mercredi 14 septembre 2011

Les sentiers de la gloire: un travestissement de l'Histoire?

Bonjour à tous,

régulièrement, le cinéma propose des films qui ont pour sujet l'Histoire, les fameux films "sur" une période que j'évoquais dans un des premiers articles de ce blog. Et avec la même régularité, les historiens s'invitent, ou sont invités, pour débattre et analyser les dits films et évaluer leur validité historique. Ce fut le cas pour tellement de films que la liste serait impossible à établir. Citons récemment le film Indigène ou le diptyque de Clint Eastwood Mémoires de nos pères et Lettres d'Iwo Jima.
Parmi les films qui ont suscité le plus de débat se trouve celui de Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire qui présente un épisode de la Première guerre mondiale dans lequel l'état-major, et surtout un général, sont dénoncés par le réalisateur pour avoir commis des actes absurdes et criminels contre leurs propres troupes. Certains savent déjà l'accueil qui fut fait au film en France, c'est-à-dire son absence des écrans de cinéma. Qu'en fut-il réellement? Et surtout, en quoi ce film pose-t-il une vraie question sur la relation entre Cinéma et Histoire?

mercredi 7 septembre 2011

Ronald Reagan à l'honneur à l'American Club of Lyon

Ronald Reagan et Angie Dickinson
dans A bout portant de Don Siegel en 1964.
Le dernier film de Ronald Reagan.
Bonjour à tous,

Le 19 septembre 2011, au Musée des Tissus de Lyon aura lieu The president's day 2011.
Cet événement célèbre un président américain chaque année. Et c'est donc le président Ronald Reagan qui sera honoré à cette occasion, pour l'année de ce qui aurait marqué son centenaire.

Je serai en charge de présenter un portrait de Ronald Reagan autour du thème du cinéma, puisque, comme vous le savez tous, il commença une carrière d'acteur à Hollywood dans les années 1930 pour finir dans les années 1960, avant de commencer une carrière politique, d'abord en tant que gouverneur de Californie, puis comme Président américain.

Je reviendrai donc bientôt pour vous faire un papier sur ce président atypique, républicain pur et dur, et qui commença pourtant avec la Warner, major rooseveltienne s'il en est.

A très vite donc

Lionel Lacour

mercredi 31 août 2011

Cowboys et envahisseurs: un film 100% US?

Bonjour à tous,

Voici le genre de film dont on se méfie d'emblée. Le titre d'abord. Même le titre original, Cowboys & aliens ne laisse planer aucun doute sur l'ambition du projet: faire cohabiter deux genres du cinéma que les Américains ont usé jusqu'à la corde, en particulier le premier.
À y regarder de plus près, c'est-à-dire en voyant le film, on se rend compte que l'entreprise est sinon d'une grande qualité, l'histoire et l'intrigue seront à juger par les spectateurs eux-mêmes, du moins plus intéressante qu'il n'y pouvait paraître. À commencer par le fait qu'il faut bien admettre que si les extra-terrestres existent et qu'ils sont plus en avance technologiquement que nous, ils ont pu arriver à une autre époque que la nôtre. Et pourquoi pas au XIXème siècle? Mais forcément aux Etats-Unis!



Bande annonce:

1. Du cinéma culture TV
Le spectateur plonge dans le film qui commence comme une introduction de série télé. Un mystère sur un personnage étrange, ignorant qui il est et ce qu'il fait là, en pleine zone semi-désertique. C'est tout-à-fait le genre de situation dont se délectent les séries policières, que ce soit Les experts ou N.C.I.S. ou bien d'autres encore. Le début de Lost présentait lui aussi le personnage principal de la série seul, perdu dans une forêt, ne comprenant pas ce qu'il y faisait, pas plus que le spectateur d'ailleurs!
Même le générique créditant les techniciens et acteurs secondaires se déroule à l'écran alors même que l'action du film a déjà commencé. Comme à la télévision donc!
Sauf que la réalisation ne se limite pas à des plans serrés ou centrés sur les protagonistes. Au contraire, des plans classiques de western mettent justement le genre choisi en valeur. De même, les parties concernant les aliens renvoie inévitablement au cinéma et non à la télévision. Ce mélange des genres vise incontestablement à séduire tous les publics. Les plus jeunes qui seront ravis de retrouver certains codes de leur culture audio-visuelle. Les plus anciens nostalgiques du western d'antan ou heureux de retrouver des "bêbêtes" extra-terrestres dangereuses.

