Affichage des articles dont le libellé est Histoire et Cinéma. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Histoire et Cinéma. Afficher tous les articles

mardi 19 avril 2022

La France des Années 30 vue par son cinéma


Bonjour à tous, 

Mardi 12 avril 2022, je donnais une conférence à l'Institut Lumière sur la France des Années 30 vues par le cinéma.

En voici la retranscription.


Certains pensent que nous vivons une situation économique et politique assez proche des années 30 : crise économique, montée de l’antisémitisme et menaces extérieures par des pays belliqueux. Est-ce que cette situation des années 30 qui a conduit à la guerre s’observait dans les films français ? Et si oui comment ?

 

lundi 13 septembre 2021

"Délicieux" vs "Bac Nord": de la faillite de l'autorité

 

Bonjour à tous,

Cet été sont donc sortis deux films aux antipodes. Bac Nord de Cédric Jimenez sorti le 18 août 2021 a été suivi quelques semaines plus tard de Délicieux d'Eric Besnard, en salles depuis le 8 septembre. Ces deux films ont vu leur sortie repoussée à cause de la crise du COVID. Aucun rapport entre ces deux films puisque le premier relate, même si les faits seraient modifiés, une affaire mêlant des policiers de la Bac de Marseille ayant eu lieu en 2012 et le second se place en 1789 et évoque comment fut inventé le premier restaurant en France.
Au-delà des thèmes et de la période, c'est aussi le style des films qui est radicalement différent. Bac Nord est tendu, sec, la caméra instable, le montage incisif et une surexposition de la lumière créant une sensation de fébrilité permanente. Et puis un vocabulaire évidemment vulgaire, les flics parlent comme les racailles qu'ils arrêtent, le tout sous une musique envahissante, parfois interrompue par les bruits des kalach ou des hurlements des prisonniers. Tout le contraire pour Délicieux où la lumière semble n'être que naturelle, les bougies venant déchirer l'obscurité de la nuit quand les arbres atténuent l'ardeur du soleil. Le montage est plus calme, les plans plus longs, les séquences parfois séparées par des natures mortes. Et la musique renvoie à cette fin de XVIIIe siècle, veille de la Révolution française. Nous sommes loin de la funk et du rap de Bac Nord


BANDES ANNONCES


Deux films, deux ambiances pour reprendre une expression désormais commune. Pourtant, il est quelque chose d'assez étrange en voyant ces deux films. En effet, les histoires aussi éloignées soient-elles témoignent d'une similitude quant au rapport entre la population et les autorités. Que ce soient Manceron le cuisinier du Duc ou Greg, le flic de la Bac, les deux ont été lâchés par ceux censés les protéger, et ce après avoir été encensés. Pour Délicieux, l'affaire est entendue. Les spectateurs comprennent que l'arrière-plan est la Révolution française nourrie par les idées des Lumières, que le fils de Manceron ne manque pas de citer. La contestation populaire est rapportée dans une province loin de Paris. Et les remises en cause du pouvoir par les députés ne sont comprises ni par le roi ni par le duc de Chamfort et les autres nobles qui méprisent ce peuple en leur daignant le droit de manger ce que eux mangent. Ces nobles incarnent les privilégiés à plus d'un titre. Ils sont nobles par leur sang, mais aussi par le droit qu'ils ont d'humilier ceux qui ne le sont pas. Une supériorité morale qui leur permet tantôt de soutenir un roturier puis de l'insulter. Ces représentants d'une société d'ordre vivent sur des valeurs artificielles et ce qui justifiait initialement leur rang ne signifie plus rien qu'une injustice. Habillés et coiffés de manière excentrique, se rengorgeant de bons mots et de traits d'humour, ils ne représentent plus la fonction qui leur est assignée dans cette société hiérarchisée.

Dans Bac Nord, la hiérarchie politique et administrative se fiche du sort de la population sous contrôle d'une voyoucratie organisés en gangs occupant le territoire. Cet abandon des citoyens par le pouvoir politique saute aux yeux de ces flics qui reçoivent l'ordre de reculer face à ceux qui terrorisent les habitants des quartiers nord de Marseille. Certes la société n'est plus officiellement divisée en ordres comme sous l'ancien régime, Jimenez montre pourtant combien chaque strate de la hiérarchie lâche les flics pour mieux se faire valoir de la République qu'ils prétendent incarner. Tout comme le duc de Chamfort accablait Manceron pour montrer combien lui l'aristocrate défendait cette société où un cuisinier était traité comme un moins que rien car non noble. Chamfort est remplacé par l'officier Jérôme, chef de Greg et de ses coéquipiers, prêt à abandonner ses hommes pour sauver sa carrière. Tout comme le Duc pour être reçu à Versailles.

Mais si dans Délicieux, le spectateur connaît la fin de l'histoire avec un grand H, il se trouve dans le même questionnement que celui de Greg qui doit agir sans ordre officiel.  Si en regardant Délicieux nous savons ce qui arrive ensuite en 1789, le spectateur comme le réalisateur ignorent où la faillite du pouvoir et le renoncement de l'autorité à imposer ses valeurs et ses principes mèneront. Manceron a courageusement quitté son protecteur jusqu'à le défier. Et l'Histoire nous a appris que la multiplication des Manceron a donné naissance à un mouvement irréversible renversant un pouvoir dans toutes ses strates qui n'avait pas vu ou su prendre en compte les aspirations nouvelles de son peuple. Bac Nord nous montre Greg, mais aussi Antoine et Yass ses coéquipiers. Eux aussi lâchés par leur hiérarchie. Le spectateur ne peut pas s'empêcher d'imaginer que si les Greg, Antoine et Yass se multipliaient, un autre mouvement irréversible pourrait s'enclencher. Et l'Histoire nous a appris que toute enthousiasmante soit-elle, une révolution porte aussi sa cohorte de violences et d'injustices. Parce que le pouvoir a failli. 

Eric Besnard, lors d'une avant-première lui-même trouvait étrange les similitudes entre la situation en France au moment de faire son film et celle du scénario de Délicieux. Les derniers événements à Marseille ou aux Tarterêts démontrent que Bac Nord tout en étant une fiction n'est pas si éloigné de la réalité. Le cinéma n'annonce jamais rien que ce qui n'existe déjà. 


A bientôt

Lionel Lacour

vendredi 7 mai 2021

« La grande évasion » : ou l'apologie du libéralisme économique ?

Bonjour à tous

Rares sont les films de guerre qui ne racontent pas un projet mis en œuvre par les protagonistes. En 1963, John Sturges réalise La grande évasion, adapté du livre de Paul Brickhill relatant des faits réels, même si James Clavell et W.R. Burnett durent apporter des éléments dramaturgiques permettant un récit cinématographique plus clair. Le film qui rassemblait trois des 7 mercenaires  de Sturges, et toujours avec la musique géniale d'Elmer Bernstein, fut un succès considérable, les spectateurs se passionnant par l’organisation de l’évasion de masse des prisonniers d’un Stalag du IIIe Reich, situé en Pologne actuelle, offrant quelques séquences cultes autour de personnages tous incarnés par d’immenses acteurs. Mais au-delà de ce récit historique, en quoi les spectateurs, dont la majorité n’a pas été prisonnier de Stalag, ont-ils pu se retrouver ? Et si cette histoire n’était qu’une parabole dénonçant l’antilibéralisme ?

BANDE ANNONCE



Un groupe sous contrôle

Un camp de prisonniers est par définition constitué de deux catégories principales d’individus : les prisonniers et ceux qui gardent les prisonniers. Ce qui peut apparaître comme une tautologie est néanmoins à mieux analyser. En effet, ces deux catégories se subdivisent elles-mêmes en deux groupes. Chez les gardiens, il y a ceux qui commandent, les officiers, et il y a les exécutants. Chez les prisonniers, cette même distinction existe, à ceci près que les officiers ne décident de rien mais bénéficient de privilèges dus à leur grade.

Le film montre ainsi que le groupe des prisonniers se définit d’abord par la réduction de ses libertés. Bien-sûr celle de pouvoir franchir les limites du Stalag ou l’impossibilité de pouvoir échanger avec l’extérieur sans la validation de ceux chargés de les surveiller. Mais à l’intérieur de celui-ci, ce sont aussi les contraintes de circulation à certains moments de la journée, le tout rythmé par les sirènes des gardiens, l’interdiction de certaines activités ou au contraire l’obligation de produire pour ceux que représentent les gardiens du camp.

À plus d’un titre, certains pourraient y reconnaître le monde de l’usine, surtout celui de l’avant-guerre. En effet, quelques soient les compétences des individus, ils sont tous logés à la même enseigne. Si les officiers ont des privilèges, ils sont astreints aux mêmes privations de liberté que les autres. En un sens, les compétences individuelles de chaque prisonnier sont complètement ignorées par le système qui ne demande d’eux que de se soumettre en admettant la limitation de leur liberté et à ne pas faire valoir leurs talents spécifiques.

