mardi 26 janvier 2021

"Les Bronzés font du ski" : une leçon d’économie !

 


Bonjour à tous

Tous les hivers, une chaîne de télévision programme le film culte de Patrice Leconte Les bronzés font du ski sorti en 1979. Si les spectateurs retrouvent les héros du premier opus Les bronzés sorti un an auparavant, ils vont aussi assister à un ensemble de situations renvoyant à la production, au management et à la relation client. Une base de travail formidable pour toutes les écoles de commerces en quelque sorte !


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Une société de services et de loisirs

Dès le début du film, Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) se trouve dans une gare parisienne pour partir en vacances dans une station de ski. Il a donc recours au service des transports collectifs pour rejoindre ses amis pour faire du ski. Et tout le film va décliner ensuite les services qui gravitent autour de cette activité touristique.

Ainsi Jean-Claude dort dans un hôtel et prend des leçons de ski avec un professionnel, Bernard et Nathalie (Gérard Jugnot et Josiane Balasko) louent leur matériel de ski dans lequel travaille Popeye (Thierry Lhermitte). Quant à Gigi (Marie-Anne Chazel), elle tient un restaurant dans la station de Val d’Isère où tous se retrouvent donc. Quant à Jérôme (Christian Clavier), s’il est médecin, il passe aussi son temps libre à skier et à emprunter les remontées mécaniques, un autre service loué aux touristes.

Ainsi, tout au long du film, c’est une bonne partie de l’économie touristique qui est déclinée reposant essentiellement sur des services mis en place pour les résidents éphémères. À ces services globaux s’ajoutent des services désignés aujourd’hui comme « premium » proposés en plus ou spécifiquement aux clients souhaitant des prestations moins ordinaires et forcément plus chères. Ainsi Popeye donne des cours particuliers à des clientes fortunées. De même, la bande d’amis organise une journée hors-piste avec dépôt de chacun en hélicoptère au sommet d’une montagne. Le surcoût de ces prestations est censé apporter un progrès plus rapide dans la maîtrise du ski ou des sensations plus fortes que celles de dévaler des pentes damées !

Une société de consommation

Le développement de la société de loisirs a entraîné une consommation lui étant spécialement dédiée. Mais si l’équipement pour le tourisme d’été est assez limité, ce n’est pas le cas pour le tourisme en montagne. Et le film va là encore déployer toutes les consommations spécifiques et les moyens pour pousser à la consommation.

Ainsi, le tourisme en montagne est clairement un tourisme de classes moyennes ou supérieures ayant les moyens de s’équiper. Vêtements chauds et adaptés à la neige, matériel pour rouler sur la neige comme les chaînes aux roues, matériel pour skier… L’arrivée de Bernard et Nathalie montre même des parvenus s’habillant avec des vêtements de marque à la mode comme Daniel Hechter. Si la marque est un critère de consommation, il en est un autre qui est celui de l’identification à des champions. Ainsi Jérôme est fier de skier avec des skis qui ont fait deuxième à Crans Montana, faisant référence aux compétitions du championnat du monde de ski. Mais Val d’Isère est montrée comme une station accueillant un tourisme de masse. Aussi les personnages du film ne sont pas ceux fréquentant les stations huppées des Alpes. Val d’Isère n’est pas Courchevel ou Megève. C’est pourquoi le film insiste sur les éléments rappelant que si le tourisme se démocratise, il touche des touristes n’étant pas encore des grands bourgeois. Cela passe par l’uniformisation des objets de consommation comme la Renault 20 de Bernard qu’il confond avec la même Renault 20 d’un autre touriste.  Ce sont aussi les skis qui se ressemblent tous car étant tous de même marques. Ce qui est d’ailleurs à l’origine d’un gag entre Bernard et un autre skieur lui ayant pris ses skis neufs au lieu des siens plus anciens !

Cette uniformisation des produits industriels se voit pourtant opposer l’existence de produits plus locaux et plus authentiques que recherchent ces touristes. Bien sûr la fondue savoyarde fait partie de ceux-là et il faut voir la colère de l’équipe quand Marius (Maurice Chévit) met du fil dentaire dans la préparation pour faire un gag mais gâchant le repas. Cette authenticité se retrouve aussi quand des Italiens rencontrés dans un refuge cuisinent pour tous des « spaghetti al pesto ». 

Le terroir se retrouve enfin quand les amis sont réfugiés chez des vrais montagnards. Gigi est subjuguée par un napperon fait à la main loin des standards des textiles industriels. Mais ce terroir offre également des produits non aseptisés aux goûts très prononcés et fabriqués artisanalement. Cette découverte donne lieu à une double séquence où les héros du film doivent manger un plat fait de restes de couennes et de fromages, puis boivent un alcool très fort. L’authenticité est parfois violente et ne correspond plus aux goûts désormais normés des citadins !

