dimanche 26 mars 2017

Education et Cinéma: toute une histoire

Bonjour à tous

en décembre 2016, je donnais une conférence aux Semaines Sociales de France sur le thème de l'Education vue par le cinéma. En voici une synthèse.

Éducation et cinéma, toute une histoire

Dès les premiers films Lumière, le domaine de l’éducation a été abordé, y compris dans L’arroseur arrosé, un des films les plus célèbres, tourné à la Ciotat et projeté à la première séance publique payante du 28 décembre 1895. En effet, bien des éléments qui pourraient constituer la définition large
de l’éducation sont représentés : respect du travail, apprentissage par le jeu de phénomène physique, définition du bien et du mal, sanction !
Le sujet demeure néanmoins vaste et la liste des films l’abordant totalement ou en partie est évidemment inépuisable et les films évoqués ci-dessous n’en sont qu’une infime partie.
Pour choisir des films pouvant évoquer le domaine de l’Éducation, il faut d’abord reprendre l’étymologie du mot. Éducation vient du latin ex-ducere, signifiant guider, conduire hors.
Or ceci est bien une des caractéristiques du cinéma. Le cinéma, dès ses origines, a créé la confusion entre réel et réaliste. Ce qu’il montre est vraisemblable et fait office de médiateur entre le spectateur et le réel qui semble être projeté sur l’écran. Il joue un rôle d’accompagnateur des spectateurs à l’évasion du quotidien avec le paradoxe qu’il faut rentrer dedans - dans la salle - pour être ensuite guider dehors. Et le « dehors » peut être un monde passé ou futur, ici ou lointain, chez le voisin ou dans un domaine royal.
Que ce dehors soit un monde exotique ou familier, dans tous les cas, le cinéma assène des messages plus ou moins subtils qui sont reconnus par les spectateurs. Quels que soient les films, ils présentent toujours des personnages, des situations dans lesquels les spectateurs se projettent et s’identifient. Comment réagiraient-ils à la place des personnages ? Feraient-ils les mêmes choix ? Et pour chaque film, le réalisateur propose un point de vue et une morale qui n’est pas forcément celle des spectateurs mais qui leur permet de se positionner face à elle.

Ainsi, le cinéma ne propose-t-il pas seulement des situations narratives. De par sa nature, il mobilise les spectateurs à reconnaître les situations diverses, notamment celles en lien avec les principes d’éducation, même quand ceux-ci sont parfois représentés de manière assez baroque, comme L’arroseur arrosé pouvait l’être. Et c’est en cela que le cinéma va pouvoir témoigner de ce que peut être l’Éducation à un temps donné pour des spectateurs donnés.

