lundi 2 mai 2011

Le cinéma en relief a-t-il un avenir?

Bonjour à tous,

un fait s'impose aujourd'hui dans les salles et demain sur nos écrans domestiques, téléviseurs, ordinateurs et smartphones: l'image en relief!
Le moindre film en 3D devient un film en relief, comme récemment le film Rio. Même le grand Wim Wenders a succombé à ce procédé dans son dernier film Pina en l'hommage de la grande chorégraphe Pina Bausch morte il y a peu.
Pourtant, le procédé du relief porte bien des interrogations en lui, et pas seulement techniques.

Encore du relief!
Le cinéma en relief ne date pas des années 2000. Le kinétoscope, qui n'est pas à proprement parlé du cinéma, proposait déjà des images en relief. En 1922, The power of love de Nat G. Deverich et de Harry K. Fairall était tourné en noir et blanc mais en relief, le premier film en relief exploité en salle. Même L'arrivée du train en gare de la Ciotat a eu droit en 1935 à une version "en relief". Il faut dire que ce film avait déjà fait peur aux premiers spectateurs voyant un train foncer sur eux, et ce sans relief!
Les procédés se sont améliorés et dans les années 1950, les studios américains ont produits de nombreux films en relief nécessitant le port de lunettes spéciales permettant de voir ce fameux relief de films tournés en stéréoscopie.
Les spectateurs français se souviennent sûrement que dans les années 1980, lors de l'émission d'Eddy Mitchell La dernière séance avait été programmé L'étrange créature du lac noir réalisé par Jack Arnold en 1954.  Ce film réalisé en stéréoscopie avait alors suscité la vente de lunettes aux verres rouge et bleu permettant aux spectateurs de voir foncer sur eux la fameuse créature. Les spectateurs des années 1980 ne furent pas particulièrement époustouflés par ce qu'ils voyaient. Pas plus que ceux des années 1950. Et bon nombre des films tournés en relief furent exploités surtout en format classique, à commencer par Le crime était presque parfait d'Alfred Hitchcock en 1954.
Ce procédé fut en fait rapidement abandonné. Même Jack Arnold, qui fut le grand réalisateur des effets spéciaux, tourna sans relief L'homme qui rétrécit en 1956. Usant d'effets spéciaux dépassés aujourd'hui et pourtant encore spectaculaire, on imagine combien le combat du héros avec la mygale aurait pu être impressionnant en relief. S'il ne le fit pas, n'est-ce pas que le procédé n'était finalement pas assez au point ou que les spectateurs s'en détournaient?
En tout état de cause, il aura fallu attendre les années 1990 pour revoir un procédé en relief utilisé par les studios, surtout dans les parcs d'attraction, puis, avec le développement des films en image de synthèse ou le recours aux effets spéciaux numériques, dans les salles.