Même le casting semble répondre à cet objectif en rassemblant Harrison Ford, Indiana Jones ou trublion de la première trilogie Star Wars et Daniel Craig, version moderne de James Bond. Sans oublier, série télévisée oblige, la présence d'Olivia Wilde, la célèbre n°13 de la série Docteur House.
Avec ce patchwork, John Favreau, réalisateur des deux Iron man, réussit donc à toucher tous les publics américains.. ou presque (nous le verrons plus tard). Et il n'est pas étonnant que ce réalisateur aille d'ailleurs dans ce sens, lui qui est justement un parfait produit de cet univers audiovisuel, passant de la télévision au cinéma en tant qu'acteur ou réalisateur, dans une période où la télévision semble se renouveler davantage que le cinéma. John Favreau fut, entre autre, acteur dans Friends mais aussi dans Dare devil au cinéma. Il fut la voix de nombreux personnages d'animation. Il réalisa quelques téléfilms. Ses scénaristes viennent aussi de la télévision. Parmi eux, ils sont sept au total! se trouvent Roberto Orci et Alex Kurtzman qui furent notamment scénaristes pour Alias, Hawaï 5-0 et de Fringe. Damon Lindelof écrivit lui pour Lost. Mark Fergus et Hawk Ostby sont eux des scénaristes n'ayant travaillé que pour le cinéma et notamment pour Iron man.
Cowboys et envahisseurs correspond donc bien à un produit de synthèse entre deux cultures de plus en plus complémentaires aux Etats-Unis, à savoir la culture cinéma et celle des séries télévisées.

2. Un film qui explique la puissance américaine
L'autre aspect intéressant du film relève du message qu'il porte du début jusqu'à la fin. L'action sera portée par un individu, Daniel Craig, dont on apprend au fur et à mesure, et avec lui, que sa vie n'a pas toujours été du bon côté de la loi, est bien celui qui nous guidera dans l'intrigue. La première personne qu'il rencontre est un pasteur qui se rendant compte de l'amnésie du personnage lui dit que peu importe ce qu'il a fait dans son passé, ce qui compte est ce qu'il fait désormais. Ainsi, l'idée de la rédemption est immédiatement posée et renouvelée tout le film pour lui mais aussi pour d'autres personnages, et par tous les moyens possibles! Olivia Wilde connaîtra une résurrection étonnante, Harrison Ford sera en quelque sorte racheté et même son fils sera étonnamment sauvé de sa bêtise!

Avant d'en arriver là, il aura fallu que les Etats-Unis, et ici une bourgade typique du western avec son saloon, son pasteur, son shérif et son grand éleveur, soit attaqué par surprise et de manière incompréhensible par des ennemis inconnus. Une attaque à la Pearl Harbor, venant du ciel! La situation méritait donc un rassemblement des forces vives.

Pour en revenir au personnage de Daniel Craig, dont on apprend qu'il s'appelle en fait Jack Lonergan, c'est lui qui va réussir à rassembler tous les humains pour combattre les aliens en agissant pour le bien, notamment en sauvant Ella (Olivia Wilde). Jack, personnage fédérateur, porte d'ailleurs le même prénom que le héros de Lost (Jack Sheppard) avec qui plus est, la même fonction: rassembler les survivants contre un ennemi commun et longtemps insaisissable! Mais le plus étonnant, c'est bien de voir se rassembler derrière la même bannière (étoilée?) ceux qui autrefois s'affrontaient: blancs et indiens, citoyens honnêtes et hors la loi, hommes et femmes, adultes et enfants. Ce rassemblement aboutit à un sacrifice pour sauver les innocents captifs des créatures. Quand ils sont retrouvés dans le vaisseau des aliens, les spectateurs les découvrent déshumanisés et enchaînés, ayant perdu toute identité et finalement tout libre-arbitre. Certains ont subi des expériences scientifiques, dont la femme de Jack, sans aucun intérêt mais conduisant à leur mort. Ella ne rappelle-t-elle pas que pour les créatures, les humains ne sont que des insectes? John Favreau et ses scénaristes nous présentent donc des ennemis qui ressemblent furieusement à un ennemi totalitaire comme pouvaient l'être les nazis ou les communistes staliniens, capable de cruauté invraisemblable et de soif de vengeance.