Inculquer des valeurs

Les spectateurs regardent souvent les films comme des représentations de leur société. Une société repose sur des valeurs qui permettent à chacun d’évoluer par rapport aux autres. Les spectateurs doivent donc retrouver ces principes dans les films qu’ils voient, tout en pouvant se positionner par rapport à elles.
Dans La vie est belle de Frank Capra, en 1946, le film repose sur des valeurs morales transmises en famille aux enfants et particulièrement à George, interprété par James Stewart. Mais c’est dans une séquence de fin de dîner que la clé est donnée aux spectateurs. Alors que son jeune frère va célébrer son diplôme – ce qui constitue en soi déjà un double processus éducatif par le domaine scolaire d’une part et par un rite initiatique collectif d’autre part! – George signifie à son père qu’il veut devenir un grand architecte, changer le monde, gagner de l’argent et surtout ne pas rester dans un petit bureau à s’occuper de modestes projets. Mais le père lui rappelle l’importance de ce travail, a priori peu ambitieux mais qui permet aux moins fortunés d’avoir un logement, ce qui n’est pas moins noble que de construire des grands buildings. Mais Capra ne montre pas un père qui impose son point de vue. Au contraire, il apporte un autre point de vue de ce qui est important à son fils à qui il laisse le choix. Mais ce faisant, il transmet un système de valeurs qui ne se limite pas à trouver estimable seulement ce qui permet de briller.
Dans Du silence et des ombres de Robert Mulligan, réalisé en 1962 et adaptation du chef-d’œuvre d’Harper Lee (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur), l’avocat Atticus Finch rappelle à sa fille Scout qu’il est interdit de se battre. Pourtant, celle-ci n’a fait que défendre l’honneur de son père qui défendait un homme noir – l’action se passe en 1932 – alors même que la ségrégation sévit dans le Sud des USA. Dans cette séquence, comme dans tout le film, les notions de Bien et de Mal sont posées. L’anti-racisme dont fait preuve Finch ne peut s’accompagner du droit à mal se comporter, à se battre, car dans ce cas, seule la loi du plus fort l’emporterait. Sans élever la voix, le père dit à Scout qu’il s’agit de se comporter selon ses convictions sans se soucier du regard des autres. Transmettre la notion de justice morale est donc aussi un acte éducatif.
En 1970, François Truffaut réalise et joue dans L’enfant sauvage. Cette histoire censée se passer fin du XVIIIème siècle évoque un enfant trouvé dans la forêt et n’ayant pas été en contact avec les humains. Un médecin se charge de l’éduquer, d’abord en lui donnant un nom : Victor. Outre l’apprentissage des connaissances et des usages, il lui apprend aussi la distinction du Bien et du Mal, le Bien se caractérisant par ce qui est juste, le Mal correspondant à l’acte conscient d’injustice. Dans une séquence, le médecin teste l’enfant sur sa perception entre les deux en le sanctionnant injustement. La réaction de Victor démontre alors qu’il a bien intégré cette différence en manifestant de la violence. Le médecin ne le sanctionne pas car la rébellion contre l’injustice apparaît comme légitime.
Plus récemment, Lisa Azuelos réalisait en 2009 Lol. Tous les agents de l’éducation d’une société occidentale se retrouvent à un moment dans une même séquence. Au sein du lycée, des parents accompagnent leurs enfants pour assister à une information menée par un inspecteur de police contre l’usage de la drogue. Le spectateur comme les élèves assistent alors à une distinction entre le Bien et le Mal selon des critères cette fois-ci objectives et rationnels. La drogue nuit notamment au cerveau ce qui est indéniable. Il ne s’agit plus seulement de valeurs morales liées à des doctrines. Le policier informe, le lycée accueille, les parents valident, sans pour autant toujours donner le bon exemple.
La même année, Michael Haneke proposait une autre approche de l’éducation aux valeurs. Dans Le ruban blanc, les valeurs morales sont liées au respect de règles qui s’imposent à un groupe. Par exemple, les enfants sont rappelés sévèrement à l’ordre par leur père pour ne pas être arrivés à l’heure pour le dîner. La sanction s’impose à tous car selon les principes de la famille, tout le monde mange ensemble à l’heure ou personne. Ensuite, les enfants recevront des coups de verges avec comme valeur le fait que cela ferait aussi mal à celui qui les reçoit – douleur physique – qu’à celui qui les donne – douleur psychologique. L’action se déroule au lendemain de la Première guerre mondiale et décrit une société rigide. À l’évidence, cela choque le spectateur du XXIème siècle. Pas sûr que cela aurait tant choqué à l’époque.

