lundi 13 juin 2011

Le cinéma et "les Trente glorieuses"

Bonjour à tous,

cette expression typiquement française renvoie comme chacun le sait à cette période de croissance extraordinaire allant de l'après guerre au premier choc pétrolier. Or les effets de cette période au cinéma vont se manifester surtout à la fin des années 1950, le temps que cette croissance économique soit perçue comme durable par tous.

1. Un changement de société
Le passage d'une société rurale à une société urbaine est presque liée au passage de témoin entre deux types de cinéma. En effet, le cinéma des "artisans" et des bons faiseurs était celui qui s'adressait finalement à des spectateurs d'avant guerre, un cinéma populaire s'appuyant sur des dialogues souvent savoureux, sans grande ambition cinématographique que celle de plaire aux familles. Ce "cinéma de papa" fut contesté par les critiques de cinéma des années 1950, que ce soit dans Les cahiers du cinéma ou dans Positif. Parmi eux se trouvaient les futurs cinéastes dits de la "Nouvelle vague", les Truffaut, Godard ou d'autres, tous admirateurs du cinéma américain et inventeurs d'un style nouveau, plus en phase avec la société moderne, plus urbain, renonçant aux studios pour des décors naturels moins chers, démocratisant de fait les possibilités de devenir cinéastes. Au "cinéma de papa" dont il faisait partie, Audiard répondit que "la nouvelle vague était plus vague que nouvelle". Le conflit de génération était bien à cette croisée des années 1950.

L'immeuble où habite Monsieur Hulot dans Mon oncle
C'est que le monde a en effet changé. Et ce ne sont pas les films d'Yves Robert comme Ni vu ni connu de en 1958 ou La guerre des boutons en 1962 qui pouvaient masquer cette évolution. Ces films montrant une France rurale, faisant s'affronter maréchaussée et braconnier ou bandes de gamins de villages voisins semblaient devenir des instantanés d'une France de plus en plus révolue tandis qu'une France urbaine ne cessait de s'imposer. Cette transformation est bien sûr présente à l'écran. Elle est montrée de manière bien diverse. Brutale chez Jacques Tati qui, dans Mon oncle en 1958 présentait deux France, deux sociétés opposées, une chaleureuse et généreuse dans laquelle les gens se connaissaient et discutaient de tout et de rien, faisaient leur marché sur la place. Peu importait que les immeubles soient mal conçus. L'autre France était plus moderne, plus "design" mais aussi beaucoup plus froide, sans aspérité. Ce qu'on appelait pas encore ergonomie est moqué chez Tati. Sa description de la société moderne est celle d'un monde froid. Il développera cette thématique à son paroxysme dans Play time en 1967, dans un pays où toute trace de campagne a disparu.

Quant à lui, Truffaut montre la même chose. Une société urbaine où les habitants qui vivent en centre ville occupent des appartements vétustes et peu adaptés aux aspiration de confort d'une population qui vit au gré de la croissance économique. Le logement du jeune Antoine est pour cela un exemple d'exiguïté et d'inadaptation à des familles dont le mode de vie a changé. Si Antoine a son lit dans le couloir, c'est bien qu'il n'y a pas de chambre pour lui. Mais c'est aussi qu'il ne dort pas dans la chambre de ses parents. Cette promiscuité est d'ailleurs un vrai problème et trouver un appartement plus grand relève quasiment de l'enquête policière. Le père est d'ailleurs "sur une piste" pour un appartement plus grand. Rares sont en effet les disponibilités immobilières car les familles s'agrandissent. L'effet du Baby boom est présent dans bien des films. La mère d'Antoine est dégoûtée qu'une de ses connaissances ait encore un enfant: "quatre enfant en trois ans, c'est du lapinisme!" (sic) Cette réplique montre d'ailleurs deux phénomènes qui s'opposent en France à cette période. Antoine est fils unique, selon une tradition malthusienne qu'incarne parfaitement sa mère. Tandis que d'autres ont plusieurs enfants, suite à la croissance démographique de l'après guerre.
Même les cinéastes d'avant guerre témoignent de cette mutation de société. Marcel Carné, dans Terrain vague en 1960 montre justement cette nécessité de construire des logements nouveaux et nombreux. Son "terrain vague" correspond justement à ces espaces périphériques de Paris sur lesquels sont construits les premiers grands ensembles d'immeubles pouvant accueillir des familles nombreuses selon des critères de confort plus modernes.

Jean Gabin et sa fille Marie Josée Nat dans Rue des prairies
C'est que la jeunesse aspire justement à faire sa toilette autrement! Dans Rue des prairies de Denys de la Patellière en 1959, la fille de Jean Gabin interprétée par Marie José Nat en a "marre de faire sa toilette devant l'évier". Devant la surprise de son père, Jean Gabin donc, contre-maître de chantier, qui dit qu'il la fait bien ainsi se voit répondre: "toi et le progrès!"
Cette quête de progrès de la jeunesse française est accompagnée par une fulgurante transformation du paysage urbain. Ce ne sont pas seulement les immeubles qui se construisent autour des villes, ce sont aussi les infrastructures. Gilles Grangier illustre en 1961 dans Le cave se rebiffe comment la France s'est dotée d'autoroutes modernes et d'aéroports internationaux en quinze ans, provoquant l'admiration d'un expatrié de retour en France, l'escroc Le Dabe, alias Jean Gabin encore. Cette transformation des infrastructures s'est aussi accompagnée de transformation de la "gestion internationale des monnaies" au lendemain de la guerre, comme le rappelle Le Dabe évoquant ses malheurs de faux monnayeurs.


Bernard Blier et Jean Gabin dans Le cave se rebiffe
2. Une société qui consomme
Avec la croissance économique, les Français vont accéder à des produits de plus en plus modernes. Quand Jean Gabin préserve son beurre dans une petite cavité de son mur dans Rue des prairies, il est obligé de consommer ses produits frais rapidement et de faire ses courses tous les jours. Quant à elle, la famille bourgeoise de Jacques Tati possède déjà tout le confort moderne, à commencer par le réfrigérateur.
Ce désir de consommation s'accompagne de fait d'une production de masse, avec des matières premières parfois de qualité médiocre mais qui permettent d'être à la mode. Ainsi Blier se moque-t-il d'un de ses associés dans Le cave se rebiffe en évoquant entre autres ses chaussures italiennes en simili fabriquées à Grenoble ou ses costumes en fil d'écosse fabriqués à Roubaix. Par cette description certes peu flatteuse, Audiard décrit finalement comment les produits de mode se sont démocratisés pour les Français: délocalisation des production de luxe et utilisation d'ersatz de matières premières nobles. Cette mode est notamment propagée par la Radio mais surtout par la télévision. Dans Les tontons flingueurs de Georges Lautner en 1963, une maquerelle rappelle à son patron que si les clients boudent les maisons closes clandestines, c'est parce qu'ils regardent la télévision pour voir s'ils sont bien comme ceux qu'on leur montre. Dans cette même explication, elle "stigmatise" l'automobile comme une cause de désertification de sa maison le dimanche.

La 404 peugeot de François Pignon dans L'emmerdeur

La multiplication des automobiles dans la France des années 1950 et 1960 s'observe dans bien des films, de Bourvil roulant en 2 CV dans Le corniaud de Gérard Oury en 1965 à Jacques Brel roulant en 404 Peugeot dans L'emmerdeur d'Edouard Molinaro en 1973 à la veille du choc pétrolier. Dans ce même film, une séquence dans toutes les mémoires de ceux ayant vu le film montre Jacques Brel - le fameux François Pignon - se rendre compte être en panne sèche sans pour autant s'arrêter aux stations essences qui se présentent à lui sous prétexte qu'il "ne prend que de la Fina" car ils offrent des santons en plastiques que son neveu collectionne. En une séquence, Molinaro joue bien sûr sur le ridicule du client qui préfère se retrouver en panne d'essence plutôt que de consommer une autre marque. Le rire provoqué est dû aussi par le fait que tous les spectateurs se reconnaissent, sans être aussi ridicules que Pignon, dans cette fidélisation de la clientèle des différentes enseignes, qu'elles soient d'essence ou d'autres produits. Cette pratique commerciale montre que le marché est juteux et qu'il correspond à une clientèle populaire puisque le cadeau est en plastique. On a donc bien une démocratisation du produit automobile qui s'accompagne de la consommation de produits induits comme le carburant. Celui-ci est fourni par différentes marques montrant bien que la France est dans une économie libérale et concurrentielle.
Cette société de consommation se retrouve aussi dans la consommation des produits alimentaires. Si Ni vu ni connu présentait une France rurale, cette même France n'est plus à la veille du premier choc pétrolier. Dans Quelques messieurs trop tranquilles en 1973, Georges Lautner commence son film par une présentation de la désertification des campagnes qui est montrée dans les programmes télévisés vus forcément par les urbains. Ce qui frappe dans cette présentation, c'est l'omniprésence des produits de marque. Même les produits agro-alimentaires consommés par les ruraux sont des produits industriels et non des produits du terroir, que ce soit la moutarde, l'alcool ou d'autres encore. La production intensive a ruiné les petits paysans qui ne peuvent pas concurrencer les grands céréaliers. Pourtant, des productions agricoles à valeur ajoutée existent dans le village du film: la prune notamment. Celle-ci est "la meilleure de la région". Mais c'est un fruit délicat difficile à transporter. Il manque donc le consommateur. La solution est alors de les faire venir par la construction d'autoroutes. Le film de 1973 évoque déjà une autre mutation à venir pour les campagnes, celle du tourisme vert. Et cet appel aux touristes est possible justement parce que l'une des caractéristiques de ces populations des Trente glorieuses est de prendre des vacances et de faire du tourisme.