On retrouve aussi toute la propagande classique des Etats-Unis qui diabolise l'ennemi en le montrant comme un monstre, souvent sur-armé, et si possible avec des armes surpuissantes, comme cela a été fait notamment pour convaincre, avec plus ou moins de succès, les alliés de l'OTAN à intervenir en Irak en 2003. L'ennemi des Américains est forcément un monstre puissant à combattre sans aucune pitié car c'est la liberté individuelle des hommes et des femmes qui est en jeu.

Les "bêbêtes" sont vaincues et à leur tour exterminées. Et les héros peuvent récupérer ce qu'elles étaient venues prendre: les leurs et l'or. C'est bien cet or qui était convoité par les aliens. C'est cet or qui va enrichir le bourg désormais en paix et dans lequel les relations tendues entre le grand propriétaire et ancien colonel Woodrow Dolarhyde  (alias Harrison Ford) et le reste des habitants sont désormais fondées sur le respect et non sur le rapport de force. Les réflexions entre Woodrow et le shérif renvoie encore à la situation de l'après seconde guerre mondiale: un pays riche d'or et dans lequel l'activité économique va repartir de plus belle. A l'écran, tout se reconstruit d'ailleurs et les habitants s'agitent étonnamment.  Seul Jack semble avoir tout perdu. Sa femme est morte, tuée par les aliens, et celle qu'il aimait depuis est morte aussi. Mais comme une boucle, le film se clôt sur une remarque et deux images. Woodrow lui dit que Ella vit désormais dans un meilleur monde, le tout en contre plongée dans laquelle domine le clocher d'une église. L'image peut alors, avant le départ de Jack, montrer le drapeau américain, forcément...

3. Un film politiquement correct?
Les Américains ont triomphé car ils ont su s'unir et se comprendre. Pourtant, deux communautés manquent singulièrement à l'image: aucun asiatique mais surtout aucun noir. En ces temps de représentation quasiment obligée des communautés à l'écran, on peut en effet s'étonner qu'aucun noir n'ait un quelconque rôle. En ce sens, le film s'inscrit dans la représentation classique des westerns puisque rares sont ceux qui ont pour personnage un noir, sauf à les représenter comme esclave ou esclave en fuite ou toute autre représentation de dominé. John Ford dans Le sergent noir en 1961 avait montré la présence des noirs dans les corps d'armée nordiste. Sergio Leone avait employé Woody Strode, le même acteur qui jouait dans Le sergent noir pour un petit rôle dans Il était une fois dans l'ouest.