Transmettre des connaissances

L’éducation passe aussi par la transmission de connaissances. Or celles-ci peuvent être théoriques ou pratiques. Et le cinéma ne s’est pas privé de montrer toute la palette de ces connaissances !
Dans Le Kid réalisé par Charlie Chaplin en 1920, le jeune héros a acquis une véritable méthode de travail de collaboration avec son père adoptif. Il identifie les vitres que pourraient réparer son père, le cas échéant, utilise le geste juste pour casser les dites vitres avec une pierre et sait se sauver pour ne pas être identifié et arrêté. L’enfant a donc reçu une éducation technique et pratique avec cependant un petit oubli quant à ce qui relève de l’ « éthique ». Mais c’est une comédie !
Si on reste sur des connaissances moins "condamnables", Vincente Minnelli, en 1951, propose dans Un Américain à Paris un apprentissage original de la langue anglaise. Dans une séquence célèbre, le personnage interprété par Gene Kelly apprend sa propre langue à des enfants parisiens. On a bien une transmission de connaissances avec identification des choses par un mot. Mais surtout, il y a une approche méthodologique très intéressante et dans laquelle les spectateurs se reconnaissent. Cela passe par le principe de répétition, par le chant, par le jeu, par la danse et par le collectif. Il détourne les enfants de la notion de travail en privilégiant l’enseignement par le plaisir. Enfin, à chaque fois, il demande à une petite fille si elle a compris. À chaque fois qu’elle dit non, il recommence en changeant de méthode. La transmission des connaissances passe donc aussi par la nécessité de compréhension du récepteur.
Dans Les cow-boys de Mark Rydell en 1972, nul doute que les enfants héros du film comprendront la leçon qu’ils y reçoivent. Les connaissances acquises le sont de manière empirique. En effet, après avoir chapardé une bouteille d’alcool, les jeunes cow-boys décident de boire comme des adultes. Ceux-ci découvrent ce qu’ils font et laissent les enfants faire leur propre expérience des limites à ne pas dépasser tout en contrôlant leur dérapage, récupérant la bouteille sans même qu’ils ne s’en rendent compte. L’apprentissage passe ici par l’expérience individuelle, par la transgression d’un interdit moral – être ivre, c’est immoral – et physiologique – être ivre rend malade. Or le premier interdit a moins de chances d’être compris que le second. Et de manière comique, les adultes ne mentionnent pas l’écart de conduite des jeunes cow-boys mais les soignent tout en accentuant les effets de la gueule de bois, appliquant de fait l’adage de Confucius : « L’expérience est une bougie qui n’éclaire que celui qui la porte ».
En 1978, la version de Superman réalisée par Richard Donner proposait une autre transmission de connaissances de parents à enfants. Alors que la planète Krypton allait se détruire, Jor El et son épouse décident de sauver leur fils Kal El en l’envoyant dans un véhicule spatial pour rejoindre la planète Terre. Pendant ce voyage de plusieurs années, des connaissances encyclopédiques sont alors transmises à l’enfant. Ce sont donc, malgré leur absence, les parents qui sont aussi des pourvoyeurs de connaissances scientifiques et de savoirs qui accompagnent la croissance des enfants. Cette dernière est d’ailleurs symbolisée à l’écran par la mutation du corps du garçon. Cela démontre aussi, de manière elliptique, la nécessité du temps pour que les connaissances soient transmises et acquises par un enfant.
La notion de temps d’apprentissage est aussi présente dans Will Hunting de Gus Van Sant en 1997, quand le héros vient défier un étudiant prétentieux avançant des concepts historiques pour humilier l’ami de Will. Ce dernier montre que les enseignements universitaires commencent par des notions basiques, puis au cours des années, des nuances sont apportées par l’étude de livres plus spécialisés. Cela montre encore une fois la nécessité d’acquérir les connaissances par étape. Mais la séquence révèle cependant d’autres éléments sur l’apprentissage des connaissances. D’un côté, il y a cet étudiant qui mettra des années pour acquérir son savoir à l’université tout en payant des dizaines de milliers de dollars. Et de l’autre il y a Will qui prouve qu’on peut accéder aux mêmes savoirs pour seulement le prix de l’adhésion à une bibliothèque. Ce que révèle pourtant ce duel, c’est que si pour les deux protagonistes, le savoir est in fine le même, seul celui acquis par l’étudiant sera validé par un diplôme lui permettant de postuler à des fonctions importantes et rémunératrices. Le film montre donc qu’il y a une distinction entre l’éducation au savoir et la reconnaissance de ce savoir. Or, dans un système à l’américaine, cela bénéficie de fait aux enfants dont les parents peuvent financer les études.