Un groupe est une somme d’individus

Si le point-de vue du film se limitait à celui des gardiens, toute forme d’individualisme apparaitrait comme une remise en cause de l’ordre établi. Et donc une rupture dans le projet assigné aux habitants du camp. Or le film s’attache au contraire à montrer que ce groupe voulu uniforme et soumis est constitué d’individus ayant soif de liberté et ayant des talents leur étant propres.

L'autorité des gardiens passe par la soumission des individus en veillant à ce qu’ils ne puissent constituer un groupe solidaire. C'est pourquoi ils isolent les récalcitrants comme le capitaine Virgil Hilts alias « le roi du frigo » qui ne cesse de vouloir s’évader. Les gardiens nazis l’identifient comme un individualiste qui nuit au confort relatif du groupe et de fait à la quiétude du camp. Le début du film montre de ce point de vue que les individus ont des aspirations qui peuvent être communes, recouvrer la liberté, mais des motivations et des objectifs différents. En isolant ceux qui mettent en œuvre leur projet d’évasion individuelle, les gardiens maintiennent donc le groupe dans une logique de division dont le seul point commun pouvant souder le groupe est la soumission aux ordres. Du point de vue du management, cela induit un renoncement des individus à leurs envies propres ainsi qu’à l’usage de leurs talents pour satisfaire un projet collectif imposé par ceux leur ôtant et la liberté et l’expression de leur talent.

Faire des individus un groupe pour un projet commun

Une fois les talents de chaque prisonnier identifiés dans le film, celui qui sait creuser, celui qui sait faire des faux papiers ou celui qui analyse les moyens d’évacuer la terre de tunnels creusés, Sturges s’attarde alors sur les talents de manager des officiers qui réussissent à faire des aspirations communes à chaque prisonnier un objectif à réaliser en commun : s’évader du camp.

Au contraire de ce que recherche les gardiens du Stalag, c’est l’addition de talents que les officiers prisonniers veulent obtenir pour atteindre l’objectif. Cela signifie de faire revenir des individus dans une logique collective. Au « roi du frigo », il s’agit de lui faire accepter que l’évasion organisée en groupe aura plus de chances d’aboutir que toutes celles qu’il a cru réussir avant de se faire reprendre à chaque fois. Pour tous, c’est faire accepter des compromis, des collaborations inhabituelles pour viser un succès commun répondant aux aspirations des individus.

Mais surtout, les officiers doivent accepter de ne pas être ceux qui savent et écouter l’expertise de ceux agissant pour que le projet aboutisse. En terme managérial, le N+1 peut se trouver à obéir au N-2 car lui à la connaissance. Les organisateurs de l’évasion se comportent donc à la fois en directeurs de projet, en promoteur d’alliance management mais également en manager devant gérer les egos de tous tout en ne nuisant jamais au bon déroulé du projet.

La souplesse libérale face à la rigidité totalitaire

Ce que le film va alors développer est que la suppression des libertés n’empêche pas en soi la fin de l’entreprise même si elle la complique. Aussi, les talents individuels seuls ne restent que théoriques. Additionnés et mis au service d’un projet collectif, ils ne font pas que se conjuguer, ils créent des solidarités et des compréhensions des enjeux de l’autre. Ainsi les tunneliers savent creuser et étayer leur ouvrage mais ils ne savent pas comment récupérer les matériaux dont ils ont besoin, comment évacuer la terre qu’ils creusent ou créer des moyens de se mouvoir en sécurité à l’intérieur du tunnel clandestin. Et celui qui sait où se procurer des étais ne servirait strictement à rien si ses compétences n’étaient pas mises à disposition de ceux en ayant besoin ! Le film montre ainsi l’enthousiasme communicatif chez tous les protagonistes à l’idée que le projet d’évasion réussisse.

Les prisonniers se trouvent donc dans une situation d’employés d’une entreprise dont l’activité est empêchée ou contrariée par des normes et restrictions administratives et dont seules leurs capacités à contourner et à jouer avec les règles leur permettent d’arriver à la mise en œuvre du projet. Cette débrouille passe donc par l’utilisation de matériaux de substitution (une pomme de terre pour faire un tampon), d’une logistique surveillant les interventions des autorités, d’une vigilance vis-à-vis de ceux pouvant nuire au succès du dispositif.

L’utilisation des talents malgré les contraintes dans un objectif enthousiasmant entraîne inéluctablement des interactions humaines aboutissant à la sensation de faire partie d’un groupe à préserver et à protéger. Le mode d’action dans le Stalag induit une forte discrétion. Et de fait, cela peut se produire également dans une entreprise devant sinon agir dans l’illégalité du moins en ne claironnant pas sur les toits les modalités mises en œuvre pour réussir à contourner les tracasseries administratives ! Cette discrétion implique donc une vigilance à l’égard de personnes dont il pourrait être à craindre qu’elles ne soient des infiltrés. Dans le cadre de l’entreprise, la sanction peut être évidemment financière et/ou carcérale. Dans le cadre du film, les informations d’un traître peuvent aboutir non seulement à la fin de l’entreprise d’évasion mais également à l’élimination des protagonistes.

De l’absence de concurrence dans les régimes totalitaires

Il y a donc trois territoires dans le film : la zone de production – le Stalag ; la zone de distribution – le Reich ; la zone de consommation – les terres libres. Or si les prisonniers maîtrisent la première malgré les contraintes qui s’imposent à eux et savent qu’une fois dans la troisième, ils seront totalement évadés, ils ne font qu’envisager comment évoluer dans la deuxième zone qui n’est plus celle des contraintes de production du projet mais correspond dans le monde économique à ce qui pourrait ressembler au marché dans lequel les évadés doivent se mêler pour atteindre leur cible.

Paradoxalement, dans une activité au sein d’une économie de marché donc concurrentielle comme aux USA, il y a deux types de produits. Ceux légalement produits et conformes et qui pour atteindre leurs cibles doivent se démarquer pour être identifiés facilement, quitte à se montrer au-delà du raisonnable. Et ceux produits illégalement et qui doivent passer sous les radars d’une administration cherchant à les éliminer. Dans le cas de La grande évasion, les évadés ne sont pas libres et doivent donc à tout prix se faire discret, se mêler aux autres produits, les habitants, pour ne pas être identifiés comme frauduleux. L’absence de concurrence dans un régime économique non libéral crée une uniformité des produits, tant dans l’aspect que dans les qualités intrinsèques. Pas de concurrence, donc pas de marques en compétition les unes contre les autres.

Ce qui fait la différence entre la vie dans le camp et la période transitoire vers les terres libres, c’est que les évadés évoluent dans un territoire dont ils ne maîtrisent aucun paramètre extérieur autre que ceux qu’ils ont imaginés et auxquels ils se sont préparés. Ils ont donc spéculé sur une évasion massive mais pour laquelle, une fois dehors, le groupe deviendrait un handicap car trop vite repérable. De fait est-il préféré de retourner à l’éparpillement des individus où chacun d’entre eux joue sa partition en solo ou presque. L’intelligence collective dans le camp  disparaît pour des projets individualistes face à un adversaire dont chaque élément connaît le territoire, le contrôle et maîtrise les différentes voies empruntées par les évadés. Cette variété de canaux de diffusion crée autant de signaux différents qu’un régime totalitaire et liberticide est capable d’identifier pour agir et intercepter les fuyards, aussi bien camouflés soient-ils.

La grande évasion ou la parabole du mur de Berlin ?

Le sort des différents évadés est pour la plupart loin d’être celui qu’ils avaient envisagé. Beaucoup sont repris, d’autres sont exécutés. Du point de vue des spectateurs, cela peut apparaître particulièrement contraire à ce que le cinéma hollywoodien avait habitué ses spectateurs : un happy end. Il est ainsi particulièrement éprouvant de voir « le roi du frigo » ne pas réussir à franchir la frontière de barbelés à moto dans une des scènes les plus célèbres du film voire du cinéma. Pourtant, certains réussissent à s’évader, malgré les difficultés. Ainsi, le faussaire interprété par Donald Pleasence s’en sort, aidé par un autre détenu, et bien qu’ayant perdu largement la vue. Ces quelques succès ne sont pas anodins et pas seulement faits pour satisfaire les spectateurs. En effet, la morale du film est justement dans la valorisation d’un système libéral face aux régimes totalitaires. Le génie du libéralisme est de pouvoir agréger les talents pour mener à bien un projet qu’un régime totalitaire peut certes contrecarrer mais jamais totalement empêcher quand la soif de liberté amène les individus à ne plus craindre les forces liberticides.