 Depuis, des personnages noirs ont régulièrement intégré les castings des western, que ce soit dans Impitoyable avec Morgan Freeman ou surtout dans Les mystères de l'Ouest avec Will Smith dans le rôle principal de James West.
Le choix de ne pas mettre d'acteur noir dans ce film alors même que la victoire contre les aliens passe par la réunion de toutes les communautés existantes est particulièrement osé. On peut interpréter ce choix de bien des manières. On peut aussi donner le crédit de ne pas avoir voulu "surcharger" le message du film. Mais cela reste surprenant surtout quand on lit ce qui est marqué en fin de générique.
En effet, comme chaque fois qu'un film utilise des animaux, il est fait mention qu'aucun d'eux n'a été violenté ou blessé pendant le tournage. Les amis des bêtes sont d'ailleurs très vigilants sur ce point, d'autant que certaines séquences pourraient laisser penser que les chevaux auraient pu en effet se blesser!
Plus drôle est cette mention sur l'usage du tabac. Chose curieuse pour un film contemporain, on voit des personnages fumer le cigarillo et Jack se roule même une cigarette! Alors, à la fin du film, il est signalé que la consommation de tabac dans le film se fait dans une perspective artistique et n'est bien entendu nullement une promotion de l'usage du tabac. On voit bien ici la puissance des lobbies anti-tabac qui arrivent à faire écrire cela sur un générique de film! En revanche, rien n'avertit les spectateur que l'usage d'armes à feu est dangereux et qu'il ne s'agit que d'une fiction. Pourtant, son usage est au moins aussi dangereux et plus radical que la consommation de tabac. Et pour n'en rester qu'à la consommation, Jack peut boire autant de whisky qu'il le veut sans qu'une mention ne prévienne de l'alcoolisme sur le générique!


Conclusion
Cowboys et envahisseurs est donc un film grand public qui joue sur tous les registres et s'adresse à tous les publics. Sur bien des points, il répond à la présentation classique des Américains: l'individu au service de la communauté, la cohésion des communautés fait la puissance et la richesse des Etats-Unis, la rédemption est toujours possible si on choisit de faire le bien. Pour mettre en scène ces idées, le film doit se protéger de certains lobbies comme celui de la protection des animaux ou celui luttant contre la consommation de tabac. On peut imaginer que l'absence d'acteurs noirs relève d'une volonté de liberté qui existe encore dans le cadre d'un casting ou de l'écriture de scénarios. Mais surtout, peut-être que pour magnifier les valeurs américaines, les scénaristes ont voulu se repencher sur les deux communautés fondatrices du mythe du western, les cowboys et les indiens, pour montrer que le salut américain passe justement par une entente entre les communautés américaines. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé aussi durant la seconde guerre mondiale. Et les indiens ont aussi combattu contre l'ennemi nippon comme le montrait déjà Clint Eastwood dans Mémoires de nos pères en 2006, avec Adam Beach dans le rôle de l'indien combattant à Iwo Jima. Or c'est ce même Adam Beach qui joue le rôle de l'indien dans Cow boys et envahisseurs et qui combattra pour plaire au plus américain du film: Woodrow - Harrison Ford. Un message plus proche d'Obama finalement que des faucons républicains. A ceci près que comme après la seconde guerre mondiale, le point de vue final ne mêle pas les Blancs aux Indiens mais présente assurément la victoire des Blancs...


A bientôt

Lionel Lacour

jeudi 18 août 2011

La planète des singes 2011: le mythe régénéré!


Bonjour à tous,

avant la sortie du film La planète des singes: les origines, j'avais proposé le 8 août une petite analyse comparée entre les trois version de cette donc fameuse "Planète des singes" (voir article Le retour de La planète des singes) N'ayant pas vu alors le film de Rupert Wyatt, j'osais espérer qu'elle ne pourrait être que plus convaincante que celle de Tim Burton. Et compte tenu de l'angle d'approche, novatrice par rapport au livre de Pierre Boulle mais aussi par rapport à la première version cinématographique, j'imaginais que, si le film était réussi, une suite serait envissageable.

Après avoir vu le film, je peux dire que ma surprise a été grande et que je suis sorti de la salle plutôt enthousiasmé du spectacle que j'avais pu voir.


voir aussi
Le retour de La planète des singes?
et
La planète des singes: l'affrontement


