mercredi 8 mars 2017

"De plus belle": le cancer, Lyon et surtout les femmes

Bonjour à tous

Aujourd'hui 8 mars 2017, Journée internationale des droits des femmes, sort sur les écrans français De plus belle, le premier film d'Anne-Gaëlle Daval et dans lequel Florence Foresti y interprète Lucie, un personnage plus dramatique que dans ses précédents films. En effet, en rémission d'un cancer du sein, Lucie doit désormais vivre avec cette maladie qu'elle a eue, avec les conséquences aussi: perte de ses cheveux, relations amoureuses difficiles, tensions familiales et difficultés à travailler sans être fatiguée.

De plus belle, co-produit évidemment par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, a les qualités et les défauts d'un premier long-métrage. Un scénario pas toujours clair, avec des incohérences évidentes et des renversements de situation trop rapides. Mais de belles idées de mise en scène, une fraîcheur évidente pour raconter une histoire difficile, des moments d'humour décapants et un vrai regard sur ce qu'est la féminité.

Avec un casting de première classe pour un premier film - Mathieu Kassovitz et Nicole Garcia par exemple! - Anne-Gaëlle Daval réalise pourtant finalement
moins un film sur le cancer qu'un film féministe. Et c'est sa ville, comme celle de son actrice principale, qui met en lumière son sujet.

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Un film sur le cancer des femmes
De plus belle n'est pas un film sur le cancer mais sur le parcours d'une malade. Lucie emmène les spectateurs dans toutes les angoisses d'une personne atteinte du cancer. La chimiothérapie fait perdre les cheveux et il faut une perruque pour ne pas montrer de quelle maladie on est atteint. Lucie doit faire face au regard de sa famille pour qui la maladie est finie et qui souhaite passer à autre chose. C'est tantôt l'incompréhension de ce que peut ressentir Lucie (sa mère ou sa sœur), tantôt la volonté de faire disparaître l'angoisse ultime, celle de la récidive (son frère).
Au-delà de ces angoisses, c'est l'univers hospitalier qui est montré comme marqueur du parcours d'un cancéreux. Les visites chez l'oncologue, les examens, puis l'hospitalisation si nécessaire. Anne-Gaëlle Daval ne s'appesantit pas sur ces étapes mais elles jalonnent concrètement les angoisses de Lucie.
Mais la spécificité du cancer chez les femmes, et particulièrement pour le cancer du sein, c'est la sensation, à tort ou à raison, de la perte de la féminité et donc de la possibilité d'être encore désirable. Lucie rejette les avances des hommes parce qu'elle se trouve laide, parce qu'elle redoute de se montrer nue, sans sa perruque, sans rien qui ne puisse l'identifier à une femme. Dire ce dont elle souffre signifie le risque d'être ensuite rejetée. Alors elle ne dit rien et rejette elle-même. Au mieux peut-elle en parler à une étrangère, une femme qui sans un mot comprend le mal qui ronge Lucie.


Un film féministe
Si rapidement la question du cancer de Lucie est posée, elle n'est finalement presque que secondaire. Car derrière Lucie, c'est bien la place des femmes dans la société qui se pose, et à tous âges. La mère de Lucie ne manifeste que peu d'empathie pour sa fille. Si elles travaillent ensemble, ainsi qu'avec la sœur de Lucie, dans une boutique de fleurs, les relations mères-filles sont tendues. Le fils est le chouchou. Peut-être parce qu'il est devenu médecin. On a la représentation d'une famille finalement assez classique avec une mère indépendante mais qui reproduit des schémas plus archaïques, reposant sur des règles désuètes que les générations plus jeunes ont du mal à comprendre et donc à accepter.
Anne-Gaëlle Daval montre aussi les relations entre celles de même génération. Les deux sœurs ont du mal à se comprendre. Pourtant, leur rôle de femme est montré comme encore dépendant de celui des hommes. Lucie est divorcée mais le mariage de sa sœur ne va pas mieux. Le temps peut être une maladie cruelle pour les femmes.
C'est également dans la relation entre Lucie et sa fille que le film pose le débat féministe. À 15 ans, elle est provocatrice avec son T-shirt "Fuck Jesus", semble en complet déphasage d'avec sa mère mais lui reconnaît en fait son courage et ne se soumet pas aux exigences de son copain. Cette nouvelle génération de "femme" est une sorte de synthèse entre les aspirations à la liberté, la revendication de droits et des valeurs plus traditionnelles comme le respect et la politesse.

Mais le film est également féministe par les personnages externes à la famille de Lucie. Quand elle va essayer une nouvelle perruque, Lucie rencontre Dalila - Nicole Garcia - qui la considère seulement comme une femme, même si elle en comprend les tourments. C'est Dalila qui va conduire Lucie à se "re-féminiser", en se maquillant, en adoptant une perruque qui lui plaise à elle et pas qui convienne à sa mère, en la faisant danser et au final, à offrir au regard des autres son corps.
Avec Dalila, ce sont toutes les autres femmes de ce cours de danse auquel Lucie participe qui lui montrent le chemin de l'acceptation. Toutes ont des raisons d'avoir des complexes: l'une à un embonpoint généreux, l'autre est âgée, toutes ont renié leur corps de femme parce que ne correspondant pas à ce que la société attendrait du corps d'une femme, un corps parfait, mince, jeune. Un idéal culpabilisant.
C'est enfin le personnage de Clovis - Mathieu Kassovitz - porte encore un peu plus ce discours, lui le séducteur usant et abusant de toutes les recettes éculées pour "tomber les filles". Pourtant, c'est de Lucie qu'il tombe amoureux. Or c'est elle qui donne le "la" à cette histoire d'amour compliquée. Dans d'autres films, le point de vue de cette histoire aurait été celui de l'homme amoureux. Ici, c'est Lucie qui fixe quand et où ils se retrouvent, qui dit ou tait ce qui lui arrive. Même si à la fin...


Un film sur Lyon contemporaine
De plus belle est enfin un film sur Lyon. Pas comme Bertand Tavernier l'a montré dans ses films, que ce soit dans L'horloger de Saint Paul  ou dans Une semaine de vacances, avec une vision globalisante de la ville. Non, ici, la réalisatrice a tourné dans le quartier moderne de Confluence qui pour la première fois sert de décor de film, quartier sorti ex nihilo fait de bâtiments modernes, mêlant musée monumental à darse fluviale, immeubles de bureaux à ceux résidentiels, quartier illuminé de mille feux et relié au cœur historique de la capitale des Gaules.
En plongeant son histoire dans ce quartier, Anne-Gaëlle Daval inscrit son histoire dans la modernité, dans le sens du courant, dans l'idée de changement et d'évolution. La mère de Lucie est de ce cœur historique, faite de principes trop rigides. Lucie regarde désormais vers Confluence, là où vit celle qui l'aime pour ce qu'elle est.

Reportage de Julien Sauvadon - France 3 Lyon


En plantant le décor dans sa ville, entre Rhône et Saône, là où le dynamisme de Lyon se manifeste aujourd'hui, la réalisatrice s'éloigne de la carte postale traditionnelle des cinéastes tournant à Lyon pour au contraire confirmer sa mutation, sa volonté de se montrer sous un jour nouveau, elle cette ville si discrète dont la beauté n'est souvent connue que de ceux qui vont un peu plus loin que l'autoroute traversant le tunnel de Fourvière. Si lors de l'avant-première lyonnaise, Anne-Gaëlle Daval et Florence Foresti affirmaient que Lucie, c'était un peu elles, Lyon ressemble aussi beaucoup à Lucie.

À bientôt
Lionel Lacour


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