dimanche 30 janvier 2011

La mort aux Trousses à l'Institut Lumière

Bonjour à tous,

Après une une remarquable rétrospective Hitchcock en mars 2011, l'Institut Lumière propose de revenir sur le génial réalisateur anglais sur quelques uns de ses films (le programme sur le lien suivant: http://www.institut-lumiere.org/)
A partir du 12 septembre 2014 sera projeté La mort aux trousses réalisé en 1959. Dans ce film longtemps sous estimé car a priori plus léger, Hitchcock nous gratifie de séquences parmi les plus mémorables du cinéma et semble faire étalage de toute sa palette de cinéaste.
L'histoire est assez classique pour Hitchcock: un homme, Roger Thornill (interprété par Cary Grant, une nouvelle fois dans un film du maître du suspens) est pris pour un espion américain du nom de George Kaplan par les hommes d'un businessman trafiquant manifestement avec des puissances ennemies. Moins que l'intrigue, c'est la quête de Thornill/Grant à prouver son identité en démasquant Kaplan qui intéresse le spectateur.
Pour les extra-terrestres qui n'auraient pas vu le film ou qui ne s'en souviendraient plus, je ne dévoilerai rien des différents rebondissements. Mais je reviendrai sur deux séquences du film qui montrent que le cinéma, c'est avant tout savoir se servir de l'image.

mercredi 26 janvier 2011

Harry Brown, un nouveau justicier dans la ville?


Bonjour à tous.
À l'affiche ces jours, Harry Brown. Ce film de 2009 de Daniel Barber sort donc en France en 2011. C'est Michael Caine qui joue le rôle titre.
Après l'avoir vu, plusieurs réflexions à vous soumettre.

1. Le style
Après une introduction assez pénible, genre tournage avec un portable, image saturée, aucun cadrage et ouvertement violent, le film continue après le générique sur une réalisation beaucoup plus classique. Cinéma intimiste, radiographie sociale de l'Angleterre, nous retrouvons là un cinéma avec lequel nous avons été habitué par les réalisateurs outre-manche.
Néanmoins, si aucune séquence ne retrouvera le choix esthétique de celle d'ouverture du film, il ressort de certaines une violence assez crue, mêlant plusieurs influences, tant nord américaine qu'asiatique.
Mais c'est moins le style que le contenu qui est intéressant dans le film.

2. Une crise sociale visible
La peinture du quartier décrit montre une situation sociale terrbile pour cette Angleterre de début de XXIème siècle. Les immeubles présentés ressemblent en bien des points aux grands ensembles français: immenses barres, des locataires entassés, déterrioration des façades par des tags, incivilités contre les plus faibles, notamment les retraités, errance des jeunes le soir dans des zones coupe-gorges, séparation de ces quartiers de la ville par une voie rapide, trafics de drogues en tout genre et prostitution.
Le tableau  n'est donc pas sans nous rappeler ce que nous connaissons en France. Cela prouve aussi que la France n'a pas le monopole des crises de banlieue, ce qui n'est pas fait pour rassurer!


3. Une population de ces banlieues différente
Ce qui saute aux yeux pour un Français, c'est que le quartier présenté ne soit pas peuplé par des populations d'origine immigrées. Là où Kassovitz avait décrit dans La haine desimmeubles habités par une population cosmopolite, le réalisateur d'Harry Brown ne montre que des Anglais bien anglo-saxons. La violence de la jeunesse anglaise des banlieues apparaît donc comme interne à la société britannique et non comme une conséquance de l'échec d'une immigration.
De même, jeunes et vieux vont dans les mêmes pubs, honnêtes gens et délinquants également.
Que penser de cette présentation?
On peut imaginer que le point de vue est une point de vue généraliste et que le réalisateur n'a pas voulu mettre en avant, stigmatiser comme on dit aujourd'hui, une communauté plutôt qu'une autre. La société britannique étant plutôt commnautaire, celà pouvait éventuellement être reproché à Daniel Barber.
Mais on peut aussi accepter le représentation du réalisateur non comme une vision générale mais comme un simple constat. La violence du quartier de son film est celle que subit l'Angleterre, sans qu'aucune communauté étrangère ne soit impliquée dedans. A la différence de la perception française, l'analyse qui est faite dans ce film est bien une analyse sociale. Plusieurs plans, en début et en fin de film semblent bien montrer que c'est l'environnement dans lequel vivent ces populations qui est propoice, surtout en période de chômage et de crise, aux violences et à l'existence de "gangs".

4. Le feu dans le quartier
Comme dans les événements urbains français, le déclencheur est une suite de faits divers meurtriers qui entraîne une réaction policière mal comprise par les victimes ou les proches des victimes. Daniel barber montre comment alors la montée de la violence se fait à coup de règlements de compte personnels que la police ne maîtrise pas.Dans des plans spectaculaires, le quartier s'embrase lors d'une intervention musclée de CRS à l'anglaise. La réponse des voyous du quartiers est similaire à celle des quartiers français: pratique de guerilla faisant reculer les forces de l'ordre.
La conclusion est tout aussi semblable: rien n'a vraiment changé, sinon une paix illusoire, dans un quartier qui reste le même mais dont on pressent qu'il sera prêt à exploser à nouveau.

5. Une violence gratuite?
Michael Caine joue le rôle d'un héros de l'armée ayant servi en Irlande du Nord. A bien des égards, il peut être assimilé à un vétéran de la guerre d'Algérie. Surtout quand il fait son analyse sur la violence qu'il a subi en Irlande et celle qu'il voit dans son quartier. Pour lui, l'IRA défendait une cause. Pour la jeunesse du quartier, c'est juste "entertainment" (divertissement, plaisir). Or c'est bien ce que la séquence d'ouverture montrait d'emblée, doublée par une autre séquence dans le film. La violence devient un spectacle dans lequel l'agresseur est à la fois acteur puis son propre spectateur.
L'incapacité de la police à protéger les sujets de sa Majesté (ou des citoyens de la République) pousse inexorablement les honnêtes gens à se défendre par eux mêmes. Leur violence n'est pas gratuite, mais elle affronte ceux pour qui la vie des autres ne mérite aucun respect.