1. Un blockbuster?
Comme le dit la critique de Télérama, ce film est un "faux" blockbuster. Que pouvait-elle entendre par là? Tout simplement que tous les ingrédients sont présents pour faire du film une autre production américaine à la Emmerich: des effets spéciaux dans tous les sens, des scènes d'action spectaculaires, des mouvements de caméra virevoltants... Oui, tout est bien présent. Sauf que Ruppert Wyatt aurait pu comme d'autres tomber dans la mode du cinéma en relief. Quand on regarde le film, on imagine combien d'autres réalisateurs se seraient vautrés dans l'utilisation abusive de ces scènes de surgissements, de gorilles hurlant face caméra, d'hélicoptères fonçant sur l'écran ou encore de scènes aériennes au sommet des séquoias ou du Golden Gate.
Or rien de cela. Non, Ruppert Wyatt a su garder la magie du cinéma, en deux dimensions, parce que lui, peut-être à la différence de bien d'autres, a su mettre en scène un scénario qui était autre chose qu'une histoire spectaculaire. Pour cela, il faut reconnaître aux deux scénaristes Rick Jaffa et Amanda Silver une vraie intelligence tant dans le récit que dans l'interprétation qu'ils ont faite de l'oeuvre. En réalité, si le livre de Pierre Boulle est crédité, c'est plutôt vers la version de F.J. Schaffner qu'il faudrait plutôt trouvé une réinterprétation. Et Ruppert Wyatt, en montrant des images de Charlton Heston dans la version originale de La planète des singes passant à la télévision, ne s'est pas caché dans la référence qui l'a inspiré.  En effet, l'intelligence de la version de 1968 avait été de garder tout du livre, à l'exception du chapitre introductif et des deux autres de conclusion, pour finir sur une scène d'anthologie: la planète des singes révélant son secret par la vision apocalyptique de la statue de la Liberté ensablée.


La version de Schaffner introduisait dans son film l'angoisse majeure de l'époque, celle d'un nucléaire pouvant éliminer la civilisation humaine. La version 2011 s'est affranchie du livre en racontant l'histoire à l'endroit, ce que la saga commencée en 1968 allait expliquer à partir de l'épisode 3 jusqu'au 5 (Les évades de la planètes des singes, La conquête de la planète des singes, La bataille de la planète des singes), mais elle a compris que l'utilisation de l'image d'une planète passant sous contrôle des singes impliquait un discours sur notre civilisation, ses angoisses et ses dangers quand Tim Burton ne faisait que salement une caricature sans âme et sans intérêt de ce qu'était censée être la société humaine. Ruppert Wyatt a quand même introduit des scènes de très grand spectacle plutôt réussies avec l'invasion progressive de San Francisco par les primates jusqu'à la traversée monumentale du Golden Gate. Les amoureux des grandes séquences mouvementées y trouveront leur compte!

Un film de Vincenzo Natali en 2009.
2. Une vraie radiographie du monde contemporain
En 2009 sortait le film Splice avec notamment Adrien Brody. Le scénario est assez proche de celui de La planète des singes: les origines. Deux scientifiques ont créé dans un laboratoire des êtres vivants à partir d'ADN de diverses espèces. Au moment de montrer leur découverte aux investisseurs potentiels du laboratoire, ces deux créatures s'entretuent violemment, mettant fin aux recherches. Sauf que ces deux scientifiques continuent et créent en secret un être vivant avec en plus de l'ADN humain. Cette créature se développe, devient intelligente et doit être sortie du laboratoire et éduquée à l'écart du monde...
Sans raconter la fin, les spectateurs ayant vu la dernière version de la planète des singes y verront quelques similitudes. Outre le déroulé narratif, elles relèvent d'abord de cette angoisse de nos sociétés face aux progrès de la science, et notamment dans la manipulation des gènes. Mais si Splice n'est au mieux qu'une série B avec un dernier acte à la limite du ridicule, le film de Wyatt ne souffre ni de moyens, la motion capture est maîtrisée à la perfection, ni de développement scénaristique permettant d'aller au-delà de la simple intention de Splice.
En effet, le héros, Will Rodman, interprété par James Franco, a une motivation dans sa volonté de développer un sérum biologique à base de virus. S'il le teste sur des chimpanzés, c'est dans un objectif thérapeutique pour les hommes: soigner la maladie d'Alzheimer. Le sérum test s'appelle d'ailleurs ALZ 112. Cette motivation est liée à cette maladie dont souffre son père. Quand la démonstration de la réussite de l'ALZ 112 échoue, Will récupère en secret le petit d'une chimpanzée qui lui a transmis génétiquement le sérum qu'on lui transmettait. S'en suivent alors des séquences d'éducation du jeune chimpanzé.

