mercredi 9 mai 2012

Censure et Cinéma aux 5èmes Rencontres Droit et Cinéma de La Rochelle

Bonjour à tous,

je me fais aujourd'hui le relais d'une manifestation de très grande qualité se déroulant à La Rochelle pour la 5ème édition déjà. Ce sont également des Rencontres Droit et Cinéma mais, à la différence de celles que j'organisent à Lyon, abordant le sujet selon un angle thématique.
Si vous êtes du côté de La Rochelle, ne manquez pas ces conférences et projections!

CENSURE ET CINEMA
Vèmes RENCONTRES DROIT ET CINEMA
 (programme provisoire)
La Rochelle, Les 29-30 JUIN 2012
                                                         Salle de l’Arsenal, place J.-B. Marcet, face au Carré Amelot

VENDREDI 29 JUIN
9h30 Accueil des participants
10h Allocutions de bienvenue

I - HISTOIRES DE CENSURE
10h30 - 12h sous la présidence de Gilles Menegaldo, professeur de littérature américaine et cinéma, Université de Poitiers
-         Fantômas et la censure dans les films de Louis Feuillade par Annabel Audureau, docteur en littérature comparée, enseignante et expression et communication à l’IUT de La Rochelle, Université de La Rochelle
-         The Rise and Fall of Free Speech in America : le code et l’autocensure du cinéma classique hollywoodien par Chloé Delaporte, ATER au département cinéma et audiovisuel, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3
-         Réflexions sur la censure cinématographique à partir du Prête-nom de Martin Ritt (Etats-Unis, 1976) par Jacques Viguier, professeur de droit public, Université de Toulouse 1 Capitole, IDETCOM
-         Débat

II - LA CENSURE DANS TOUS SES ETATS  (1ère partie)
14h - 15h30 La censure en  France
Sous la présidence de Françoise Thibaut, professeur des universités, correspondant de l’Institut
-         Claude Bernard-Aubert ou l’art de fâcher les censeurs par Delphine Robic-Diaz, maître de Conférences en études cinématographiques, Université Paul Valéry Montpellier 3
-         Mesurer le rendement censorial, la conflictualité professionnelle et la transgression cinématographique (France, 1945-1975) par Frédéric Hervé, doctorant en histoire, Université de Paris 1
-         La violence cinématographique, nouvelle censure en France par Albert Montagne, docteur en histoire, rédacteur aux Cahiers de la cinémathèque et intervenant au pôle régional d’éduction à l’image Languedoc-Roussillon
-         Débat
15h30 - 16h Pause café
16h - 17h15 La censure en Europe
Sous la présidence de…
-         Die Sünderin/Confession d’une pécheresse (de Willi Forst, All., 1951) : cinéma, morale, ordre public, et la garantie constitutionnelle allemande de la liberté artistique par Thomas Hochmann, docteur en droit public de l’université Paris I Panthéon Sorbonne, post-doctorant au Centre Perelman de philosophie du droit, Université Libre de Bruxelles, chargé de cours aux universités Libre de Bruxelles et de Mons
-         The Life of Brian (de Terry Jones, Grande-Bretagne, 1979) des « Monty Python » : hérétique ou simplement humoristique ? par Brigitte Bastiat, docteure en sciences de l’information et de la communication, PRCE d’anglais, Université de La Rochelle, membre associé du CRHIA et du Centre d’études irlandaises de Rennes 2 et Frank Healy, maître de conférences en anglais (CIEL), Université de la Rochelle
-         Débat

18h45 : Cocktail à la boutique Cinématouvu (10 rue de la Ferté, La Rochelle)
20h : FILM d’ouverture du Festival International du Film de La Rochelle