Or le film date de 1963. S’il évoque bien sûr le régime nazi, il se regarde au présent des spectateurs. Et ceux-ci ne peuvent pas manquer de faire un parallèle avec une situation leur étant familière puisque en 1961, l’URSS faisait construire le mur de Berlin pour mettre fin à la fuite des Allemands de l’Est vers l’Ouest. Et que cherchaient ces Allemands de l’Est ? La liberté, celle de se déplacer comme celle d’agir, de penser et de consommer.

La grande évasion est donc un des plus grands films de guerre mais il est aussi un des plus intelligents films de propagande pour défendre le modèle libéral et capitaliste défendu en Occident et particulièrement aux USA.

À très bientôt

Lionel Lacour

 

 

 

 

 

 

lundi 8 mars 2021

"Le cas Richard Jewell" – Autopsie d'un employé modèle

 

Bonjour à tous

Après que Paul Greengrass et David O. Russel avaient été pressentis pour sa réalisation, c’est donc Clint Eastwood qui a repris le projet en réalisant Le cas Richard Jewell en 2019. Et autant dire que celui-ci entre complètement dans la trajectoire cinématographique du géant hollywoodien. Celle de la définition du héros à l’américaine, sauvant la vie des autres au risque de perdre la sienne, au propre comme au figuré. Comment ne pas voir une filiation entre Richard Jewell et Chesley Sullenberger dans Sully sorti en 2016 ? En fait, comment ne pas voir une filiation entre Richard Jewell et presque tous les héros du cinéma d’Eastwood tant ceux-ci ont du mal à vivre ce statut dans une société en quête permanente de héros tout en cherchant à le déboulonner de son piédestal aussitôt mis dessus. Surtout si le héros ne ressemble pas à celui auquel tout le monde rêverait.


BANDE ANNONCE


Richard Jewell : un CV pas formidable

Jewell nous est présenté brut. Son expérience est faite de petits boulots comme dans la première séquence du film dans laquelle il est un simple employé en cabinet d’avocats affecté aux fournitures. Il a été auparavant policier mais il a été viré de son poste. Il sera également surveillant dans un campus universitaire.

Parmi ses qualités se trouve donc l’ordre et le respect de l’autorité, que ce soit celle de ses supérieurs ou celle que représente les institutions d’Etat. Par-dessus tout, le drapeau américain symbolise une valeur supérieure.

Parmi ses passions, il y a la chasse et donc les armes. Il en possède quelques-unes d’ailleurs. Et il aime les jeux vidéo qui lui permettent de tirer.

Enfin, parmi ses qualités, il y a l’empathie, le respect du travail, l’assiduité. Il se rend au travail alors qu’il est malade ! Il est méticuleux et rigoureux.

Parmi ses défauts, il y a un manque d’indépendance. Il vit encore chez sa mère. Et bien que très patriote, il n’a pas payé ses impôts depuis quelques années. En bon américain WASP, Il aime manger de la junk food et s’empiffre de nourriture grasse. Richard Jewell est blanc et il est obèse. Ce n’est pas très hollywoodien comme personnage. Mais voilà, il n’est pas un héros hollywoodien. c’est un Américain moyen comme on en rencontre partout. C’est un simple employé. Et il est moustachu.

L’employé modèle

Richard Jewell aime l’ordre et le fait respecter quand il est embauché pour cela, comme dans cette cité universitaire, jusqu’à outrepasser les limites de sa fonction pour obéir aux attentes de ses supérieurs. Lorsqu’il est embauché pour la sécurité des Jeux Olympique d’Atlanta en 1996, il respecte scrupuleusement le protocole, exaspère ses collègues quand il suit un personnage au comportement inquiétant, fait sourire ceux qui surveillent sans vraiment surveiller.

Richard ne le fait pas pour lui. D’ailleurs, chacune de ses interventions est l’occasion de se sentir humilié par ceux le traitant de « gros ». Et pourtant, il accomplit ce qui est sa mission. Il en note d’ailleurs les contours quand il est recruté. Et quand il découvre un sac suspect dans le parc olympique, il contraint ceux qui en ont le pouvoir à appeler le service de déminage. Une fois la bombe effectivement identifiée, Richard met toute son énergie à disperser la foule mais également les différents services travaillant à proximité de la bombe. Ultime récompense quand un de ses collègues lui dit que plus jamais il ne se moquerait de lui.

Si la bombe explose faisant des victimes, il apparaît pourtant évident que sans l’intervention de Richard, le nombre de morts aurait pu être plus important. Interrogé par la presse, il ne cesse de minimiser son rôle de « héros » rappelant qu’il n’a fait que son travail, aidé par tous les autres. Il est un employé dans un collectif. Mais les Américains aiment les héros. Il sera ce héros. Malgré lui.

Ne jamais révéler les dysfonctionnements d’autres services

Le FBI a été mis en défaut. En faisant de Richard Jewell un héros, la presse en a fait une cible pour les policiers fédéraux. Malgré leurs moyens et leurs compétences, ils n’ont pas su déjouer l’attentat alors que Jewell a réussi à force d’observation.

Reste à savoir qui a déposé la bombe. C’est là que le CV de Richard va servir à nouveau. Pourquoi a-t-il été viré quand il a été flic ? Ceux qui le reconnaissent dans les médias voient dans son zèle passé une possibilité d’activisme et de recherche de reconnaissance.

Le FBI trouve alors dans le profil de l’employé modèle les failles pour le faire tomber : il est perfectionniste, veut prouver qu’il fait bien son travail et il est soumis à l’autorité. Il est le candidat parfait pour masquer la faute professionnelle de ceux qui auraient dû faire ce que Richard a fait.

Eastwood montre tous les degrés hiérarchiques du domaine de la sécurité. Richard est au bas de l’échelle. Il doit donc être éliminé. Dans une entreprise, il serait placardé, on lui trouverait une faute grave, il serait harcelé et ferait un burn out. Le FBI va faire la même chose mais en ayant les moyens de l’accuser d’avoir commis l’attentat. Quand bien même les preuves discréditent l’accusation. Peu importe, Richard est coupable. Cela est vu à la télévision.

Des « réseaux sociaux » au réseau professionnel

Si en 1996, Internet en est à ses balbutiements, ce que subit Richard Jewell par la presse est concentré par l’effet cinématographique et renvoie aux campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux visant à détruire les individus. L’affaire du professeur Lemaire à Trappes en février 2021 en est un exemple parfait.

Ainsi, quoi de mieux que la presse pour relayer la non information sur les soupçons pesant sur Richard Jewell. Ce ne sont pas des « likes » qui harassent Richard mais des journalistes qui campent devant son domicile. Et chaque phrase prononcée sonne comme un aveu auprès de l’opinion publique. Chaque imprécision devient la preuve de sa culpabilité. Dès lors, celui qui a bien fait son travail devient le coupable et ceux qui ont failli se rachètent une virginité en arrêtant un suspect. Haro sur le héros devient alors le mot d’ordre.

Richard choisit alors un avocat. Il est celui avec qui il travaillait au début du film et qui a reconnu ses qualités, ne le traitant pas pour ce à quoi il ressemblait, un gros, mais pour ses qualités. D’où ce surnom de « Radar » parce qu’il était vigilant à ce qui l’entourait. Si c’est son côté maniaque du travail bien fait qui a jeté le soupçon sur Richard, c’est son professionnalisme qui permet à Richard Jewell de trouver un soutien en dehors de son entreprise. C’est son professionnalisme qui a fait qu’il a été reconnu par son avocat. C’est son professionnalisme qui lui a permis de constituer, même modestement, un réseau professionnel lui étant profitable à terme.

C’est ainsi que l’avocat rappelle à Richard que ses accusateurs ne valent pas mieux intrinsèquement que lui. Qu’il ne leur est pas inférieur. Dans ce réseau professionnel de la sécurité, il y a ceux qui ont failli et celui qui a réussi.

Un employé modèle type ?

Si l’action se passe en 1996, comment ne pas voir que le propos est finalement intemporel. Le film montre tout d’abord que les compétences de chacun peuvent servir à un projet commun. Richard n’a pas le profil physique de celui qu’on attend pour la sécurité. Mais il est attentif et vigilant. Aux autres de savoir être rapide ou puissants, aux autres de savoir désamorcer ou pas une bombe. Richard connaît le protocole qui souvent s’avère sans intérêt mais terriblement utile quand la situation se produit.