Incroyable Andy Serkis dans le rôle de César
tenant dans ses bras son "grand-père"
L'intelligence du scénario est dans la manière d'inscrire sans grandes phrases démonstratives une réalité sociale de plus en plus importante pourles spectateurs: la cohabitation de trois générations avec des parents qui vieillissent et dont s'occupent les enfants et des enfants qui doivent être éduqués parfois longtemps. Pour les premiers, ce vieillissement implique de plus en plus une sénilité que la maladie d'Alzheimer accélère et qui traumatise tous ceux qui la vivent en tant qu'accompagnant et qui est redouté par tous. Les noms d'acteurs célèbres étant morts de cette maladie vient rappeler qu'elle touche tout le monde, de Peter Falk en passant par Annie Girardot et même Ronald Reagan.
Ce que le film montre aussi, c'est les liens qui existent entre le monde capitaliste et la science. L'un a besoin de l'autre et réciproquement. Mais si la science est mise en cause dans le film, c'est davantage le monde capitaliste représenté ici par un laboratoire pharmaceutique et biologique qui est le plus criticable. Cela aussi s'inscrit dans les sentiments des populations occidentales comme des pays du Sud. Le film généralise une situation mais qui paraît crédible au regard de certains faits ou de certaines rumeurs. N'a-t-on pas dit que le SIDA était une maladie créée par l'homme, testée sur des singes et transmise ensuite par erreur et par contagion à l'ensemble de la planète? En jouant sur des angoisses primaires et sur des peurs collectives, Wyatt réussit ce que Schaffner avait fait avec l'angoisse du nucléaire.
Ainsi, en mêlant les peurs quotidiennes liées au vieillissement de la population et celles dues à un capitalisme incontrôlable se servant d'une science expérimentale et apprentie sorcière, le film peut ensuite imposer un discours, quitte à ce que certaines facilités scénaristiques existent.


