samedi 9 août 2014

Le juge et l'assassin: un discours de lutte des classes!

Bonjour à tous,

en 1976, Bertrand Tavernier réalisait Le juge et l'assassin, retrouvant son acteur fétiche Philippe Noiret et donnant à Michel Galabru certainement son premier grand rôle au cinéma, rôle qui lui valut d'avoir le César en 1977 devant Alain Delon pour Monsieur Klein, ce qui n'était tout de même pas rien!

L'action se passe donc en 1893 quand un vétéran, un certain Bouvier, incarné donc par Galabru, est éconduit par une femme. Après l'avoir tué, il se suicide mais se rate. Il est arrêté, interné puis s'échappe et devient alors ce qu'on appelle aujourd'hui un tueur en série.

Le film de Tavernier ne vaut pas tant pour cette histoire de criminel qui sert en fait de prétexte au réalisateur pour faire un point historique sur la situation de la République en pleine affaire Dreyfus, point dont le spectateur ne peut pas voir selon un autre angle, celui de la situation économique et sociale française de ces années post 68 et de début de crise économique remettant en cause le modèle français.


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mardi 5 août 2014

La proie nue: un ovni cinématographique de Cornel Wilde

Bonjour à tous,

Paramount Channel diffuse en ce moment un film produit et réalisé par Cornel Wilde et qui constitue un véritable ovni hollywoodien. Avec un budget de 900 000 $, le film fut nommé aux oscars pour le meilleur scénario. Le réalisateur, grande star des années 1950 (il fut "Le grand Sébastian" du film de Cecil B. DeMille Sous le plus grand chapiteau du monde), tourné une histoire inspirée d'un fait réel où le trappeur John Colter fut fait prisonnier de la tribu indienne des Black Foot (lire à ce propos le très bon article du blog Chronique du cinéphile stakhanoviste sur ce film). Cornel Wilde réussit un long métrage d'autant plus intrigant qu'il ne s'inscrit à la fois dans la tradition du cinéma américain évoquant l'Afrique et le cinéma à venir, celui sortant des sentiers battus des récits héroïques et bavards.


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Un film classique
Comme ses prédécesseurs, John Ford, Howard Hawks et d'autres encore (voir à ce propos mon article sur les Africains noirs vus par le cinéma occidental), Cornel Wilde propose une forme permettant dès le générique de reconnaître l'Afrique telle que les spectateurs américains l'envisagent: tam-tam et percussions, imagerie de tribus... Ce recours aux musiques africaines sera permanent dans tout le film, maintenant une ambiance particulièrement exotique.
L'autre aspect classique relève du sujet. Un riche blanc se paie un safari avec un guide, sorte d'Allan Quatermain joué par Cornel Wilde lui-même. Et bien évidemment, les noirs sont relégués à deux statuts classiques: les porteurs et les membres d'une tribu sauvage. Ce safari satisfait aussi les désirs de ces colons européens d'exercer leur puissance en abattant les animaux les plus gros et les plus symboliques du continent: les éléphants. Hormis leur taille, ces animaux sont aussi riches de leur ivoire, matériau noble s'il en est.
De manière toujours classique, ce chasseur est imbus de sa civilisation, veut imposer aux peuples sa manière de concevoir la vie et les bons usages. Il refuse de payer une sorte de tribut modique à une tribu se trouvant sur le passage de son parcours le conduisant au troupeau d'éléphants à abattre puis il abat de manière industrielle et sans la moindre retenue des bêtes dont certaines ne sont pas porteuses de défenses et n'ayant par conséquent aucun intérêt commercial. Il tue pour le plaisir. À l'instar des guides des autres films se déroulant en Afrique noire et "sauvage", le guide est plus pragmatique. Il ne comprend pas l'attitude de son client, essaye de lui faire comprendre que le mode de vie des tribus doit s'imposer aux occidentaux. Et s'il a tué moins d'éléphants que lui, ce n'est que parce qu'il ne tue que ceux offrant des défenses exploitables.

Le film s'accompagne, comme tous les autres, d'un bestiaire particulièrement abondant, exotique et de toutes les tailles: éléphants donc, mais aussi gazelles, girafes, singes fauves mais encore scorpions, serpents ou caméléons!
Enfin, ce qui devait arriver arriva. La tribu "vexée" de l'attitude du chasseur et avec lui des autres Blancs, s'en prit à eux, dont le guide. Si les premiers subissent des tortures d'une cruauté réjouissante d'imagination, le guide voit son destin se dessiner rapidement. Il est transformé en proie chassée par des membres de la tribu!