Monsieur Hulot en vacances
3. La révolution des loisirs
Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati en 1953 montraient déjà combien la France se tournait vers des activités nouvelles lors de la période estivale, pratiquant des sports ou exercices physiques, achetant des tenues et accessoires liés à ces pratiques, consommant aussi des produits souvenirs, en commençant par les photographies témoin de ce temps de repos des Français.

L'accident entre Bourvil et De Funès dans Le corniaud
Ces loisirs ont donc généré des comportements nouveaux, dus à ce qui a été vu précédemment: la construction d'infrastructures permettant d'aller loin de la ville ainsi que des moyens de transports démocratisés. La 2 CV de Bourvil dans Le Corniaud est de ce point de vue un exemple parfait de démocratisation du tourisme. En effet, avec cette voiture, il doit se rendre en Italie. Or, dans une séquence mythique, sa 2 CV est percutée par une Bentley et se disloque entièrement tandis que la limousine anglaise n'a aucun dommage. La démocratisation des loisirs a donc un prix, celui de la qualité des moyens de transports. Mais il y a aussi celui de la qualité de l'hébergement. Le recours au camping a permis à de nombreuses familles mais aussi à des jeunes gens de profiter des lieux de villégiature traditionnels à des prix modiques. Si l'aspect sympathique du camping a été montré depuis dans un film du nom de Camping, Le corniaud illustre surtout les inconvénients de ce mode d'hébergement bon marché: promiscuité dans la tente, présence amplifiée d'insectes, manque d'intimité entre les tentes, bruit. Dans une séquence hilarante, Louis de Funès est obligé de se rafraîchir dans une douche collective. L'intimité est là encore bien éloignée des premiers campings!
Les loisirs ne se sont pas contentés d'être des loisirs balnéaires. Après la démocratisation de la mer, ce fut au tour de la démocratisation de la montagne. Or le coût du séjour ne pouvait diminuer en ayant recours au camping en hiver. Ainsi, comme en témoigne Les bronzés font du ski de Patrice Leconte en 1979, le recours au Time-share est une pratique permettant de se loger à moindre coût en achetant non pas un appartement mais une période d'utilisation d'une à plusieurs semaines. Cette économie, puisque l'appartement n'est pas acheté en pleine jouissance, permet aux propriétaires de cette période de consommer du matériel associé à la pratique du ski.


Mais les loisirs ne sont pas seulement du tourisme de plusieurs jours loin de chez soi. Les pratiques sportives, l'appartenance à des associations, la danse sont autant de moments de loisirs qui témoignent de  cette société qui cherche à occuper ses temps libres. Georges Lautner et Michel Audiard ont régulièrement représenté cela. Ainsi dans Les tontons flingueurs, la nièce Patricia organise-t-elle une surprise partie chez elle, tandis que les "tontons" sont en charge de "beurrer les tartines". Dans Ne nous fâchons pas (1966), Lautner montre à la fois les fêtes traditionnelles et collectives autour du vin, fêtes intégrant toutes les générations, que celles organisées dans des lieux spécifiques comme les boîtes de nuit. Quand les repas étaient familiaux dans les films des années 1930, ils sont de plus en plus souvent montrés au restaurant. Ce développement du restaurant dans la société française entraîne également de nombreux films montrant justement l'impact social de ce "loisir" autrefois réservé aux classes sociales bourgeoises, les classes ouvrières se rendant plutôt au bistrot ou aux guinguettes. Ainsi, Louis de Funès devient grand chef étoilé dans Le grand restaurant de Jacques Besnard en 1966 puis critique gastronomique dans le film de Claude Zidi L'aile ou la cuisse en 1976.
En ce qui concerne le sport, ce loisir se pratique autant qu'il se regarde. Ainsi dans Allez France de Robert Dhéry en 1964, des Français traversent la Manche pour supporter l'équipe nationale de Rugby. Dans Chaud lapin de Pascal Thomas en 1974, Bernard Ménez et d'autres touristes se ruent pour voir une étape du tour de France passant par des lacets montagneux. Mais le sport est aussi pratiqué et devient même un élément intégrateur entre les générations. Dans La gifle de Claude Pinoteau en 1974, Lino Ventura joue le rôle d'un professeur jouant un match de football avec les élèves de son lycée contre une autre équipe.
Les loisirs sont donc bien un des éléments forts qui caractérise cette société française des Trente glorieuses.
Mais ces loisirs marquent aussi une rupture entre les générations.

4. Une fracture générationnelle en marche
Avec la démocratisation des produits autrefois réservés aux plus riches, avec la croissance démographique renforçant la proportion de la jeunesse dans la population française, avec l'ouverture vers de nouveaux horizons, notamment vers les USA grâce à la télévision et au cinéma, la population française connaît fatalement une partition brutale de sa société: une qui savoure cette paix et cette prospérité enfin trouvée, et une autre qui n'a jamais connu autre chose que la croissance économique et le développement de la consommation sous toutes ses formes.
En premier lieu, les films évoquent à partir du milieu des années 1950 une évolution des rapports hommes - femmes, avec comme film clé Et dieu créa la femme de Roger Vadim en 1956. Tout au long du film, Brigitte Bardot impose à son mari sa conception de la vie et notamment de la vie maritale, réclamant davantage de libertés. Vue comme un jouet par les hommes, Vadim la montre davantage comme maîtresse femme, désobéissant à son époux et jouant avec celui qui souhaiterait être son amant. Si la morale finale est assez conventionnelle et retourne vers la tradition, le personnage déluré que représente Bardot devient une sorte d'archétype de la femme libérée qu'incarneront d'autres comme Jeanne Moreau ou Jean Seberg. Cette émancipation des femmes contraste avec la manière que les films montraient les rapports entre les deux sexes. Dans Rue des prairies, si Marie Josée Nat veut quitter la demeure familiale au prix d'une gifle monumentale de son père, c'est pour rejoindre un homme encore marié et de l'âge de son père. Il n'y a donc pas d'émancipation mais bien un passage d'une autorité - paternelle - à une autre - maritale. Le film est de 1959!

Ventura "gifle" sa fille Adjani
Mais en 1974, quand la jeune Isabelle Adjani veut vivre avec un garçon à la veille de ses examens, elle veut vivre comme elle le dit à son père Lino Ventura "pas autrement mais autre choses". L'émancipation des femmes s'était accompagné aussi d'une rupture avec le modèle familial traditionnel. Le film montrait d'ailleurs une rupture avec tous les codes habituels puisque la femme de Lino Ventura interprétée par Annie Girardot était partie sans même demander le divorce pour vivre avec un autre homme en Australie.

C'est qu'entre Rue des prairies et La gifle, près de quinze années s'étaient passées, avec bien des évolutions symbolisées par les événements de mai 1968. Au cinéma, Cléo de 5 à 7 d'Agnes Varda proposait en 1962 une héroïne déjà éloignée du personnage de Marie Josée Nat, frivole, parlant d'avortement et d'amour libre avec ses amies. Ce film d'une réalisatrice de la Nouvelle Vague ne pouvait ensuite que générer des avatars de Cléo dont le personnage d'Adjani n'était qu'un exemple au cinéma.