Sanctionner

L’éducation passe un moment par la sanction qui vient valider le degré d’apprentissage. Cela a été abordé dans Le ruban blanc ou dans Les cow-boys. La sanction n’est pas forcément un acte négatif. Il permet de corriger des erreurs, de progresser, d’évaluer mais aussi de conserver des principes. Mais si la sanction semble être un principe universel, sa mise en œuvre varie dans l’espace et dans le temps.
En 1959, dans Les 400 coups, François Truffaut filme comment un acte de délinquance d’un enfant, un simple vol, est sanctionné par les parents. Dans le film, le père conduit lui-même son fils Antoine à la police qui recommande un placement dans une sorte de maison de correction. La société prend en charge une sanction qui s’accompagne d’un discours culpabilisant sur le laxisme supposé des parents. Revoir le film aujourd’hui témoigne du changement de mentalité dans la société tant une telle séquence filmée aujourd’hui paraîtrait incongrue !
Toujours en 1959, Denis de la Patellière réalise Rue des prairies mettant en scène une famille ouvrière. Le père, incarné par Jean Gabin, découvre que la maîtresse d’un homme de son âge est sa propre fille. Le père essaie de faire comprendre à sa fille l’erreur qu’elle commet mais elle lui répond en signifiant qu’elle est majeure et ose lui tenir tête. Dans un échange musclé, le spectateur découvre avec le père qu’en réalité, elle ne veut pas s’émanciper mais passer d’une tutelle à une autre, celle du père à celle du mari, mais en y voyant la possibilité d’une ascension sociale, en dévalorisant de fait le statut de son père. Une gifle sanctionne l’irrespect de sa fille. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, cela est bien un geste éducatif qui clôt une conversation, qui remet de l’ordre dans la micro-société qu’est une famille. Il y a une représentation verticale de l’autorité qui passe aussi par l’exercice de la force. La jeune fille ne s’y trompe pas car après la gifle, qui la surprend autant qu’elle surprend les spectateurs, elle revient vers son père l’appelant « papa ». Et lui de rétorquer, puisque l’amant arrive : « elle vous appelle », preuve de ce transfert de soumission et non d’émancipation.
Le recours à la sanction corporelle reste un classique du cinéma. Parce que cela est rapide, efficace, et compréhensible pour les spectateurs. Les 7 mercenaires montrent également cela. En 1960, John Sturges évoque comment des « mercenaires » viennent aider des villageois mexicains pour lutter contre un bandit, pilleur notoire. Ces paysans semblent être des faibles aux yeux de leurs enfants. Bernardo, un des mercenaires dont les enfants se sont entichés prend alors celui ayant traité les pères de lâches et lui met une fessée, rappelant ce que font leurs pères pour qu’ils puissent vivre le mieux possible. Dans cette séquence, la sanction est aussi un acte d’adulte à enfant, pas seulement de parents à enfants. Les adultes sont aussi des vecteurs de respect que les jeunes doivent avoir vis-à-vis de leurs parents, au sein d’une même communauté. Elle marque un respect de valeurs partagés par tous dans une même communauté.
Dans le cas de La gifle film réalisé par Claude Pinoteau en 1974, il y a plusieurs sanctions évoquées. Par exemple lorsque le personnage d’Isabelle, interprété par Isabelle Adjani, comprend que son année de médecine ne sera pas validée après avoir raté son évaluation. Sa note de 0 est éliminatoire et constitue une sanction définitive. Mais face à la désinvolture de sa fille et son manque de respect, Lino Ventura, incarnant le père, décide de la ramener chez eux et de la mettre dans sa chambre. Dans une crise d’hystérie, Isabelle répond à son père que si elle est sortie la veille d’examen, ce n’est pas pour vivre autrement mais autre chose, qu’elle ne veut pas d’un homme mais d’un garçon. Par un renversement de situation, elle souligne que malgré ses diplômes, son père est désormais au chômage. À la différence du film Rue des prairies, le père est déstabilisé dans son autorité. D’abord parce que sa fille ne veut pas reproduire une pratique classique, se trouver un homme pour devenir femme puis mère et ainsi de suite, ensuite parce qu’elle lui signifie son échec dans un modèle qu’il défend pourtant, celui de la réussite par les études. Le père quitte donc d’abord la chambre, comme une fuite de la situation. Puis il revient pour mettre cette fameuse « gifle » qui apparaît cette fois-ci non comme une réaction éducative mais comme une volonté de rétablir un ordre qui n’est plus.
Mais la sanction n’est pas forcément physique. Elle peut être aussi la volonté de rétablir des règles reposant sur les droits et devoirs. Ken Loach, dans Looking for Eric, montre en 2009 comment un père rappelle à ses fils qu’ils n’ont pas à se comporter comme s’ils étaient à l’hôtel, qu’ils peuvent bénéficier de droits, dans ce cas, prendre un repas, s’ils remplissent leurs devoirs. Les devoirs des parents vis-à-vis des enfants ne valent que si les enfants respectent leurs devoirs à l’égard de leurs parents !