Mais c’est aussi dans le logement que se révèlent plusieurs stratégies de consommation. Si Jean-Claude réside à l’hôtel, la croissance économique des Trente glorieuses a amené à l’idée que le luxe était de devenir propriétaire de son logement puis d’une résidence secondaire. Des solutions ont donc été trouvées pour permettre d’atteindre ce rêve de classe moyenne à moindre coût. Ainsi Bernard et Nathalie ont acheté un appartement en « Time share », achetant non un bien immobilier mais une période d’utilisation de ce bien. De fait, ils sont copropriétaires avec jouissance du bien selon une période définie par contrat. L’illusion de la propriété est maintenue avec la possibilité de mettre sa carte de visite à la porte d’entrée et de disposer d’une décoration personnelle à son arrivée ! On est donc loin des chalets et des palaces de certaines stations luxueuses. Enfin, si Jérôme et Gigi vivent dans un petit chalet, Popeye, bien que saisonnier, doit vivre chez ses clientes au gré de ses aventures amoureuses, preuve que le coût du logement est aussi un problème pour ceux travaillant dans les stations le temps des périodes touristiques.

Relation clients et management des équipes

Le plus étonnant dans ce film reste la représentation du management et de la relation avec la clientèle, montrant de fait combien ces questions se posent déjà dans une France en pleine crise économique et devant repenser son modèle économique en s’adaptant.

La relation clientèle est montrée à différents moments dans l’écoute des professionnels à l’égard des clients. C’est par exemple la réceptionniste de l’hôtel qui doit faire face à la demande de chambre double de Jean-Claude. Ce sont les conseils donnés par le professeur de ski à ce même Jean-Claude pour qu’il améliore sa technique de ski et son fameux « planté de bâton ». C’est enfin Popeye qui conseille ses clients pour l’achat de matériel de ski, notamment des chaussures pour Nathalie.

Mais le film montre que cette relation positive avec la clientèle ne semble pas toujours aller de soi. Ainsi Gigi s’agace face à un client demandant une crèpe au sucre non présente sur la carte de son restaurant. Si la situation fait rire et l’exigence du client (Bruno Moynot) paraît exagérée, la réponse violente de Gigi et de son cuisinier témoigne de l’incapacité d’un commerçant à répondre à une demande simple d’un client aux arguments pourtant limpides : « vous avez de la pâte, vous avez du sucre… » Dans le même couple, le médecin Jérôme doit faire face à des clients peu ordinaires amenant leur cochon malade. Dans une colère semblable à celle de Gigi, Jérôme refuse de servir son client, rappelant qu’il est médecin et pas vétérinaire. Mais cela montre aussi qu’il a su un jour s’adapter vis-à-vis de personnes n’ayant manifestement pas de vétérinaires à proximité. Or cette adaptation entraîne chez ses clients une habitude. Ce qu’il a fait une fois, pourquoi ne le referait-il pas ? Quant aux activités de sport d'hiver, le service client laisse à désirer. Quand Jean-Claude Dusse prend son télésiège, il ne le prend pas en douce ou hors délai. Or l'employé des remontées mécaniques interrompt leur fonctionnement alors que Jean-Claude se trouve au milieu du trajet. Certes cela permet un gag devenu célèbre où il attend la nuit pour se laisser tomber dans la neige. Mais cela montre un service défaillant et peu précautionneux de ses clients. Il est évident que cela entrainerait aujourd'hui une poursuite en justice! 

Mais Les bronzés font du ski montre aussi les rapports entre patron et employé. Et c’est avec le personnage de Popeye que les situations sont déclinées. D’abord dans le magasin dans lequel il travaille. Employé par son ex-femme et son ex-beau-frère, il est régulièrement raillé et dénoncé devant les clients. Le malaise généré est montré par les postures prises par les clients, Bernard et Nathalie et les explications que Popeye trouve pour justifier les propos à son encontre. Or il apparaît manifeste pour le spectateur que le patron n’a pas le bon comportement, réglant un problème avec un employé devant des clients. Certes ceux-ci sont des amis de Popeye, mais ils peuvent être aussi des prescripteurs du commerce. Cette attitude managériale est évidemment moquée dans le film et influe sur la relation client puisque le patron refuse une remise aux clients s’étant pourtant largement équipés. Popeye est encore au cœur d’une relation patron-employé quand il se fait renvoyer par le mari d’une de ses clientes, de fait son employeur. Le spectateur identifie évidemment le licenciement pour faute lourde puisqu’on comprend que Popeye n’a pas seulement donné des leçons de ski. Si la séquence est drôlement filmée et interprétée, elle montre aussi la violence qui peut exister dans les relations employeurs et employés.

Enfin, Popeye est aussi montré comme un manager de projet quand il guide ses amis dans la sortie hors-piste qu’il organise. Tel en entreprise, il doit amener son équipe d’un point A à un point B en les aidant et en faisant valoir ses qualités d’expert. Or il s’avère que ses compétences ne sont pas à la hauteur créant une situation de désagrégation du groupe, chacun remettant en cause violemment, verbalement ou physiquement, l’autorité du chef d’équipe. Que ce soit face à une concurrence – des Italiens accaparent la meilleure partie d’un refuge – ou que ce soit dans la connaissance du terrain – Popeye se trompe pour rejoindre la station de ski.