Ces nouvelles relations hommes femmes reposent également sur un recul des valeurs judéo-chrétiennes traditionnelles. Dans Le gendarme de Saint Tropez, Jean Girault en 1964 fait s'opposer la gendarmerie à des nudistes. Le lieu n'est pas innocent puisqu'il s'agit de la station balnéaire mise à la mode par Brigitte Bardot. Mais le film prend surtout partie pour ces nudistes, ridiculisant les forces de l'ordre et leurs méthodes.
Louis de Funès est Le gendarme de Saint Tropez
Cette nouvelle manière d'aborder les rapports sociaux est particulièrement reperésentative de la mutation que vit la société française, partagée entre deux conceptions du vivre ensemble, l'une marquée par l'autorité et l'austérité, l'autre par l'hédonisme et l'absence de hiérarchie. Cette confrontation est d'ailleurs assez récurrente dans le cinéma populaire français que Lautner représente si bien. Dans Quelques messieurs trop tranquilles, c'est l'arrivée de hippie à la campagne qui crée l'agitation. S'ils vivent dans des tentes, ce n'est pas par loisir mais par mode de vie. La séquence présentant leur arrivée au bord d'un cours d'eau montre des femmes libres de montrer leur corps nu faisant des tâches d'hommes tandis que les hommes ont les cheveux longs comme les filles et s'affairent comme les femmes le feraient dans la société traditionnelle. Voir évoluer une telle communauté devient un vrai spectacle mais aussi une menace pour une société traditionnelle. Le refus de ces hippies de la société de consommation urbaine aurait pu satisfaire une population rurale qui cherchait à faire venir des habitants et des clients. Mais ces hippies sont montrés de fait commes des urbains avec des idées venant de bien au-delà, important des valeurs morales bien éloignées de celles des campagnes françaises!


Conclusion
Le cinéma français a accompagné la société de la croissance témoignant à la fois de l'amélioration des conditions de vie de la population mais aussi des aspirations d'une France jeune qui ne pouvait plus se retrouver dans la société traditionnelle qu'elle jugeait archaïque, à l'image de son cinéma.
Un cinéma plus personnel, plus jeune allait naître et se développer avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague qui allaient eux-mêmes influencer pour longtemps les futurs cinéastes français et étrangers.
Jusqu'au premier choc pétrolier, le cinéma français allait continuer à présenter la France prospère mais en mutation. Les mœurs sont montrés comme de plus en plus libres et les comédies populaires jouent encore sur la France riche et influente. L'affirmation de la crise et de ses conséquences sociales allaient néanmoins changer le ton du cinéma français, y compris dans le cinéma populaire.


A bientôt

Lionel Lacour

lundi 6 juin 2011

De plus en plus de films cultes!

Bonjour à tous,

l'expression "film culte" est devenue une sorte de lieu commun et semble désigner des films dont on peut se demander en quoi ils peuvent être justement cultes! En prenant quelques exemples, nous pourrions dresser une liste de films "cultes" allant des films de Capra en passant par Rio Bravo, La mélodie du bonheur, Easy Rider, Star wars en allant jusqu'à La boum, Le cercle des poêtes disparus ou encore Tigres et dragons. Cette liste évidemment non exhaustive intègrerait donc des oeuvres radicalement différentes dans leur forme, dans leur sujet voire dans le public ciblé. Surtout, elle présenterait des qualités artistiques indéniablement hétérogènes, même s'il est difficile de comparer un film d'Howard Hawks avec un de Claude Pinoteau!

1. Une nécessaire définition
Pour bien comprendre ce qu'est un film culte, il suffit déjà de reprendre la définition du mot "Culte". Le caractère religieux du mot renvoie par extension, comme le précise Le petit Robert à "une admiration mêlée de vénération que l'on voue à quelqu'un ou quelque chose." Comme dans un culte religieux, cela s'accompagne de pratiques réglées pour rendre hommage à l'objet ou la personne à qui on voue un culte. Ainsi, un film culte serait un film qui aurait des spectateurs honorant l'objet filmique, le réalisateur ou les acteurs de manière régulière par des pratiques quasi rituelles.

A bien y regarder, rares sont ce genre de films. Pourtant il en existe quelques uns parmi lesquels il faut évidemment citer The Rocky horror picture Show de Jim Sharman en 1975. Dans cette comédie musicale déjantée, les spectateurs se sont totalement appropriés l'oeuvre au point que des dizaines de clubs de fans se sont créés, connaissent le film par coeur, et participent activement dans la salle lors des projections du film. Un tel brosse les dents d'une bouche tournée en gros plans, tel autre mime ou répond aux répliques des personnages, tous dansent les chorégraphies des parties musicales, le tout avec des tenues excentriques reproduisant celles des personnages du film. Une telle dévotion est assez rarement aussi organisée pendant la projection d'un film. De même, l'ensemble des "dévôts" répond à une hiérarchie et à des règles cultuelles bien déterminées. Nul ne peut intervenir quand bon lui semble dans cette cérémonie cinématographique.
Ce film de près de quarante ans répond donc à une partie de la définition du culte. Il y répond encore davantage dans le sens où ce culte se transmet à des générations postérieures à la sortie du film si bien qu'aujuord'hui encore, des clubs de jeunes "mystiques" reproduisent les gestes cultuels de leurs aînés.
Pour garder l'exemple de ce film, le culte ici est indéniable. Mais il ne s'adresse qu'à une toute petite communauté de "croyants pratiquants". La majorité des spectateurs de ce film n'a pas basculé dans l'adoration. Certains autres peuvent aller voir des projections de ce film pour justement assister à la pratique cultuelle comme d'autres vont dans une église évangéliste de Harlem pour assister aux prédications fièvreuses accompagnées de Gospel.
The Rocky horror picture show n'est pas le seul entraînant derrière lui des fans excessifs. Mais il est certainement un des seuls à les impliquer directement en salle. Parmi les autres films suscitant un culte participatif, il y a tous les films de science fiction créant des personnages extraterrestres anthropomorphisés. C'est ainsi que les deux trilogies Star wars ont suscité la création de fan-clubs dans lesquels les adhérents s'identifiaient soit à des héros du film mais aussi à des personnages secondaires voire ne faisant qu'une brève apparition. Ces fans se retrouvent alors dans ce qu'on appelle des conventions dans lesquelles chacun peaufine son déguisement pour les "profanes", sa tenue cultuelle pour les "croyants". Les personnages constituent un ensemble cohérent dans une histoire à portée initiatique voire prophétique pour tous les adeptes. Les relations entre les différents héros, les lieux des diverses aventures, les origines de tous le "bestiaire extraterrestres", les morales de chaque épisode sont maîtrisées par ces fans comme certains pourraient citer par coeur torah, évangile ou coran.

Darth Vader dans L'empir contre-attaque d'I. KERSHNER, 1980
 Dans ces films cultes, un point commun ressort: le monde décrit à l'écran est un monde coupé du réel. Le spectateur peut se projeter dans ce monde car les éléments identificatoires sont évidemment présents. Mais les codes ou les espaces présentés ne sont pas ceux des spectateurs. Les films entraînent alors deux réactions pour les spectateurs. Soit il y a une simple projection identification telle que la définissait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire en 1956, avec une participation affective du spectateur lors de la projection, et dans ce cas, la participation du spectateur s'arrête une fois le film terminé. Soit le spectateur veut vivre cette expérience participative plus fortement, ce qui l'entraîne justement à adopter tenues voire comportements liés au contenu du film, lors de projections ou de conventions de fans. Ce culte, au sens propre du terme concerne alors une partie restreinte du public de ces films avec des extrêmistes pouvant dormir devant un cinéma pendant des jours pour assister à la première de la suite du film ou acheter une fortune un objet issu des produits dérivés. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ces formes de culte se retrouvent pour des séries télévisées comme Star trek car celles-ci permettent de développer encore plus un univers merveilleux comme pouvaient l'être les récits antiques, que ce soit les récits homériques ou ceux bibliques. Avec comme conséquence celle de vouloir transmettre sa passion, et ici plutôt sa foi, à d'autres adeptes, frères, soeurs, amis ou enfants.