Émanciper

Émanciper est donc l’objectif ultime de l’éducation, c’est « conduire hors de ». Ce qui ne veut pas dire être totalement libre puisque cette liberté est conditionnée par des responsabilités définies par l’acquisition des valeurs et des connaissances et validées par différents acteurs de l’éducation.
Dans Mary Poppins, Robert Stevenson trouble les spectateurs en 1964. Moins qu’un film sur comment éduquer ses enfants, Mary Poppins est en réalité un conte initiatique à destination des parents, ce qui se comprend d’ailleurs par la séquence finale dans laquelle le père comprend enfin que sa mission paternelle ne se limite pas à apporter un cadre confortable à ses enfants. Alors qu’il s’est fait licencier de la banque dans laquelle il travaillait et pour laquelle il consacrait tout son temps, il comprend enfin que les vraies valeurs reposent dans le souci de consacrer du temps à ses enfants. En réparant le cerf-volant cassé après un mauvais usage par ses enfants, il vient corriger une mauvaise expérience de ses enfants tout en les invitant à recommencer. La chanson et l’image du cerf-volant proposent de fait une interprétation double. Cela rappelle qu’il est l’objet qui a libéré le père de son travail, il est aussi le symbole de l’acte éducatif : « laissons-les s’envoler », retenus par un fil invisible. Le « les » est à la fois les cerfs-volants et les enfants. La responsabilité reposant dans le fil permettant de les récupérer quand une erreur est faite. Mary Poppins a de fait moins éduqué les enfants à être de futurs adultes que leur père à le devenir !
L’émancipation des enfants vient donc de la liberté accordée par les parents à leur progéniture sans pour autant la laisser livrée à elle-même. Dans Attention ! Une femme peut en cacher une autre en 1983, Georges Lautner montre comment le personnage interprété par Miou-Miou est conduite à laisser son fils à se faire à manger seul à midi. Mais le fil du cerf-volant est ici remplacé par le fil téléphonique qui permet à la mère de donner les conseils à son fils devant faire face à une panne de four. Être autonome est déjà le début de l’émancipation. Cette autonomie ne se fait pas forcément en rupture avec la famille et l’affection parentale. Elle passe aussi par un mimétisme du monde adulte puisque le garçon transforme sa cuisine en restaurant pour ses camarades, employant tous un vocabulaire de consommateurs aguerris ! Autonomie enfin avec transgression des principes donnés par la mère puisqu’il fait payer ses convives quand elle croit qu’il leur fait juste à manger.
L’autonomie passe donc par le libre-arbitre impliquant de fait un point de vue personnel, une indépendance de jugement. Dans Le cercle des poètes disparus, Peter Weir réalise en 1989 un film devenu culte sur un enseignant ne faisant pas que transmettre un savoir mais également un esprit critique. Dans une séquence fameuse, il convie ses élèves à monter sur son bureau pour voir la salle de classe d’une autre manière. Ce changement de point de vue, également transgression à un ordre établi, est aussi une manière de comprendre que le monde ne se regarde pas seulement d’une seule manière. S’émanciper, c’est aussi parfois regarder la même chose mais sous un angle différent. C’est s’inscrire dans un même espace mais avec son propre regard, son propre avis. C’est oser.
De fait, l’émancipation comme objectif de l’éducation semble rejoindre le principe premier qu’est l’acquisition de valeurs. Dans Spiderman de Sam Raimi en 2002, Peter Parker, qui vient de découvrir ses dons nouveaux, se sent épris de liberté, fait ses choix en contradiction avec certains des principes que lui a transmis son oncle. Or celui-ci lui rappelle qu’ « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Phrase à double sens évidemment dans cette situation car elle s’adresse à celui qui devient Spider-man. Mais l’oncle l’ignorant évoque lui le pouvoir de la jeunesse, de la liberté. Et pour lui, l’émancipation n’est pas irresponsabilité et être libre n’exonère pas de ses devoirs et de ses valeurs.
De même, l’émancipation ne constitue pas la fin de l’acquisition du savoir. 
Dans  No et moi Zabou Breitman adapte en 2010 le livre de Delphine de Vigan et montre comment une élève de collège va réaliser un exposé sur les SDF pour son professeur de français. Dans ce cas, l’école et le professeur ne sont pas les transmetteurs du savoir mais sont des éléments de médiation entre ceux qui apprennent et le monde inconnu pourtant si proche. La construction de son savoir par l’exposé est aussi émancipateur à condition évidemment d’être acteur de ses recherches, le tout avec le soutien et l’accompagnement lointain mais sûr de l’enseignant, qui laisse s’envoler son élève tout en la maintenant par le fil.