Ensuite, le film révèle que la vie privée n’a pas à interférer dans la perception d’un employé. Peu importe que Richard aime chasser et possède des armes. Il n’en fait pas usage dans son métier. Il est respecteux des ordres. Son ambition n’est pas de devenir directeur d’un service du FBI ni même d’être connu ou reconnu comme un héros dans la rue mais d’être juste reconnu par ses pairs. Ce qui est déjà beaucoup.

Enfin, chaque personnage travaillant pour la sécurité a le même objectif : veiller à ce que la population ne soit pas mise en danger par quiconque. Cette mission est donnée par un patron symbolisé par le drapeau américain. Eastwood ne montre pas de directeur ou d’autre patron « humain ». Derrière ce drapeau se trouve bien l’Etat fédéral et tout ce que cela implique.

Richard Jewell, même en n’étant qu’un modeste employé d’un service de sécurité privé, sans avoir les caractéristiques convenues, physiques ou intellectuelles, a eu la même mission, à son échelle, de veiller à la sécurité de la population. Il ne faut pas lui demander d’intervenir autrement et ailleurs. Mais il fallait lui reconnaître ses compétences plutôt que de voir dans ses différences une preuve d’une quelconque culpabilité.

 

L’arrêt de la procédure d’enquête ressemble à la fin d’une procédure de licenciement. Ce n’est pas l’Etat qui a failli mais des hommes d’une des institutions de l’Etat. Aussi, quand l’avocat retrouve Richard quelques années plus tard pour lui annoncer que le vrai coupable a été arrêté, il se rend au bureau d’un shérif où Richard travaille désormais au sein de la police. Ses compétences ont enfin été reconnues. Il a étoffé son CV. Il n’en a pas voulu à son « patron » symbolisé par le drapeau.  Il n’est pas ce héros que les Américains idolâtrent. Il est un citoyen moyen. Il a juste changé la photo de son CV. Et il ne porte plus la moustache.

jeudi 18 février 2021

« Le cave se rebiffe » Une histoire de management d'un projet d'entreprise!

Bonjour à tous,

Longtemps, Le cave se rebiffe a pu s’enorgueillir d’être le film le plus diffusé par la télévision française. Réalisé en 1961 par Gilles Grangier, il avait toutes les qualités pour rassembler les spectateurs devant l’écran. Le duo Gabin/Blier tout d’abord, les dialogues de Michel Audiard ensuite, et une histoire tirée de la trilogie de Max le menteur d’Albert Simonin dont le premier volet a donné le très sérieux Touchez pas au grisbi en 1954 par Jacques Becker et le troisième le parodique Tontons flingueurs en 1963 par Georges Lautner. De ces trois adaptations complètement indépendant,  Le cave se rebiffe est certainement la plus pittoresque et raconte une histoire de faux-monnayeurs. Pourtant, les bons mots d’Audiard et les performances remarquables de tous les comédiens s’appuient sur une véritable activité d’une  entreprise industrielle cherchant à développer un produit jusqu’à sa commercialisation.


BANDE ANNONCE


L’opportunité d’un marché

Eric Masson (Franck Villard) est un entrepreneur en automobiles américaines. Endetté auprès du banquier Lucas Malvoisin (Antoine Balpétré) et d’un financeur Charles Lepicard (Bernard Blier), ancien patron d’une maison close, vient en rendez-vous pour rembourser ses dettes sur le développement de ses activités auprès de General Motors. Or Masson propose à ses créanciers une affaire plus prometteuse consistant à fabriquer de la fausse monnaie.

Le film aborde alors rapidement sur une réflexion commune des trois potentiels associés sur la faisabilité d’un tel projet. Lepicard les ramène à la raison car cette activité est nouvelle pour eux trois. Mais il connaît un spécialiste qui pourrait valider ou pas un tel projet. L’investissement coûterait un voyage en Amérique latine pour présenter la nature de l’entreprise à un certain Ferdinand Maréchal dit Le dabe (Jean Gabin).

Face aux arguments de Charles, Le dabe lui montre tous les inconvénients d’un tel projet, à commencer par la versatilité d’une devise qui peut être démonétisée sans prévenir ! Il fait valoir d’ailleurs son expérience face à la démonétisation du Florin par la Reine Wilhelmine des Pays-Bas en 1945 !

« Dis-toi bien qu’en matière de monnaie, l’Etat à tous les droits, le particulier aucun ».

Derrière cette boutade, il s’agit bien de voir qu’une entreprise économique doit prendre en compte tous les paramètres, à commencer par la stabilité d’un marché ! Et l’expérience qu’apporte Le dabe est évidemment de première importance.

Malgré ses réserves, Le dabe accepte finalement l’association proposée par Charles Lepicard. Pour des raisons finalement « déraisonnables ». Là encore, l’acceptation du spécialiste prend en compte un autre aspect de l’aventure d’un entrepreneur car si le Dabe sait le risque de la fausse monnaie, il en sait aussi les profits potentiels. Lepicard joue alors la carte de l’affectif. Il change le projet initial de faire des fausses Livres Sterling et affirme au Dabe que la fausse monnaie devait être des Florins. L’entreprise est une prise de risque et un engagement personnel. Le dabe prend donc ce risque.


Un chef de projet véritable chef d’orchestre

Si ce sont les trois associés qui sont à l’initiative de l’entreprise, Le dabe en est le chef de projet car il en a les compétences. Il organise la production en choisissant le lieu, les machines et les individus.

Chaque associé apporte une valeur ajouté. Le banquier et Lepicard apportent les financements, Eric Masson doit chercher le matériel et est transformé en directeur de production, en charge de recruter le graveur. Car si le projet est alléchant pour les premiers associés, c’est qu’il était lié à leur relation avec un graveur hors pair, Robert Mideau (Maurice Biraud). Il est précédé d’une réputation, d’un CV que seul Le dabe peut confirmer

Le dabe se charge aussi de trouver des fournisseurs et des clients. Ainsi va-t-il chez Mme Pauline (Françoise Rosay) pour s’approvisionner en papier. Quant à son client, il s’adresse à lui par un réseau professionnel, dans un vocabulaire codé.

Enfin, le chef de projet établit le planning de la production afin de procéder à l’impression, découpage et conditionnement des billets, nettoyage et destruction des éléments compromettants pour enfin procéder à la livraison et au paiement de la production par le client.


Un management qui repose sur les compétences

Le dabe maîtrise son secteur d’activité, de la production jusqu’au périmètre limité de son marché. Il est en mode B2B (Business To Business) et sait que cette production n’est pas duplicable car elle est en mode « prototype ».  C’est sur ces bases qu’il réclame 50% des bénéfices, sûr de ses compétences permettant de mener à bien l’opération. Le film montre d’ailleurs parfaitement la loi de l’offre et de la demande dans le marché des ressources humaines car c’est Le dabe qui fixe ses conditions à ceux venus le chercher. En contrepartie, il s’engage à une obligation de résultat pour lequel il s’engage.

Le dabe évalue également les compétences du graveur. Robert est d’abord montré comme un professionnel aguerri connaissant parfaitement les machines sur lesquelles il devra travailler. Mais c’est surtout sur son travail de gravure que Le dabe identifie le talent de Robert. Une scène mémorable permet alors de comprendre que Le dabe se fait passer pour le commanditaire de la gravure pour faire de Robert l’homme important de l’opération de fausse monnaie. D’abord par la flatterie dans sa comparaison de Robert avec les grands artistes « Laissez-moi vous appeler Robert comme on dit Léonard ou Raphaël » puis valorisant talent « Ne pas reconnaître son talent c’est faciliter la tâche des médiocres ».

Quant aux associés, hormis leur statut d’associés, Le dabe les traite seulement en fonction de leurs seules compétences. Soit financier. Soit physique. Ainsi Eric Masson, bien qu’étant celui à l’initiative du projet, se retrouve à faire de la manutention pour récupérer les rames de papier pour les billets de banque. Ce qui en dit long sur l’appréciation que Le dabe en a. D’où sa description à Madame Pauline : « Un grand, l’air con, avec des petites moustaches. […] Un gabarit exceptionnel, si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon, il serait à Sèvres. » Mais peu importe, Le dabe a besoin de Masson pour les basses besognes. Et il l’emploie.

Mener à bien le projet

Comme tout film de gangsters ou d’aventure, il y a des conflits et des traîtrises. La qualité d’un chef est de pouvoir les identifier et de les neutraliser. Or le film montre combien l’entreprise économique, même illégale, crée des tensions entre les différents protagonistes. Ainsi, parce que les trois associés se sentent floués par leur chef de projet qui s’accapare 50% des bénéfices, ils décident de le doubler en produisant davantage de faux billets, s’approvisionnant chez un autre fournisseur – de moindre qualité – et impliquant le cave – Robert dans leur combine.

