Le 18 mars 2013, Didier Migaud ouvrait les 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma par une conférence sur "la faillite de l'État au cinéma". Il n'est pas question ici de revenir sur ses propos mais bien de présenter ce sur quoi le Premier Président de la Cour des Comptes avait préparé son intervention, répondant notamment aux questions de Jean-Jacques Bernard et aux miennes (la conférence devrait bientôt être en ligne sur le site www.droit-justice-cinema.fr).
Le
cinéma a assez rarement évoqué les faillites à l’échelle de l’Etat, montrant
soit le rôle des hommes et du système, soit un changement d’échelle avec la
représentation de la faillite d’une ville. Le récit même de la faillite est
d’ailleurs assez difficile à filmer en soi sinon par le documentaire. De fait,
le cinéma peut alors présenter les conséquences plus locales et les réponses à
la faillite par les solutions trouvées pour y faire face, légales ou non!
L’objectif
de cette conférence est donc de montrer les représentations des faillites (ou
mauvaise gestion) des États et des conséquences, quels que soient les genres
utilisés ou les objectifs visés par les réalisateurs. Cela implique donc la nécessité de définir la notion de faillite d’un Etat et de ses
conséquences :si
l’Etat peut être en faillite, cela n’implique pas forcément la pauvreté des
dirigeants, au contraire. C’est cette distorsion entre aisance des dirigeants
et misère de l’Etat, donc de la population, qui crée alors des désordres
violents.
Les différents films utilisés sont d'origines diverses, de pays et de périodes très différentes, avec des approches esthétiques et des publics cibles eux aussi très variés, permettant de comprendre que ce thème fut abordé de toutes les manières possibles. Ces films évoqueront la notion d'État au sens large, pouvant se réduire à celle de collectivité territoriale pour plus de lisibilité pour les spectateurs. Mais dans le fond, cela ne change rien.
Les sept mercenaires (John STURGES, 1960) permettent, aussi étrange que cela puisse paraître, d'introduire cette conférence. En effet, un
village mexicain est ruiné régulièrement par le pillage du bandit Calvera (interprété par Elie Wallach). La
faillite est donc due à un élément extérieur (ennemi) mais aussi à la non réaction
des habitants du village par acceptation tacite de la population de cette
« taxation » de fait qui ne profite qu’à quelques uns.
Nous avons affaire ici à un ÉTAT
IMAGINAIRE car :
- il y a une absence d’organisation hiérarchique dans le village au contraire de la bande de
Calvera.
- de fait, la bande de Calvera représente cette autorité hiérarchique qui ne vit
pas dans le village mais par le travail du village.
L'extrait utilisé est celui de la découverte par Calvera que le village a décidé d'embaucher des hommes pour les défendre de lui et de ses hommes.
L’extrait montre les symptômes
d’un État en faillite :
-
prélèvements fiscaux sur le peuple qui travaille pour le confort d’une classe
privilégiée et oisive ou montrée comme telle.
-
violence des prélèvements et ruine du peuple
-
justification de celui qui opère les prélèvements: c'est pour nourrir ses hommes qui sonon auraient faim
-
magnanimité vis-à-vis du peuple qui est laissé en survie
L’extrait montre aussi les conséquences possibles
-
réaction violente du peuple contre les oppresseurs
-
revendications égalitaires : ceux qui veulent vivre des produits du
village n’ont qu’à travailler comme les autres (mot d’un des
« mercenaires »)
-
mais aussi risque du recours à des « sauveurs » aux mêmes valeurs que
les oppresseurs puisqu'ils savent aussi faire parler leurs armes et recourir donc à la violence.
- Filmer la faillite de l’État : le recours à l’Histoire ou à la littérature
Excalibur (John BOORMAN, 1981)
Le mythe arthurien montre comment la quête du Graal menée par les chevaliers
pour leur souverain entraîne la ruine du royaume, la misère de la population et
sa colère envers ses élites. La séquence présentée correspondait au retour du Chevalier Perceval ayant échoué dans sa conquête du Graal.
L'intérêt esthétique dans la représentation de la faillite dans ce film tient évidemment par la
représentation d'un paysage de désolation, jouant sur des couleurs verdâtre et sombre mêlées à la pluie, le tout accentué par une musique triste et grave et des gémissements permanents et lancinants.
représentation d'un paysage de désolation, jouant sur des couleurs verdâtre et sombre mêlées à la pluie, le tout accentué par une musique triste et grave et des gémissements permanents et lancinants.
misère du peuple. Cette représentation s'accompagne de la dénonciation des élites qui conduisent le peuple à la misère pour des
considérations futiles et qui ne concernent ici que le Roi (quête du
Graal !) et dont le peuple ne peut concevoir l'intérêt au regard de leurs conditions de vie.
Dans La Révolution française - Les années lumière (Robert ENRICO, 1989), une séquence montre la reine Marie Antoinette jouer de l'argent au milieu des différents aristocrates et confondre ses dettes personnelles avec celles de l’État, assurée qu'elles seront payées par son mari le Roi. Necker prévient quant à lui Louis XVI dans la séquence suivante des dettes colossales accumulées par le royaume. L'action se passe en 1788. Deux solutions sont alors proposées pour faire face à la faillite qui menace: dénoncer les dettes auprès des
La reine Marie Antoinette et son inconséquence! |
Dans La Révolution française - Les années lumière (Robert ENRICO, 1989), une séquence montre la reine Marie Antoinette jouer de l'argent au milieu des différents aristocrates et confondre ses dettes personnelles avec celles de l’État, assurée qu'elles seront payées par son mari le Roi. Necker prévient quant à lui Louis XVI dans la séquence suivante des dettes colossales accumulées par le royaume. L'action se passe en 1788. Deux solutions sont alors proposées pour faire face à la faillite qui menace: dénoncer les dettes auprès des
Ces deux extraits, montés l'un après l'autre par le réalisateur offrent une double
représentation de la faillite :
- une reine qui ne comprend pas la situation économique du pays et qui continue à
dépenser, entraînant une réaction émotionnelle du spectateur face à une attitude si désinvolte et irresponsable.
Necker présente les comptes au roi Louis XVI |
De fait, la faillite qui est présentée ici relève de la sclérose d'un système étatique reposant sur une gestion archaïque des finances publiques.
Ce film avait un aspect de cinéma officiel lié au bicentenaire de la Révolution française. Sa présentation de la situation du Royaume de France avec 1789 pouvait pécher par excès de pédagogie et même d'idéologie.
Plus étonnant, est le cinéma qui s'adresse à un public qui ne recherche pas un spectacle politique ou historique et qui peut être cependant confronté à des représentations de la faillite d'un État selon les mêmes caractéristiques que pour des films didactiques. Ainsi, Le roi Lion (Roger ALLERS – Rob
MINKOFF, 1994)
transposition
en film d’animation de l’œuvre de Shakespeare – Hamlet – décrit comment un royaume florissant est transformé en
monde des ténèbres par un régicide tyrannique. L'intérêtest alors évidant. Les réalisateurs proposent une représentation noire d’un Etat en faillite. De la verdure initiale, il ne reste que des couleurs noires et grises. La luxuriance végétale est remplacée par des ronces et des mauvaises herbes. Et si le recul de la production touche aussi ceux qui dirigent l’Etat, le spectateur comprend très vite que ce ne sont pourtant pas les plus à plaindre. La non représentation des sujets de Scar, lion tyrannique et régicide, témoigne du sort qui leur est réservé et du peu de cas que leur roi fait d'eux. Ainsi, cette dictature est montrée comme liberticide et cause de la faillite, faisant fuir tous ceux qui dans le royaume pourraient lui permettre de sortir de cette situation. Ici le bétail. Cette vision de la faillite d’un Etat donnée aux enfants est donc très graphique, mais, à y regarder de plus près, n'est pas si éloignée de celle d'Excalibur ou des images des reportages télévisés!
En plongeant les spectateurs, jeunes ou adultes, dans des représentations du passé, puisées dans l'Histoire ou dans la littérature, en esthétisant extrêmement l'image de la faillite, les réalisateurs interprètent par l'image le sens même de la faillite. Ils en donnent les raisons et les conséquences immédiates. Ils montrent surtout l'urgence dans laquelle se trouvent les Etats, et dans ces trois exemples, des Royaumes.
D'autres genres cinématographiques ont pourtant évoqué la faillite de l'Etat, présentant d'autres aspects, d'autres angoisses, d'autres conséquences, d'autres origines.
S'il est un genre cinématographique qui a montré la faillite de l'État, c'est bien celui de l'anticipation. À ceci près que la faillite est montrée sous l'angle de ses conséquences. Ainsi Soleil vert (Richard FLEISCHER, 1973)
montre le monde au début du XXIème siècle
souffrant de sur-population, de chômage massif et de raréfaction des ressources
naturelles (énergie, produits de l’agriculture). La faillite économique se
manifeste par une non gestion globale de ces différentes ressources et par le chaos, notamment urbain que cela entraîne.
Cet État est en faillite car il est incapable d’assurer la sécurité alimentaire de sa population, car il recourt à la police aux agissements répressifs et brutaux pour disperser une foule ne réclamant qu'à acheter de la nourriture de base. Visuellement, les dégageuses, machines ressemblant à des engins de travaux publics, montrent la violence d'un État devenu incapable de résoudre humainement ces situations.Esthétiquement, les couleurs verdâtre et ocre créent une ambiance de pollution forte, signe de mauvaise gestion environnementale et dont le spectateur perçoit les conséquences d'un mauvais développement économique.
Si Soleil vert était ouvertement un film ancré dans une réflexion idéologique du début des années 1970 remettant en cause la course au développement industriel, Retour vers le futur 2 (Robert ZEMECKIS, 1989) se positionnait lui clairement comme un film de divertissement et de science fiction amusante. Le jeune héros, Marty Mc Fly, voyage dans le temps avec Doc jusqu’à ce qu’il revienne à son époque, découvrant alors que tout a changé : plus d’école, police inefficace, disparition de la justice plongeant la population dans le chaos, tandis que la ville semble désormais appartenir à un milliardaire. En retournant à son époque, le spectateur oublie la machine qui lui a permis de remonter le temps et le film devient alors film d'anticipation. Dès lors, c'est bien un État en faillite qui est présenté, faillite se manifestant par l’abandon de ses missions régaliennes, que ce soient le police ou la justice dont le palais a été remplacé par un casino! Même l'école n'existe plus après avoir été brûlée depuis des années. Ce recul de ce qui devraient être administré par l'autorité politique coïncide à la prise de pouvoir effective d'une puissance financière. A l'intérêt public s'est substitué un intérêt privé, particulier. Si les mêmes valeurs sont proclamées, "dieu protège...", si la population se réfère à celui qui détient la puissance économique, ce n'est que pour ressembler à ce modèle qui repose sur un enrichissement individuel. La notion même de l'État semble avoir disparu et cette représentation cinématographique mêlant la comédie au réalisme de la situation n'en est pas moins effrayante. Derrière l'humour, le réalisateur, américain, n'hésite pas à montrer ce que pourrait être un pays sans État qui assumerait ses charges fondamentales: défendre l'individu dans l'intérêt collectif de la société pour éviter que le pouvoir n'appartienne de fait à un seul homme. En 1989, le recul de l'État était une véritable proclamation de foi de la part des Républicains, de Reagan à George Bush senior. Zemeckis en rappelait les conséquences néfastes.
Et c'est également la crainte d'un pouvoir transféré aux puissances financières qui inspire le film Time out (Andrew NICCOL, 2011). Dans un futur où le temps est devenue la monnaie en vigueur et est distribuée de manière très inégalitaire, deux héros décident de voler ce temps aux banques pour le distribuer aux plus nécessiteux, provoquant une faillite systémique du pays. Dans ce film, l'État et ses rouages semblent définitivement absent. Si une police semble exister, elle apparaît comme étant un attribut de la défense des intérêts de la Banque, même si certains de ses membres témoignent d'une certaine indépendance vis-à-vis de celle-ci. Quand la monnaie (le temps) est volé, cela cause une faillite dont la propagation s'observe sur une carte se situant justement dans la Banque. Les autorités politiques sont totalement absentes et seule l'entreprise financière apparaît concernée par ce qui arrive. De fait, les seules autorités évoquées, les gardiens du temps, sont dépassées et inefficaces. La faillite de l'État provient donc de la faillite du système puisque le pouvoir est manifestement détenu par les banques. Attaquer les banques, c’est causer la faillite de l’ensemble, donc d'un État qui n'existe plus que pour le bon fonctionnement d'un organe financier. Les voleurs jouent alors un rôle «positif » car ils distribuent le temps au peuple. La faillite de l’Etat n’est finalement ici que la conséquence d’un pouvoir entièrement transféré au système bancaire et qui verrait ses caisses se vider… Toute ressemblance avec des événements récents ou actuels étant évidemment que pure coïncidence puisqu'il s'agit d'un film évoquant le futur!
3. Cinéma et dénonciation idéologique de la faillite de l’État
Cet État est en faillite car il est incapable d’assurer la sécurité alimentaire de sa population, car il recourt à la police aux agissements répressifs et brutaux pour disperser une foule ne réclamant qu'à acheter de la nourriture de base. Visuellement, les dégageuses, machines ressemblant à des engins de travaux publics, montrent la violence d'un État devenu incapable de résoudre humainement ces situations.Esthétiquement, les couleurs verdâtre et ocre créent une ambiance de pollution forte, signe de mauvaise gestion environnementale et dont le spectateur perçoit les conséquences d'un mauvais développement économique.
Si Soleil vert était ouvertement un film ancré dans une réflexion idéologique du début des années 1970 remettant en cause la course au développement industriel, Retour vers le futur 2 (Robert ZEMECKIS, 1989) se positionnait lui clairement comme un film de divertissement et de science fiction amusante. Le jeune héros, Marty Mc Fly, voyage dans le temps avec Doc jusqu’à ce qu’il revienne à son époque, découvrant alors que tout a changé : plus d’école, police inefficace, disparition de la justice plongeant la population dans le chaos, tandis que la ville semble désormais appartenir à un milliardaire. En retournant à son époque, le spectateur oublie la machine qui lui a permis de remonter le temps et le film devient alors film d'anticipation. Dès lors, c'est bien un État en faillite qui est présenté, faillite se manifestant par l’abandon de ses missions régaliennes, que ce soient le police ou la justice dont le palais a été remplacé par un casino! Même l'école n'existe plus après avoir été brûlée depuis des années. Ce recul de ce qui devraient être administré par l'autorité politique coïncide à la prise de pouvoir effective d'une puissance financière. A l'intérêt public s'est substitué un intérêt privé, particulier. Si les mêmes valeurs sont proclamées, "dieu protège...", si la population se réfère à celui qui détient la puissance économique, ce n'est que pour ressembler à ce modèle qui repose sur un enrichissement individuel. La notion même de l'État semble avoir disparu et cette représentation cinématographique mêlant la comédie au réalisme de la situation n'en est pas moins effrayante. Derrière l'humour, le réalisateur, américain, n'hésite pas à montrer ce que pourrait être un pays sans État qui assumerait ses charges fondamentales: défendre l'individu dans l'intérêt collectif de la société pour éviter que le pouvoir n'appartienne de fait à un seul homme. En 1989, le recul de l'État était une véritable proclamation de foi de la part des Républicains, de Reagan à George Bush senior. Zemeckis en rappelait les conséquences néfastes.
Et c'est également la crainte d'un pouvoir transféré aux puissances financières qui inspire le film Time out (Andrew NICCOL, 2011). Dans un futur où le temps est devenue la monnaie en vigueur et est distribuée de manière très inégalitaire, deux héros décident de voler ce temps aux banques pour le distribuer aux plus nécessiteux, provoquant une faillite systémique du pays. Dans ce film, l'État et ses rouages semblent définitivement absent. Si une police semble exister, elle apparaît comme étant un attribut de la défense des intérêts de la Banque, même si certains de ses membres témoignent d'une certaine indépendance vis-à-vis de celle-ci. Quand la monnaie (le temps) est volé, cela cause une faillite dont la propagation s'observe sur une carte se situant justement dans la Banque. Les autorités politiques sont totalement absentes et seule l'entreprise financière apparaît concernée par ce qui arrive. De fait, les seules autorités évoquées, les gardiens du temps, sont dépassées et inefficaces. La faillite de l'État provient donc de la faillite du système puisque le pouvoir est manifestement détenu par les banques. Attaquer les banques, c’est causer la faillite de l’ensemble, donc d'un État qui n'existe plus que pour le bon fonctionnement d'un organe financier. Les voleurs jouent alors un rôle «positif » car ils distribuent le temps au peuple. La faillite de l’Etat n’est finalement ici que la conséquence d’un pouvoir entièrement transféré au système bancaire et qui verrait ses caisses se vider… Toute ressemblance avec des événements récents ou actuels étant évidemment que pure coïncidence puisqu'il s'agit d'un film évoquant le futur!
3. Cinéma et dénonciation idéologique de la faillite de l’État
Pourtant, de nombreux films ont évoqué eux la faillite passée de l'État, le plus souvent pour en dénoncer les pouvoirs en place. Dans La fin de Saint
Petersbourg (Vlesovod POUDOVKINE, 1927), ce film
soviétique démontre combien l’entrée en guerre de la Russie en 1914 puis la révolution
bourgeoise de février 1917 ont été la volonté d'intérêts tsaristes puis bourgeois mais s'appuyant toujours sur l’exploitation du peuple. Celui-ci doit alors subir la
ruine de l’État dont tout le budget passe dans l’effort de guerre. Cette ruine est bien un des symptômes de la faillite de l'État, devenu incapable de nourrir sa population. Mais cette ruine de
l’Etat est montrée différemment selon que l’on fait partie du peuple ou que
l’on profite de la guerre, notamment par les profits boursiers réalisés sur les entreprises sidérurgiques ou sur les manufactures d'armes. Ainsi, si la cause de la faillite d’un Etat est due à la guerre menée par l’État (dirigeants et
bourgeoisie), elle est payée par le peuple. L'effort de guerre enrichit la bourgeoisie et appauvrit le peuple qui
travaille sans pouvoir se nourrir. Le renversement du pouvoir tsariste ne change rien car ceux qui l’ont remplacé
vivent du même système. Ce film bolchévique est à la fois anti-tsariste et anti-menchévique. Ce n'est pas la guerre qui est remise en cause. C'est le fait que celle-ci ne fait ressentir ses effets que sur la partie de la population la plus faible: soit elle meurt de faim en s'épuisant au travail, soit elle meurt au front.
Dans Monsieur des Lourdines (Philippe de HÉRAIN, 1943) écrit d’après l’ouvrage de A. de Chateaubriant, écrivain collaborationniste et réalisé par le beau-fils de Pétain, l’action se situe à l’époque de Louis-Philippe. Elle est pourtant en réalité une parabole favorable au régime de Vichy : Monsieur des Lourdines représente Pétain et Vichy. « Ton pays », lance-t-il à son fils, est un espace campagnard marqué par la présence de la croix chrétienne. Y est dénoncé la frivolité de Paris et son inconséquence incarné par son fils. Le héros est présenté comme faisant face à la faillite de son domaine par les emprunts contractés par son fils à un dénommé Muller, emprunts remboursés en mettant en vente la moitié du domaine et laissant très peu de revenus pour vivre. La comparaison est aisée pour justifier l’état de faillite dans lequel se trouve des Lourdines, et par extension, l’État français. De là à attribuer la cause de la ruine de la France aux fautes de la IIIème République et à ses valeurs futiles, il n'y avait qu'un pas que les spectateurs de 1943 pouvaient facilement faire! Cet extrait marque là un des intérêts majeur du cinéma puisque c'est bien l’effet cinéma auquel a recours le cinéaste. Le spectateur de 1943 comprend par identification-projection que ce dont le film parle est la dénonciation de la faillite provoquée par la IIIème République et qu’a dû gérer Pétain, notamment en acceptant les clauses économiques imposées par Hitler, étranglant la France mais lui rendant son « honneur » !
Comme le régime tsariste, la révolution bourgeoise de février 1917 ou l'incompétence de la IIIème République furent dénoncées par les cinéastes comme étant la cause de la faillite de leur État, les démocraties ne se sont pas non plus privées de dénoncer ceux qui provoquèrent la faillite de l'Europe durant la seconde guerre mondiale, et en premier lieu, celle de l'Allemagne.
Dans Allemagne, année zéro (Roberto ROSSELLINI, 1948), l'ouverture du film fait un état des lieux de la faillite de l’Allemagne. La cause est explicite : la guerre et la folie des dirigeants nazis. La conséquence est visible : enfants orphelins, régression économique, famine. Ce que Rossellini montre, c'est tout d'abord une visualisation de la faillite. Si Le roi Lion composait une image de la faillite telle qu'elle pouvait être facilement identifiable dans une fiction, qui lus est en animation, celle du réalisateur italien s'appuie au contraire sur des plans tournés en Allemagne, après la chute de Berlin. Les amas de ruines, immeubles éventrés s'ajoutent à des commentaires dénonçant la folie destructrice et meurtrière de l'idéologie nazie dont les conséquences sont objectivement visibles. La destruction de la ville, la saignée démographique, le nombre d'orphelins que subit l'Allemagne sont autant de symptômes de la faillite d'un pays dirigée par un pouvoir politique obnubilé par tout sauf par l'intérêt réel de son peuple. La séquence montrant un cheval mort en pleine rue sur lequel se ruent des individus pour en tirer la viande à coups de couteau témoigne à quel point l'Allemagne est désormais incapable de nourrir sa population selon un circuit normal d'alimentation.
Si, dans ces trois extraits, les cinéastes dénoncent les régimes qui précèdent la situation de faillite dans laquelle leur État se trouve, dévalorisant l’idéologie de ces régimes pour mieux valoriser celle ensuite en vigueur, seul le dernier peut véritablement s'appuyer sur une faillite due au jusque boutisme d'un régime. En effet, la révolution bolchévique a mis fin à la 1ère guerre mondiale dans laquelle était engagée la Russie, accusant au passage le régime tsariste puis menchévique de la cause de la faillite. Quant au régime de Vichy, les conditions de l'armistice fut le choix de Pétain, choix qui n'était pas le seul qui se présentait puisque d'autres, dont de Gaulle, préféraient la capitulation de l'armée tout en continuant le combat d'ailleurs. La faillite de l'Allemagne nazie ne souffre d'aucune incertitude sur les origines et les responsabilités du régime nazi.
4. Le film réquisitoire des discriminations spatiales nées de la faillite de l’Etat.
Dans Allemagne, année zéro (Roberto ROSSELLINI, 1948), l'ouverture du film fait un état des lieux de la faillite de l’Allemagne. La cause est explicite : la guerre et la folie des dirigeants nazis. La conséquence est visible : enfants orphelins, régression économique, famine. Ce que Rossellini montre, c'est tout d'abord une visualisation de la faillite. Si Le roi Lion composait une image de la faillite telle qu'elle pouvait être facilement identifiable dans une fiction, qui lus est en animation, celle du réalisateur italien s'appuie au contraire sur des plans tournés en Allemagne, après la chute de Berlin. Les amas de ruines, immeubles éventrés s'ajoutent à des commentaires dénonçant la folie destructrice et meurtrière de l'idéologie nazie dont les conséquences sont objectivement visibles. La destruction de la ville, la saignée démographique, le nombre d'orphelins que subit l'Allemagne sont autant de symptômes de la faillite d'un pays dirigée par un pouvoir politique obnubilé par tout sauf par l'intérêt réel de son peuple. La séquence montrant un cheval mort en pleine rue sur lequel se ruent des individus pour en tirer la viande à coups de couteau témoigne à quel point l'Allemagne est désormais incapable de nourrir sa population selon un circuit normal d'alimentation.
Si, dans ces trois extraits, les cinéastes dénoncent les régimes qui précèdent la situation de faillite dans laquelle leur État se trouve, dévalorisant l’idéologie de ces régimes pour mieux valoriser celle ensuite en vigueur, seul le dernier peut véritablement s'appuyer sur une faillite due au jusque boutisme d'un régime. En effet, la révolution bolchévique a mis fin à la 1ère guerre mondiale dans laquelle était engagée la Russie, accusant au passage le régime tsariste puis menchévique de la cause de la faillite. Quant au régime de Vichy, les conditions de l'armistice fut le choix de Pétain, choix qui n'était pas le seul qui se présentait puisque d'autres, dont de Gaulle, préféraient la capitulation de l'armée tout en continuant le combat d'ailleurs. La faillite de l'Allemagne nazie ne souffre d'aucune incertitude sur les origines et les responsabilités du régime nazi.
4. Le film réquisitoire des discriminations spatiales nées de la faillite de l’Etat.
Le dernier point soulevé par le cinéma montrant les conséquences de faillites d'État rejoint encore l'extrait des Sept mercenaires. En effet, tout comme dans le film de Sturges, les territoires en faillite, qu'ils soient municipalité ou État, se distinguent par des zonages de populations, celles privilégiées se regroupant, de fait ou volontairement, dans des zones distinctes de celles subissant les conséquences de l'Etat en faillite.
Pour reprendre le cas de l'Allemagne, le film L’homme de Berlin (Carol REED, 1953) compare la situation entre les deux Allemagnes d'après la seconde guerre mondiale avec un focus sur Berlin en 1953. Par la présentation des Berlinois de l’Est, communistes qui fuient leur zone pour l’Ouest libéral reconstruite et dynamique, le réalisateur montre combien la zone communiste, encore en ruine et économiquement peu dynamique est en réalité en situation de faillite.
Il s'agit objectivement d'une mise en accusation évidente du totalitarisme soviétique et stalinien. En recoupant les diverses informations de cette séquence dans laquelle le spectateur découvre les deux Berlin, montrant fuite des Berlinois de l'Est, marché noir ou encore échange de la monnaie de la zone Est contre celle de l'Ouest, avec celles dans les parties précédentes qui établissaient les caractéristiques d'un État en faillite, on peut donc en déduire que la zone communiste allemande était de fait une zone en faillite, incapable de reconstruire son territoire ou de nourrir correctement sa population. Seule une dictature liberticide permet alors le maintien en vie d'un tel État, devant faire avec l'existence d'une zone au contraire prospère, reposant sur un autre système économique et politique.
Cette discrimination spatiale était due, dans le cas du film de Carol Reed, à une situation historico-politique particulière, Berlin Ouest étant devenue une enclave malgré elle dans un espace totalitaire.
Dans Main basse sur la ville (Francesco ROSI, 1963), le réalisateur montre au contraire une seule et même entité politique: la ville de Naples. Or celle-ci, terriblement pauvre comme le montre une longue séquence dans laquelle les habitants d'un quartier central de la ville refusent d'être expulsés pour permettre la construction d'un quartier moderne. L'intervention d’un conseiller municipal de gauche permet alors de mieux comprendre combien la corruption est au cœur de ce projet. L'entrepreneur Nottola, élu de droite qui a obtenu le marché public, montre, avec raison certainement, que ses constructions sont de meilleures qualités, offrant un confort inexistant dans ce quartier populaire. L’élu de gauche ne reproche pas la qualité mais le conflit d’intérêt et le fait que seuls des privilégiés pourront désormais habiter ce quartier, repoussant les habitants qui y vivaient autrefois en marge de la ville. Dans un film très démonstratif,l’élu de gauche s’adresse autant à Nottola qu’aux spectateurs par le regard caméra. Sans l'expliciter clairement, le film témoigne de la faillite d’une ville dont les dirigeants s’arrangent entre eux pour eux ne pas souffrir d’une faillite de fait dont on ignore si elle est due à une mauvaise gestion ou à une faiblesse des ressources. Mais on comprend qu’elle s’accompagne de corruption, profitant à quelques uns aux détriments de la population la plus faible qui ne pourra pas se loger dans ces nouveaux quartiers. Sous prétexte de réhabilitation, la municipalité évite toute politique sociale et trouve un moyen au contraire de retrouver des rentrées fiscales par l'arrivée d'habitants-contribuables plus aisés. Ce film des années 1960 est en quelque sorte visionnaire car, sans évoquer la corruption, bien des villes occidentales ont réhabilité des quartiers populaires avec pour conséquence une "gentrification" de la population, repoussant les plus faibles vers des quartiers périphériques, déplaçant les problèmes sociaux dans d'autres quartiers voire dans d'autres villes. Ce fut le cas à Lyon par exemple avec les pentes de la Croix Rousse mais aussi à New York avec le quartier de Harlem. On comprend mieux alors pourquoi ces espaces populaires laissés à l'abandon tombe sous la loi d'une autre autorité, celle de la mafia, qui se substitue à celle légale, ou qui parfois pactise avec, pour mieux établir un système autoritaire. Le film Gomorra (Matteo GARRONE, 2008) en fait le terrible constat!
Pour reprendre le cas de l'Allemagne, le film L’homme de Berlin (Carol REED, 1953) compare la situation entre les deux Allemagnes d'après la seconde guerre mondiale avec un focus sur Berlin en 1953. Par la présentation des Berlinois de l’Est, communistes qui fuient leur zone pour l’Ouest libéral reconstruite et dynamique, le réalisateur montre combien la zone communiste, encore en ruine et économiquement peu dynamique est en réalité en situation de faillite.
Il s'agit objectivement d'une mise en accusation évidente du totalitarisme soviétique et stalinien. En recoupant les diverses informations de cette séquence dans laquelle le spectateur découvre les deux Berlin, montrant fuite des Berlinois de l'Est, marché noir ou encore échange de la monnaie de la zone Est contre celle de l'Ouest, avec celles dans les parties précédentes qui établissaient les caractéristiques d'un État en faillite, on peut donc en déduire que la zone communiste allemande était de fait une zone en faillite, incapable de reconstruire son territoire ou de nourrir correctement sa population. Seule une dictature liberticide permet alors le maintien en vie d'un tel État, devant faire avec l'existence d'une zone au contraire prospère, reposant sur un autre système économique et politique.
Cette discrimination spatiale était due, dans le cas du film de Carol Reed, à une situation historico-politique particulière, Berlin Ouest étant devenue une enclave malgré elle dans un espace totalitaire.
Dans Main basse sur la ville (Francesco ROSI, 1963), le réalisateur montre au contraire une seule et même entité politique: la ville de Naples. Or celle-ci, terriblement pauvre comme le montre une longue séquence dans laquelle les habitants d'un quartier central de la ville refusent d'être expulsés pour permettre la construction d'un quartier moderne. L'intervention d’un conseiller municipal de gauche permet alors de mieux comprendre combien la corruption est au cœur de ce projet. L'entrepreneur Nottola, élu de droite qui a obtenu le marché public, montre, avec raison certainement, que ses constructions sont de meilleures qualités, offrant un confort inexistant dans ce quartier populaire. L’élu de gauche ne reproche pas la qualité mais le conflit d’intérêt et le fait que seuls des privilégiés pourront désormais habiter ce quartier, repoussant les habitants qui y vivaient autrefois en marge de la ville. Dans un film très démonstratif,l’élu de gauche s’adresse autant à Nottola qu’aux spectateurs par le regard caméra. Sans l'expliciter clairement, le film témoigne de la faillite d’une ville dont les dirigeants s’arrangent entre eux pour eux ne pas souffrir d’une faillite de fait dont on ignore si elle est due à une mauvaise gestion ou à une faiblesse des ressources. Mais on comprend qu’elle s’accompagne de corruption, profitant à quelques uns aux détriments de la population la plus faible qui ne pourra pas se loger dans ces nouveaux quartiers. Sous prétexte de réhabilitation, la municipalité évite toute politique sociale et trouve un moyen au contraire de retrouver des rentrées fiscales par l'arrivée d'habitants-contribuables plus aisés. Ce film des années 1960 est en quelque sorte visionnaire car, sans évoquer la corruption, bien des villes occidentales ont réhabilité des quartiers populaires avec pour conséquence une "gentrification" de la population, repoussant les plus faibles vers des quartiers périphériques, déplaçant les problèmes sociaux dans d'autres quartiers voire dans d'autres villes. Ce fut le cas à Lyon par exemple avec les pentes de la Croix Rousse mais aussi à New York avec le quartier de Harlem. On comprend mieux alors pourquoi ces espaces populaires laissés à l'abandon tombe sous la loi d'une autre autorité, celle de la mafia, qui se substitue à celle légale, ou qui parfois pactise avec, pour mieux établir un système autoritaire. Le film Gomorra (Matteo GARRONE, 2008) en fait le terrible constat!
La conséquence était entrevue dans La zona (Rodrigo PLA, 2007). Dans
un futur proche, les classes bourgeoises d'une ville mexicaine décident de
vivre en autarcie dans des villes protégées du reste du territoire. Terrible séquence d'ouverture qui provoque un véritable choc visuel, sans aucun effet spécial, par la simple présentation d’un quartier pavillonnaire
qui pourrait être en Europe puis, un mouvement de caméra montre ce quartier
séparé du reste de la ville par un mur, des barbelés et protégé par des caméras. La vision de la « vraie ville » renvoie aux quartiers délabrés
d’Amérique du Sud, le titre du film ponctuant cette première séquence confirmant que le quartier pavillonnaire est l’espace en marge et pas
l’inverse !
Au regard des informations données par cette scène d'ouverture, il s'agit bien d'une ville en faillite qui semble être contrainte d’accepter cette discrimination de fait
pour conserver sa population « riche », incapable qu'elle est de maintenir l’essentiel : sécurité, développement économique,
enseignement…Cette représentation d'anticipation n'est pourtant pas différente de ce qui existe déjà aux USA, notamment vers Miami, en France ou d'autres pays occidentaux. C'est déjà la réalité pour les quartiers résidentiels que ce soit au Pérou, en Afrique du Sud ou ailleurs, avec accentuation de la paupérisation de la ville et une sorte de droit extra-territorial pour ces zones protégées, avec leurs propres police, école etc.
CONCLUSION :
Le courage politique pour répondre à la faillite
Au travers des représentations des faillites des Etats et des conséquences, tous les cinémas évoquent la violence qui est faite aux populations, le profit que certains peuvent en tirer (ou le maintien d’un certain niveau de confort) mais également le risque au mieux d’une révolution démocratique quand elle s’exerce contre une dictature, au pire un recul de la démocratie avec gestion d’un chaos organisé pour mieux profiter de cette faillite.
Avec une telle représentation de ce qu'est la faillite, le cinéma semble plutôt proposer des visions pessimistes. Pour reprendre Serge Gainsbourg, on ne filme pas le beau temps mais un ciel d'orage.
Pourtant, certains réalisateurs ont donné des clés pour sortir d'une telle situation de la faillite... parfois sans même l'intention de le faire vraiment. Dans Le cave se rebiffe (Gilles GRANGIER, 1961), Jean Gabin incarne un faux monnayeur expliquant dans une séquence hilarante comment il a raté une opération prometteuse du fait du retrait de la coupure de 100 florins de la banque des Pays Bas pour mettre en place le « nouveau florin ». Vision comique d’une réponse d’un Etat à sa situation de faillite économique ! Mais au-delà de l'humour décapant des dialogues de Michel Audiard, c'est bien une présentation du courage politique au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ces Etats européens ruinés et donc en faillite, comme pouvait le montrer le film de Rossellini ont réagi en prenant la main sur ce qui fait partie des prérogatives de l'État. Par l'humour d'une phrase, "dis toi qu'en matière de monnaie, l'État a tous les droits, le particulier aucun", Audiard confirme que l’État néerlandais a pris ses responsabilités face à une situation de faillite liée à la guerre, manifestant de fait sa souveraineté en déterminant et frappant monnaie, décision prise dans l’intérêt commun et pas seulement de quelques uns. L'efficacité est alors double. En agissant ainsi, l'État a pu se reconsolider et donc de permettre à sa population de retrouver une économie saine. Mais surtout, et c'est le film qui en témoigne, la fameuse reine Willémine, en ayant démonétisé l'ancienne coupure de 100 florins, a finalement ruiné ceux qui vivaient de la situation fragile de l'État.
A bientôt
Lionel Lacour
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