SAMEDI 30 JUIN
II - LA CENSURE DANS TOUS SES ETATS (2nde partie)
9h30 – 10h50 La censure dans le monde (1ère partie)
Sous la présidence de Xavier Daverat, professeur de droit privé, Université Montesquieu Bordeaux IV
-         Le charme discret de la censure au cinéma en République Populaire de Pologne entre 1953 et 1981 par Katarzyna Lipinska, doctorante en sciences de l’information et de la communication, Université de Bourgogne, réalisatrice audiovisuelle et monteuse
-         A l'épreuve de la censure : His Girl Friday et le bureau de Censure des vues animées de la Province de Québec par Jérémy Houllière, doctorant en études cinématographiques, Universités de Montréal et Rennes 2
-         La classification des œuvres cinématographiques : une atteinte à la liberté d'expression ? par Louis-Philippe Gratton,  doctorant en droit public, ATER, Université de Toulouse 1 Capitole
-         Débat
10h50 - 11h05 Pause café
11h05 – 12h La censure dans le monde (2nde partie)
Sous la présidence de…
-         Voyage au bout de la censure : La dernière tentation du Christ. De Kazantzakis à Scorcese par Lampros Flitouris, maître de conférences histoire européenne,  Université d'Ioannina et chargé de cours à l’Université Ouverte de la Grèce (Open University), membre associé au Centre d’histoire culturelle des Sociétés contemporaines de l’Université Versailles Saint Quentin
-         No Sex in this City : Hollywood face à la censure au Moyen-Orient par Nolwenn Mingant, maître de conférences en civilisation américaine, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3
-         Débat

III - IDEOLOGIE(S) DE LA CENSURE
14h - 15h40 Sous la présidence de…
-         Le cas de M. de Fritz Lang par Sylvain Louet, professeur agrégé de lettres modernes au lycée Montaigne, Paris
-         Censure et sexualité : enjeux politiques et esthétiques. Analyse de quelques longs métrages en France et aux Etats-Unis depuis les années 1950 par Alain Brassart, docteur en études cinématographiques, chargé de cours à l’Université Charles de Gaulle-Lille III
-         Filmer la censure : The People vs Larry Flint (de Milos Forman, E-U, 1986) par Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences en droit privé, Université de Nancy 2, Institut François Gény
-         Deux antipodes de la figuration du bonheur au travail dans les films français : de l’autocensure au plaidoyer par Lucile Desmoulins, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, CNAM DICEN, Université Paris-Est IFIS
-         Débat

15h40 - 16h Pause café

16h - 17h30 Table ronde : La censure : quelle actualité ? animée par Eve Lamendour, maître de Conférences en sciences de gestion, CEREGE LR-MOS, Université de La Rochelle

Avec : Patrick Brion, historien du cinéma, responsable du département cinéma de France 3, créateur et animateur du Cinéma de minuit (sous réserve)
          Daniel Serceau, professeur d’esthétique du cinéma, Université Paris I Panthéon-Sorbonne (sous réserve)
          Gauthier Jurgensen, membre de la commission de classification des œuvres   cinématographiques, assistant d’édition aux Editions Montparnasse, chroniqueur cinéma sur Canal Académie
          Victor Bashiya Nkitayabo, réalisateur-scénariste, directeur technico-artistique à la   Radio Télévision Nationale Congolaise (sous réserve)
              Cécile Ménanteau, directrice du Katorza, Nantes (sous réserve)

18h45 : Cocktail à la boutique Cinématouvu (10 rue de la Ferté, La Rochelle)          
20h : FILM dans le cadre du Festival International du Film de La Rochelle

samedi 5 mai 2012

Le Forum des images - Mai 2012

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, je vous propose de découvrir une programmation à laquelle je ne participe pas, ni de près ni de loin mais qui mérite le détour.
Le forum des images est en effet organisé à Paris depuis bien longtemps déjà et offre au public une approche cinématographique variée faisant du film une clé de compréhension du monde dans lequel nous vivons.
J'insisterai surtout sur la programmation intitulée "Paris vu par Hollywood" dont l'intérêt évident est de voir comment les Américains se représentent une ville chargée de symboles historiques, ville dont les grands moments historiques ont souvent abouti à des messages que certains, à tort ou à raison, ont prétendu être universels.

Je vous laisse découvrir tout le programme sur le site du forum des images et vous invite à découvrir ces moments forts, notamment avec Denis Podalydes dans une master class ou avec l'historien du cinéma Antoine de Baecque.

Très bon Forum des images à Paris et à très bientôt.