Ainsi, les modalités du projet ont été modifiées au risque d’aboutir à son échec. Pourtant, Gilles Grangier met en scène une rencontre entre Le dabe et Robert durant laquelle le premier va estimer le temps de production des faux billets. Le film a présenté Le dabe comme un professionnel de la fausse monnaie et donc ses évaluations de délai pour chaque opération (impression, massicotage, destruction des chutes…) ne sont pas des approximations. Or Robert, lui aussi caractérisé comme un vrai spécialiste, annonce des délais plus longs. Pour produire plus que ce que le plan de travail avait envisagé ?

De fait, chaque spectateur peut se projeter dans ces luttes d’influences mêlant les différents cadres et les employés. Chacun comprend que Le dabe s’est rendu compte de l’entourloupe qui se prépare et invite Robert à ne pas faire d’heures supplémentaires.  Ainsi, les compétences du chef de projet ont permis au Dabe d’identifier le dysfonctionnement dans la production et l’a fait comprendre à son technicien. Les deux seuls vrais professionnels  du projet se sont donc reconnus en tant que tels.

Par cette rencontre, Le dabe rétablit le plan de production initialement décidé, élimine du projet ceux ayant risqué de le faire échouer et finalise la distribution avec son client. Robert le rejoint pour profiter des bénéfices tandis que les trois autres compères ont tout perdu.

« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

Si le film se finit par la réussite d’une affaire illégale, il finit surtout par le succès d’une entreprise économique dans laquelle l’efficacité et le professionnalisme l’ont emporté. C’est ainsi que les trois associés se sont fait doubler par l’employé qu’ils avaient eux-mêmes essayé de détourner de sa mission. Leur échec est celui de leur incompétence combiné à leur quête du profit. En effet, ils ont voulu produire davantage de faux-billets avec un papier de médiocre qualité ce que Le dabe a identifié au premier regard quand les trois autres s’en satisfaisaient, au risque de faire capoter l’entreprise. Mais surtout, c’est cette incompétence qui leur a finalement fait tout perdre plutôt de de se partager les 50% de bénéfices restant. C’est la morale de toute activité économique qui doit rémunérer ceux apportant la plus grande valeur ajoutée au projet.  

Ici, les actionnaires ont voulu gagner autant que ceux qui ont les compétences sur toutes les parties opérationnelles. Dans le film, ce sont ces derniers qui l’emportent – même si les auteurs ajoutent un carton final affirmant que Robert et Le dabe seront arrêtés justifiant le « bien mal acquis ne profite jamais » – sur les premiers. Vu aujourd’hui, cette morale apparaît incongrue tant le rapport de force semble parfois renversé entre les productifs et les financeurs au sein des entreprises. Du moins dans les grandes entreprises. Mais pour les petites entreprises, il est fort à parier que la morale du film est toujours d’actualité !

 

À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 10 février 2021

"L’emmerdeur" et l’apogée des trente glorieuses


Bonjour à tous. 
Quand Edouard Molinaro réalise L’emmerdeur en 1973, il associe ces deux monstres sacrés après le succès de L’aventure c’est l’aventure un an auparavant. L’un est devenu un champion du box office dans des comédies de Lautner tout en alternant avec des films d’action et dramatiques. Le second a été le maître de la chanson française et s’est lancé dans une carrière cinématographique en tant qu’acteur mais aussi réalisateur. Le scénario de Francis Veber constitue ce qui allait devenir sa marque de fabrique en faisant s’affronter deux personnages aux personnalités opposées, l’un étant pénible et l’autre une forte personnalité. Le film fonctionne d’autant mieux que Ventura joue le rôle de Ralph Milan avec autant de sérieux que Brel joue François Pignon avec fantaisie. Ce duo mal assorti est écrit dans une période particulièrement bénéfique pour le pays et tout le film va illustrer cela avec tous les rêves que trente ans de croissance économique ont permis aux Français

BANDE ANNONCE



Le monde des VRP

Avec François Pignon, c’est le monde de la France qui travaille telle que les années d’après-guerre l’ont développé. Des activités industrielles, ici le textile, envoient leurs représentants de commerce vendre les collections dans les magasins. L’ère de la voiture bat son plein, nous y reviendrons, et les Voyageurs Représentants Placiers, les fameux VRP, l’utilise pour sillonner tout le pays.

Là est l’ingéniosité de Francis Veber, le scénariste. S’ils sont de caractères différents, si leurs missions ne sont pas les mêmes, leurs professions recouvrent en fait les mêmes caractéristiques

Ainsi François Pignon est un VRP qui vend des chemises. Il a son stock avec lui et propose même à Monsieur Milan de lui en offrir une en vérifiant s’il en a à sa taille. En bon VRP, il connaître son produit, les gammes, identifie le modèle qui lui siéra. Milan est également en quelque sorte un VRP. Il doit honorer un contrat, identifier son client, adapter son matériel à lui… puis l’éliminer. Milan est un tueur à gage.

Ces deux VRP ont le même fonctionnement. Leurs activités nécessitent de trouver du confort sur les trajets qui les amènent à leurs clients. Les hôtels bien sûr, comme celui où Pignon et Milan se retrouvent, mais aussi les stations essences proposant de la restauration rapide afin de pouvoir reprendre la route. C’est ainsi que Milan se retrouve dans un de ces snacks-station essence pour prendre un café, bloquant un chauffeur-routier avec son véhicule. Par cette séquence, c’est tout un symbole de l’activité des flux économiques que Molinaro met en scène. Les stations essences pour remplir les réservoirs des automobiles sont des lieux de convergences des différents professionnels sillonnant les routes.

Un pays libéral

Autour d’une simple séquence, le film montre combien la France est passée des restrictions d’après-guerre à une société de consommation. Ainsi, alors que Pignon conduit Milan en voiture, celui-là réalise qu’il n’a plus d’essence. Pourtant, il va passer devant plusieurs stations sans s’arrêter. Milan lui demande de s’arrêter mais Pignon refuse car il ne prend que de la Fina. Derrière cette bêtise sans nom se cache une logique. Pignon fait la collection des santons en plastique pour son petit neveu et ceux-ci se trouvent donc dans les stations Fina.

En quelques secondes, le film entre en connivence avec les spectateurs. Sans rien leur expliquer puisqu’ils savent déjà. On ne reconnaît que ce qu’on connaît. Ainsi, la multiplication des marques de distributeurs d’essence montre que l’économie française est concurrentielle, une des caractéristiques des économies libérales. Cette concurrence joue donc sur une guerre des prix – ceux-ci sont affichés à l’extérieur de la station et visibles de la route – par une identification aux marques par leurs logos, et par des pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle. Ici, des cadeaux offerts aux clients pour tout plein d’essence effectué. Cette stratégie de fidélisation peut paraître archaïque mais elle est encore pratiquée aujourd’hui par les entreprises de tous les secteurs, y compris dans le numérique !

L’objet de la fidélisation est également intéressant puisqu’il s’agit de santons en plastiques. Cela montre d’abord une industrialisation de produits qui autrefois étaient des objets en terre cuite ou céramique. Comme l’essence, ils sont fabriqués à partir de produits pétroliers importés. Le pétrole est donc transformé par les raffineries pour en faire du carburant ou dans des usines de plasturgie pour en faire du plastique que des usines mouleront pour les transformer ici en santons. Cette production de masse réduit les coûts unitaires et démocratisent des objets qui étaient souvent conservés précieusement et transmis de génération en génération.

Cette fidélisation montre enfin que la France reste encore, en 1973 du moins, un pays foncièrement chrétien. Mais il s’agit d’un christianisme culturel où les objets religieux se vendent ou se gagnent dans des commerces sans aucun lien avec le culte. La crèche que réalise le neveu de Pignon a peu de chance d’être conservée. Il ne la fait que parce qu’elle est devenue objet de consommation et non de piété. Ces santons en plastique montrent également le peu de valeur conférés par ceux qui les collectionnent. Par une dévaluation des valeurs chrétiennes et de ses symboles, devenus objets de marketing !

Une France de la promotion soc iale

Enfin, le film met en avant ce qui caractérise les Trente glorieuses. Certes la femme de Pignon (Caroline Cellier) le quitte pour un notable neurologue (Jean-Pierre Darras) ce qui ressemble quand même à une ascension sociale plus classique par mariage. Mais l’idéal de Pignon est bien de pouvoir offrir à sa femme un pavillon individuel, symbole de la réussite sociale pour ceux qui n’étaient que des employés et à qui la croissance économique a permis d’accéder au statut de propriétaire. Cette ascension sociale se caractérise donc par des signes extérieurs de richesse qui passent par la voiture mais aussi par la maison.