Un film moderne
Si on vient de voir que, dans le fond, le sujet et apparemment la forme n'ont rien d'exceptionnels, le spectateur va pourtant rapidement se retrouver face à une sorte de fiction documentaire. À partir du moment où les Blancs sont faits prisonniers, plus de dialogue compréhensible n'est alors prononcé par les personnages, dont il ne restera de survivant que le guide. Si les membres de la tribu s'exprime, nul sous-titre ne vient donner du sens. De fait, les attitudes, les intonations suffisent à comprendre ce qui se passe.
Si les films classiques utilisaient les rythmes africains pour rappeler le lieu où se passait l'action, ils avaient recours régulièrement à une bande son plus classique accompagnant les mouvements des héros. Or rien de ceci dans La proie nue. Le film n'utilise pas d'autre musique que celle sensée être africaine, plongeant le héros dans une situation de domination et d'inconfort permanent. Il n'est jamais supérieur et apparaît parfois bien ridicule quand il réussit, momentanément, à empêcher ses poursuivants de le rejoindre.
Cette absence de dialogues ou même de monologues voire de voix off donne au film un caractère étrangement subjuguant. Cela impose que tout passe par l'image. Si le style a vieilli un peu, il n'en demeure pas moins que Cornel Wilde utilise toute la palette du montage cinématographique pour illustrer ses propos. S'il montre des animaux, il les représente très souvent en tant que prédateur et gibier. Son personnage se trouve entre les deux catégories, tantôt gibier voire future charogne (un plan sur un vautour nous en indique le sens!). Sa place dans la hiérarchie des prédateurs n'est pas très haute. Et malgré sa réussite pour tuer un koudou, il ne peut rien pour empêcher un lion de lui prendre la victime de sa chasse!
Voici donc un homme blanc traqué, armé des seules armes qu'il a pu prendre aux chasseurs qui le traquent, poignard, lance et arc. On est bien loin des films où les Européens imposent leur ordre à l'Afrique et aux Africains.
Pendant près d'une heure, le guide doit affronter la nature, se nourrir d'insectes ou de serpent crus, repousser ou tuer ses assaillants, le tout sans aucune explication!

Du point de vue artistique, on se rapproche donc de ce nouveau cinéma américain qui ose mettre les héros traditionnels en situation d'infériorité. Je le montrais dans un précédent article sur Un homme nommé cheval. Tout comme le guide de La proie nue, l'aristocrate anglais se retrouve soumis à un peuple indien et une grande partie du film est une sorte d'observation des rituels indiens devant les yeux d'un Anglais du XIXème siècle. Le film de Cornel Wilde se passe dans le même siècle, avec un personnage qui comme celui interprété par Richard Harris, doit survivre dans un milieu hostile.

Des séquences audacieuses
Si les séquences de tortures apparaissent insoutenables, aucune image sanguinolante n'est pourtant présente. De même, quand le guide tue des poursuivants, la caméra évite de s'attarder sur les entrées de lame dans le ventre. L'audace n'est donc pas dans la représentation de la mort ni même dans le fait de montrer un homme manger un animal non cuit. Elle est d'abord dans le montage, des gros plans sur le regard par exemple suivis par des plans animaliers, parfois de combat entre un serpent constrictor et un varan dont on ignore qui finit véritablement vainqueur. Très symbolique, le montage a dû interpeller bon nombre de spectateurs américains devant un tel spectacle, plus digne du cinéma soviétique dans le montage que des grosses productions des majors américaines.
Hormis la forme, c'est aussi un des rebondissements du film qui présente une particularité peu abordée au cinéma avant, et bien peu depuis, y compris (et surtout?) en France.
Ainsi, quand le guide arrive dans un village qui pourrait lui permettre éventuellement d'être sauvé, il assiste à une attaque en règle de ce village africain paisible par... d'autres Africains! Cette attaque aussi soudaine que violente n'est pas en soi une nouveauté dans la représentation cinématographique. Les Noirs étant montrés comme des sauvages, ils le sont aussi parce qu'ils le sont entre eux, les épisodes de la saga de Tarzan l'homme singe en témoignent! Mais ce qui est nouveau à l'écran réside dans la motivation de cette attaque. Les assaillants font des prisonniers qu'ils attachent avec des ustensiles spécifiques qui laissent à comprendre qu'ils sont réduits en esclavage. Les moins intéressants, notamment les plus jeunes, sont ostensiblement abandonnés à leur sort qu'il est aisé de deviner.
Cette séquence renverse donc un autre schéma du cinéma américain, y compris celui qui commence à poindre. Si une mise en accusation des USA dans le sort réservé aux Indiens pendant la conquête est en œuvre et que l'esclavage est dénoncé dans les années 1970, Cornel Wilde filme un élément particulièrement troublant puisque les Noirs réduits en esclavage l'ont été par des ... Noirs. On peut y voir aussi une manière de dédouaner les Européens de ce commerce qui les enrichira et leur permettra l'exploitation du nouveau monde. Après tout, il n'ont pu faire cette traite négrière que parce que d'autres Noirs le leur permettait.
Mais au regard de la tonalité du film, on peut aussi y voir une mise à égalité, certes pas très positive, des peuples dans leur cruauté et leur volonté de dominer les autres. Le guide se trouve juste être en mauvaise situation. Peu importe d'ailleurs la réception du film ou la motivation du scénariste. Représenter une telle situation était particulièrement audacieux au regard de la situation noire américaine de l'époque!


