Bonjour à tous,
depuis des décennies, les pédagogues et enseignants se servent du cinéma - ou de supports audiovisuels - comme documents pédagogiques. Plus les années passent et plus les enseignants qui débutent face aux classes sont des consommateurs de cinéma mais aussi des utilisateurs d'outils numériques permettant le visionnage et l'extraction de fichiers numériques vidéo. Mais surtout, ils ont face à eux des élèves dont l'univers mental est forgé par l'image animée qu'ils voient à chaque instant de leur vie de par la multiplication des écrans à leur disposition, télévision, ordinateur, tablette, smartphone..., et la multiplication des formats, film, série, publicité, clip, vine...
Or si la jeunesse est de plus en plus confrontée à l'audiovisuel, son niveau de lecture de son langage est malgré tout réduit alors même qu'ils peuvent en comprendre intuitivement ses règles.
Le propos de cet article se concentrera essentiellement sur le cinéma, surtout de fiction - mais il pourrait s'étendre à d'autres formes de créations audiovisuelles.
L'Éducation nationale a admis depuis longtemps que le cinéma était une possibilité pédagogique offerte aux enseignants d'autant plus facilement que les moyens technologiques pour visionner des films en classe se sont multipliés et démocratisés. Des vieilles télévisions avec lecteurs VHS aux vidéoprojecteurs HD d'aujourd'hui, les élèves ont pu bénéficier du visionnage de films qu'ils n'auraient peut-être pas vu d'eux-mêmes en salle ou chez eux.
Outre les moyens techniques, c'est aussi la prise en compte de la dimension artistique et culturelle du cinéma par le ministère qui a abouti à l'enseignement du cinéma au sein des classes, de la primaire jusqu'au lycée, avec la création d'options cinéma (en réalité audiovisuel) accompagnant soit la filière littéraire pour l'option obligatoire ou toutes les autres pour l'option facultative.
Enfin, les questions de droit de diffusion ont été en grande partie réglées par l'existence notamment de catalogues de films dont les droits de diffusion en classe sont payés à l'achat même du DVD. De même, l'utilisation d'extraits est possible mais dans un cadre assez contraignant si on le suit à la lettre et surtout déjà obsolète au moment de la création de ce cadre juridique puisqu'il faut que l'extrait montré en classe soit issu d'un enregistrement par voie hertzienne sur un support non permanent donc réenregistrables...
Or, si l'enseignement existe, si les moyens techniques sont aujourd'hui accessibles dans tous les établissements, si les contraintes juridiques quant à la diffusion d'œuvres (partielles ou complètes) sont désormais réduites, il n'en reste pas moins vrai que l'enseignement du cinéma souffre encore d'un manque cruel de formation des enseignants, lié à plusieurs obstacles essentiellement culturels et qui constituent un blocage majeur.
Le cinéma, ce n'est pas sérieux!
Que vaut le cinéma face à un livre? Pas grand chose! Il est inutile d'énumérer le nombre de réflexions que chaque professionnel du cinéma peut entendre sur son métier de la part de la société en général pour comprendre que le cinéma est appréhendé comme un art mineur et que, quelle que soit l'œuvre, elle sera toujours inférieurs à une œuvre littéraire. Ce mépris pour l'image provoque alors une réaction tout aussi délirante de la part de certains critiques ou journalistes qui en viennent à s'exprimer de manière extrêmement élitiste, oubliant justement la spécificité du cinéma, celle d'être un art de masse. Cela aboutit, pour faire "sérieux" à la surévaluation d'œuvres austères et irregardables, surinterprétant parfois les ambitions du réalisateurs, cherchant dans certains longs-métrages la respectabilité qu'offre la littérature.
Peu importe, de toute façon, pour tous en général, le cinéma est perçu comme un art futile sur lequel on ne construit pas une pensée. Et cela se ressent à toutes les échelles de la société, et notamment au sein de l'école. Si un enseignant devait emmener une classe voir Les tontons flingueurs pour évoquer la société française des Trente glorieuse, imaginez ce qui se passerait au moment de la demande d'autorisation de sortie. La majorité des chefs d'établissement viendraient à remettre en cause l'objectif pédagogique et les parents abonderaient dans son sens. En revanche, il ne viendrait à personne l'idée de contester l'étude d'une pièce de Molière pour comprendre la société française sous Louis XIV.