De fait, Popeye ressemble à ces managers qui s’appuient sur leur charisme mais dont les compétences pour diriger une équipe sont vite remises en cause. En revanche, il apparaît meilleur dans l’action pure plutôt que dans la décision, mettant ses qualités individuelles au service du groupe perdu. De fait, ces qualités sont importantes dans une équipe et c’est finalement Jérôme qui va reprendre le management du groupe, se servant des compétences de Popeye, sélectionnant ceux pouvant mener l’action de secours à bien et veillant à l’efficacité de celle-ci. Jérôme, loin de son attitude suffisante et prétentieuse observable dans tout le film a réussi à montrer ses qualités de leader tout en ménageant son ami Popeye pour conserver ses réelles qualités.

 

Ainsi, cette comédie culte développe tout un discours autour de l’économie. Elle identifie un secteur d’activité, le tourisme d’hiver, et l’inscrit dans un propos plus large en intégrant ceux qui participent globalement à l’économie : les clients, les employés et les patrons. Hormis les services publics des trains, montrés cependant comme un service commercial comme un autre, le grand acteur économique absent de ce film reste donc la puissance publique. Jamais celui-ci n’intervient. Nous sommes clairement dans un film libéral dans lequel les enjeux économiques ne sont pas encadrés par  les collectivités territoriales ou les aides de l’État, pourtant présentes pour le développement de ces stations. Si ce film devait être tourné après la pandémie, pas sûr que l’État puisse être autant absent et que les relations clientèles soient montrées ainsi !

À très bientôt

Lionel Lacour

vendredi 22 janvier 2021

Quel antisémitisme au cinéma?

 

Bonjour à tous,

Depuis des années, je publie des articles analysant comment le cinéma traite des questions contemporaines ou de celles qui ont marqué l'Histoire de l'Humanité.

Ainsi, un bon nombre de mes articles concernent la représentation du génocide juif dans les films. Quand j'ai ensuite voulu écrire un article sur la représentation de l'antisémitisme actuel se retrouvant dans les sphères gauchistes et islamistes, je me suis rendu compte que quasiment rien n'avait été produit et cette absence m'a particulièrement interpelée. 

Une fois n'est pas coutume, je partage sur ce blog un article publié ailleurs. La plateforme d'information Fild pour qui j'écris de nombreux articles depuis plusieurs mois a en effet accepté de partager mon article à ce sujet dont voici le lien:

Quel antisémitisme au cinéma?

Je remercie Emmanuel Razavi et Peggy Porquet de permettre à ce que de tels articles puissent être publiés à grande échelle et j'espère que vous y trouverez un intérêt aussi. 

A très bientôt sur ce blog pour un article 100% Cinésium!

Lionel Lacour



 

mardi 19 janvier 2021

Le corniaud ou le temps de la France heureuse

 

Bonjour à tous

En 1965, Gérard Oury, jeune réalisateur, mettait en scène Bourvil et Louis de Funès dans un film qui allait créer un des duos comiques préférés des Français et qui allait triompher un an après dans La grande vadrouille. Ce n’est pas la première fois que les deux comédiens partagent l’affiche. Il s’était affronté en 1956 dans le film de Claude Autant-Lara La traversée de Paris. Mais de Funès n’y tenait qu’un rôle secondaire quand Bourvil partageait la vedette avec Jean Gabin. Ainsi est-ce la première fois que les deux acteurs comiques partagent l’affiche tout au long du film, de Funès réussissant à s’imposer à égalité avec Bourvil après le succès du Gendarme de Saint-Tropez et de Fantômas en 1964. Ainsi, Le corniaud partait avec tous les atouts pour réussir sa carrière sur grand écran. Mais celui-ci s’appuyait aussi sur un scénario qui transpirait la France du cœur des Trente glorieuses et du gaullisme triomphant !

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Sorti le 24 mars 1965, le film ouvre sur une promesse, celle de vacances. Et il faut dire que la promesse est belle ! Antoine Maréchal (Bourvil) part pour l’Italie. Et en effet, le film va se transformer en road movie allant de l’Italie jusqu’à la France grâce aux semaines de congés payés, les Français ayant droit à 3 semaines depuis 1956 et même 4 semaines au mois de mai 1956, soit quelques semaines après la sortie du film ! Le film s’ouvre cependant sur une séquence amusante ou Maréchal remplit sa voiture de bagages. La concierge lui demande s’il va aller à Carcassonne comme chaque année. En répondant qu’il allait en Italie, il signifie qu’il prend un risque, celui de rompre avec ses habitudes. Le risque est à l’écran autant que dans les dialogues. Rejoindre l’Italie en partant de Paris en 2CV était en effet une aventure tant le confort du véhicule peut sembler spartiate, même en 1965.  Et la robustesse tout aussi douteuse comme la séquence mythique entre Saroyan (de Funès) et Maréchal en atteste ! Mais cela montre surtout la démocratisation de ce tourisme lointain, facilité par l'accès aux voitures pour tous avec des modèles produits à la chaîne avec des prestations minimales, certes mais permettant aux moins fortunés de posséder un véhicule. Le tourisme est également facilité par l'amélioration des voiries et par la création d’autoroutes permettant de rejoindre rapidement les territoires méridionaux.