Cette promotion sociale est aussi celle que permet l’école. Pignon veut des enfants pour qu’ils occupent un métier plus prestigieux que le sien, un avocat ou un pharmacien. Il y a cette idée que chaque génération peut progresser par rapport à la précédente. Loin des stéréotypes des décennies précédentes dans lesquelles les fils poursuivent le métier de leur père, Pignon n’envisage donc pas que son fils soit lui aussi un VRP. Cela est dû au fait qu’il n’est certainement qu’un employé. Il n’est pas artisan et n’a donc pas de succession patrimoniale en lien avec son métier à transmettre. IL est d’ailleurs curieux que les métiers qu’il cite soient à la fois des métiers intellectuels plutôt prestigieux mais également des professions libérales, donc indépendantes. Cette période ne fait donc pas la part belle aux métiers manuels mais au contraire aux métiers intellectuels à forte valeur ajoutée. Ceci s’explique entre autre encore une fois par la substitution des productions artisanales par la production industrielle qui démocratisent les produits, concurrencent les artisans et où les travailleurs se trouvent au bas de l’échelle sociale.

 

Avec L’emmerdeur, c’est une sorte d’instantané des derniers instants d’une confiance absolue des classes moyennes dans la prospérité. Cette même année allait éclater la première crise pétrolière qui allait secouer toutes les certitudes du film. L’industrialisation connaîtra un déclin du fait du renchérissement de l’énergie pétrolière, le chômage gagnera et rendra aux artisans leur prestige progressivement et l’école cessera également d’être cet ascenseur social dont se glorifiait les gouvernements successifs.

À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 3 février 2021

"La cité de la peur" : there is no business like show-business

 

Bonjour à tous.

Les comédies transgénérationnelles, celles que les parents montrent à leurs enfants et que les enfants intègrent dans leur propre culture, ne sont pas si nombreuses. Il en va des Tontons flingueurs, de La grande vadrouille ou du Père Noël est une ordure  et quelques autres, souvent des mêmes auteurs d’ailleurs. En 1994, Alain Berbérian réalise La cité de la peur sur un scénario écrit par les Nuls alors au sommet de leur gloire après le succès des deux saisons de Les Nuls, l’émission de 1990 à 1992. Ces stars comiques de la chaîne Canal + ont donc décidé de projeter leur talent sur grand écran, montrant que leur drôlerie inspiré des plus grands humoristes anglo-saxons pouvait être transposé en salle et sur la durée d’un film entier tout en conservant leur verve et leur spécificité reposant sur le décalage, le mauvais goût et l’implication des autres artistes dans leur délire. Mais c’est surtout dans l’univers du show-business qu’Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia plongent leur histoire. Et quoi de mieux que le festival de Cannes pour incarner le temple du show-business avec ses stars de cinéma, ses journalistes et ses groupies.

1.     Le star system revisité

Un nanar absolu Red is dead est projeté en séance de presse au premier jour du festival de Cannes.  Hormis un jeu d’acteur exécrable, une réalisation pitoyable et un discours politique d’un simplisme confondant avec son fameux « meurs, pourriture communiste », les Nuls posent clairement les faits. Ce film est nul tout comme son acteur principal. Pourtant, à la suite d’un fait-divers en lien avec le tueur du film. Le projectionniste de la salle de cinéma où est projeté Red is dead est assassiné comme le fait le tueur du film, avec un marteau et une faucille. Or, malgré le rejet du film par la critique, l’attachée de presse Odile Deray (Chantal Lauby) décide de tirer avantage de ce meurtre et attirer l’attention des médias sur son film. Elle décide de faire venir au festival l’acteur Simon Jérémi (Dominique Farrugia). Les spectateurs découvrent médusés un personnage qui vomit quand il est heureux, a des goûts alimentaires répugnants et ressemble dès son arrivée davantage à un enfant attardé qu’à un adulte accompli. L’objectif d’Odile est de le mettre en scène comme n’importe quelle star du 7e art. Pour cela, elle le fait accompagner d’une voiture, d’un garde du corps et procède à un relooking surtout après qu’un deuxième projectionniste a été assassiné selon les mêmes circonstances. Simon se retrouve alors sous les feux des projecteurs alors même que son talent d’acteur ne le justifie pas.

Cette notoriété soudaine ne touche d’ailleurs pas seulement Simon. En effet, dans plusieurs séquences, le film illustre comment certaines personnes deviennent des sujets d’attention pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’elles font. Ainsi le commissaire Bialès (Gérard Darmond) est-il accueilli telle une rock star par les  journalistes quand il arrive sur les lieux d’un crime. Cette notoriété est à la fois suscitée par une presse en quête de sensationnel et par ceux qui voient l’opportunité d’être mis en avant. Ainsi le commissaire s’inquiète de la tenue qu’il porte et remercie son adjoint d’avoir prévenu la presse. Mais ce sont surtout d’autres personnages qui troublent le plus, provoquant le rire. En effet la veuve du premier projectionniste assassiné se retrouve être désormais invitée dans tous les événements people du festival jusqu’à remonter les marches, telle une star connue de tous. Même par les journalistes commentant cette montée. La sous-préfète au look de cougar est citée deux fois comme si cela était important. En revanche, les deux animateurs de la soirée peinent à reconnaître le premier ministre, qui ressemble vaguement à quelqu’un qui passe à la télévision.

Derrière l’humour se cache malgré tout une critique d’un système médiatique s’intéressant davantage à ce qui fait l’actualité sensationnelle qu’au contenu. Ainsi l’animatrice reconnaît explicitement qu’elle n’a pas le temps de voir les films, toute occupée qu’elle est à se préparer et à paraître. C’est également le public qui est moqué, celui qui se presse voir un film dont ils ne savent rien et dont l’actualité sanglante confère une valeur n’ayant aucun rapport avec sa qualité cinématographique. Cet engouement est d’autant plus factice que les spectateurs réclament le remboursement de leurs invitations car la projection a un peu de retard. A contrario, les vrais artistes acceptent d’être ridiculisés dans des rôles mineurs. Il en est ainsi des quatre projectionnistes interprétés par Tchecky Karyo, Jean-Pierre Bacri, Daniel Gelin et Eddy Mitchell.

 

2.    Un focus taquin sur l’industrie cinématographique

Ainsi, c’est bien l’industrie cinématographique et ceux qui en vivent qui est gentiment, mais sûrement moquée dans La cité de la peur. Et notamment ce qui concerne l’après-production. Ainsi, il s’avère que le rôle des attachés de presse est primordial pour le succès d’un film. C’est ce que fait d’ailleurs avec passion Odile Deray en essayant de vendre un film calamiteux par l’organisation d’une séance réservée aux journalistes. Mais c’est également elle qui utilise le « buzz » autour de Red is dead et des assassinats de projectionniste pour relancer la promotion jusqu’à l’organisation d’une séance en clôture du festival. Rien n’indique d’ailleurs que ce film était prévu en projection dans la salle du Palais du festival. Le succès de cette promotion que le réalisateur montre une montée en puissance dans la communication, avec une attachée de presse gérant en quelques jours et dans des bureaux flambant neufs une équipe de communiquant déployant toutes les possibilités de marketing. Car derrière le succès médiatique du film, c’est la carrière d’Odile qui est en jeu. Peu importe le sort des personnes qu’elle côtoie, elle ne pense qu’aux retombées médiatiques. Et le « bad buzz » autour des meurtres n’est que du buzz pour le film dont elle a la charge. Jusqu’à ce qu’elle intéresse même des cinéastes étrangers !

Ainsi, le rôle des journalistes-critiques de cinéma est relégué au second plan. Ceux qui ont vu le film le premier jour du festival n’en ont pas parlé parce que trop mauvais, ou ne sont pas allés jusqu’au bout de la projection. À aucun moment il n’est mentionné dans La cité de la peur que le film ait été mal accueilli par eux. L’aspect qualitatif est donc relégué derrière des considérations autres. Et si le film des Nuls insiste à ce sujet, c’est aussi pour se moquer d’une cinéphilie parfois pointue que représente Cannes. Ainsi sont régulièrement cités les films projetés en compétition, avec des titres improbables, de réalisateurs inconnus venant des pays d’Europe centrale ou d’Asie. Ces films sont sélectionnés pour des critères qualitatifs mais si la lecture de leurs titres des films fait rire les spectateurs de La cité de la peur, c’est que cela renvoie aussi à un certain snobisme du festival de Cannes, sélectionnant parfois des films qui ne seront que peu programmés en salle et très peu vus. De fait, Red is dead peut être très mauvais. Sa carrière ne sera pas moins calamiteuse que certaine des films sélectionnés mentionnés.