Lionel Lacour

mercredi 18 avril 2012

La publicité twingo: radioscopie de la jeunesse d'aujourd'hui

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, je vais vous proposer l'analyse d'une publicité récente. En effet, et la lecture des différents commentaires qui sont sur les fameux sites qui permettent de voir des vidéos en streaming le prouve, les publicités génèrent des réactions très intéressantes, preuves que les spectateurs de ces spots comprennent qu'on leur vend autre chose qu'un produit. L'image, la mise en scène et la petite histoire sont aussi pour nous raconter, soi-disant, ce que nous serions si nous achetions ce produit, et donc ici cette voiture: une Twingo Renault. Vous pouvez donc voir ou revoir cette publicité sur ce lien:

http://www.youtube.com/watch?v=e1zqXWKNHO8

Maintenant analysons en effet le message.

A qui est destinée cette publicité?
Le message pourrait être confus. En effet, vous avez deux générations dans la même voiture: une mère et sa fille. Dans d'autres spots, c'est même la grand-mère et sa petite fille! Bref, revenons en au spot étudié. En réalité, le spot s'adresse vraiment à la conductrice car elle seule conduit la voiture. Sa fille n'a pas d'autre objectif que de l'associer à sa jeunesse. Sauf qu'en partageant quelque chose qui caractérise les jeunes d'aujourd'hui, cela fait des conducteurs, et ici conductrices, des personnes jeunes et donc forcément ouvertes d'esprit. Forcément, elle aussi a un tatouage.
Et à bien y regarder, le message semble assez efficace car les twingos neuves sont surtout achetées par des adultes de plus de 30 ans. Les twingos achetées par des plus jeunes sont souvent des voiture d'occasion! D'autres véhicules du même segment attirent davantage les jeunes: mini, fiat 500 par exemple.

Que dit cette pub sur les mères?
Cette publicité valorise la génération des "parents". En effet, si cette publicité met en scène une pratique culturelle de la jeunesse actuelle, c'est bien sûr dans un premier temps pour rappeler que cela peut choquer une partie des aînés. Il suffit de voir ou d'entendre certaines réactions sur ces pratiques de tatouages, pratiques autrefois associées aux repris de justice, ou aux pirates (mais ceux-ci étaient plus rares au XXème siècle!). On pourrait dire la même chose de la pratique du percing qui s'est propagé dans le temps et dans le corps durant ces deux dernières décennies. Il y a donc bien dans un premier temps une volonté de montrer cette jeune fille comme une personne de son temps qui cherche à se démarquer de sa mère, soit symboliquement la génération précédente. Et l'effet est obtenu. Il est certainement aussi celui d'un grand nombre de mères découvrant le tatouage de leur fille dans le bas du dos.
Sauf que le (mini) coup de théâtre survient quand nous comprenons que la mère est en colère non pas à cause du tatouage, mais à cause de la qualité du tatouage. Elle-même en a un, situé au même endroit, mais forcément mieux. "Ça, c'est un tatouage!" La mère fait donc partie d'une génération qui a su rester jeune.
Avoir une twingo, c'est donc avoir une voiture apparemment sage mais pour une population qui est encore jeune et qui le montre!

Ce que dit vraiment cette publicité!
Ce spot est un résumé de ce que vivent les jeunes Français aujourd'hui à qui les générations précédentes ne  laissent aucune possibilité d'émancipation. Grands-parents issus de Mai 68 et parents nés après 68 ont été bercés par l'idée que leur génération avait bousculé l'ordre établi pour les premiers, ou éduqués dans cette mythologie pour les seconds. Avec l'augmentation de l'espérance de vie et surtout l'amélioration des conditions de vie qui font qu'un homme ou une femme de 60 ans n'est plus forcément un vieillard, les différences entre générations se sont estompées. Aurait-on imaginé voir une actrice de plus de 40 ans être présentée comme sex symbol dans les années 1960? Bien sûr que non. C'est pourtant ce que l'on dit de Monica Belluci ou de Jennifer Aniston. Il y a donc un gommage des différences inter-générationnelles qui valorise les plus âgés tout étonnés d'apparaître encore comme séduisants et dynamiques. Mais cela a pour effet une dévalorisation des générations plus jeunes.
La pub Twingo dit bien cela. "tu crois être rebelle par un tatouage? Tu ne seras pas plus rebelle que moi et en plus le mien est plus beau." Ce qui est oublié, c'est qu'il est aussi plus cher car le petit tatouage de la fille est forcément moins cher que le grand de sa mère. L'effet est assez inhibant pour les jeunes qui ne peuvent pas se démarquer de leurs parents: plus riches, plus rebelles, plus provocateurs que leurs enfants.
La symbolique de ce tatouage est également sexuelle car son positionnement est évidemment fait pour être vu par d'autres personnes que celle qui le porte. A commencer par le partenaire sexuel. Dans ce cas, le petit ami de la fille, le compagnon (mari ou pas) de la mère. Le message est le même que précédemment. La mère signifie à sa fille qu'en terme de liberté sexuelle, les jeunes n'ont rien à apprendre aux parents qui ont fait la révolution sexuelle à partir de 1968. Les films qui évoquent ce grand moment de liberté sexuelle sont nombreux comme Milou en mai  de Louis Malle. Plus provocateur encore, le grand tabou de la sexualité des parents est désormais effacé et exprimé ostensiblement aux jeunes et aux enfants. Les parents ont une sexualité, ce que les enfants savent naturellement mais qu'ils occultent. Mieux, ces parents affichent leur sexualité, ce qui est une autre manière d'inhiber un peu plus les enfants.