2. Les films cultes sans culte
Comme je viens de le préciser, les films cultes au sens propre du terme sont assez peu nombreux. Il existe pourtant des films "cultes" qui répondent à quelques caractéristiques des précédents, soit pour un aspect particulier soit pour plusieurs.
Ce qui fait que certains films sont dits cultes vient du fait que tout le monde les a vus, et parfois même plusieurs fois chacun. Parmi les plus récents, on pourrait citer Avatar de James Cameron en 2009 ou Bienvenue chez les Chtis de Dany Boon en 2008. L'aspect culte vient dans ce cas là d'une sorte d'oecuménisme puisque ces oeuvres ont pu attirer des catégories très diverses de spectateurs, y compris ceux qui ne seraient jamais allés voir un tel film en salle habituellement. Le cas du film de Dany Boon est un exemple particulèrement frappant. Avec un peu plus de 20 millions de spectateurs, le film a forcément été vu par des spectateurs préférant d'ordinaire des films dits d'auteur, ou disons plus exigeants quant à la réalisation. Pourtant ils sont venus voir une comédie populaire avec des acteurs traînant davantage sur les plateaux des talk-shows pour faire "rigoler" en prime time que dans les émissions culturelles pointues. Le caractère "culte" est donc ici la volonté de spectateurs de voir, et pourquoi pas de comprendre un phénomène de société et de cinéma. Que montrait ce film qui pouvait attirer tant de monde en salle? Et comme chacun cherchait à comprendre la même chose, le succès dura des mois! Certains ont pu expliquer ce succès par le rôle des médias et par une promotion du film particulièrement efficace. Si celle-ci l'a été, elle n'explique en rien un tel phénomène car bien d'autres films ont eu des promotions encore plus matraquées sur tous les supports audiovisuels sans parfois atteindre le 20ème du succès de Dany Boon. Ce succès transforme alors le film en film "culte" puisque tout le monde en France, ou presque, l'a vu, générant même des avatars en Italie et bientôt aux USA. Le succès s'expliquerait alors moins par les dialogues que par le sujet même du film. En effet, s'il y a des bons mots, il y a finalement peu de répliques qui soient directement associables au film. Ce qui a pu faire le consensus, c'est l'opposition entre deux régions et surtout la stigmatisation de l'une des deux par le reste du pays. Ce schéma est reproductible dans tous les pays. Mais il pourrait l'être à l'intérieur même d'une région et pourquoi pas d'une ville! Le succès de Bienvenue chez les Chtis a provoqué un effet presque assimilable au culte religieux. Des formes de pélerinage s'organisent à Bergues, villes où se situe l'action. Des bus entiers de touristes veulent voir La ville, La poste de leurs héros. Ils veulent manger comme les Chtis. Mais le pélerinage fini, il n'y a pas de prologement du culte dans des rituels récurrents.
Thierry Lhermiite dans Le père Noël est une ordure de J.-M. POIRE, 1983
La popularité d'un film touchant toutes les générations, toutes les classes sociales et tous les publics de cinéma peut justifier alors le terme de culte pour ces films. D'autres sont également considérés comme cultes. Ce sont ceux dont on se plaît à donner les répliques à peine le titre est évoqué. Il est assez sidérant de voir combien les dialogues des Tontons flingueurs ou du Père Noêl est une ordure entraînent une compétition entre les personnes évoquant ces films. C'est à celui qui les citera en premier, qui en citera le plus, qui se rappellera d'une phrase plus confidentielle, le tout sans respecter l'ordre de leur apparition dans le film. Pas de procession religieuse, pas de volonté de ressembler à un des personnages - sauf peut-être pour le gilet du personnage interprété par Thierry Lhermitte dans Le père noël est une ordure - mais une vraie récitation des paroles sacrées écrites par Audiard ou par les membres du Splendid. Le caractère culte s'opère comme pour les films cultes identifiés en premier par un visionnage multiple de ces films, soit à la télévision, soit sur des copies VHS ou DVD. On se repasse les extraits préférés, on les voit en famille, entre amis ou seuls. On dit la réplique avant le comédien, on rit avant même d'entendre une centième fois la phrase désopilante.Ce culte se transmet aussi à ses proches à qui on a envie de faire connaître l'objet de notre adoration, et parfois en ne sachant se retenir de perturber le spectacle puisqu'on devance les dialogues! Ce genre de films passant à la télévision continue à faire des audiences fortes alors mêmes qu'ils sont déjà passés bien des fois sur les différentes chaînes. Et ils touchent des spectateurs nouveaux à chaque programmation. Si certains films sont facilement accessibles comme ceux du Splendid, ceux plus anciens sont compréhensibles par un public plus âgé.

Les tontons flingueurs, G. Lautner, 1963
avec de gauche à droite
Lino Ventura, Francis Blanche, Robert Dalban, Bernard Blier et Jean Lefèbvre
Les dialogues d'Audiard ont un niveau de langue et un phrasé peu accessibles à des générations SMS. Mais lorsque ces films sont compris par les plus jeunes et surtout appréciés, cela fait office de rite de passage pour ces nouveaux spectateurs qui peuvent alors partager les répliques de Lino Ventura ou de Bernard Blier avec ceux des générations précédentes!
Car c'est bien un des aspects de ce qu'on appelle films cultes. La transmission des films est un processus essentiellement lié à un "fournisseur" de cinéma. A une époque où le magnétoscope n'existait pas, les enfants connaissaient tous John Wayne et Gary Cooper parce que les western passaient à la télévision et que "Papa" regardait les westerns.
La mélodie du bonheur, Robert Wise, 1965
Mais quand Maman regardait La mélodie du bonheur ou Autant en emporte le vent, c'est toute la famille qui regardait ces films, y compris les garçons. Cette transmission générationnelle reste aujourd'hui un aspect fondamental dans la culture cinématographique. Or parmi les films que les parents du XXIème siècle souhaitent que leurs enfants voient, il y a ceux que leurs propres parents leur ont montré, des Temps modernes de Chaplin aux Vikings de Richard Fleisher en passant par Les chevaliers de la table ronde, Les aventures de Robin des bois, Tarzan l'homme singe, West side story, Ben Hur, Soleil vert, Les quatre cents coups, Certains l'aiment chaud, M le maudit, Fanfan la tulipe et tant d'autres.
Cette transmission pluri-générationnelle des films participe à la qualificiation de certains films comme films cultes. Ces oeuvres sont connues de tous mais elles comportent aussi des icônes: Marilyne Monroe, Johnny Weissmuller, Robert Taylor, George Chakiris, Charlton Heston, Ava Gardner mais aussi Brigitte Bardot, Jean Gabin, Alain Delon, Gérard Philippe...


 Les télévisions ont participé longtemps à la "cultification" de ces films. La séquence du spectateur montrait de larges extraits de ces films mythiques. Eddy Mitchell imposa dans les années 1980 une émission elle aussi devenue culte car composée de films hollywoodiens présentés comme on présenterait un texte de l'évangile. Lui, le prêtre du cinéma, faisant son sermon cinéphilique et cathodique avant de proposer des films avec Spencer Tracy ou Gregory Peck! Depuis les années 1990, la multiplication des écrans de télévisions dans les foyers et des chaînes accessibles, la transmission générationnelle est de plus en plus difficile à établir. Et paradoxalement, c'est avec les années 1980 que l'expression "film culte" s'est propagée, avec un sens finalement plus restrictif et beaucoup moins culte!

3. Film culte, film événement, film générationnel: une expression de comm!
En 1989, Peter Weir réalisait Le cercle des poètes disparus. La publicité de ce film en France le présentait come un film "déjà" culte. Or, au regard des explications précédentes, ce film ne pouvait pas être déjà culte puisqu'il n'avait justement pas encore les critères pour être ainsi désigné: pas de visionnages multiples, pas de répliques encore connues, pas de règles cultuelles appliquées pendant le film ou aux nouvelles projections ou diffusions, et pas de transmissions générationnelles.
En réalité, en qualifiant ce film de "culte", les agents de la promotion indiquaient aux spectateurs potentiels qu'il y aurait dans ce film tous les éléments pour qu'il le devienne: un monde passé et révolu dans lequel chaque jeune pouvait pourtant se reconnaître, un rejet de l'autorité, des comportements transgressifs... Le film s'adressant clairment à un public jeune, une telle promesse était tentante. Et le contenu pouvait les satisfaire: se mettre sur la table pour mieux comprendre le monde sous un autre angle, voilà quelque chose que les jeunes lycéens ou étudiants ne pouvaient que trouver génial! Et ils pourraient le transmettre plus tard à leurs enfants car la morale du film convient justement à un public adolescent: se rebeller contre l'ordre établi par les adultes! Quoi qu'il en soit, le film fut un réel succès et a touché la génération souhaitée par les distributeurs du film, celle de 1989. Qu'en est-il de l'effet "culte" depuis? Ceux ne l'ayant pas vu s'en souviennent à peine. Les autres encore moins. Quant à la transmission, étant donnée la morale du film, il est assez compréhensible que les spectateurs de 1989 qui sont les parents d'aujourd'hui aient a priori peu envie de montrer un film dont le message serait de contester leur autorité! Il ne peut donc y avoir a priori de film culte avec un tel message en ne centrant que sur les adolescents. Ceux de chaque génération auront leur film contestant l'autortié adulte.