C'est ainsi que pour se donner une consistance pédagogique et culturelle, les enseignants voulant travailler avec le cinéma en classe proposent des films du patrimoine, estampillés par la communauté intellectuelle comme des chefs-d'œuvres incontestables. Ceci explique évidemment la quasi absence de comédie des films vus en classe - sauf celles de Chaplin et de Tati! Mais le cinéma populaire, même de qualité, est quant à lui quasi proscrit des programmations pédagogiques.
Le cinéma, c'est pour les fainéants
"On va voir la télé!" Quel enseignant n'a pas entendu cette phrase magique d'élèves voyant que le cours va donner lieu à une projection de film, confondant l'outil permettant le visionnage avec l'œuvre. À la décharge des élèves, il faut reconnaître que bien des enseignants se sont servis des supports audiovisuels mis à leur disposition sans véritablement y apporter une plus-value pédagogique, se contentant de montrer "une vidéo", parfois au mieux agrémentée d'une fiche pédagogique, y compris quand il s'agit de film de cinéma.
Cette démarche est une négation même de la pédagogie. La vidéo documentaire est exploitée ici comme un substitut de cours. Quant au film, on ne l'utilise que dans son processus narratif et jamais dans sa dimension artistique. Bien sûr, de nombreux enseignants n'adoptent plus ces pratiques. Mais il faut faire l'amer constat que bien des classes subissent la vidéo et n'en comprennent pas l'intérêt, si ce n'est peut-être de ne plus entendre pendant quelques minutes (ou heures?) un enseignant qu'ils n'apprécient peut-être pas!
Parfois, les enseignants proposent de films en classe qu'ils n'ont jamais vu avant. Autant dire que le rôle pédagogique est absent et que la phrase "On va voir la télé" prend tout son sens puisque les élèves comprennent bien que le contenu n'a que peu d'importance pour leur enseignant!
Pourtant, si certains d'entre eux trouvent en effet dans l'usage du support audiovisuel un moyen de réduire leur temps de travail et de préparation, la majorité des professeurs ont conscience de l'intérêt des réalisations audiovisuelles du point de vue pédagogique. Mais ils les utilisent de la mauvaise manière parce qu'ils n'ont pas été initiés et formés réellement à ce que l'audiovisuel propose comme richesse pédagogique. La conséquence est pourtant désastreuse car elle met dans le même sac les vrais paresseux de la pédagogie et ceux qui veulent élargir leur manière d'enseigner sans en avoir les outils pédagogiques adéquats.
Le cinéma, c'est chronophage
Un des arguments, valable, pour la réticence des enseignants de recourir au cinéma est l'aspect chronophage de l'objet cinématographique. Cela repose notamment sur la durée même d'un film de cinéma nécessitant au moins deux séances de cours, sans compter les éventuels déplacements si la projection se fait dans une vraie salle de cinéma puis les temps d'exploitation pédagogique fondamentaux pour justifier le fait d'avoir vu le film. Vu ainsi, cet aspect est bien un frein au recours au 7ème art comme support pédagogique, que ce soit en Littérature, Histoire, Philosophie, et toutes les autres disciplines pouvant recourir au cinéma. Si bien que certains enseignants en arrivent à ne pas exploiter pédagogiquement le film en classe pour gagner du temps.
Le remède s'avère alors pire que le mal puisque les classes ne voient en général pas l'intérêt de cette projection, n'en comprennent pas la portée pédagogique et les enseignants sont alors vu à nouveau comme des paresseux préférant amener leurs élèves voir un film plutôt que de préparer les cours.
Pour un changement radical de la pédagogie par le cinéma!
1. Former tous les enseignants au langage audiovisuel
Il ne s'agit pas de faire des enseignants des futurs réalisateurs ni de les obliger à savoir faire un film. En revanche, être capable de maîtriser à la fois le langage cinématographique mais surtout le sens qu'il donne aux images est d'autant plus indispensable qu'il aura forcément désormais recours à un support audiovisuel à presque chacune de ses séances. Être capable d'expliquer le cadrage, les mouvements de caméras, le montage et le sens que le réalisateur induit de tout cela lui permettra de dominer son document, d'en donner du sens et de transmettre aux élèves une vraie compétence.
2. Décomplexer les enseignants à l'utilisation d'un extrait de film
Comme pour la littérature, il faut qu'un enseignant accepte qu'on puisse utiliser un extrait de film s'il permet de mieux comprendre un fait, une situation historique ou sociale. La seule contrainte est évidemment de respecter le sens de l'œuvre. Les enseignants le font avec des extraits d'œuvres littéraires alors pourquoi ne pas le faire avec des œuvres cinématographiques? Cela implique également une formation dès le début de carrière.
3. Constituer une liste par niveau de classe de quelques films à avoir vu obligatoirement
Comme les établissements conseillent les élèves pour des lecture l'été ou imposent des livres à étudier, avec l'argument que cela permet aussi aux jeunes de se constituer une bibliothèque, il faut que chaque établissement ou que chaque équipe pédagogique propose une liste de films à voir pour chaque niveau de classe, avec quelques objectifs fixés en amont du visionnage. De fait, cela permettrait que les élèves puissent voir d'autres films que ceux qu'ils ont l'habitude de voir. Cela éviterait aussi parfois cette perte de temps pédagogique que constitue le visionnage sur le temps scolaire. Aucun enseignant en Lettres ne fait la lecture intégrale d'un roman en classe. Pourquoi faudrait-il le faire pour le cinéma? L'avantage serait de pouvoir travailler ensuite en classe sur quelques extraits et sur le sens global du film étudié.
4. Se méfier de tout intellectualisme
Comme il a été dit plus haut, le cinéma est d'abord un art de masse. Cela signifie qu'il doit être compris par tous. En d'autres termes, quelque soit la qualité du film, le langage utilisé est le même, que ce soit une œuvre de Ingmar Bergman ou de Luc Besson. L'enseignement par le cinéma ne doit pas asséner aux élèves qu'ils ne font pas partie de l'élite en leur proposant des films difficiles d'emblée. Commencer par L'homme à la caméra de Dziga Vertov s'avérerait improductif. Cela implique donc de proposer des films pouvant être grand public tout en étant à haute valeur qualitative. C'est par l'enseignement du cinéma et par le cinéma que les élèves aiguiseront leur esprit critique qui pourra progressivement s'affirmer et accepter des œuvres plus complexes.
5. Développer la transdisciplinarité par l'usage du cinéma
À l'heure où cette expression est devenue institutionnelle, le cinéma est véritablement une porte d'entrée pour que les disciplines se croisent et apportent un regard pertinent et différencié sur chaque œuvre. Ainsi, un film de John Ford peut être étudié en Histoire, en Géographie, en Philosophie, en Anglais mais aussi en Art plastique pour l'aspect formel ou en économie pour évoquer la production et l'exploitation du film. D'autres films pourraient être analysés par des professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre, de Sciences Physiques... Cette lecture multidisciplinaire permet d'avoir une efficacité du recours au cinéma comme support pédagogique tout en apportant la preuve qu'une œuvre artistique est aussi le témoignage de son temps par ce qu'il implique tant par les sujets qu'elle aborde que par les moyens techniques et financiers mis en œuvre pour que le film puisse être conçu et distribué.
6. Valoriser les élèves par l'usage du cinéma en classe
L'écrit est fondamental comprendre le monde. Mais il est de plus en plus discriminant socialement car le livre est devenu un objet repoussoir pour bien des familles. Avec l'usage du cinéma comme source pédagogique et non comme illustration ou solution de facilité pédagogique, les enseignants donneront aux élèves les moyens de mieux comprendre les productions audiovisuelles qui les entourent grâce aux clés de lecture et de décryptage qu'ils leurs fourniront en classe. Le langage cinématographique a ceci de commun avec une langue maternelle qu'il est en fait compris sans pour autant connaître ses règles. En posant des mots sur les cadrages, déplacements de caméra et autres types de montage, l'élève réalisera qu'il comprendra tout ce qui lui est dit. À la différence d'une langue étrangère qu'il n'entend plus une fois sorti du cours, son apprentissage du langage cinématographique se poursuivra du fait de son immersion permanente dans le monde de l'audiovisuel lui permettant d'activer sans cesse ce vocabulaire cinématographique. Valorisé, l'élève sera alors plus à même de comprendre l'intérêt d'une règle de langage, d'un mot pour désigner tel ou tel effet. Une contre-plongée n'est pas une plongée. La rigueur simple du vocabulaire cinématographique permet ensuite de mieux faire accepter la rigueur de tout autre langage, linguistique, mathématique, informatique ou autre, tout en offrant des passerelles faciles pour mieux se faire comprendre.
Le monde de l'image nous submerge, avec des productions qualitatives très variées que les populations les plus jeunes hiérarchisent de manière intuitive, pas forcément selon des critères qualitatifs classiques. De formats extrêmement courts (les "vines" de quelques secondes) aux longs métrages en passant par les publicités aux séries s'étalant sur plusieurs années, les images animées ont envahi l'univers de chacun, laissant de moins en moins de place à l'écrit, pourtant toujours fondamental puisqu'il est encore l'élément permettant de faire la différence socialement entre les individus. Ne pas donner aux plus jeunes les moyens de comprendre le langage audiovisuel qui les entoure, c'est ne pas prendre en compte les enjeux de notre jeunesse, c'est les laisser être les proies de ceux qui maîtrisent justement ce langage, c'est ne pas leur permettre d'accéder ensuite à l'écrit et donc, c'est empêcher l'ascension sociale puisque seuls les enfants des familles lettrées pourront comprendre tous les langages qui existent, des plus simples aux plus élaborés.
Puissent notre ministère de l'Education Nationale mais aussi nos élites politiques comprendre l'intérêt de cet apprentissage dès les classes de primaire et cesser de ne voir l'enseignement du / par le cinéma que comme un enseignement folklorique pour amuser nos enfants. Il est devenu un enseignement fondamental car il est devenu pour beaucoup la passerelle entre le langage commun et celui devenu le langage des élites: l'écrit.
N'hésitez pas à partager cet article voire à le commenter!
À très bientôt
Lionel Lacour
depuis des décennies, les pédagogues et enseignants se servent du cinéma - ou de supports audiovisuels - comme documents pédagogiques. Plus les années passent et plus les enseignants qui débutent face aux classes sont des consommateurs de cinéma mais aussi des utilisateurs d'outils numériques permettant le visionnage et l'extraction de fichiers numériques vidéo. Mais surtout, ils ont face à eux des élèves dont l'univers mental est forgé par l'image animée qu'ils voient à chaque instant de leur vie de par la multiplication des écrans à leur disposition, télévision, ordinateur, tablette, smartphone..., et la multiplication des formats, film, série, publicité, clip, vine...
Or si la jeunesse est de plus en plus confrontée à l'audiovisuel, son niveau de lecture de son langage est malgré tout réduit alors même qu'ils peuvent en comprendre intuitivement ses règles.
Le propos de cet article se concentrera essentiellement sur le cinéma, surtout de fiction - mais il pourrait s'étendre à d'autres formes de créations audiovisuelles.
L'Éducation nationale a admis depuis longtemps que le cinéma était une possibilité pédagogique offerte aux enseignants d'autant plus facilement que les moyens technologiques pour visionner des films en classe se sont multipliés et démocratisés. Des vieilles télévisions avec lecteurs VHS aux vidéoprojecteurs HD d'aujourd'hui, les élèves ont pu bénéficier du visionnage de films qu'ils n'auraient peut-être pas vu d'eux-mêmes en salle ou chez eux.
Outre les moyens techniques, c'est aussi la prise en compte de la dimension artistique et culturelle du cinéma par le ministère qui a abouti à l'enseignement du cinéma au sein des classes, de la primaire jusqu'au lycée, avec la création d'options cinéma (en réalité audiovisuel) accompagnant soit la filière littéraire pour l'option obligatoire ou toutes les autres pour l'option facultative.
Enfin, les questions de droit de diffusion ont été en grande partie réglées par l'existence notamment de catalogues de films dont les droits de diffusion en classe sont payés à l'achat même du DVD. De même, l'utilisation d'extraits est possible mais dans un cadre assez contraignant si on le suit à la lettre et surtout déjà obsolète au moment de la création de ce cadre juridique puisqu'il faut que l'extrait montré en classe soit issu d'un enregistrement par voie hertzienne sur un support non permanent donc réenregistrables...
Or, si l'enseignement existe, si les moyens techniques sont aujourd'hui accessibles dans tous les établissements, si les contraintes juridiques quant à la diffusion d'œuvres (partielles ou complètes) sont désormais réduites, il n'en reste pas moins vrai que l'enseignement du cinéma souffre encore d'un manque cruel de formation des enseignants, lié à plusieurs obstacles essentiellement culturels et qui constituent un blocage majeur.
Le cinéma, ce n'est pas sérieux!
Que vaut le cinéma face à un livre? Pas grand chose! Il est inutile d'énumérer le nombre de réflexions que chaque professionnel du cinéma peut entendre sur son métier de la part de la société en général pour comprendre que le cinéma est appréhendé comme un art mineur et que, quelle que soit l'œuvre, elle sera toujours inférieurs à une œuvre littéraire. Ce mépris pour l'image provoque alors une réaction tout aussi délirante de la part de certains critiques ou journalistes qui en viennent à s'exprimer de manière extrêmement élitiste, oubliant justement la spécificité du cinéma, celle d'être un art de masse. Cela aboutit, pour faire "sérieux" à la surévaluation d'œuvres austères et irregardables, surinterprétant parfois les ambitions du réalisateurs, cherchant dans certains longs-métrages la respectabilité qu'offre la littérature.
Peu importe, de toute façon, pour tous en général, le cinéma est perçu comme un art futile sur lequel on ne construit pas une pensée. Et cela se ressent à toutes les échelles de la société, et notamment au sein de l'école. Si un enseignant devait emmener une classe voir Les tontons flingueurs pour évoquer la société française des Trente glorieuse, imaginez ce qui se passerait au moment de la demande d'autorisation de sortie. La majorité des chefs d'établissement viendraient à remettre en cause l'objectif pédagogique et les parents abonderaient dans son sens. En revanche, il ne viendrait à personne l'idée de contester l'étude d'une pièce de Molière pour comprendre la société française sous Louis XIV.
C'est ainsi que pour se donner une consistance pédagogique et culturelle, les enseignants voulant travailler avec le cinéma en classe proposent des films du patrimoine, estampillés par la communauté intellectuelle comme des chefs-d'œuvres incontestables. Ceci explique évidemment la quasi absence de comédie des films vus en classe - sauf celles de Chaplin et de Tati! Mais le cinéma populaire, même de qualité, est quant à lui quasi proscrit des programmations pédagogiques.
Le cinéma, c'est pour les fainéants
"On va voir la télé!" Quel enseignant n'a pas entendu cette phrase magique d'élèves voyant que le cours va donner lieu à une projection de film, confondant l'outil permettant le visionnage avec l'œuvre. À la décharge des élèves, il faut reconnaître que bien des enseignants se sont servis des supports audiovisuels mis à leur disposition sans véritablement y apporter une plus-value pédagogique, se contentant de montrer "une vidéo", parfois au mieux agrémentée d'une fiche pédagogique, y compris quand il s'agit de film de cinéma.
Cette démarche est une négation même de la pédagogie. La vidéo documentaire est exploitée ici comme un substitut de cours. Quant au film, on ne l'utilise que dans son processus narratif et jamais dans sa dimension artistique. Bien sûr, de nombreux enseignants n'adoptent plus ces pratiques. Mais il faut faire l'amer constat que bien des classes subissent la vidéo et n'en comprennent pas l'intérêt, si ce n'est peut-être de ne plus entendre pendant quelques minutes (ou heures?) un enseignant qu'ils n'apprécient peut-être pas!
Parfois, les enseignants proposent de films en classe qu'ils n'ont jamais vu avant. Autant dire que le rôle pédagogique est absent et que la phrase "On va voir la télé" prend tout son sens puisque les élèves comprennent bien que le contenu n'a que peu d'importance pour leur enseignant!
Pourtant, si certains d'entre eux trouvent en effet dans l'usage du support audiovisuel un moyen de réduire leur temps de travail et de préparation, la majorité des professeurs ont conscience de l'intérêt des réalisations audiovisuelles du point de vue pédagogique. Mais ils les utilisent de la mauvaise manière parce qu'ils n'ont pas été initiés et formés réellement à ce que l'audiovisuel propose comme richesse pédagogique. La conséquence est pourtant désastreuse car elle met dans le même sac les vrais paresseux de la pédagogie et ceux qui veulent élargir leur manière d'enseigner sans en avoir les outils pédagogiques adéquats.
Le cinéma, c'est chronophage
Un des arguments, valable, pour la réticence des enseignants de recourir au cinéma est l'aspect chronophage de l'objet cinématographique. Cela repose notamment sur la durée même d'un film de cinéma nécessitant au moins deux séances de cours, sans compter les éventuels déplacements si la projection se fait dans une vraie salle de cinéma puis les temps d'exploitation pédagogique fondamentaux pour justifier le fait d'avoir vu le film. Vu ainsi, cet aspect est bien un frein au recours au 7ème art comme support pédagogique, que ce soit en Littérature, Histoire, Philosophie, et toutes les autres disciplines pouvant recourir au cinéma. Si bien que certains enseignants en arrivent à ne pas exploiter pédagogiquement le film en classe pour gagner du temps.
Le remède s'avère alors pire que le mal puisque les classes ne voient en général pas l'intérêt de cette projection, n'en comprennent pas la portée pédagogique et les enseignants sont alors vu à nouveau comme des paresseux préférant amener leurs élèves voir un film plutôt que de préparer les cours.
Pour un changement radical de la pédagogie par le cinéma!
1. Former tous les enseignants au langage audiovisuel
Il ne s'agit pas de faire des enseignants des futurs réalisateurs ni de les obliger à savoir faire un film. En revanche, être capable de maîtriser à la fois le langage cinématographique mais surtout le sens qu'il donne aux images est d'autant plus indispensable qu'il aura forcément désormais recours à un support audiovisuel à presque chacune de ses séances. Être capable d'expliquer le cadrage, les mouvements de caméras, le montage et le sens que le réalisateur induit de tout cela lui permettra de dominer son document, d'en donner du sens et de transmettre aux élèves une vraie compétence.
2. Décomplexer les enseignants à l'utilisation d'un extrait de film
Comme pour la littérature, il faut qu'un enseignant accepte qu'on puisse utiliser un extrait de film s'il permet de mieux comprendre un fait, une situation historique ou sociale. La seule contrainte est évidemment de respecter le sens de l'œuvre. Les enseignants le font avec des extraits d'œuvres littéraires alors pourquoi ne pas le faire avec des œuvres cinématographiques? Cela implique également une formation dès le début de carrière.
3. Constituer une liste par niveau de classe de quelques films à avoir vu obligatoirement
Comme les établissements conseillent les élèves pour des lecture l'été ou imposent des livres à étudier, avec l'argument que cela permet aussi aux jeunes de se constituer une bibliothèque, il faut que chaque établissement ou que chaque équipe pédagogique propose une liste de films à voir pour chaque niveau de classe, avec quelques objectifs fixés en amont du visionnage. De fait, cela permettrait que les élèves puissent voir d'autres films que ceux qu'ils ont l'habitude de voir. Cela éviterait aussi parfois cette perte de temps pédagogique que constitue le visionnage sur le temps scolaire. Aucun enseignant en Lettres ne fait la lecture intégrale d'un roman en classe. Pourquoi faudrait-il le faire pour le cinéma? L'avantage serait de pouvoir travailler ensuite en classe sur quelques extraits et sur le sens global du film étudié.
4. Se méfier de tout intellectualisme
Comme il a été dit plus haut, le cinéma est d'abord un art de masse. Cela signifie qu'il doit être compris par tous. En d'autres termes, quelque soit la qualité du film, le langage utilisé est le même, que ce soit une œuvre de Ingmar Bergman ou de Luc Besson. L'enseignement par le cinéma ne doit pas asséner aux élèves qu'ils ne font pas partie de l'élite en leur proposant des films difficiles d'emblée. Commencer par L'homme à la caméra de Dziga Vertov s'avérerait improductif. Cela implique donc de proposer des films pouvant être grand public tout en étant à haute valeur qualitative. C'est par l'enseignement du cinéma et par le cinéma que les élèves aiguiseront leur esprit critique qui pourra progressivement s'affirmer et accepter des œuvres plus complexes.