CONCLUSION 
Le cinéma est donc un art formidable pour témoigner des caractéristiques d’une société puisqu’il est un art qui plonge le spectateur dans l’illusion du réel qui n’est que le vraisemblable. À bien y regarder, le cinéma est aussi un témoin non par son aspect narratif mais aussi par les choix qui sont faits. Si l’école est souvent montrée au cinéma, l’éducation est présentée le plus souvent en dehors de ce cadre, et parfois même contre lui. Mais le plus évident est la représentation des agents de l’éducation des enfants. Dans le réel, ce sont surtout des femmes, qu’elles soient les mères, les enseignantes ou les nourrices et de fait, la place des femmes dans l’éducation est prépondérante. Or le cinéma surreprésente la place des hommes dans cette mission. Celle des femmes étant le plus souvent oubliée ou marginalisée : la mère est morte, ou elle a abandonné sa famille, ou elle est absorbée par autre chose. Le père, l’oncle ou simplement l’homme font office de maître d’un ordre encore paternaliste. Cela vient à la fois d’un art encore sous influence masculine – que ce soit à la production ou à la réalisation – mais cela vient aussi d’une société qui place encore le père ou l’homme dans un statut symbolique important d’autorité dans un système, familial ou social, reposant sur un ordre masculin. Or, la transmission de ces principes au cinéma doit apparaître socialement vraisemblable et pas forcément en phase avec la réalité vécue. Ce qui explique pourquoi même des réalisatrices peuvent reproduire une représentation masculine du schéma éducatif.
C’est donc en toute logique qu’en 1963, Georges Lautner réalisait Les tontons flingueurs. Ce film est devenu culte et raconte les tribulations d’un oncle improvisé devant soudain prendre en charge l’éducation de sa désormais nièce. Et alors qu’il découvre celle-ci avec un dénommé Antoine en train d’écouter de la musique « douce » et partiellement dévêtus, il doit aussi affronter des remarques désobligeantes à son égard et contestant son autorité. Ce qui valut alors une des répliques les plus célèbres d’Audiard :
« Patricia mon petit, je ne voudrais pas te paraître grossier et encore moins vieux-jeu ; l’homme de la pampa parfois rude reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire. Ton Antoine commence à me les briser menu ! ».
En une réplique, Lautner rappelait les principes traditionnels de l’éducation reposant sur une autorité verticale face à la contestation des plus jeunes, notamment par la remise en cause des connaissances des adultes, le tout provoquant un rappel des valeurs et des principes puis d’une sanction pour aboutir au rétablissement de l’ordre ! Ce qui vaut dans une comédie de 1963 n’est de fait pas si éloigné de ce qui arrive dans le domaine de l’éducation telle que le ressentent les spectateurs d’aujourd’hui. Pas sûr en revanche que ce modèle soit celui correspondant à ceux préconisant une mutation des méthodes et principes éducatifs !

À très bientôt

Lionel Lacour

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire