jeudi 22 décembre 2011

Les quatre cents coups: témoignage sur l'enfance des années 1950


Bonjour à tous,

revoir Les quatre cents coups de François Truffaut est toujours un plaisir. A chaque fois, on peut y découvrir la grâce et la fraîcheur de Jean-Pierre Léaud - Antoine Doinel et se dire que le cinéma français avait devant lui un surdoué du jeu. Ce qui m'intéressait quand je vis pour la première fois ce film, c'était ce rapport aux parents et à l'école. Le ressenti de l'autorité adulte sur les adolescents n'était, me semblait-il, pas si différent de ce que je pouvais ressentir moi-même. Pourtant, en revoyant ce film adulte, mon regard diffère sur le film. Comme je le dis régulièrement, le cinéma se regarde toujours au présent du spectateur. Et il faut se rendre à l'évidence. Le film de Truffaut permet une comparaison avec aujourd'hui qu'un documentaire aurait du mal à exprimer avec autant de netteté.




1. S'opposer à l'autorité des adultes?
Dès le début du film, Antoine est confronté à l'autorité du monde adulte exercé sur les enfants en général. Le maître puni sévèrement Antoine pris en train de faire passer une image de pin-up à un de ses camarades. La sanction - au piquet derrière le tableau noir - nous est présentée particulièrement injuste car Truffaut nous met dans la connivence. Ce n'est pas Antoine qui a initié la circulation de l'image. Il n'en est que le relai. Mais le sentiment du spectateur n'est lié qu'au point de vue que nous impose le réalisateur. Si le personnage principal avait été l'enseignant, il n'aurait pas semblé si injuste que l'élève se faisant prendre soit celui qui doit être puni. Ce maître n'est d'ailleurs pas si injuste dans l'âme. En effet, alors que des bruits perturbent son cours sans qu'il puisse identifier l'origine, il menace les élèves d'une punition collective: "vous allez me forcer à être injuste". La rigidité de l'école qui formate les élèves pour les rendre docile est évidemment un motif de rébellion pour les élèves de la classe d'Antoine comme, Truffaut l'imagine certainement, pour tous les autres. Certains ne s'en privent d'ailleurs pas dès qu'ils le peuvent. C'est ainsi que les cours de gymnastique se passant dehors sont un moment propice pour tous d'abandonner le professeur qui ne se rend compte de rien. Quand René, le camarade d'Antoine, propose une journée d'école buissonnière, ce dernier n'hésite pas longtemps, préférant le cinéma aux cours de ses différents maîtres. Mais tous les élèves ne semblent pas être en rébellion contre le système. Certains "collaborent" même avec lui, dénonçant sournoisement Antoine auprès de ses parents, se souciant de sa santé après son absence de la veille.
Pourtant, les héros ne sont pas tant en rébellion que cela vis-à-vis de l'autorité adulte quelle qu'elle soit. Antoine met le couvert avant l'arrivée de ses parents le soir et descend la poubelle après chaque repas avant de se coucher. S'il fugue, c'est moins par opposition à ses parents que pour ne pas risquer de se faire punir. Ce qui ne l'empêche pas de retourner à l'école! Et quand sa mère le récupère après sa première fugue, il s'excuse de son attitude en classe sans remettre en question son maître. D'ailleurs, René ne lui avait-il pas dit que le métier du maître était de punir les élèves qui désobéissaient?
De fait, le jeune Antoine évolue dans un monde dont les règles semblent être figées et acceptées par tous.




2. Une société en mutation
Antoine n'est pourtant pas un enfant comme un autre. Au fur et à mesure du film, le spectateur comprend que son père n'est pas son père naturel dont nous ne saurons rien. Celui que nous connaissons lui a "donné un nom"! Cette phrase peut étonner notre société de ce début de XXIème siècle tant le nombre de femmes ayant des enfants sans être mariées, voire sans ne plus vivre avec le père est fréquent. Sa mère puis plus tard le juge des enfants évaluent grandement le geste du père de substitution. La morale sur cette question est régulièrement évoquée. Elle correspond justement à une société très conservatrice et chrétienne. Un enfant doit naître d'une union "légitime" au risque de connaître les quolibets, qu'ils soient destinés à la "fille mère" ou à l'enfant. Or cette société est en véritable mutation tant du point de vue économique que de celui des moeurs. Une scène est particulièrement caractéristique de cette double mutation. Le repas pris en famille évoque à la fois les vacances, les colonies pour les enfants et montre une bouteille de liminade de marque "Lutetia". Nous sommes loin du lendemain de la guerre, des tickets de rationnement et autres restrictions. Le père organise chaque week-end des rallyes automobiles. Nous sommes donc bien dans une société qui s'est enrichie mais qui manque d'aise puisque l'appartement est désespérément trop petit. Durant le repas, le père évoque la future naissance d'un enfant pour la cousine Huguette. La mére répond alors: "4 en trois ans, c'est du lapinisme". Nous avons ici deux comportements démographiques qui traversent la France de l'après guerre. A la fois le "Bébé Boum" qui a entraîné une augmentation des familles nombreuses. Mais aussi, de par la réaction de la mère, un héritage du malthusianisme si présent en France. Sa réaction violente laisse donc aussi penser que les naissances peuvent se contrôler par divers moyens. Ainsi, nous apprendrons au cours du film que le jeune Antoine a failli ne pas naître puisque sa mère voulait se faire avorter, moyen de contraception "a posteriori" et bien sûr encore illégal en 1959, date de sortie du film, et donc dans les années 1940 à la naissance d'Antoine.
Cette société de consommation, représentée par les congés ou encore la bouteille de limonade de marque va se décliner tout au long du film, sous divers aspects. Ce sont d'abord les loisirs qui sont présents dans le film de Truffaut et en premier lieu, le cinéma qui fait rêver les enfants. C'est la consommation d'objets merveilleux comme des lunettes très particulières qu'un des camarades a pu s'acheter. Ce ne sont pas des lunettes de vue. Il s'agit bien de gadget inaccessible quelques années auparavant encore et qui seront l'objet de la vengeance des écoliers contre le propriétaire de dites lunettes puisqu'il fut le dénonciateur d'Antoine Doinel. C'est aussi la fête forraine avec ses attractions qui font s'évader de leur quotidien ceux qui y participent. Ainsi Antoine s'amuse-t-il terriblement dans cette centrifugeuse qui lui permet de s'affranchir de la pesanteur et de se sentir libre de ses mouvements, à l'inverse de ce qu'il peut vivre chez lui ou à l'école. Ce sont aussi les plaisirs nocturnes et érotiques que nous apercevons lorsqu'Antoine est emmené par la police.
Enfin, cette société se déchristianise malgré les reliquats de l'autorité de l'Eglise. Lorsque Antoine et René se moque d'un ecclésiastique en soutane en lui disant "bonjour Madame", l'irrespect peut apparaître bien mineur dans la France du XXIème siècle. C'était bien plus provocateur en 1959. Mais cela montrait que les enfants n'avaient plus peur de se moquer d'un représentant de l'Eglise. C'est que la morale chrétienne est baffouée pendant tout le film, et en premier lieu par la mère d'Antoine. En effet, celle-ci trompe allègrement son mari, jusqu'à se faire surprendre par son fils. Or jamais dans le film il n'y aura un reproche fait pour cette tromperie. Jamais Truffaut ne mettra en défaut cette femme par son mari. S'il a des doutes, cela ne se manifeste que par des disputes stériles. Et si elle reconnaît à la fin du film à Antoine que toute sa vie elle a été mal jugée par "les autres", elle affirme avoir toujours su vivre avec. Il n'y a donc aucun message moral chrétien dans le film condamnant la mère.


3. Des adultes miniatures
Si la société est en mutation économique ou dans ses mœurs, en revanche, le rapport aux enfants semble être assez conservateur. Même si le père peut âpparaître "moderne" en plaisantant facilement avec son fils qui n'est pas son fils naturel, en cuisinant en attendant le retour de sa femme du travail, en reconnaissant au commissaire laisser des libertés à son garçon, il n'en demeure pas moins un père qui peut avoir recours à la violence physique et publique quand il gifle Antoine pour ses mensonges, et ce dans l'école, devant tous ses camarades.
L'éducation relève des responsabilités très précoces données aux enfants qui peuvent apparaître excessives aujourd'hui. C'est à Antoine qu'est confiée la liste des courses qui doivent être faites après sa journée de classe. C'est Antoine qui descend tous les soirs la poubelle et qui débarrasse la table. Ces "corvées" peuvent sembler bien peu de choses. Mais le film progresse en montrant justement que les responsabilités qui incombent à Antoine augmentent et qu'à mesure, ses aspirations à plus de libertés augmentent aussi, et avec elles, ses "bêtises". Quand il commet son délit le plus important, le vol de la machine à écrire dans l'entreprise de son père, il confie son vol à un adulte qui essaie de l'escroquer. Mais il se comporte comme un adulte pour récupérer sa machiine. Dans l'incapacité de la vendre, il décide alors de la rapporter avec son ami René. Pour ne pas être pris, il se met un chapeau pour ressembler à "un nain" (sic). Il devient de fait non plus un enfant, c'est à dire un "petit d'homme"  mais un "petit homme" qu'il n'est pourtant pas!
Son arrestation par un employé le conduit à être amené par son père à la police. L'autorité parentale disparaît derrière l'autorité institutionnelle. Or son délit est bien léger à bien y regarder puisque la machine à écrire est restituée le jour même. Mais la sanction est terrible. Les plans sur son enfermement dans le commissariat au milieu de prostituées ou d'autres vrais bandits marquent un véritable choc entre son statut d'enfant et celui qui lui est conféré par les autorités policières: il est un délinquant. Or ce sentiment d'injustice que nous ressentons est dû au travail de Truffaut. Il nous a montré un jeune garçon qui fait des blagues potaches d'enfants. Il tire à la sarbacane, il dessine des moustaches à une image de pin-up, il vole une bouteille de lait pour se nourrir lors de sa fugue. Il n'est qu'un enfant déboussolé. Mais la société traite ces gestes d'enfants comme des gestes de précriminels. Il n'y a aucune empathie, aucune psychologie enfantine. Il sera traité comme un danger, mis dans un centre surveillé dans lequel se trouvent d'autres jeunes de son âge. Truffaut choque même les spectateurs en montrant de très jeunes enfants mis en cage comme des animaux. Ce n'est que la conclusion de la procédure judiciaire qui l'a amené à ce centre. Prise d'empreintes et de photos, tel un criminel. Au détour d'un plan sublime, Truffaut nous montre Antoine derrière la grille de la porte arrière d'un fourgon de police regardant les lumières de la ville, une larme d'enfant coulant sur sa joue.

Dès lors, la dernière séquence ne peut être qu'un appel à la liberté et au refus d'une société si violente pour une jeunesse que l'on traite comme des dangers en puissance pour la société. Courir vers la mer c'est aller vers un espace de liberté absolu.


Conclusion
Truffaut réussit pour son premier film à évoquer cette société française et ses tiraillements en pleine période de croissance et de progrès mais pourtant encore tellement accrochée à des valeurs et des principes de plus en plus dépassés. La Nouvelle vague n'allait pas faire autre chose que de remettre en cause cette société archaïque et dénoncer en même temps le cinéma qui la représentait voire la magnifiait, "le cinéma à papa".
Godard dans A bout de souffle ou Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7 mais encore Louis Malle dans Le feu follet mettront autant de force et de talent à critiquer l'ancienne société et à annoncer une nouvelle société, celle qui sera réclamée en mai 1968.

A bientôt

Lionel Lacour

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