5. Développer la transdisciplinarité par l'usage du cinéma
À l'heure où cette expression est devenue institutionnelle, le cinéma est véritablement une porte d'entrée pour que les disciplines se croisent et apportent un regard pertinent et différencié sur chaque œuvre. Ainsi, un film de John Ford peut être étudié en Histoire, en Géographie, en Philosophie, en Anglais mais aussi en Art plastique pour l'aspect formel ou en économie pour évoquer la production et l'exploitation du film. D'autres films pourraient être analysés par des professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre, de Sciences Physiques... Cette lecture multidisciplinaire permet d'avoir une efficacité du recours au cinéma comme support pédagogique tout en apportant la preuve qu'une œuvre artistique est aussi le témoignage de son temps par ce qu'il implique tant par les sujets qu'elle aborde que par les moyens techniques et financiers mis en œuvre pour que le film puisse être conçu et distribué.
6. Valoriser les élèves par l'usage du cinéma en classe
L'écrit est fondamental comprendre le monde. Mais il est de plus en plus discriminant socialement car le livre est devenu un objet repoussoir pour bien des familles. Avec l'usage du cinéma comme source pédagogique et non comme illustration ou solution de facilité pédagogique, les enseignants donneront aux élèves les moyens de mieux comprendre les productions audiovisuelles qui les entourent grâce aux clés de lecture et de décryptage qu'ils leurs fourniront en classe. Le langage cinématographique a ceci de commun avec une langue maternelle qu'il est en fait compris sans pour autant connaître ses règles. En posant des mots sur les cadrages, déplacements de caméra et autres types de montage, l'élève réalisera qu'il comprendra tout ce qui lui est dit. À la différence d'une langue étrangère qu'il n'entend plus une fois sorti du cours, son apprentissage du langage cinématographique se poursuivra du fait de son immersion permanente dans le monde de l'audiovisuel lui permettant d'activer sans cesse ce vocabulaire cinématographique. Valorisé, l'élève sera alors plus à même de comprendre l'intérêt d'une règle de langage, d'un mot pour désigner tel ou tel effet. Une contre-plongée n'est pas une plongée. La rigueur simple du vocabulaire cinématographique permet ensuite de mieux faire accepter la rigueur de tout autre langage, linguistique, mathématique, informatique ou autre, tout en offrant des passerelles faciles pour mieux se faire comprendre.
Le monde de l'image nous submerge, avec des productions qualitatives très variées que les populations les plus jeunes hiérarchisent de manière intuitive, pas forcément selon des critères qualitatifs classiques. De formats extrêmement courts (les "vines" de quelques secondes) aux longs métrages en passant par les publicités aux séries s'étalant sur plusieurs années, les images animées ont envahi l'univers de chacun, laissant de moins en moins de place à l'écrit, pourtant toujours fondamental puisqu'il est encore l'élément permettant de faire la différence socialement entre les individus. Ne pas donner aux plus jeunes les moyens de comprendre le langage audiovisuel qui les entoure, c'est ne pas prendre en compte les enjeux de notre jeunesse, c'est les laisser être les proies de ceux qui maîtrisent justement ce langage, c'est ne pas leur permettre d'accéder ensuite à l'écrit et donc, c'est empêcher l'ascension sociale puisque seuls les enfants des familles lettrées pourront comprendre tous les langages qui existent, des plus simples aux plus élaborés.
Puissent notre ministère de l'Education Nationale mais aussi nos élites politiques comprendre l'intérêt de cet apprentissage dès les classes de primaire et cesser de ne voir l'enseignement du / par le cinéma que comme un enseignement folklorique pour amuser nos enfants. Il est devenu un enseignement fondamental car il est devenu pour beaucoup la passerelle entre le langage commun et celui devenu le langage des élites: l'écrit.
N'hésitez pas à partager cet article voire à le commenter!
À très bientôt
Lionel Lacour
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