Une telle publicité peut faire bondir par le message qu'il véhicule. Le spot peut faire sourire les parents qui se reconnaissent dans cette mère et hurler ceux qui refusent justement cette posture de ces générations de parents qui veulent faire plus jeunes que les jeunes. Le plus étonnant, c'est que des jeunes se laissent prendre au seul humour et ne réalisent pas que c'est bien leur histoire qui est racontée. En réalité, le spot est une merveilleuse analyse de ce qui leur arrive. Ils ne sont que des suiveurs. Ce qu'ils peuvent imaginer pour se démarquer de leur parents a déjà été fait par leurs parents et en mieux. Impossible de faire mieux qu'eux, d'être plus imaginatifs qu'eux, d'être plus libres qu'eux. Pas étonnant qu'ils n'arrivent pas à trouver autre chose que des stages plutôt que des emplois. Les générations qui les précèdent ne cessent de leur dire qu'ils ne pourront jamais être mieux qu'eux. Donc pourquoi leur donner des CDI puisqu'ils seront toujours moins bien que les générations qui les précèdent.
Si la publicité Twingo est de fait un manifeste de la supériorité des générations des plus de 40 ans, il devrait être un appel à l'émancipation des jeunes, diplômés ou pas, contre le diktat de ceux qui les empêchent de s'émanciper! Faisant partie de la génération des "castrateurs", ce n'est pas un appel auto-destructif mais juste un appel à la prise de conscience qu'on ne peut pas indéfiniment empêcher des générations d'accéder à des fonctions dans des conditions stables sans qu'un jour le retour de bâton ne soit terrible.

Vous aurez donc compris, vous voulez laisser à la jeunesse une possibilité de se démarquer de plus anciens, ne faites pas comme elle, ne vous faites pas tatouer. Et surtout, ne roulez pas en twingo!

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 11 avril 2012

Ma part du gâteau: A mort les traders

Bonjour à tous,

lors des troisièmes Rencontres Droit Justice Cinéma de Lyon, une conférence était proposée en clôture avec le thème suivant:
Droit Justice et Cinéma face aux crises.
A partir de nombreux extraits de films, des échanges avec des juristes ont permis de voir comment le cinéma relatait le fonctionnement de la justice et du droit en période de crise. Mais surtout, il a été remarqué qu'un autre droit pouvait parfois être proposé par les cinéastes qui préféraient la légitimité à la légalité.
Dans le film de Cédric Klapisch, la situation est particulièrement intéressante.


1. Une fable plutôt qu'un film réaliste
Le scénario ancre l'histoire dans un réalisme terrible en mettant en situation des employés d'une entreprise de Dunkerque dont le sort est lié à la mondialisation et à la délocalisation que cette dernière semble imposer. Si l'opération a pour conséquence de licencier massivement les employés de l'entreprise, elle permet l'enrichissement de traders dont celui à l'initiative de la spéculation sur la faillite de la dite entreprise, provoquant le chômage de ses employés.
L'une d'entre eux, Karin Viard, doit élever ses enfants alors qu'elle est divorcée. Elle trouve un emploi de femme de ménage à Paris pour un trader odieux interprété par Gilles Lellouche qui s'avère être celui qui a coulé l'entreprise pour laquelle elle travaillait. Mais elle n'en sait rien.