Pourquoi des films en relief?
Si les premiers films des années 20 peuvent s'expliquer par une frénésie de "réalisme" qui verra l'avénement du parlant puis de la couleur, les films en relief des années 1950 s'expliquent davantage pour des raisons économiques. En effet, la télévision se développant de manière fulgurante dans les foyers américains, les studios ont donc vu une concurrence importante se présenter à eux, captant la clientèle familiale mais aussi la jeunesse. C'est le début des séries télévisées qui reprennent certaines recettes du cinéma, offrant des personnages récurrents qu'il est bon de retrouver semaine après semaine.
Les studios ont alors cherché à proposer un spectacle cinématographique que les postes de télévision ne pouvaient pas reproduire, sauf à s'adapter à l'image cinématographique.
Ainsi, les studios utilisèrent des procédés de plus en plus spectaculaires comme le cinémascope, permettant de projeter des images très larges avec un ratio longueur / largeur initialement de 2,35:1. Ainsi, La tunique de Henry Koster fut présenté en 1953 par la 20th century Fox tandis que d'autres majors utilisèrent d'autres procédés équivalents comme le Vistavision de la Paramount.
Ainsi, des films très larges ne pouvaient pas être diffusés à la télévision sauf à amputer les marges latérales du film où à réduire l'image pour qu'elle tienne à l'écran. Les postes des années 1950 n'ayant pas les diagonales de ceux d'aujourd'hui, les films étaient donc extrêmement réduits à l'écran, encadrés par les fameuses barres noires! De même, les productions réservées pour la télévision ne pouvaient prétendre à concurrencer celles tournées en cinémascope.
Les films en relief répondent à la même logique de réponse au développement de la télévision prenant de fait des spectateurs aux salles de cinéma. L'effet de relief était d'autant plus saisissant que le spectateur se trouvait face à un grand écran tandis que l'effet sur un petit écran était bien moins spectaculaire car moins "enveloppant".
Comme aujourd'hui, l'effet relief avait une autre particularité, celle à la fois de créer une émotion collective d'une image qui ne semblait pourtant ne concerner que soi! Comment le rocher se dirigeant droit sur un spectateur pouvait en même temps menacer celui de l'autre bout de la salle!
La réapparition du cinéma en relief des années 2000 et 2010 semble répondre encore à une concurrence, non plus seulement de la télévision mais désormais celle de tous les autres moyens de regarder les films sur différents supports. Les problèmes de diagonales ont été réglés depuis longtemps avec l'adoption du standard 16/9ème des téléviseurs. L'arrivée du DVD et désormais du Blu Ray ont transformé notre rapport à l'image. Elle est désormais numérique. Cela signifie qu'à l'heure de l'ultra haut débit avec des ordinateurs de plus en plus puissants, les films peuvent être vus sur des écrans de tailles diverses, du smartphone à l'ordinateur 21", de manière légale ou illégale. A la différence des copies de VHS dont la qualité se déterriorait à chaque génération de copie et surtout à chaque usage de la cassette, la copie numérique ne s'use ni à la génération suivante, ni à l'usage.
L'ère du numérique pour les spectateurs est alors aussi devenue celle du numérique pour les réalisateurs et distributeurs, proposant sur grand écran des copies en parfait état et ne s'usant pas. Le surcoût de l'équipement en projecteurs numériques s'est accompagné de la programmation de films qui ne pouvaient pas être proposés ni à la télévision, ni sur les appareils numériques classiques. S'appuyant sur l'expérience des multiples parcs d'attraction proposant des films en relief, que ce soit l'ensemble des parcs Disney ou en France à Vulcania, pour ne prendre qu'un exemple, les producteurs ont alors soutenus la production de longs métrages en relief, comme ils étaient autrefois passé des courts métrages en image de synthèse aux longs métrages avec le premier d'une désormais longu liste Toy Story en 1995 réalisé par John Lasseter pour les Studios Pixar produit et distribué par Disney.

Le recours au relief dans les salles devint alors une manière de capter des spectateurs à d'autres salles, aux autres spectacles et de s'affranchir du risque d'être copié par les joujoux de haute technologie ne pouvant proposer une vision en relief. Surtout, la nouveauté permettait la vente de nouveaux produits pour les salles: les lunettes pour voir le relief. Le surcoût par séance pour chaque spectateur semblait justifié par la promesse de sensations nouvelles au cinéma.



Le succès fut immédiat car il bénéficia pour cela de poids lourds de la production cinématographique. Ainsi, Toy story 2 sortit en 1999 dans certaines salles américaines en 3D, c'est-à-dire en relief. Mais c'est surtout avec le champion toute catégorie du Box office que le cinéma en relief allait connaître un nouvel essor. James Cameron, le réalisateur de Titanic en 1997. En 2009, c'est avec Avatar qu'il propose un film mêlant tournage traditionnel et séquences en images de synthèse, le tout en relief.Le succès fut colossal et entraîna derrière lui la fin de résistance de certains qui refusaient jusqu'alors à repondre aux sirènes du relief. Depuis, c'est presque un film en relief par quinzaine qui est proposé dans les salles.
Le cinéma semble alors reconquérir ses spectateurs perdus.

La déjà fin du film en relief?
A cette présentation plutôt porteuse d'espoir dans le cinéma en relief, plusieurs bémols doivent cependant être apportés.
Tout d'abord, le spectacle en relief génère à la longue un inconfort visuel car le cerveau doit constamment travailler pour lire et assimiler les images que chaque oeil perçoit. C'est le cerveau qui transforme ce qui est montré à l'écran en image en relief. Cette fatigue est donc un handicap non négligeable sur des films longs. A ceci se rajoute un assombrissement de l'image en relief par le port des lunettes. Enfin, pour ceux voulant voir les films en VOST, les sous-titres sont très difficiles à lire car ils sont intégrés en 2D sur un film en 3D. L'inconfort est pour certains spectateurs vraiment insupportable!