Ainsi, La proie nue offre un spectacle extrêmement surprenant. En cinémascope et technicolor, le film prend des atours du cinéma hollywoodien grand spectacle. Mais en réduisant les dialogues à la portion congrue, en réduisant l'épilogue à presque rien, en osant montrer un héros blanc en situation quasi permanente de gibier, Cornel Wilde proposait un film atypique, certainement déjà trop moderne pour les classiques, sûrement trop classique pour ceux qui commençaient à se détourner du cinéma des studios hollywoodiens. Il n'empêche, ce film est une œuvre rare à redécouvrir.

À bientôt
Lionel Lacour





mercredi 30 juillet 2014

La planète des singes - l'affrontement: parabole du chaos de notre civilisation?




Bonjour à tous,
j'ai déjà écrit 2 articles sur les versions précédentes de La planète des singes à l'occasion de la sortie de la version de 2011 (http://cinesium.blogspot.fr/2011/08/le-retour-de-la-planete-des-singes.html et http://cinesium.blogspot.fr/2011/08/la-planete-des-singes-les-origines.html). Et cette-dernière, réalisée par Ruppert Wyatt était particulièrement réussie. C'était donc avec impatience que j'attendais la suite qui sort ce jour. Réalisé par Matt Reeves, mais toujours avec Andy Serkis dans le rôle de César, le singe intelligent, La planète des singes - l'affrontement ("Dawn of the planet of the Apes") avait un défi à relever, celui d'être capable de garder l'alchimie du précédent combinant grand spectacle et contenu sociétal. Défi relevé!

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mardi 29 juillet 2014

Mort de James Shigeta: un asiatique bien Américain!

Bonjour à tous,

James Shigeta est mort ce jour à l'âge de 81 ans. Si beaucoup ignorent son nom, ils savent pourtant qui il est tant ce comédien d'origine hawaïenne avait incarné avec quelques autres les personnages d'asiatiques au cinéma comme à la télévision des productions hollywoodiennes.

Il fut japonais, chinois peu importe. Il servit les réalisateurs qui avaient besoin de trouver une valeur sûre dans des productions d'avant le "politiquement correct" qui ne s'embarrassaient pas des quotas ethniques à l'écran. Comme pour les comédiens noirs qui étaient finalement peu nombreux jusqu'à l'explosion de la Blaxploitation, ceux asiatiques n'étaient pas légion! Et quand ils devaient avoir un vrai premier rôle, les producteurs recouraient alors aux vedettes japonaises comme Toshirô Mifune, notamment dans Soleil rouge de Terence Young en 1971. Mieux, ils pouvaient aussi engager des acteurs non asiatiques! L'exemple le plus drôle est pour la série Kung Fu dont le premier rôle revint non à Bruce Lee comme il fut un temps imaginé mais à David Carradine, dont le caractère asiatique est tout de même bien lointain!
James Shigeta joua pourtant dans cette série, mais un rôle secondaire sur deux épisodes seulement.

Les rôles au cinéma furent moins nombreux qu'à la télévision. Pour celle-ci, il joua dans toutes les séries phares des années 1960 et 1970, des Rues de San Francisco à La croisière s'amuse en passant par... La petite maison dans la prairie!

Mais sur grand écran, sa présence plus rare l'a tout de même conduit à tourner dans quelques œuvres devenues classiques. Yakuza de Sydney Pollack en 1974 fait partie de ceux-là. Mais il n'a qu'un rôle de second plan, jouant le frère de celui qui donne la réplique à Robert Mitchum, la star du film. Or Ken Takakura, ce fameux frère, est un grand acteur japonais, autre légende du cinéma nippon comme put l'être Mifune.
En 1976, James Shigeta joue encore un Japonais dans La bataille de Midway, incarnant un vice-amiral de la marine impériale.


Dans Piège de cristal de John McTiernan en 1988, il est encore un Japonais méchant!
Cantonné aux rôles secondaires des films américains, il se retrouve en 2000 encore en arrière plan, mais cette fois-ci dans un film de Takeshi Kitano, Aniki, mon frère. Une sorte d'hommage du réalisateur japonais en faisant tourner celui qui avait tenu tant de fois le rôle d'un de ses compatriotes, lui l'Américain de Hawaï.

Le cinéma perd donc un second rôle qui aura marqué la mémoire visuelle des spectateurs du grand et du petit écran des années 1960 aux années 1990. Si son nom n'était pas forcément connu, son visage, son style, sa classe naturelle aura marqué les esprits. Il n'a pas bénéficié de cette évolution télévisuelle imposant des rôles importants à des comédiens issus de toutes les communautés. Mais au moins s'est-il imposé avec quelques autres au point de pouvoir jouer sans discontinuer pendant près de 50 ans.

À bientôt
Lionel Lacour