Quand Dennis Hopper réalisait Easy Rider, ce n'était pas une contestation de  l'autorité des anciens mais celle du système. Même La boum de Claude Pinoteau est davantage un film culte que Le cercle des poètes disparus bien qu'étant aussi un film générationnel. C'est que La boum montre trois générations d'une famille dans laquelle chacune a sa place. Chaque spectateur peut alors se projeter et s'identifier dans les personnages dont il se sent le plus proche, puisqu'aucun n'est montré que sous un aspect ridicule ou entièrement dominé par l'autre. C'est entre autre ce qui différencie La boum  de l'ignoble LOL, avec Sophie Marceau comme seul point commun. De ce fait, La boum qui n'apparaissait initialement que comme un film générationnel est beaucoup plus culte que bien des films se prétendant cultes alors qu'ils  ne sont que générationnels.
L'analyse est pourtant simple, derrière "film culte", il faut entendre film adressé à un public jeune qui serait censé se reconnaître dans les personnages et les propos. Cet habillage marketting vaut pour tous les cinémas. "A grand spectacle" renvoie souvent à film familial et "intimiste" au cinéma d'auteur pour une élite cinéphilique. Chaque type de film a un type de promotion particulier, créant plusieurs films "événements" par semaine selon les catégories de films proposées aux spectateurs. dans le langage marketting, le film "culte" est donc une manière de signifier aux adolescents et jeunes spectateurs qu'ils seont isolés des autres s'ils n'ont pas vu "LE" film culte de leur génération, comme autrefois Le grand bleu de Luc Besson, ou plus anciennement encore La fureur de vivre avec James Dean. La vente de ces films "cultes" repose d'ailleurs sur le succès des films cultes précédents. Chaque film de rebellion propose son nouveau James Dean comme Matt Dillon a pu l'être dans les années 1980. C'est oublier que James Dean n'est devenue cette icône planétaire que par sa mort à moins de 25 ans! Autre élément qui démontre que l'annonce d'un film "culte" à sortir n'est que du marketting pour les spectateurs de 15 à 30 ans est le fait que d'autres films peuvent être aussi destinés à une génération ciblée sans pour autant d'être classés a priori comme culte. L'aventure c'est l'aventure de Claude Lelouch s'adressait bien à des quarantenaires. Mais il ne devint culte que par la suite, au gré des rediffucions à la télévision. En jouant sur le terme de culte, cela induit aussi la nécessité de s'approprier le film, de le voir et de comprendre les enjeux typique de ces films qui sont soit des films de rebellion, soit d'initiation. Le cercle des poètes disparus cumule les deux aspects. Or pour pouvoir s'approprier un film, il faut aller le voir plusieurs fois, ce qui fait autant d'entrées supplémentaires avec un seul spectateur!
Cependant, la multiplication des films cultes annoncés a aussi un inconvénient: cela vise la même génération qui ne peut se vouer à autant de cultes ue ce qui est sur le marché! L'expression "film culte" est donc devenu une formule commerciale qui était d'emblée un mensonge et qui est devenue d'autant plus galvaudée que les promesses de films cultes, comédies cultes et autres catégories cultes étaient le plus souvent tout sauf culte!


Conclusion
Qu'est-ce finalement qu'un film culte? Un film connu même par ceux qui ne l'ont pas vu comme pouvaient l'être Le pont de la rivière Kwai ou Il était une fois dans l'ouest et que nos parents nous racontaient voire nous frendonnaient l'air de leur bande son.
C'est aussi un film qu'on a envie de voir, quitte à ne pas l'aimer, pour justement pouvoir en parler avec ceux que l'on estime et qui eux l'ont vu. Un film culte segmente - c'est le cas de The horror picture show - ou rassemble - comme Bienvenue chez les Chtis. Mais dans tous les cas, il devient culte par le tamisage des spectateurs, au-delà de la promotion qui en a été faite en amont de la distribution.
Un film culte est donc un film qui fait référence sous toutes ses acceptions, tant quantitatives, le box office, que qualitatives, que ce soit par la valeur de la réalisation ou du jeu des comédiens ou par les thèmes abordés. Cette notion de référence implique aussi et surtout une notion de durée. Cette référence est un point de repère temporel. Revoir un film "culte", c'est aussi se référer à ce point de repère. C'est apprécié les défauts qu'on voit à chaque visionnage. C'est apprécier l'évolution des jeux des acteurs depuis. C'est aussi accepter que le film n'est pas aussi bon que ce qu'on croyait mais continuer à le regarder pour les qualités qu'on continue à lui reconnaître et que l'on transmet aux autres.Un film proclamé culte par anticipation peut difficilement répondre à cette définition!

A bientôt

Lionel

mercredi 25 mai 2011

Le cinéma américain après la chute de l'URSS

Bonjour à tous,

pendant des décennies, le cinéma américain s'est nourri des tensions avec le bloc communiste pour ses films avec plus ou moins de bonheur quant à la qualité proposée. Du Troisième homme en 1949 jusqu'à Octobre rouge en 1991, le cinéma a épousé l'état des relations diplomatiques entre les deux puissances. Or, en 1991, la chute de Gorgatchev et avec lui de l'U.R.S.S. a provoqué un véritable choc pour Hollywood. Etait-ce donc la fin d'un genre? Quel ennemi les Etats-Unis allaient-ils pouvoir combattre pour prouver aux spectateurs combien ils étaient toujours les champions du monde libre?

1. Se trouver de nouveaux ennemis à la hauteur des USA
Les maîtres du monde étaient désormais sans contestation possible les USA. En 2000, R. Zemeckis ne montrait-il pas son héros incarné par Tom Hanks dans Seul au monde en train d'apprendre le système productiviste du capitalisme américain à des employés désormais russes pour le compte de Fedex? Voir des camions flanqués du logo de cette multinationale américaine sur la place rouge de Moscou, face au Kremlin montrait à quel point les USA avaient véritablement triomphé de leur ancien ennemi dont l'idéologie continuait d'engluer le pays dans son retard économique, comme le prouvait un gros plan sur un sabot immobilisant un camion fedex, sabot aux couleurs de l'ex U.R.S.S.!

En 1996, deux films aux réalisateurs aux antipodes esthétiques sortent pourtant sur les écrans avec un thème très proche. Roland Emmerich tournait Independence day tandis que Tim Burton adaptait sur grand écran Mars attacks! Dans les deux cas, des extra-terrestres menaçaient le monde, et comme toujours, essentiellement les USA! Dans les deux cas, les humains triomphent des "méchants extra-terrestres" mais avec une mise en valeur intentionnelle ou de fait, de la puissance américaine. Dans le film de Emmerich, la centralité des USA est sans aucun doute possible. Les quelques images de la présence des extra-terrestres sur les autres continents ne cachent pas le rôle majeur du président américain dans cette guerre. La destruction des symboles de la puissance américaine, notamment la Maison Blanche, provoque un état de sidération tant pour les spectateurs américains que pour ceux des autres pays. Jusqu'au titre du film, tout montre que cette guerre est une nouvelle victoire des USA pour rendre libre le monde.
D'autres films ont ensuite montré que sans menace sur Terre, les USA n'avaient plus d'autres adversaires que des ennemis venant d'ailleurs, d'au-delà de la planète. C'est ainsi que Barry Sonnenfeld tourna en 1997 Men in black, avec comme dans Independence day Will Smith. Armageddon de Michael Bay en 1998 montrait une autre menace extra-terrestre, celle d'une météorite géante. Ces deux films apportaient quelques compléments à ceux de 1996. Les extra-terrestres n'étaient pas en soi des menaces pour la Terre, comprenez les USA, puisque certains vivaient depuis longtemps avec l'assentiment des autorités. Mais le film montre la nécessaire surveillance des contingents extra-terrestres, quand ce n'est pas l'obligation d'éliminer ceux qui voudraient mettre fin au monde merveilleux dans lequel nous vivrions.

Pour Armageddon, le titre est tout aussi important que le contenu. La menace n'étant plus celle de l'U.R.S.S, elle ne peut plus être qu'extra-terrestre, mais aussi d'ordre moral. L'ultime combat à mener est bien celui de Bien contre le Mal. Les sacrifices des hommes envoyés sur cette météorite pour la détruire montre combien la technologie américaine est puissante. Mais le fait de voir associé à ce dernier combat un ancien soviétique, prêt lui aussi à se sacrifier témoigne encore davantage du triomphe des valeurs américaines.
Cette foi en l'hyper puissance américaine comme défenseur de l'humanité trouve en quelque sorte son apogée dans une comédie hilarante d'Ivan Reitman en 2001: Evolution. Alors que des extra-terrestres sont en train de se propager dans une petite zone de l'Arkansas, une scientifique annonce au gouverneur de l'Etat que son territoire sera sous le contrôle des créatures en quelques jours, et qu'en un peu plus d'une semaine, la race humaine sera "éteinte". Ainsi, sauver les USA des bêbêtes extra-terrestres, c'est sauver la planète!

2. Une menace pourtant bien réelle
La chute de l'U.R.S.S. suivait celle du mur de Berlin en 1989. A partir de ce moment, l'influence soviétique n'était plus celle d'avant. Ainsi, lorsque les USA en appelèrent à l'ONU pour "libérer" le Koweit de l'invasion irakienne, les citoyens occidentaux furent méduser de voir le soutien de Moscou à cette intervention essentiellement américaine. Or celle-ci fut manifestement une guerre avec au moins autant d'intérêts économiques, la récupération des puits pétroliers du Koweit, que d'intérêts humanitaires. En 1999, D. Russel réalisait Les rois du désert avec Matt Damon et George Clooney. Dès la séquence introductive, le réalisateur montre non une libération mais une vraie occupation militaire, une exportation violente des valeurs américaines sur un territoire et sur des peuples aux coutumes et valeurs radicalement différentes. L'assassinat d'un soldat irakien brandissant un drapeau blanc puis les photos prises le montrant comme un trophée de guerre alors même qu'il se vidait de son sang illustrent à eux seuls toutes les rancoeurs que pouvaient nourrir ce peuple contre les Américains, et au-delà d'eux, contres leurs alliés occidentaux.