En fait, les Nuls montrent surtout que le cinéma, et avec lui, le festival de Cannes – comme les autres événements du 7e art – sont surtout un business. Et au-delà des salles de projection, La cité de la peur insiste sur l’organisation du festival. Car s’il y a une sélection de films en compétition, Cannes est surtout pour les professionnels un moment privilégié pour faire connaître leurs projets, leurs productions. À plusieurs moments d’ailleurs apparaît un panneau indiquant « marché du film ». Il s’agit bien de quelque chose de choisi par la réalisation car Berbérian tourne en dehors de la période du festival. En effet, les habitués de cet événement auront remarqué l’absence des installations éphémères à proximité du palais et qui accueillent toutes les grandes institutions privées et publiques de l’industrie cinématographique. En disposant plusieurs fois ce panneau « Marché du film », le réalisateur rappelle que le cinéma est certes un spectacle – la preuve, il en fait une œuvre lui-même – mais aussi et surtout un business. Cela se traduit donc par des salles réservées aux professionnels ayant des badges spécifiques, des services de sécurité etc.

 

3.     Le business où tout est spectacle

Quand Serge (Alain Chabat) arrive à l’aéroport de Nice en tant que garde du corps du comédien Simon, il présente la voiture dans laquelle ils vont rejoindre comme une vraie publicité, ce que le réalisateur s’empresse de représenter ainsi avec des plans pastichant les spots publicitaires des véhicules censés vendre du rêve plus qu’une voiture. Il y a donc, au détour d’un gag, une confusion entre réalité, ils vont prendre une voiture, et l’illusion donnée par la mise en scène d’un véhicule ordinaire devenu un spectacle en soi.

Cette confusion va aller crescendo avec le spectacle que représentent les assassinats des projectionnistes. Les protagonistes, directs ou indirects, de ces crimes en série deviennent des personnages à part entière. Les veuves sont scrutées comme des héroïnes et acclamées sur le tapis rouge à égalité avec les artistes. Jusqu’à Emile le projectionniste amoureux d’Odile et le véritable assassin, qui montant les marches du palais pour projeter Red is dead attire l’attention des fans comme des animateurs. Il est un spectacle à lui tout seul car il pourrait être la prochaine victime. Le réalisateur insiste avec l’utilisation du ralenti et d’une musique de thriller. Tout est spectacle donc dans le cinéma, en dehors même du contenu des films.

D’ailleurs, Berbérian signifie cette omniprésence du spectacle par l’utilisation de procédés suscitant l’émotion à tous propos. Ainsi, quand Serge Karamazov doit éviter des mimes en faisant un saut sur la Croisette, le réalisateur utilise le gros plan sur le visage du garde du corps, le tout au ralenti pour accentuer encore plus les sensations. Quand il atterrit, des juges sortis de nulle part viennent mesurer la longueur du saut avec un record du monde ! Certes le décalage de la situation crée l’hilarité. Cela manifeste pourtant aussi que la réalisation audiovisuelle des compétitions sportives insiste de plus en plus sur l’émotion au-delà de la performance pure. Ce qui montre bien que ce « tout spectacle » est présent partout, pas seulement au cinéma. Et que ce « tout spectacle », comme pour l’industrie cinématographique,  ne prend pas en compte seulement le qualitatif !

Le spectacle est donc une clé de la société contemporaine. Et cela est relayé par les médias de l’immédiateté de 1994 dans un film qui ne connaît pourtant pas encore les réseaux sociaux. C’est ainsi que la télévision est omniprésente, que ce soit sur les lieux d’un crime avec foison de caméras relayant en direct l’arrivée du commissaire ou interviewant des victimes. La presse écrite se nourrit également de ces crimes en série pour « feuilletonner » et proposer chaque jour des titres plus accrocheurs pour vendre leurs journaux.

Comme un pied de nez arrive alors la séquence de la Carioca sur une musique latino génialement adaptée par Philippe Chany, longtemps compositeur attitré des films avec Alain Chabat. Elle doit occuper les spectateurs en salle face au retard de la projection du film Red is dead. Serge Karamazov entame ainsi un solo de trompette enchaîné par une chanson, bientôt rejoint par le commissaire. Séquence improvisée dans la narration du film, Berbérian en fait une sorte de réplique de comédie américaine avec des décors certes minimalistes mais créant une ambiance exotique, le tout mis en scène avec une vraie élégance artistique, le rire étant suscité par ce couple improbable de deux hommes effectuant une chorégraphie ambiguë. Cette séquence magistrale et mémorable au point d’être rejouée en 2019 au Festival de Cannes pour les 25 ans du film est de fait le seul moment de spectacle artistique de La cité de la peur - hormis la séquence finale de Red is dead – tout le reste n’étant que spectacle médiatique reprenant les codes des spectacles artistiques.

 

Le succès de La cité de la peur repose donc sur le talent de l’équipe des Nuls, de leurs acolytes habituels et des seconds rôles prestigieux. Les auteurs ont su transposer leur imaginaire fécond télévisuel sur un format plus long, enchaînant humour potache, gags et incises aussi efficaces sur petit écran que sur le grand. Mais le succès est aussi dû au regard porté par ces humoristes sur un univers dont ils connaissent parfaitement les contours et les limites, créant des notoriétés sur une exposition télévisuelle qui ne dure que le temps de l’émotion et de l’événement. Un système où personne n’est dupe du jeu et où chacun essaye de tirer profit. Car si les télévisions se précipitent sur les faits divers et les individus, la célébrité qui en découle vient aussi que chacun recherche ce que Warhol définissait par le quart d’heure de célébrité permis par les médias de masse. Depuis ce film, rien n’a changé. Au contraire. Les réseaux sociaux créent même le phénomène de viralité amplifiant la notoriété immédiate de parfaits inconnus. Et ce n’est pas Tomy, le pêcheur de coquilles Saint-Jacques de Saint Malo qui pourra dire le contraire après le reportage lui étant consacré en décembre 2020 par France 2, créant un engouement inouï autour de sa personne !

À très bientôt

Lionel Lacour

mardi 26 janvier 2021

"Les Bronzés font du ski" : une leçon d’économie !

 


Bonjour à tous

Tous les hivers, une chaîne de télévision programme le film culte de Patrice Leconte Les bronzés font du ski sorti en 1979. Si les spectateurs retrouvent les héros du premier opus Les bronzés sorti un an auparavant, ils vont aussi assister à un ensemble de situations renvoyant à la production, au management et à la relation client. Une base de travail formidable pour toutes les écoles de commerces en quelque sorte !


BANDE ANNONCE

Une société de services et de loisirs

Dès le début du film, Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) se trouve dans une gare parisienne pour partir en vacances dans une station de ski. Il a donc recours au service des transports collectifs pour rejoindre ses amis pour faire du ski. Et tout le film va décliner ensuite les services qui gravitent autour de cette activité touristique.

Ainsi Jean-Claude dort dans un hôtel et prend des leçons de ski avec un professionnel, Bernard et Nathalie (Gérard Jugnot et Josiane Balasko) louent leur matériel de ski dans lequel travaille Popeye (Thierry Lhermitte). Quant à Gigi (Marie-Anne Chazel), elle tient un restaurant dans la station de Val d’Isère où tous se retrouvent donc. Quant à Jérôme (Christian Clavier), s’il est médecin, il passe aussi son temps libre à skier et à emprunter les remontées mécaniques, un autre service loué aux touristes.

Ainsi, tout au long du film, c’est une bonne partie de l’économie touristique qui est déclinée reposant essentiellement sur des services mis en place pour les résidents éphémères. À ces services globaux s’ajoutent des services désignés aujourd’hui comme « premium » proposés en plus ou spécifiquement aux clients souhaitant des prestations moins ordinaires et forcément plus chères. Ainsi Popeye donne des cours particuliers à des clientes fortunées. De même, la bande d’amis organise une journée hors-piste avec dépôt de chacun en hélicoptère au sommet d’une montagne. Le surcoût de ces prestations est censé apporter un progrès plus rapide dans la maîtrise du ski ou des sensations plus fortes que celles de dévaler des pentes damées !

Une société de consommation

Le développement de la société de loisirs a entraîné une consommation lui étant spécialement dédiée. Mais si l’équipement pour le tourisme d’été est assez limité, ce n’est pas le cas pour le tourisme en montagne. Et le film va là encore déployer toutes les consommations spécifiques et les moyens pour pousser à la consommation.