Ce tourisme démocratisé s’observe d’ailleurs aussi par d’autres aspects dans le film. Tout d’abord en termes de transport. Maréchal voyage en voiture – plus en 2CV mais désormais en Cadillac – mais d’autres pratiquent l’autostop. Plus risqué mais ne coûtant rien aux voyageurs les plus jeunes. Et si les personnages du film dorment régulièrement à l’hôtel, une séquence les montre dormir dans un camping dans lequel se retrouvent ceux venus profiter à bas prix de l’Italie. Or si cette forme de tourisme est bon marché, c’est pour des raisons objectives. Tout comme la 2CV, les économies se font sur le dos du confort. 

Et Oury de montrer la promiscuité dans les tentes, le manque d’intimité entre les vacanciers pouvant se parler d’une tente à l’autre. Mais c’est surtout au moment de la douche que la démocratisation touristique se paye ici, avec l’existence de douches collectives remisant la pudeur aux oubliettes !

La France du Corniaud, c’est aussi la France du progrès et du rêve américain permis par la Libération et le Plan Marshall. La Cadillac tout d’abord. Le modèle DeVille convertible de 1964 fait rêver les Français. En 1961, Robert Dhéry tournait d’ailleurs La belle américaine et la même année, dans Le cave se rebiffe de Gilles Grangier, le personnage d’Eric Masson tenait un garage de voitures américaines et subjuguait le personnage interprété par Martine Carol. En 1968, Grangier récidivait avec L’homme à la Buick avec Fernandel. Sans compter la passion de Jean-Pierre Melville pour l’Amérique qui se retrouvait dans chacun de ses films comme dans Le Doulos en1962 ou dans L’aîné des Ferchaux en 1963. Ce mythe américain fait tourner les têtes et assoit le statut social de ceux qui possède ce genre de voiture ! Que représente d’ailleurs cette voiture américaine ? Le luxe évidemment. La puissance des grosses automobiles surdimensionnées. Celle des vainqueurs de la guerre. Mais aussi souvent les gadgets et équipements comme par exemple la présence du téléphone dans la voiture permettant à Maréchal d’être en contact avec Saroyan. 

Chose banale aujourd’hui puisque nos sociétés contemporaines sont synonymes de mobilité des communications. Si la technologie existait depuis la fin des années 1940 aux USA, elle est évidemment quasi impossible en 1965 et extrêmement limitée. Peu importe, cela permet à la fois de créer un gag – Saroyan parlant au téléphone à quelques mètres de Maréchal – mais témoigne aussi de ce rêve américain dont on pressent qu’il est finalement accessible, tout comme le sont les fameuses cigarettes « américaines » ! C’est enfin le film en tant que tel. Car Le corniaud est un pastiche des films de gangsters dans lesquels se retrouvaient Humphrey Bogart ou James Cagney. Le récit renvoie à la mafia, aux trafics en tous genres, de la drogue en passant par l'or et les pierres précieuses aux dépens d’un "corniaud" utilisé par le syndicat du crime. Le film d’Oury renvoie à cet imaginaire culturel qui a inondé les écrans français après 1945 et qui a enchanté tant de cinéastes français, à commencer par Melville.

Pourtant, derrière cette France de la croissance économique favorisant le tourisme et idéalisant le modèle américain même dans ses travers, Le corniaud témoigne aussi des identités des pays européens. Italienne d'abord avec son mode de vie, sa musique avec l'utilisation de la Tarentelle de Rossini dans une séquence hilarante mais aussi les traditions familiales et l'amour à l'italienne! Entre l'Italie et la France, ce sont donc deux cultures différentes, séparées par une frontière certes tournée en dérision mais qui est pourtant bien présente et accompagnée de douaniers vérifiant le passage de ceux venant du pays voisin. Pas d’Union européenne ni d’espace Schengen en 1965. Juste la CEE dont la France et l’Italie font partie depuis 1957. Il ne s’agit bien que d’une communauté économique. L’identité française passe dans le film notamment par le fait que, bien que parisien, Maréchal soit originaire de province. De Carcassonne plus précisément. 