Un an plus tôt, Edward Zwick réalisait Couvre feu. De manière assez saisissante, ce film au casting impressionnant (Denzel Washington, Annette Bening, Bruce Willis et le Français Sami Bouajila) montrait combien les USA avaient finalement fabriqué par leurs actions menées au Proche Orient un rejet d'une rare violence associant comme revendications les aspirations à une identité nationale palestinienne et une affirmation des valeurs musulmanes. Celles des USA, ces valeurs chrétiennes si souvent proclamées sont dénoncées par un Palestinien, ancien agent américain au Proche Orient. Menaçant l'agent interprétée par Annette Bening, il oppose la foi des USA que le pouvoir serait dans l'argent tandis que pour lui, le vroi pouvoir est dans la foi, la croyance. Tarantino dans Pulp Fiction en 1994 avait déjà raillé cette idée que certains Américains se réfugiaient derrière la Bible pour justifier leurs actes ignobles, et avant Tarantino, bien d'autres encore. Mais pour la première fois, et alors que des tentatives d"attentats avaient déjà été commis à New York, un film montrait l'exaspération des peuples musulmans se sentant méprisés par les "apôtres" de la liberté. Cette exaspération va dans le film jusqu'à un attentat d'une rare violence faisant plus de cents morts. Le film est de1998.

3. Les leçons du Vietnam oubliées
La guerre du Vietnam avait été un signal fort pour les USA. Leur super puissance n'avait pas pu vaincre dans ce petit pays d'Asie du Sud Est, à défaut de pouvoir utiliser la Bombe Atomique! En 1987, B. Levinson en donnait une raison évidente. Dans une séquence de Good morning Vietnam, l'animateur radio Adrian Cronauer interprété par Robin Williams court après un jeune Vietnamien, Tuan, auteur d'un attentat dans un bar à Saïgon. Alors qu'il lui reproche d'être devenu son ennemi après lui avoir permis d'entrer dans ce bar pourtant réservé aux Américains, Tuan lui hurle sa douleur, lui rappelant que toute sa famille, ses amis, ses voisins sont morts suite aux agissements menés par l'armée américaine. Surtout il lui fait comprendre que l'ennemi n'est pas lui, lui qui vit dans ce pays, mais eux, les Américains qui occupent et veulent imposer leur ordre.
Ce film ne clôt pas la réflexion des cinéastes sur le désastre américain au Vietnam, mais il illustre ô combien les Américains avaient déjà cru que leur puissance militaire et leur foi dans le fait que tous les hommes rêvaient de vivre comme des Américains suffisaient pour s'imposer partout dans le monde. Après le Vietnam, ce fut au tour de l'U.R.S.S. de s'embourber dans un pays dans un conflit long face à une population aussi faible que celle des Vietnamiens mais avec des combattants tout aussi prêts à se sacrifier pour libérer leur pays.

Rambo en Afghanistan
En 1988, Peter McDonald réalisait Rambo III dont la qualité cinématographique ne lui permet pas vraiment de faire partie des meilleurs films de l'histoire du 7ème art! Pourtant, l'intérêt historique est indéniable. On y voit des Américains soutenir l'effort de guerre des mudjaidins contre l'occupant soviétique. Plus que cela, Rambo va même discuter avec eux pour mener à bien sa mission pour libérer le colonel Trautman. Or parmi ses interlocuteurs se trouvait un certain Commandant Massoud, dont le nom ne fut vraiement connu du grand public qu'après son assassinat en septembre 2001.
La défaite du Vietnam semblait alors être une sorte de péripétie puisque l'U.R.S.S. était elle aussi défaite en Afghanistan, à cette différence près que cette super puissance ne s'en releva pas, au contraire des USA!
C'est donc de cette certitude d'être désormais la seule puissance d'influence planétaire porté par des valeurs de liberté et de démocratie qui conduit les USA à intervenir partout dans le monde pour imposer leur ordre.

Une intervention américaine musclée dans La chute du faucon noir, R. SCOTT, 2001
C'est ainsi que les USA interviennent une première fois pendant la guerre en Yougoslavie en 1994 puis en 1999 sous le drapeau de l'OTAN. Mais c'était seuls qu'ils avaient mené la mission Restore hope au début des années 1990 en Somalie, intervention qui fut l'objet d'un film de Ridley Scott en 1991, La chute du faucon noir. Pourtant, à l'héroïsme américain répondait un autre réalité. Alors qu'un pilote américain est prisonnier des partisans du dictateur somalien, un des chefs veut négocier avec lui. Le pilote ne peut négocier. Le chef de guerre montre alors toute l'incompréhension entre les deux mondes: "tu as le droit de tuer mais pas de négocier, chez nous, pouvoir tuer, c'est pouvoir négocier". S'en suit une réflexion sur l'illusion américaine de pouvoir imposer les chefs politiques contre la volonté des peuples ou des principales forces du pays. Loin de libérer le pays et de "restaurer l'espoir", le nom de la mission montrant au passage bien le rôle que veulent désormais jouer les USA dans le monde, c'est au contraire une crispation contre les Américains qui naît suite à leur intervention militaire sans aucune compréhension de la culture du pays qu'ils veulent "aider".


Ainsi, entre 1991 et 2001 les USA se sont-ils sentis les maîtres du monde, forcés de se trouver des ennemis à la hauteur de leur puissance: les extra-terrestre ou le Mal tout entier! Pourtant le cinéma américain de cette décennie a aussi montré toutes les tensions que cette hégémonie américaine faisait naître, du fait justement de leur comportement jugé d'avantage comme une invasion, une agression que comme une libération. Ces tensions se sont alors libérées non dans une cause "nationale" mais comme le dit G. Bush, dans une cause civilisationnelle. Des Musulmans se sentant agressés et opprimés ont alors rejoint des mouvements islamistes radicaux et terroristes, porteurs et rassembleurs de toute la haine anti-américaine. Contrairement à ce que montrait Couvre feu, la menace ne venait pas d'un pays, mais bien de populations vivant aussi bien dans les pays musulmans que dans ceux de l'Occident. En 2001, comme dans Independence day, des symboles de la puissance américaine étaient visés, certains même détruits. Ce n'était pas des extra-terrestre surpuissants. Des avions américains détournés par quelques individus avaient suffi. La chute du faucon noir était déjà tourné. Sa distribution fut retardée. Les Américains venaient de se trouver un nouvel ennemi: l'islamisme; et le cinéma en trouva même deux: les islamistes et les Français à partir de 2003 après que leur président avait refusé d'entrer en guerre contre l'Irak pour officiellement y imposer encore une fois la démocratie. Nous sommes en 2011. Les USA sont encore en Irak et ne savent plus comment en sortir.
Les leçons du Vietnam n'auront servi à rien. Et le cinéma non plus!

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 11 mai 2011

La Première guerre mondiale au cinéma: l'illusion de la der des der?

Bonjour à tous,

le samedi 14 mai, je presenterai à Cernay, près de Mulhouse, pour l'association "Abri Mémoire",  une conférence sur la représentation de la Première guerre mondiale au cinéma. Mon parti pris est de ne partir que des films tournés avant l'arrivée du nazisme au pouvoir, à une exception américaine près. En effet, la représentation de ce conflit allait changer quand Hitler devint Chancelier de l'Allemagne. Il n'est qu'à voir le discours patriotique du film de Renoir La grande illusion de 1937. Beaucoup voulurent en faire un film pacifiste, voire un film qui montrait que ce qui importait le plus étaient les classes sociales. Renoir montrait pourtant que justement, l'officier français noble, le capitaine de Boeldieu, interprété par Pierre Fresnay,  préférait aider le lieutenant Maréchal, un "gars du peuple" interprété par Jean Gabin dans son évasion plutôt que de rester fidèle à son geôlier, le capitaine allemand von Rauffenstein incarné par Erich von Stroheim.
Ainsi, le cinéma d'avant 1933 se caractérise-t-il par son absence de toute interprétation liée au nouveau visage de l'Allemagne et par une approche commune: le pacifisme. Ce qui n'empêchait pas de montrer la guerre telle qu'elle fut et ses conséquences.