Ainsi, le tourisme en montagne est clairement un tourisme de classes moyennes ou supérieures ayant les moyens de s’équiper. Vêtements chauds et adaptés à la neige, matériel pour rouler sur la neige comme les chaînes aux roues, matériel pour skier… L’arrivée de Bernard et Nathalie montre même des parvenus s’habillant avec des vêtements de marque à la mode comme Daniel Hechter. Si la marque est un critère de consommation, il en est un autre qui est celui de l’identification à des champions. Ainsi Jérôme est fier de skier avec des skis qui ont fait deuxième à Crans Montana, faisant référence aux compétitions du championnat du monde de ski. Mais Val d’Isère est montrée comme une station accueillant un tourisme de masse. Aussi les personnages du film ne sont pas ceux fréquentant les stations huppées des Alpes. Val d’Isère n’est pas Courchevel ou Megève. C’est pourquoi le film insiste sur les éléments rappelant que si le tourisme se démocratise, il touche des touristes n’étant pas encore des grands bourgeois. Cela passe par l’uniformisation des objets de consommation comme la Renault 20 de Bernard qu’il confond avec la même Renault 20 d’un autre touriste.  Ce sont aussi les skis qui se ressemblent tous car étant tous de même marques. Ce qui est d’ailleurs à l’origine d’un gag entre Bernard et un autre skieur lui ayant pris ses skis neufs au lieu des siens plus anciens !

Cette uniformisation des produits industriels se voit pourtant opposer l’existence de produits plus locaux et plus authentiques que recherchent ces touristes. Bien sûr la fondue savoyarde fait partie de ceux-là et il faut voir la colère de l’équipe quand Marius (Maurice Chévit) met du fil dentaire dans la préparation pour faire un gag mais gâchant le repas. Cette authenticité se retrouve aussi quand des Italiens rencontrés dans un refuge cuisinent pour tous des « spaghetti al pesto ». 

Le terroir se retrouve enfin quand les amis sont réfugiés chez des vrais montagnards. Gigi est subjuguée par un napperon fait à la main loin des standards des textiles industriels. Mais ce terroir offre également des produits non aseptisés aux goûts très prononcés et fabriqués artisanalement. Cette découverte donne lieu à une double séquence où les héros du film doivent manger un plat fait de restes de couennes et de fromages, puis boivent un alcool très fort. L’authenticité est parfois violente et ne correspond plus aux goûts désormais normés des citadins !

Mais c’est aussi dans le logement que se révèlent plusieurs stratégies de consommation. Si Jean-Claude réside à l’hôtel, la croissance économique des Trente glorieuses a amené à l’idée que le luxe était de devenir propriétaire de son logement puis d’une résidence secondaire. Des solutions ont donc été trouvées pour permettre d’atteindre ce rêve de classe moyenne à moindre coût. Ainsi Bernard et Nathalie ont acheté un appartement en « Time share », achetant non un bien immobilier mais une période d’utilisation de ce bien. De fait, ils sont copropriétaires avec jouissance du bien selon une période définie par contrat. L’illusion de la propriété est maintenue avec la possibilité de mettre sa carte de visite à la porte d’entrée et de disposer d’une décoration personnelle à son arrivée ! On est donc loin des chalets et des palaces de certaines stations luxueuses. Enfin, si Jérôme et Gigi vivent dans un petit chalet, Popeye, bien que saisonnier, doit vivre chez ses clientes au gré de ses aventures amoureuses, preuve que le coût du logement est aussi un problème pour ceux travaillant dans les stations le temps des périodes touristiques.

Relation clients et management des équipes

Le plus étonnant dans ce film reste la représentation du management et de la relation avec la clientèle, montrant de fait combien ces questions se posent déjà dans une France en pleine crise économique et devant repenser son modèle économique en s’adaptant.

La relation clientèle est montrée à différents moments dans l’écoute des professionnels à l’égard des clients. C’est par exemple la réceptionniste de l’hôtel qui doit faire face à la demande de chambre double de Jean-Claude. Ce sont les conseils donnés par le professeur de ski à ce même Jean-Claude pour qu’il améliore sa technique de ski et son fameux « planté de bâton ». C’est enfin Popeye qui conseille ses clients pour l’achat de matériel de ski, notamment des chaussures pour Nathalie.

Mais le film montre que cette relation positive avec la clientèle ne semble pas toujours aller de soi. Ainsi Gigi s’agace face à un client demandant une crèpe au sucre non présente sur la carte de son restaurant. Si la situation fait rire et l’exigence du client (Bruno Moynot) paraît exagérée, la réponse violente de Gigi et de son cuisinier témoigne de l’incapacité d’un commerçant à répondre à une demande simple d’un client aux arguments pourtant limpides : « vous avez de la pâte, vous avez du sucre… » Dans le même couple, le médecin Jérôme doit faire face à des clients peu ordinaires amenant leur cochon malade. Dans une colère semblable à celle de Gigi, Jérôme refuse de servir son client, rappelant qu’il est médecin et pas vétérinaire. Mais cela montre aussi qu’il a su un jour s’adapter vis-à-vis de personnes n’ayant manifestement pas de vétérinaires à proximité. Or cette adaptation entraîne chez ses clients une habitude. Ce qu’il a fait une fois, pourquoi ne le referait-il pas ? Quant aux activités de sport d'hiver, le service client laisse à désirer. Quand Jean-Claude Dusse prend son télésiège, il ne le prend pas en douce ou hors délai. Or l'employé des remontées mécaniques interrompt leur fonctionnement alors que Jean-Claude se trouve au milieu du trajet. Certes cela permet un gag devenu célèbre où il attend la nuit pour se laisser tomber dans la neige. Mais cela montre un service défaillant et peu précautionneux de ses clients. Il est évident que cela entrainerait aujourd'hui une poursuite en justice! 

Mais Les bronzés font du ski montre aussi les rapports entre patron et employé. Et c’est avec le personnage de Popeye que les situations sont déclinées. D’abord dans le magasin dans lequel il travaille. Employé par son ex-femme et son ex-beau-frère, il est régulièrement raillé et dénoncé devant les clients. Le malaise généré est montré par les postures prises par les clients, Bernard et Nathalie et les explications que Popeye trouve pour justifier les propos à son encontre. Or il apparaît manifeste pour le spectateur que le patron n’a pas le bon comportement, réglant un problème avec un employé devant des clients. Certes ceux-ci sont des amis de Popeye, mais ils peuvent être aussi des prescripteurs du commerce. Cette attitude managériale est évidemment moquée dans le film et influe sur la relation client puisque le patron refuse une remise aux clients s’étant pourtant largement équipés. Popeye est encore au cœur d’une relation patron-employé quand il se fait renvoyer par le mari d’une de ses clientes, de fait son employeur. Le spectateur identifie évidemment le licenciement pour faute lourde puisqu’on comprend que Popeye n’a pas seulement donné des leçons de ski. Si la séquence est drôlement filmée et interprétée, elle montre aussi la violence qui peut exister dans les relations employeurs et employés.

Enfin, Popeye est aussi montré comme un manager de projet quand il guide ses amis dans la sortie hors-piste qu’il organise. Tel en entreprise, il doit amener son équipe d’un point A à un point B en les aidant et en faisant valoir ses qualités d’expert. Or il s’avère que ses compétences ne sont pas à la hauteur créant une situation de désagrégation du groupe, chacun remettant en cause violemment, verbalement ou physiquement, l’autorité du chef d’équipe. Que ce soit face à une concurrence – des Italiens accaparent la meilleure partie d’un refuge – ou que ce soit dans la connaissance du terrain – Popeye se trompe pour rejoindre la station de ski.

De fait, Popeye ressemble à ces managers qui s’appuient sur leur charisme mais dont les compétences pour diriger une équipe sont vite remises en cause. En revanche, il apparaît meilleur dans l’action pure plutôt que dans la décision, mettant ses qualités individuelles au service du groupe perdu. De fait, ces qualités sont importantes dans une équipe et c’est finalement Jérôme qui va reprendre le management du groupe, se servant des compétences de Popeye, sélectionnant ceux pouvant mener l’action de secours à bien et veillant à l’efficacité de celle-ci. Jérôme, loin de son attitude suffisante et prétentieuse observable dans tout le film a réussi à montrer ses qualités de leader tout en ménageant son ami Popeye pour conserver ses réelles qualités.

 

Ainsi, cette comédie culte développe tout un discours autour de l’économie. Elle identifie un secteur d’activité, le tourisme d’hiver, et l’inscrit dans un propos plus large en intégrant ceux qui participent globalement à l’économie : les clients, les employés et les patrons. Hormis les services publics des trains, montrés cependant comme un service commercial comme un autre, le grand acteur économique absent de ce film reste donc la puissance publique. Jamais celui-ci n’intervient. Nous sommes clairement dans un film libéral dans lequel les enjeux économiques ne sont pas encadrés par  les collectivités territoriales ou les aides de l’État, pourtant présentes pour le développement de ces stations. Si ce film devait être tourné après la pandémie, pas sûr que l’État puisse être autant absent et que les relations clientèles soient montrées ainsi !

À très bientôt

Lionel Lacour