Et le film nous emmène dans cette cité médiévale qui sent bon les patrimoines historique et gastronomique, dont s’enorgueillissent les Français. Que ce soit celui restauré au XIXe s. par des architectes comme Viollet-le-Duc ou mis en valeur par les grands chefs des restaurants étoilés. Pittoresque aujourd’hui, les gendarmes qui aident Maréchal face aux mafieux italiens correspondent aussi à une réalité des années 1960, celle dont de Funès fut lui-même l’incarnation. Identifiables à leur tenue à connotation militaire mais également au recrutement local, tous ont l’accent de la région, justifiant des solidarités entre les forces de l’ordre et les habitants puisque tous se connaissent. Une sorte de police de proximité avant l’heure en quelque sorte. Et là encore, un élément de l'identité française. Loin des banlieues naissantes créant des cités où l’on se perd et qui constituent de vrais dédales, la séquence à Carcassonne regarde vers la France traditionnelle, celle sur laquelle s’est construite la France moderne des Trente glorieuses.

Ainsi, avec ce Corniaud, Oury signe un film qui va installer le genre de la comédie comme le genre qui attirera désormais les foules au cinéma, repoussant les grands drames loin derrière. Après ce film, Oury poursuivra  jusqu’à Rabbi Jacob en 1973, dernier de ses grands films à succès et fin de cette période de croissance économique insolente qu’a connue la France depuis l’après-guerre. Revoir Maréchal et Saroyan rend forcément nostalgique. Cela renvoie aux comédies légères d’antan portées par des comédiens rares et complémentaires. Mais cela renvoie aussi à une période où se côtoyaient une identité française autour de sa culture et l’espoir dans la modernité synonyme de prospérité. Un film positif, tout comme l’éclat de rire final entre le trafiquant et le simple citoyen.

mardi 12 janvier 2021

"Et au milieu coule une rivière", le plus trumpiste des films du progressiste Redford?

Bonjour à tous,

Le 11 janvier 2021, France 5 diffusait Et au milieu coule une rivière réalisé par Robert Redford en 1992. Et le moins que l'on puisse dire est que le réalisateur n'est pas connu pour être un ardent Républicain, bien au contraire. Pourtant, revoir ce film permet de comprendre le pays que sont les États-Unis jusqu'à aujourd'hui. Peut-être même de comprendre les dynamiques politiques actuelles qui font se confronter deux camps visiblement de plus en plus irréconciliables. Enfin réaliser que même le grand Redford serait aujourd'hui certainement cloué au pilori pour ne pas avoir respecté certains critères que certains mouvements "progressistes" veulent imposer au cinéma.


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L'Amérique profonde

Adapté du livre autobiographique de Norman McLean La rivière du sixième jour publié en 1976, l'action se passe au Montana, État rural et très éloigné des grands territoires industriels du Nord Est américain. L'histoire se situe au début du siècle et l'enfance des héros se passe durant une Première guerre mondiale qui ne semble pas particulièrement affecter les habitants. Les activités sont tournées vers l'exploitation du bois et l'agriculture. Mais surtout, et c'est le cœur du film, le loisir de tout à chacun est la pêche dans des eaux qu'on imagine volontiers... fraîches! 

Tout le monde pêche, c'est d'ailleurs ce qui est dit à Neal Burns, un homme ayant quitté depuis longtemps le village et ayant adopté un mode de vie urbain. Redford décrit une société en lien avec la nature, et la pêche en est une sorte de synthèse. Il faut se lever tôt pour pêcher car sinon l'eau est trop chaude et la prise du poisson est impossible. De même il faut s'adapter aux truites, leur offrir certains appâts, savoir les attirer. Puis lutter avec elles parfois en se jetant à l'eau pour réussir à l'attraper et à en triompher. Ce ne sont pas des requins ou des espadons, mais la taille du poisson est tout autant un combat entre l'homme et le monde sauvage. C'est aussi la notion d'acceptation du temps qui est derrière cette pratique. La nature ne se donne pas aux hommes. Il faut être patient, recommencer sans cesse le même geste jusqu'à ce que soudain, le succès soit au bout de l'effort. 

Magnifiquement filmées, les séquences où le père et les fils font tournoyer leurs lignes et leurs appâts au-dessus et à fleur de rivière sont des paraboles sublimes de ce que représente la dure vie dans ces contées reculées de l'Amérique. Loin du tumulte de la ville.

Cette connaissance de la nature est partagée par toute la population. Et quand Neal joue le fanfaron pour séduire Rawhide, une marginale, celle-ci ne tombe pas dans son récit de mythomane dans lequel il prétend s'être retrouvé en montagne face à une loutre! C'est que les "citadins" sont vite débusqués dans le Montana. Et quand Norman, le narrateur interprété par Craig Sheffer retourne dans sa ville natale des années après avoir vécu sur la côte Est, son frère Paul (Brad Pitt) s'étonne qu'il n'ait plus jamais pêché. Mais cet étonnement n'est pas juste une interrogation. Il est plutôt une remarque faite à son frère sur le fait qu'il s'est coupé de la vraie vie, celle qui lie l'homme à la nature.

Les valeurs américaines 

L'Amérique décrite par Redford est aussi une Amérique blanche et chrétienne. Le père de Norman, interprété par Tom Skerritt, est un pasteur. Il est celui qui a éduqué ses fils en les emmenant à la pêche, en leur montrant que l'on doit respecter la nature, qu'il faut être humble face à elle. Mais surtout, il faut accepter de toujours progresser. Une séquence est d'ailleurs à ce titre significative. Paul est devenu de l'aveu même de Norman un artiste de la pêche à la mouche, vouant sa vie à cette pratique matinale. Pourtant, à l'occasion d'une sortie, Norman ne cesse de sortir des truites quand son virtuose de frère reste bredouille. Si bien que Paul, après des efforts répétés, en est contraint à demander comment Norman fait pour être tant en réussite. Humilité et progrès permanents.

C'est une Amérique de la famille, celle qui lie les parents à leurs enfants, et les frères entre eux, les époux à leur épouse. Pourtant, le film montre combien les États-Unis sont aussi le pays qui rompt ce lien de par les distances du territoire américain. Quand Norman devient adulte, il quitte le Montana pour la côte Est. 4 500 km le sépare de sa famille. Et il est précisé qu'il ne retournera pas "chez lui" pendant plusieurs années. Car en ce début de XXème siècle, on ne fait pas 4 500 km  (soit 9 000 km aller-retour) si facilement puisque le trajet s'effectue en train. Derrière cette distance, c'est bien la notion de temps qui s'impose aux sociétés américaines. Le temps qui sépare les familles. Et celles des États montagneux se fracturent quand les enfants sont conduits à partir pour les grandes métropoles de l'Est ou plus tard du Sud Ouest. Cette séparation physique entraîne forcément par la suite des changements de mentalités pour ceux qui partent et une incompréhension pour ceux qui restent quand parfois ils voient revenir les enfants prodigues.

L'Amérique décrite est donc aussi une Amérique qui se moque des prétentieux, de ceux qui n'ont plus de racines, qui ne savent pas qui ils sont et d'où ils viennent.  Si Norman n'a rien renié de qui il était, même s'il n'a plus pratiqué la pêche pendant des années, ce n'est pas le cas de Neal, le frère de sa fiancée Jessie. Neal, devenu tennisman professionnel, est célébré à son retour au Montana. Or il n'est qu'un vaniteux affabulateur et n'ayant surtout aucun respect pour les autres ou pour lui-même. Si Paul est un joueur et un alcoolique, au moins sait-il se respecter quand il s'agit d'accomplir sa passion. De même Neal séduit une marginale qu'il ramasse dans un bouge mais il n'est qu'un minable. Il n'assume rien. Paul au contraire est avec une marginale, une indienne, mais en assume les conséquences.

Redford montre bien cette rupture entre ces deux Amériques. Une profonde, rurale, qui se méfie de ce que la ville fait aux hommes, les coupant des valeurs essentielles. Une autre citadine, industrielle, se sentant supérieure et méprisant finalement ces ploucs des campagnes.

Une Amérique des minorités

Revoir Et au milieu coule une rivière est aussi un choc pour la bien-pensance actuelle. En effet, où sont les minorités ethniques dans ce film? À l'heure des quotas qui s'imposent progressivement à Hollywood pour répondre au mouvement woke, le film de Redford pourrait-il prétendre à être sélectionné aux Oscars, lui qui fut nommé à plusieurs statuettes, Philippe Rousselot décrochant celle méritée de la meilleure photographie? 

Or Redford ne cherche pas à filmer une Amérique des années 20 avec les impératifs moraux du XXIème siècle mais montre une Amérique profonde dans laquelle les communautés ne se mélangeaient pas. Pas de noirs donc au Montana. Car la vérité est qu'il n'y en avait quasiment pas, l'État n'étant connu ni pour ses plantations ni pour son industrie sidérurgiques, activités employant abondamment la main-d'œuvre noire. En revanche, ceux-ci se trouvaient sur la côte Est. Et Norman le signale lorsqu'il essaie de séduire Jessie à leur première rencontre. Alors qu'un orchestre de Jazz anime un bal, lui vante le Jazz joué par des noirs, celui qu'il a vu à New York, se moquant de ce Jazz fade interprété par des orchestres blancs. Jessie qui n'a jamais quitté le Montana lui réplique que sa mère aime ces orchestres. 

Oui, il n'y a pas de noirs dans le film de Redford. Le Montana, mais d'autres États similaires, ceux qui ont toujours la même démographie, sont des États peuplés par des blancs allant au temple tous les dimanches. En revanche, il y a des Indiens. Et Mabel, la fiancée de Paul, en est une. Et Redford ne fait pas l'économie de rappeler le racisme qui prévalait vis-à-vis de ces populations. Alors que Paul veut entrer dans un club avec Mabel, accompagné de Norman et Jessie, le patron lui indique que sa fiancée ne peut entrer. Paul ne négocie pas et entre quand même. Une fois assis, la serveuse prend la commande de tous, sauf de Mabel. Celle-ci ne se fait pas discrète et réclame une consommation. Le racisme ordinaire existe pour les Indiens. La ségrégation aussi. Et Redford de filmer Paul et Mabel comme un couple comme un autre, suscitant dans un premier temps un dégoût chez les autres consommateurs, de la réprobation mais au final une acceptation. À commencer par Jessie qui complimente Mabel pour la beauté de ses cheveux. Remarque anodine mais fondamentale. Le non-racisme ne commence-t-il pas par ne pas juger l'autre sur des aspects physiques? 


Si Et au milieu coule une rivière ne fait pas la promotion des valeurs du Trumpisme, il est pourtant un témoin assez saisissant de cette Amérique qui a voté Trump. Parce que la démographie et la sociologie des ces États remportés par Donald Trump n'ont pas beaucoup changé depuis un siècle. La même défiance vis-à-vis de ceux de la ville qui croient tout connaître et qui veulent imposer leur mode de vie à ceux qui vivent dans des petites villes enclavées, soumises aux aléas d'une nature à la fois nourricière et hostile. La photographie que Redford a réalisée sur plusieurs années de cette petite ville du Montana du début du XXème siècle pourrait certainement être refaite aujourd'hui, avec peu de modifications profondes. Si ce n'est un rejet accru de ceux qui sur la côte Est ou en Californie viennent leur expliquer qu'ils sont des moins que rien, que leur mode de vie ancestral est un danger pour la planète, que leurs valeurs sont obsolètes et que leur culture doit être effacée. On peut balayer ça d'un revers de la main. On peut aussi s'interroger sur le fait que cette population soit à ce point négligée. Redford le progressiste ne les a pas méprisés. Ne les a pas filmés avec condescendance. Peut-être parce que Redford sait aussi d'où il vient.




mardi 5 janvier 2021

La salle de cinéma, haut lieu démocratique

 

Bonjour à tous et meilleurs vœux pour cette nouvelle année!

Le 10 décembre 2020, le chef du gouvernement annonçait que les salles de cinéma n’ouvriraient pas le 16 décembre. Douche froide pour les exploitants, mais aussi pour les distributeurs. Derrière cette catastrophe économique annoncée pour un secteur déjà largement éprouvé, c’est une autre réalité qui touche le pays. Car la salle de cinéma n’est pas tout à fait la même chose qu’une autre salle de spectacle. Loin de vouloir opposer ou hiérarchiser les lieux de culture, il faut néanmoins reconnaître une spécificité des salles de cinéma relevant du brassage de la société comme nulle part ailleurs.


Tout commence d’abord par l’œuvre cinématographique. Celle-ci ne se réduit pas à un artiste et à un ou quelques outils. Elle s’inscrit dans une logique à la fois créatrice, économique et technologique. En effet, le film doit d’abord raconter une histoire et relève donc d’une écriture plus ou moins originale qui trouve sa forme finale par le talent du réalisateur qui décide des positionnements et des mouvements de la caméra, exige telle lumière, tel environnement sonore, tel décor et fait se mouvoir et parler ses comédiens selon ses désirs. Même s’il n’est souvent pas celui qui assemble chaque plan, son découpage technique induit globalement le montage final, du moins pour la majorité des cas. Mais cette créativité est largement encadrée par la contrainte économique définie par le producteur. Au talent du cinéaste répond ainsi le prosaïsme de celui qui finance chaque minute tournée, veille aux dépenses et s’assure des recettes. Et si les ambitions du réalisateur ne correspondent pas au budget alloué, alors c’est à l’artiste de s’adapter et de trouver une solution lui permettant de garder son ambition mais dans un cadre financier non extensible. Enfin, le film ne peut exister que dans un environnement technologique donné qui permet au cinéaste d’accomplir son geste créatif et dont le coût est validé par le réalisateur. Si on peut rire des effets spéciaux du King Kong original de 1932, il n’y a aucun doute que celui-ci ne pouvait être produit autrement et qu’il constituait pour l’époque un trucage formidable correspondant à ce que l’artiste pouvait le plus espérer. Car depuis le cinématographe Lumière de 1895, les innovations technologiques de la caméra mais également de toutes les machines participant à la production cinématographique ont ouvert des possibilités artistiques de plus en plus grandes, permettant des plans aériens vertigineux, des effets spéciaux de plus en plus réalistes voire époustouflants et des reproductions du réel à la fois de plus en plus vraisemblables mais aussi finalement, et paradoxalement, de moins en moins onéreuses.


Or toutes ces données, créatrices, économiques et technologiques, sont dans les mains de plusieurs dizaines d’individus, hommes ou femmes, jeunes et moins jeunes, grands bourgeois ou simples ouvriers. Comme l’évoquait Siegfried Kracauer dans De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand publié en 1947, le film de cinéma est un métissage d’influences sociales diverses, plus ou moins fortes mais malgré tout sensibles dans le rendu final de l’œuvre filmique. Celle-ci est donc bien une création de celui qui le signe, le réalisateur, mais aussi une œuvre collective comme l’attestent les crédits du générique. Chaque film produit dans des pays démocratiques implique que tous les paramètres mentionnés plus haut soient respectés, surtout la liberté de création et la maîtrise d’un budget. Cela correspond alors à une sorte de synthèse assez proche des sensibilités de toutes les couches de la société, même si certaines sont parfois sous représentées à l’écran. En tout état de cause, cela correspond alors de fait à l’état de la société dans lequel le film est produit. La femme de New York-Miami interprétée par Claudette Colbert en 1934 n’incarne-t-elle pas ces femmes plus libérées que celles des générations précédentes ?



Une fois terminé, le film doit être distribué et exploité en salle. Et le cinéma y démontre à nouveau son caractère universel. En effet, quelque soit le film, le prix  du billet dans la salle sera le même pour tous, et presque quelque soit la salle, à Paris ou dans une région éloignée. Car là est la magie du cinéma, le spectacle le plus populaire qui soit. Les sièges occupés ne dépendent ni du prix ni des qualités des individus mais de l’heure d’arrivée. Le premier arrivé choisit la place qu’il préfère. Et ainsi en va-t-il jusqu’à ce que l’ensemble des sièges soit rempli. Pas de privilèges selon ses revenus ou sa classe socio-professionnelle. Une fois installés, les spectateurs subissent les mêmes avant-programmes, que ce soit les publicités locales ou nationales et les bandes annonces des films à venir. Arrive enfin le film pour lequel chacun a payé sa place. Et une fois encore, s’il y a des films qui segmentent la clientèle, cela se fait par le degré de cinéphilie. Et il est vrai que les films d’auteur rencontrent davantage un public d’étudiants ou de personnes de plus de quarante ans. Mais les revenus ne sont pas le critère. Des cadres supérieurs peuvent n’aller voir que des blockbusters quand des ouvriers vont plutôt voir le dernier Ken Loach. Ou inversement. Quant aux grands films populaires, leurs succès viennent du fait justement d’avoir su attirer des publics larges dans toutes les cibles de spectateurs, chacun voulant voir le film dont tout le monde parle. Or qu’est-ce qu’un succès dont tout le monde parle sinon le résultat du fameux « bouche à oreille » où les premiers spectateurs conseillent à leurs proches, leurs collègues ou à quiconque veut les entendre d’aller voir tel ou tel film. Même s’il est moins présent aujourd’hui, le phénomène subsiste malgré la rotation frénétique des films à l’affiche chaque semaine. Les réseaux sociaux constituent désormais une caisse de résonnance plus puissante qu’auparavant. Pour la réussite comme pour l’échec du long-métrage, et ce malgré l’intensité de sa promotion, notamment à la télévision. Ainsi Valérian de Luc Besson peut avoir fait plus de 3 millions d’entrées en France, cela est loin de représenter le succès escompté tant le film a coûté cher et nécessitait d’obtenir plus du triple. Et que dire de son échec fracassant aux USA, retiré de l’affiche dans la plupart des salles après moins d’une semaine d’exploitation !

Dans une salle de cinéma, les spectateurs votent avec leurs pieds en se rendant à la séance d’un film, avant de le recommander ensuite, supplantant les critiques de la presse. À tort ou à raison. Le succès du film se fait pour des raisons à la fois qualitatives mais aussi pour ce qu’il représente au moment de sa première programmation en salle. Le succès ou l’échec de la sortie ne présage pas pour autant du devenir du film dans les mémoires collectives et bien des films ont pu être loués à un moment et être oubliés voire méprisés les années passant. Mais l’expérience en salle reste un moment unique de communion avec des spectateurs qui vont rire, pleurer ou être effrayés en même temps. Ou pas. Et si prendre conscience que d’autres éprouvent les mêmes émotions que soit n’est pas l’apanage du 7ème art, aucun autre spectacle ne permet un tel brassage sociologique pour un tarif finalement modique. En prenant des maîtres de leurs arts respectifs, combien coûte une place pour voir un film de l’immense Spielberg comparé au tarif pour assister à un concert de Bruce Springsteen, un opéra avec Roberto Alagna ou même un « seul en scène » de Gad Elmaleh ?

Parce qu’au cinéma les sensibilités de tous sont portées à l’écran, la salle devient l’urne démocratique accueillant un public constitué de toutes les strates de la société. À cela, les plateformes de SVOD et autres moyens de regarder des films en petit comité ne peuvent répondre puisqu’ils constituent une forme de consommation individuelle, sans partage, sans échange. Sans même pouvoir réaliser qu’un public différent vient voir un autre film que soi sur un autre écran. La salle de cinéma, c’est se confronter à l’autre, aux autres. Défendre les salles, c’est défendre une composante de la démocratie : voir et accepter les différences ou partager les mêmes représentations du monde avec des parfaits inconnus.

À très bientôt

Lionel Lacour