1. Le mythe de la fleur au fusil
La recherche historique semble montrer aujourd'hui que ce départ enthousiaste pour la guerre relèverait du mythe. Les sources cinématographiques viennent cependant dire sinon le contraire, du moins avérer l'envie d'en découdre contre l'autre, au moins du côté des dirigeants. Les nombreux films des opérateurs Lumière témoignent des élans nationalistes de tous les pays. L'Allemagne célèbre sa nation lors de fêtes comme le montre Cortège des anciens Germains. Vue prise à Stuttgart lors d’une fête donnée dans cette ville projetée pour la première fois à Lyon le 18 Août 1896. La liste serait longue de tous ces films de moins de une minute tournés en Europe relatant les visites de chefs d'Etat dans d'autres pays afin de concrétiser des alliances militaires ou les défilés militaires, en Russie, Allemagne, Italie, France, Espagne, Autriche et ailleurs encore. L'Europe se préparait à la guerre et les populations subissaient déjà une campagne de communication en ce sens. Les nationalismes ont été exacerbés par tous les moyens. Le cinéma en était un nouveau et combien efficace!

Les films d'après la guerre ne montrent pas autre chose d'ailleurs. Abel Gance tourne J'accuse! en 1918 avant de le présenter en 1919 aux Français. Le point de départ de son film évoque bien l'attente des Français, et notamment des vétérans de 1870, pour la revanche contre l'Allemagne. "Mon Alsace Lorraine" trône en noir sur une carte de France, comme amputée à la patrie. La mobilisation se fait à coups de "hourra" et de drapeaux tricolores. Gance s'attarde bien sur le regard d'une mère qui comprend ce que la guerre signifie aussi: la perte de proches, père, mari ou fils.

Toujours en France, Raymond Bernard réalise en 1932 Les croix de bois qui reprend la même interprétation que Gance près de 15 ans plus tôt. Les jeunes Français font la queue pour pouvoir s'enrôler. L'élan patriotique est immense et les gares témoignent du soutien populaire à cette guerre.
Même vision patriotique chez les Russes. Dans son film La fin de Saint Petersbourg en 1927, Vlesovod Poudovkin présente d'ailleurs ce soutien populaire représenté par l'agitation du drapeau russe et les décorations florales ajoutées à la statue du Tsar Pierre le Grand comme un moyen pour le régime tsariste de mettre fin aux contestations sociales qui agitent le pays. Le patriotisme russe manipulé aux fins du tsarisme autoritaire, l'interprétation est bien entendu celle d'un cinéaste soviétique qui vient fustiger l'idée même de nationalisme. L'enthousiasme russe se voit également dans d'autres films comme Okraina en 1933 par Boris Barnet. Mais il se combine aussi à la tristesse des femmes de voir partir leurs époux, leurs fiancés ou leurs fils.

scène de tranchée dans Les Croix de bois
2. Une représentation de la guerre de tranchée identique
Que ce soit les films américains, français ou russes, tous montrent la guerre de tranchée comme un élément constitutif du particularisme de la Grande guerre. Des premières tranchées creusées rudimentairement dans La fin de Saint Petersbourg ou dans J'accuse à celles plus élaborées dans Charlot soldat de Chaplin en 1918 ou dans Les croix de bois. La description des tranchées est la même: espaces étroits, insalubres, humides. Tous montrent combien l'eau et le froid ont été d'autres ennemis des soldats, Chaplin multipliant d'ingéniosité pour faire rire avec l'eau de pluie s'accumulant au fond des tranchées. C'est bien évidemment aussi la promiscuité, le manque d'hygiène et la prolifération des animaux parasites dont aucun des films ne fait l'économie de la description, des Croix de bois à Charlot soldat. La promiscuité entraîne également le manque d'intimité, notamment lors de la réception des courriers de l'arrière. Ceux-ci semblent d'ailleurs être un élément fondamental du soldat de la Première guerre mondiale, lui donnant une raison de combattre plus grande que celle pour laquelle il est parti. Un des personnages des Croix de bois a beau être montré prêt à monter à l'assaut contre les Allemands sur image de bas relief de l'Arc de Triomphe de Paris, c'est bien parce qu'en fait il reçoit un courrier lui apprenant que son épouse a été capturée par les Allemands qu'il part à "l''abordage" de la tranchée allemande. Globalement, c'est la grande solidarité entre soldats des tranchées qui ressort, contrastant d'ailleurs avec l'autoritarisme ridicule des officiers imposant un protocole et une étiquette de plus en plus en décalage avec ce que vivaient les soldats, comme en témoignent de nombreux extraits.  Dans Les croix de bois, un officier reproche lors d'une inspection de soldats que ceux-ci aient les souliers sales!

Curieusement, et ceci est lui aussi un aspect particulièrement représenté dans les films, plus que les plans sur le matériel puissant mis en oeuvre dans cette guerre - il y a néanmoins des séquences ou des plans sur l'artillerie lourde - c'est bien la proximité de l'ennemi et l'éloignement de l'arrière qui est présenté, comme si les adversaires étaient plus proches entre eux, dans tous les sens du terme, que ceux de leur arrière. Dans un gag hilarant, Charlot reçoit un camembert qui manifestement vient de très loin et qui se transforme en projectile qui atterrit sur le visage d'un sous officier allemand particulièrement caricatural, petit et autoritaire. En un gag, Chaplin illustre bien l'éloignement de l'arrière (le camembert arrive très "fait") et la proximité avec l'ennemi. Cette proximité s'observe d'ailleurs dans les relations que les soldats de tous les camps ont vis à vis des autres. Quand l'assaut est donné par les Français dans un village, les Allemands hissant le drapeau blanc sont traités avec humanité. Dans La grande parade de King Vidor, un soldat américain aide un soldat allemand à mourir. Plus intéressant encore, dans A l'ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, en 1930, les héros du films sont des soldats allemands. Le film renverse la notion même du camp des bons et de celui des méchants. En présentant ces soldats comme ceux jusqu'alors présentés, c'est-à-dire ceux des futurs pays vainqueurs, Milestone démontrait combien ces soldats avaient vécu le même enfer.

Cinématographiquement, cette guerre donne lieu à des représentations classiques de la guerre, l'ouest à gauche de l'écran, l'est à droite, notamment pour des films initialement de propagande comme Charlot soldat ou idéologiquement marqué comme J'accuse! d'Abel Gance. Mais très vite, ce code va exploser pour justement montrer que dans cette guerre, ceux qui combattent ne représentent pas un camp du bien et du mal. Dans Les croix de bois, il est très difficile de savoir d'où viennent les attaques et où sont les différents camps.



Dans A l'ouest rien de nouveau, les Français attaquent bien de gauche à droite, mais à la fin de l'assaut, quand ils débouchent sur la tranchée ennemie, ils arrivent par la droite de l'écran, comme si les Allemands étaient devenus symboliquement les Français. Ce renversement de représentation est d'ailleurs renforcé par des plans sidérants. Le spectateur se retrouve en effet tantôt face à la mitrailleuse allemande, comme les soldats français se faisant tuer "industriellement", puis le plan change radicalement d'angle, mettant le spectateur en lieu et place des soldats allemands devant faire face à l'assaut massif et sauvage des soldats français.

3. La guerre de mouvement
Ce que montre encore les films, ce sont les inventions sans cesse plus puissantes permettant la destruction du camp ennemi. Les armes devenues classiques se multiplient comme les mitrailleuses et les grenades, mais encore les mortiers et longs canons. Mais c'est également l'utilisation d'armes plus redoutables encore. Les gaz envoyés terrifiaient les soldats, autant ceux à qui ils étaient destinés que ceux qui les envoyaient. Cette terreur est montrée dans une attaque des héros de La grande parade, se hâtant de mettre leur masque pour foncer de plus belle dans l'inconnu. Chaplin représenta aussi le masque à gaz lorsque dans l'extrait sus mentionné, il découvre le camembert aux effluves agressives! Son premier réflexe est de mettre son masque, prouvant à quel point les soldats étaient conditionnés pour réagir face à cette arme, même si elle s'avérait bien peu utile face aux gaz moutarde qui avait surtout pour effet de brûler la peau. Ce gag vient aussi pour dédramatiser la guerre pour les spectateurs américains puisqu'il s'agissait au départ d'un film de commande!
Aux armes de plus en plus puissantes vient s'ajouter un équipement de plus en plus complet. Les croix de bois illustrent le passage du béret au casque, montrant combien la guerre allait durer. Mais c'est surtout dans les transports que la guerre allait évoluer, passant du tractage hippomobile que les films Lumière montraient encore avant guerre à l'utilisation de plus en plus massive des camions. Dans un plan très spectaculaire justifiant son titre, King Vidor présente dans La grande parade l'arrivée des troupes américaines dans une colonne vertigineuse de camions sur une longue route.
L'arrivée des Américains, outre l'apport de soldats "frais" s'accompagna de l'utilisation plus massive de véhicules automobiles et surtout de l'aviation, comme le montre aussi cette même séquence. C'est aussi une autre manière de concevoir le ravitaillement des troupes. Tandis que Les croix de bois montrait la difficulté d'apporter la soupe aux hommes du front, King Vidor filme en gros plan un des apports de l'armée américaine. Pas besoin en effet de l'approvisionner puisque chaque soldat disposait de conserves de Corned Beef. Les soldats pouvaient donc avancer sans attendre. Ce même film montre d'ailleurs aussi l'autre apport des Américains avec l'usage des chewing gums dans une séquence très drôle du héros apprenant à en mâcher un à une jeune Française!
Mais c'est bien sûr dans l'apport des chars que la guerre va définitivement devenir une guerre de mouvement. Dans un film soviétique très étrange, des chars allemands menacent un soldat russe (Débris de l'empire, F. Ermler, 1929). C'est un des très rares films montrant, et ce de manière très fugace, cette nouveauté technologique que représentèrent les chars et qui ont amené à sortir des tranchées. Pour compléter la description de cet extrait, le soldat russe court se protéger auprès d'un crucifix monumental. Or le Christ est lui-même protégé d'un masque à gaz. Et il n'empêchera pas le char allemand de détruire la croix!

