou développer une dramaturgie ou imaginer de manière subjective ce qui aurait pu se passer peut devenir rapidement une faute de goût pour les plus spécialistes.
Ce risque diminue sur le grand public qui peut avoir aimé Claude François ou avoir suivi la carrière de Mohamed Ali sans pour autant se souvenir, 20 ans ou 30 ans après tout de la vie de ces héros modernes. Le film ravivera la mémoire ou dévoilera certains aspects biographiques dont il se contentera, faisant fi des inventions scénaristiques.
Mais le risque devient majeur quand il s'agit de filmer un épisode biographique récent d'un personnage célèbre. Et les cas vus au début de cet article sont justement dans cette situation là. Concernant Yves Saint Laurent, si le nom est connu de tout à chacun, nul doute que la majorité des spectateurs ignore les liens très forts qui unissaient Pierre Bergé au couturier français. Et parmi ceux qui le savaient, nombreux sont encore ceux qui n'en connaissaient qu'une part infime de leur histoire. En revanche, le cas de Welcome to New York est radicalement différent. Et le subterfuge du changement de nom des personnages principaux n'y change rien. En effet, rare fut un fait divers aussi médiatisé, aussi suivi par la presse mondiale de par l'importance du protagoniste principal. Avec cette saga médiatique, renforcée par les réseaux sociaux et le rôle global d'internet permettant de suivre seconde après seconde chaque évolution judiciaire, chaque faits et gestes du couple français, chaque décision de justice ou rumeur pesant sur la réalité ou non du crime, chaque citoyen a pu se faire, selon ses préjugés, ses sensibilités, sa propre instruction à charge ou à décharge. Il n'est aucune image qui ne nous ait été épargnée, de l'arrestation de DSK à sa libération en passant par sa confrontation au juge jusqu'à son arrivée à Paris, Place des Vosges, toujours devant des caméras plus "people" que jamais.
Ainsi, à la différence d'un film sur une star du passé dont une minorité seulement maîtrise sur le bout des doigts la vie du héros dont on raconte l'histoire, totale ou partielle, réaliser un film sur une star d'aujourd'hui ou sur un personnage dont la vie a été racontée dans tous ses détails jusqu'aux plus intimes relève d'un vrai danger cinématographique car le public cible est à la fois très large mais également très au fait de la vie de celui ou celle dont le réalisateur veut en faire un film.
De fait, les premiers échos des spectateurs du film d'Abel Ferrara témoignent de cela. Les spectateurs et critiques de cinéma n'y ont vu que ce qu'ils savaient déjà, sauf les parties manquantes du récit, à savoir les orgies qui ont fait couler tant d'encre pour démolir DSK. Les étrangers, qui n'avaient pas la même raison de suivre les tribulations judiciaires de celui qui était donné comme futur président de la République française, ont pu de leur côté remettre les pièces d'un puzzle jusqu'alors éclatées et que le film positionnaient afin de rendre intelligible toute ce vaudeville pathétique. À titre de comparaison, les affaires judiciaires ayant pu toucher O. J. Simpson, méga star du football américain, acquitté au pénal mais condamné au civil pour l'assassinat de sa femme aurait pu faire l'objet d'un film aux USA qui n'aurait rien appris aux Américains tant cette histoire fut médiatisée en son temps alors même qu'en France, cette histoire était connue mais sans l'impact qu'elle avait eue aux USA.

Le jugement du film d'Abel Ferrara vaut pour tous les autres biopics, et plus largement, pour tous les films racontant une histoire "vraie". Le caractère informatif est bien évidemment fondamental pour qui voudrait apprendre des choses sur tel ou tel personnage. Mais ce qui va faire la qualité du film dépasse alors justement cette matière première de l'information d'autant plus facile qu'elle ne provient pas de l'imagination du scénariste puisqu'elle existe. Au mieux, les efforts documentaires peuvent permettre d'apporter ce que les plus fanatiques pourraient ignorer. Non, ce qui fait la qualité du biopic c'est de pouvoir intégrer dans l'accumulation de ces informations un vrai point de vue permettant de mieux comprendre le personnage, mais toujours au travers du regard du réalisateur.
À ce titre, I'm not there de Todd Haynes est un modèle du genre. Retraçant la biographie de Bob Dylan en le faisant interprété par différents acteurs de différents âges, sexes, couleurs de peau et à différentes périodes, en recourant à plusieurs esthétiques filmiques, le réalisateur proposait un biopic kaléidoscope dans lequel aucun fait réel n'était véritablement identifiable par quiconque ne connaissait rien de la vie du chanteur new-yorkais mais qui était reconnus par ses fans. Par ce choix étonnant, Todd Haynes privilégiait le cinéma au récit documentaire tout en permettant de donner son point de vue sur le personnage sur lequel il réalisait un film magistral. Hélas, le biopic repose souvent sur des ficelles qui ne permettent pas toujours d'obtenir un film de qualité: trop d'érudition empêche la liberté artistique, trop de volonté de toucher un public large entraîne l'accumulation des clichés attendus censés convenir à tous, ou du moins au plus grand nombre.
À vous de vous faire votre opinion sur Saint Laurent, Welcome to New York ou sur Grace de Monaco et de voir dans quelle catégorie vous classerez ces films et les autres biopics, passés ou à venir.



À très bientôt
Lionel Lacour

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