Plongée extrême pour montrer l'état de domination
des primates par les hommes.
Ruppert Wyatt usera de ce même procédé classique
pour illustrer le renversement de situation.
3. Un discours moral
Le film de Ruppert Wyatt et un film de grands sentiments. La haine de la violence, , la générosité, la reconnaissance, le respect de l'autorité et le respect des autres et de soi irriguent le film.
Ainsi écrit, cela peut ressembler à n'importe quel film américain plein de guimauve. L'intérêt du film est que cela passe surtout par les singes et leur comportement, à commencer par celui adopté par Will, César. A noter que le nom César est celui de la première saga et qui soulèvera les singes dans La conquête de la planète des singes.
Le premier grand sentiment qui est évoqué, outre celui de l'employé qui rechigne à tuer les chimpanzés du laboratoire et refuse à tuer le bébé, futur César, est l'amour d'un fils pour son père, atteint donc de la maladie d'Alzheimer. Jamais le fils ne manifeste un quelconque regret de s'occuper de son père mais de la tristesse de voir ce qu'il est devenu, lui l'ancien professeur de piano. C'est cet amour pour son père qui lui fera tester sur lui l'ALZ 112, en dehors de tout protocole et encore plus d'autorisation du laboratoire, pour qu'il guérisse. Ce qui se passe effectivement. Mais cet amour filial passe aussi entre Will et César devient le vrai fils de la famille, apprenant comme un écolier, jouant comme un enfant, s'habillant comme un humain. Cet amour familial passe dans des scènes quotidiennes dont une émouvante où César aide son "grand-père" à tenir ses couverts. Sans mot, juste par le geste, tout l'amour et le respect de l'ancien est illustré dans cette séquence.
D'autres séquences montrent encore le respect de l'autorité comme lorsque César demande gestuellement à Will l'autorisation de grimper à un Séquoia.
Ce qui n'est alors qu'une séquence spectaculaire qui permet à César de voir San Francisco de haut devient ensuite une figure récurrente dans le film. Cette verticalité qui place celui qui détient l'autorité au dessus. Quand le dirigeant du laboratoire arrive dans son entreprise alors occupée par les singes, une contre-plongée extrême le positionne clairement "sous" les singes qui dominent désormais l'espace. Wyatt use souvent de ce type de plan pour resituer les personnages, humains ou simiesques, dans leur hiérarchie. Car le film montre aussi que chacun doit avoir sa place dans une société. Quand César est "emprisonné" avec d'autres primates, il se sent humilié car il se sent finalement plus humain que primate, doute qui l'avait d'ailleurs exprimé de diverses manières dans le film. Sa période d'emprisonnement lui permet de comprendre où est sa place et donne lieu à des séquences de grande intensité, que ce soit entre singes ou entre César et les hommes.
Mais la morale du film porte aussi sur la place de la violence. Celle-ci conduit au désordre et à la rupture de la paix. César en fera l'amère expérience. Alors que son "grand père" est agressé par un voisin ne comprenant pas qu'il souffre d'Alzheimer, César vient le défendre violemment. Ce qui précipite son enfermement. Dans un autre registre, Jacobs, le patron du laboratoire accélère les essais du ALZ 113 car très prometteur en terme de réussite médicale mais surtout de revenus pour son entreprise, alors même qu'il avait justement interrompu les essais de l'ALZ 112. Ce sont les essais non maîtrisés sur l'ALZ 113 qui entraîneront les désastres à venir dans le film. Dans les deux cas, la violence entraîne une rupture d'équilibre. Peu importe qu'elle soit sa forme et son origine. Celle de César était due à l'amour pour le père de Will et s'est manifestée par une explosion physique. Celle de Jacobs était due à l'avidité et s'est manifestés par une débauche non maîtrisée de moyens pour créer l'ALZ 113. Les conséquences sont désastreuses dans les deux cas.
C'est ainsi que César comprend, dans son propre cas, que la violence n'est pas une solution et qu'il empêche chaque fois qu'il le peut, qu'elle se manifeste de manière gratuite et démesurée. C'est ce refus de la violence qui lui fera dire NO contre l'homme qui veut le frapper ou contre les singes qui veulent tuer un homme rendu inoffensif.

Conclusion
Le film a quelques imperfections sans gravité. La possibilité biologique pour qu'un singe parle ne dépend pas de son intelligence. Mais le film est une parabole comme pouvait l'être le livre ou la version de 1968. Certaines réactions peuvent sembler trop exagérées, notamment l'enthousiasme de Jacobs pour l'ALZ 113 alors même qu'il avait stoppé net le développement de l'ALZ 112 sans aucune enquête sur les raisons de sa défaillance. Mais le spectateur acceptera cela sans aucun problème parce que le propos du film est ailleurs. Le tour de force du film de 1968 était sa séquence finale, qui, à sa sortie, était absolument cauchemardesque. En racontant l'histoire dans le bon sens, Wyatt s'évitait une rupture de cohérence temporelle. Mais il s'empêchait aussi un retournement de situation comme en 1968. Et pourtant, les scénaristes et le metteur en scène ont réussi ce tour de force de créer une fin sans effets spéciaux monstrueux, juste par la maîtrise du récit et de l'image à générer une angoisse chez le spectateur qui peut suffire pour un seul épisode mais aussi ouvrir la porte à une suite, ce que j'envisageais déjà le 8 août sans avoir encore vu le film. Mieux, le film laisse sans aucun doute des pistes sur la découverte par d'autres hommes d'une planète conquise désormais dominée par César et d'autres singes. Je ne peux hélas révéler ce dont il s'agit mais elle résonne en nous comme la statue de la Liberté faisant face à Charlton Heston! Avec cette approche supplémentaire: le monde n'est plus divisé en deux camps mais bien en proie à une mondialisation inéluctable. Ce que la version de Tim Burton ne permit jamais tant il s'était perdu dans le temps, l'espace et les idées, celle de Ruppert Wyatt est prometteuse d'une suite qu'on espère au moins d'aussi bonne qualité.

A bientôt
Lionel Lacour