Cette guerre de mouvement est donc sous plusieurs aspects, celui du mouvement du progrès technologique pour tuer et l'emporter sur l'autre, celui donc du mouvement au sens propre qui grâce à ces avancées technologiques vont amener les troupes à faire bouger les lignes de front, à l'Ouest comme à l'Est. Mais c'est aussi le mouvement au sein des alliances, les USA entrant en guerre auprès de la France et du Royaume -Uni tandis que la Russie tsariste renversée ne tardera pas à se retirer du conflit.

La grande parade: symbole de la puissance américaine
Pour les USA, La grande parade montre dans une séquence introductive combien la puissance économique américaine est croissante et s'appuie sur une industrie de plus en plus performante. La mobilisation de l'effort de guerre américain est montré dans cette séquence déjà évoquée. En 1925, King Vidor montre la séquence de l'enrôlement jeunes Américains qui présente le même enthousiasme patriotique que les films français! Mais par le biais de Charlot soldat, nous pouvons comprendre combien les USA avaient intégré la nécessité de mobiliser l'ensemble de la nation en présentant la guerre dans cet art populaire nouveau mais de plus en plus prisé de la population qu'était le cinéma.
Du côté russe, les films soviétiques se sont chargés de démontrer la culpabilité du régime tsariste puis de la révolution menchevik de février 1917 dans la conduite de la guerre dans le seul intérêt des puissants et des riches. Dans une séquence selon un montage en parallèle, La fin de Saint Petersbourg présente par analogie deux fronts, celui des tranchées, sur lequel meurent des soldats, russes ou allemands, et celui de la bourse, dans lequel les capitalistes s'affrontent pour vendre et acheter les actions des entreprises liées à la guerre. La classe ouvrière meurt, les femmes travaillent dans les usines et réclament du pain. La bourgeoise s'enrichit et profite de la guerre. De manière très efficace, Poudovkine rappelle que les attaques sur le front étaient réglées à la minute près, comme pour l'ouverture et la fermeture de la bourse. Cette proximité de destin des soldats des deux fronts se manifeste encore dans Okraina où le vrai ennemi du soldat russe n'est pas le soldat allemand puisque les deux meurent sur le front, mais le capitaliste qui spécule sur leur mort. Une séquence émouvante décrit des soldats allemands et russes se retrouvant entre les deux lignes de front en se jetant dans les bras des uns et des autres. Ces solidarités de classe sociale viennent conforter les bolcheviks. Dans une propagande classique, La fin de Saint Petersbourg affirme que la révolution menée par Lénine s'est faite avec le soutien de l'armée régulière qui abandonna le pouvoir "bourgeois". Ce même Lénine est montré dans Octobre de Sergei Eisenstein en 1928 en signant les décrets sur la paix et sur la distribution des terres aux paysans. La Russie sortait de la guerre.

Affiche de La fin de Saint Petersbourg
4. Une guerre sans vainqueurs mais des populations traumatisées
Pas de film montrant la fin du conflit, sauf pour La fin de Saint Petersbourg, à ceci près que ce film montre en fait la sortie de la guerre et le début du régime communiste. Tous les films montrent surtout que la guerre laisse des traces indélébiles pour la société, à commencer par les soldats eux-mêmes. A l'ouest rien de nouveau évoque les millions de morts, les traumatismes des soldats à revenir dans un monde civil coupé des réalités horribles du front. Ces vétérans comprennent combien les beaux discours nationalistes et les lauriers qui leur sont décernés sont des leurres. Tandis que les défilés des (sur)vivants se font en pleine guerre devant des villages peuplés de femmes et de vieillards, les réalisateurs montrent d'autres défilés, ceux des morts, que ce soit dans J'accuse! dans lequel la parade militaire sous l'Arc de Triomphe est doublée par un défilé de fantômes dans le ciel au-dessus de ce même arc, ou dans Les croix de bois avec la même symbolique. Les traumatisés sont amputés, d'un ou de plusieurs membres, ont vu mourir leurs amis qu'ils ont parfois utilisés pour se protéger. Ce rapport à la mort ne pouvait que bouleverser ces millions de soldats. Beaucoup ont compris à leur retour que les civils avaient vécu sans eux, profitant de leur absence pour refaire leur vie ou faire de l'argent sur le dos des familles victimes de la guerre. Le "J'accuse" anti-allemand de Gance devient un "J'accuse" la guerre, les fausses motivations pour la faire et tout ceux qui ont profiter de ce conflit. Aux USA, c'est aussi le cas bien que la guerre ait duré moins longtemps. Dans Je suis un évadé de Melvin LeRoy en 1932 qui décrit un vétéran devenu vagabond, celui-ci n'a plus que sa croix de guerre pour fortune. Dans une séquence poignante, le héros tente de la vendre et réalise qu'elle ne vaut plus rien, la caméra s'attardant sur un bocal rempli de ces mêmes croix de guerres. Dans Les fantastiques années 20 en 1939 (seul film ici d'après 1933), Raoul Walsh commence son récit par des séquences de la Première guerre mondiale avec son acteur principal, James Cagney. Celui-ci retourne au pays après la guerre (au passage découvre que la très belle pin-up qui lui écrivait pour lui soutenir le moral était une très jeune fille!) mais réalise que son emploi a été occupé depuis par d'autres qui ne sont pas partis en guerre. Mieux, ceux-ci lui reprochent d'avoir vécu aux frais du contribuables pendant deux ans!
Tous ces traumatismes, ces retours difficiles à la vie civile, ce désenchantement face à ce pourquoi ils étaient partis combattre se retrouvent, malgré les idéologies divergentes des pays de production, dans tous les films.
Il en ressort un pacifisme parfois naïf mais toujours sincère.

L'homme que j'ai tué
Ce conflit a surtout révélé la sauvagerie du conflit mais aussi et surtout sa folie. Dans L'homme que j'ai tué, Ernst Lubitsch présente en 1932 une séquence d'ouverture d'anthologie. L'action se passe en France, le 11 novembre 1919. La commémoration de l'armistice offre des images et des sons aux sens opposés. Alors que la fin des combats est célébrée, tout rappelle la guerre. Ainsi, et entre autres exemples, un prêtre demande à regarder vers l'avenir, mais Lubitsch s'attarde sur un vieillard. Le curé de réclamer d'oublier le passé, mais le vieillard a des médailles de guerre. Lubitsch montre donc qu'en réalité, aucune leçon n'a été tirée du conflit. Seul son héros est meurtri dans l'église et confesse avoir tué un homme, sans raison. Par un fondu, le spectateur se trouve plongé dans une attaque de tranchée et reconnaît le héros français. Il est un soldat. Quoi de plus "naturel" que de tuer pendant la guerre. Mais la différence est là. Tandis que les morts présentés dans les autres films sont des morts anonymes, sans visage, lui a accompagné ce soldat allemand dans la mort, l'aidant à finir d'écrire une lettre à ses parents. Cette séquence est d'une rare intensité et révèle justement la barbarie de cette guerre: le héros réalise qu'il savait lire l'allemand, que ce soldat était tout comme lui musicien et qu'il avait vécu à Paris. Deux hommes de deux nations différentes mais d'une même culture, d'une même civilisation.



Pour conclure cette analyse rapide, le cinéma d'avant 1933 a présenté la guerre sans réels vainqueurs et avec surtout des perdants: les sociétés européennes. De ces films ressortent l'idée du "plus jamais ça". Mais malgré les très nombreux films et livres ayant montré l'atrocité de cette guerre, ils n'ont pu empêcher qu'une autre, plus meurtrière et plus barbare encore n'ait lieu. Une preuve encore que le cinéma ne change rien. Il témoigne de l'état d'une société à un moment donné. Abel Gance allait refaire son J'accuse!  en 1938, un film parlant et cette-fois ci clairement anti-allemand. C'était le même Abel Gance qui filmait les mensonges des discours patriotiques à la fin de son film de 1919. Mais ce n'était plus la même époque, ce n'était plus la même Allemagne...

A bientôt

Lionel Lacour