Après le choc culturel et économique entre ces deux personnages, ceux-ci semblent finalement se plaire, le trader étant présenté comme finalement un peu plus humain que ce que nous pouvions imaginer. Jusqu'à un voyage en Angleterre durant lequel, après avoir couché avec sa femme de ménage, le trader réalise qu'elle vient de Dunkerque et qu'elle travaillait pour l'entreprise qu'il a contribué à ruiner. Il le dit avec désinvolture sans réaliser le désastre humain qu'il a engendré, à commencer par son employée. Celle-ci décide alors d'enlever le fils du trader et de l'emmener à Dunkerque afin de forcer le trader à venir face à ceux qui ont été licenciés par sa faute.
Je passe les différents détails assez risibles du film qui relève parfois de la comédie lourde plutôt que du film réaliste. Qu'une licenciée de Dunkerque trouve du travail à Paris chez LE trader qui a coulé son sentreprise, c'est déjà fort. Entendre le trader hurler par téléphone qu'il s'est baisée la bonne alors qu'il est sur la terrasse de sa chambre, au premier étage de l'hôtel, au-dessus de l'entrée de celui-ci et bien sûr juste au moment où Karin Viard sort de l'hôtel ne manque pas d'étonner quant au discours du film qui se veut une fable sociale.
Les invraisemblances sont légions. Cela ne serait pas si grave si, comme dans les films du réalisme poétique de Marcel Carné, il y avait justement de la poésie. La situation de Jean Gabin dans Le quai des brumes n'est pas très réaliste non plus. Mais il n'y a pas de ridicule dans les relations humaines. Le film de Klapisch n'a rien de poétique. Ce n'était pas son propos. Mais il n'est pas réaliste non plus tant les situations relèvent parfois de la comédie de boulevard ou de café théâtre.
Alors soit, le film est une fable jouant sur l'exagération des situations, une comédie à l'italienne. Attendons la morale de la fable.

2. Les petits contre les puissants
Revenons donc à la situation finale.
Karin Viard, la gentille employée baffouée a enlevé le fils du méchant trader Lellouche. Le deal est clair: il vient récupérer son fils à Dunkerque sans prévenir la police. Et que fait-il ce salaud? Il appelle la police. Klapisch est malin. Il nous a montré au préalable que ce père se désintéressait totalement de son fils avant que la gentille Karin Viard ne lui explique qu'il fallait s'occuper de lui. Donc là, le voir s'inquiéter pour son fils, quelle supercherie! Forcément, il n'a pas le droit moral d'appeler la police puisqu'il ne s'occupe pas bien de son fils! CQFD.

Bon, la police arrête Karin Viard qui assiste, avec le fils de l'autre, à un spectacle de danse auquel participe une de ses filles en présence de tous les licenciés de l'usine fermée. Ah! les "prolos" qui se tournent vers la culture quand tout va mal! Karin Viard est embarquée et mise dans le "panier à salade" de la police venue avec deux autres véhicules puisque c'est une dangereuse enleveuse d'enfants, le tout devant le trader, sa copine forcément belle et futile et son coupé mercédès forcément hyper luxueux. Sauf que la plus jeune fille de Karin Viard voit la scène, appelle les spectateurs qui se mobilisent pour empêcher la camionnette de police d'avancer. La fillette désigne aussi le trader comme étant celui qui a causé la perte de leurs emplois.


Et là, devant toute la police médusée et inactive, deux mouvements vont se conjuguer. Le premier est d'empêcher la camionnette de la police d'avancer et d'emmener l'odieuse enleveuse d'enfant qui est bien évidemment une victime de la société comme le film nous l'a bien montré. Ainsi, les hommes et les femmes se mettent devant les véhicule qui ne peut avancer malgré ses accélérations, le tout devant d'autres policiers qui n'interviennent pas.
La deuxième réaction est tout aussi puissante. Quelques uns des chômeurs se voient désigner par la petite fille le trader à l'origine de la faillite de leur entreprise. Celui-ci protège sa maîtresse et son fils dans sa mercedes. Il doit affronter physiquement la colère des ouvriers, et, lâche bien sûr, affirme qu'il n'est pas le seul à avoir permis la liquidation de l'entreprise. Quel trouillard ce trader, lui qui frimait tant en affirmant à sa bonne - maîtresse d'une nuit qu'il était à l'origine de la ruine de sa boîte! Il se prend donc une gifle, tombe à terre, se relève et court. Ou plutôt fuit. Les autres le poursuivent prêts à le lyncher.