Autre inconvénient, l'intérêt du cinéma en relief réside essentiellement dans le côté spectaculaire des images. Le doigt se tendant vers vous, l'objet lancé sur vous etc. Ces effets procurent une émotion simple, immédiate mais qui ne joue que sur ce que nous pouvons retrouver dans les animations foraines ou même dans certains spectacles des parcs d'attraction. Or le cinéma est justement devenu cinéma quand les réalisateurs ont justement compris que l'émotion simple de voir une image spectaculaire ne suffisait plus. Le cinéma "en 2 D" en Noir et Blanc et, horreur, muet, a continué d'exister après que la nouveauté de "l'image en mouvement" n'était justement plus une nouveauté. Les différentes écoles de réalisateurs ont construit progressivement un langage cinématographique qui dépassait la seule émotion primaire. L'utilisation du noir ou du blanc pour évoquer le mal ou la vertu, l'utilisation de la plongée et de la contre-plongée pour écraser ou magnifier un personnage sont autant de procédés qui ne jouent pas sur la seule magie de l'image en mouvement mais qui confère un sens à l'image. Or, à ce jour, les films en reliefs n'ont pas encore permis de mettre en évidence un développement du langage cinématographique. Même si Avatar joue autant sur ce qui surgit que sur le relief de profondeur, les spectateurs ayant vu le film en 2D n'ont pas manqué grand chose quant au sens du film. Il n'en est évidemment pas de même pour les films qui utilisent certaines couleurs de manière intense pour accentuer certains sentiments. De même, certains films sans le son des dialogues perdraient définitivement du sens et de l'intérêt. Il suffit pour cela d'imaginer Manhattan de Woody Allen en 1979 sans dialogue!
La question est donc d'emblée d'ordre cinématographique: le cinéma en relief a-t-il un intérêt cinématographique hormis le caractère spectaculaire de certaines scènes? On sait que le cinéma pornographique s'est déjà penché sur ce procédé et on imagine ô combien ce type de cinéma a un intérêt à y recourir. Mais pour les autres?

Cette question semble déjà tranchée par les spectateurs. Aux USA, les recettes des derniers films en relief sont en chute libre et c'est en Europe qu'ils font les meilleurs résultats. C'est le cas du film Les voyages de Gulliver réalisé en 2010 par Rob Letterman, qui a fait un flop aux USA et qui a multiplié par 5 ses recettes en Europe! La réponse à apporter peut être assez simple. Le film en relief doit d'abord être un film! Et les Américains ont connu le relief bien avant les Européens. Ils sont donc rassasiés des ces images certes spectaculaires mais qui n'apportent désormais rien de nouveau. Les Européens semblent continuer à aller en salle pour ce type de films. Mais il faut juste rappeler que c'est vraiement avec Avatar que le cinéma en relief s'est imposé en France et en Europe. Un processus de reflux est donc inéluctable, réduisant forcément le nombre de production en relief pour éviter une saturation de l'offre. En attendant, comme dit plus haut, que ce porcédé n'entraîne un vrai discours cinématographique.

Un autre bémol enfin sur le succès du film en relief à terme est le fait que contrairement à l'époque du cinémascope, le relief d'aujourd'hui est une technologie de l'ère numérique qui a pour caractéristique de toucher presque aussi rapidement le milieu professionnel que celui des particuliers. Quand Michael Jackson proposait un morphing dans son clip Black or White en 1991, clip réalisé par John Landis, il s'agissait là d'un véritable effet spectaculaire et une des premières fois où il était proposé ainsi à des spectateurs. Or aujourd'hui, n'importe qui peut acheter un logiciel permettant un tel effet spécial! Et la technologie se démocratise de plus en plus vite. Ainsi, les téléviseurs permettant de voir des programmes en relief existent déjà, à défaut des programmes! Même des smartphones proposent déjà cette possibilité! L'avance des cinémas est déjà anéantie par la technologie mise à disposition des consommateurs qu'on a habitué depuis près de 20 ans à voir les mêmes images chez eux qu'en salles!


Pour conclure, il apparaît donc que le cinéma a très tôt cherché à apporter une troisième dimension à son image. On a pu un temps imaginer que la technologie était un frein au développement de l'image en relief. Ce n'est plus le cas, certains téléviseurs voire smartphone permettant même un visionnage en relief sans lunettes, à condition certes de rester figer à un endroit précis! La vraie limite du cinéma en relief est donc le cinéma en relief lui-même. Qu'il reste un spectacle pour émotion simple et enfantine, et il restera ce qu'il a toujours été, un procédé amusant, spectaculaire mais sans grand avenir. Qu'il bénéficie de réalisateurs réussissant à exploiter ce procédé comme un autre moyen d'exprimer des idées, l'intégrant dans le langage cinématographique existant, alors le cinéma en relief cessera de n'être qu'un spectacle de foire.
A lire ce que chaînes de télévision nous promettent autour du relief, à commencer par les matchs de football, des programmes pour enfants ou clairement pour adultes(!), on peut douter que le cinéma en relief n'ait une chance de devenir autre chose que ce qu'il n'est aujourd'hui: des images spectaculaires, et pas grand chose d'autre. Que des réalisateurs nous démontrent le contraire.

A bientôt

Lionel Lacour

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