Et la police dans tout ça? Elle n'intervient pas.
Après avoir vu Lellouche courir dans la nuit sur la plage de Dunkerque - que va-t-il devenir? - le film se finit sur le visage de Karin Viard, heureuse du soutien de sa famille et de ses anciens collègues, unis pour l'empêcher d'être arrêtée par la police.



3. Une morale nauséabonde
Ainsi donc, le film se termine avec plusieurs idées fortes: on peut enlever un enfant quand sa cause est juste et la police ne doit pas enpêcher cela. En jouant sur la victime de licenciement qui travaille beaucoup pour gagner peu face à un trader qui gagne énormément en nous le montrant travailler peu, Klapisch joue sur du velour. Qui pourrait avoir de l'empathie pour Lellouche. Et même quand il nous le rend plus humain, disons plus sensible, il n'attend pas longtemps pour nous révéler sa vraie nature: un être égoïste et forcément incapable d'aimer. Il ne peut avoir que du mépris pour sa bonne! Le réalisateur met le spectateur dans le principe que l'amour que le trader peut avoir pour son fils n'est qu'une parodie d'amour. Il ne voudrait finalement que se venger de celle qui a osé s'opposer à sa volonté. Son appel à la police est donc présenté comme immoral. Ou plutôt digne de lui. Il ne comprend toujours pas pourquoi cette femme a enlevé son fils alors qu'il est évident qu'elle ne lui veut aucun mal puisque elle est gentille!
Mieux, quand il récupère son fils et qu'il est désigné par la fille de Karin Viard comme étant le trader liquidateur, Klapisch semble valider qu'on a le droit de le frapper. Les ouvriers auraient pu détruire l'objet représentatif de la fortune du trader: la mercédès. Non, ils s'en prennent à lui. La morale est forte. On peut lynché un salaud, un trader. Il y a presque une logique pléonasmique. Un trader est un être à éliminer, à poursuivre. La preuve, la police, pourtant présente en nombre, ne retient pas les lyncheurs ni ne les poursuit. On reste avec un plan de Lellouche courant seul sur la plage sans savoir ce qui va lui arriver. Ce n'est plus l'affaire de Klapisch ni celle des spectateurs. Son sort est déjà réglé.
Quant à celui de l'héroïne, il est voué au triomphe. Elle est celle qui a lutté contre la finance, contre la city. Elle a résisté à l'oppresseur. Elle lui a enlevé son fils et ce n'est pas mal, puisqu'elle est gentille!







Conclusion
Si le film pose de bonnes questions quant à la place de l'individu dans une économie mondialisée symbolisée par les conteneurs transportés sur les cargos, il dérive dans son approche morale qui dépasse la caricature. Klapisch fait valoir la légitimité sur la légalité. Soit. Il ne fut pas le seul. Et Les aventure de Robin des bois de Michael Curtiz ne faisait pas autre chose en 1938. Mais les assassinats de Normands par les hommes de la forêt de Sherwood étaient une parabole qui symbolisaient la violence du combat social durant la grande dépression américaine projetée à la fin du XIIème siècle anglais. Le problème de Ma part du gâteau est qu'il n'y a justement pas de distanciation entre la morale et ce qui est montré. De fait, le discours proposé conduit à accepter non seulement la violence, mais aussi à se substituer à la justice. Le trader s'est conduit en salaud, certes, mais aux yeux de qui? Etait-ce illégal? Et au nom de cela, peut-on tuer cet homme?
Ce qu'il a fait est peut-être immoral mais ce n'est pas illégal. En donnant la possibilité de lyncher un homme plutôt que de s'en prendre au système qu'il représente, le message du film ressemble furieusement à un message extrêmiste conduisant à l'effacement du droit et de la justice et à sa substitution par des comités non élus qui eux sauront éliminer les nuisibles de la société.
Parti avec de bons sentiments et une approche sociale, le film dérive donc vers une morale populiste pour finir par une morale qui n'est pas si éloignée de la morale des régimes totalitaires (voir la conférence que Robert Bardinter a donné en 2011 lors des 2èmes Rencontres Droit Justice Cinéma quand il commentait le film soviétique Les dentelles).

A bientôt

Lionel Lacour