6. Les institutions de la société
La police montre donc à plusieurs reprise son incompréhension de la situation. Les victimes pouvant devenir même des suspects d'agressions contre les vrais voyous. La réaction disproportionnée montre aussiles limites de la gestion de ces quartiers laissés à l'abandon.
Le politique est absent du film. Cette absence démontre combien la police est laissée seule face à la situation. A aucun moment on ne voit une décision du maire ou d'un élu quelconque aider les forces de l'ordre à agir.
Enfin, la présence de l'avocat pendant ce qui ressemble à des garde-à-vues est essentiellement visuelle car jamais l'avocat ne parle. Pourtant, sa présence n'est pas que symbolique. Son influence, son rôle dans la défense des prévenus sont suggérés non par des interventions verbales mais par la police elle-même: "votre avocat vous a conseillé de ne rien dire".

Conclusion
Ce film résonne curieusement pour les spectateurs français qui se retrouvent fortement dans la situation proposée et dans le personnage de Michael Caine. A la différence du film qui fit la gloire de Charles Bronson, il n'y a pas de plaisir à voir le héros vengeur à débarrasser le quartier de la racaille. Nous sommes juste en voyeurs d'une situation dans laquelle certains pourraient se dire qu'ils pourraient un jour être contraints à faire de même, tout en espérant ne jamais avoir à le faire. Harry Brown est une victime de la société et n'est animé que par la volonté de vengeance plus que par celle de régler les problèmes du quartier tout entier.
La défiance envers la justice, envers la police, le fait qu'un particulier soit celui qui ait finalement ramené le calme dans le quartier n'est pas une vision en soi très optimiste des sociétés occidentales.
Celà montre le déficit du politique quant à la gestion des quartiers de banlieue minés par le chômage et dans lesquels, des trafiquants en tout genre prospèrent. Les réponses coup de poing ne sont pas des réponses dignes d'Etats progressistes et soi-disant civilisés, n'offrant qu'une paix illusoire.
Rien que pour cette morale, ce film est bigrement intéressant.

À bientôt
Lionel Lacour

vendredi 21 janvier 2011

2èmes Rencontres Droit Justice et Cinéma: bientôt le programme!

Bonsoir,

Tout petit
 billet ce soir concernant cette manifestation qui me tient à coeur.
les derniers préparatifs pour nos Rencontres Droit Justice et Cinéma se terminent. Le programme officiel sera donc dévoilé mardi soir à nos partenaires et à la presse le mardi 1er février chez notre partenaire le Sofitel de Lyon.
L'ensemble des projections et des invités sera donc révélé à cette occasion.
Je ne manquerai pas de vous en donner en avant première la liste des films et des intervenants aux différents débats sur ce blog dès le lendemain.


Les plaquettes seront disponibles courant février. Vous pourrez les avoir en ligne sur ce blog ainsi que sur les sites des organisateurs et des partenaires associés.

Plus que quelques jours de patience donc.

A bientôt
Lionel Lacour

Les tontons flingueurs, un film homophobe?

Bonjour,

Je me suis fait un immense plaisir la semaine dernière en regardant sur une chaîne satellite un documentaire consacré aux tontons flingueurs dans la série créée par Serge July. Je m'attarderai non sur ce qui a fait le succès de ce film mais sur une remarque de ce documentaire signifiant que le film de Lautner avait des aspects homophobes.

La question qui doit être réglée vaut pour ce film comme pour d'autres. Un film est destiné à un public donné, d'une période donnée. Or jamais ce film n'a été ressenti par la société des années 60 comme un film homophobe. Est-ce que donc les remarques faites dans ce documentaire seraient infondées?

Le caractère homophobe semble pourtant clair quand nous revoyons ce film: "chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se taillent" dit le Mexicain à Otto en visant expressément son compagnon, clairment identifiable comme tel. Otto est même qualifié de "coquet" par Ventura, qui s'étonne même du recrutement du Mexicain: "de mon temps, il ne recrutait pas chez tonton", du nom d'un club connu pour son orientation très favorable aux homosexuels. Ces preuves évidentes d'homophobie dans ces dialogues viennent du fait que notre société n'est plus la même que dans les années 60. Les actions des associations homosexuelles, le fléau du sida et l'évolution globale de la société conduit à marginaliser de moins en moins les homosexuels dont les droits n'ont cessé de progresser, même si certains estiment encore que celà ne suffit pas. Les propos homophobes sont également punis par la loi.

Comment expliquer alirs que Les tontons flingueurs n'aient pas subi de critique de cette nature alors qu'il est quasiment certain qu'il ne pourrait plus être écrit de cette manière aujourd'hui. En fait, il apparaît comme anachronique et inapproprié de traiter ce film d'homophobe. Car ce n'est pas le film qui est homophobe. C'est la société française qui l'était. Il entrait dans la norme du traitement des homosexuels, surtout dans un film représentant le milieu du crime, souvent présenté comme "machiste" et "homophobe". Au contraire, les films qui étaient qualifiés quant à leur perception concernant l'homosexualité furent d'abord ceux qui étaient plutôt bienveillant vis à vis des homosexuels, car ils rompaient justement avec l'idée générale que se faisait la société de cette question.

La qualification de film homophobe ne devrait-elle donc pas être utilisée pour les films qui sont produits dans une société qui est devenue clairement sinon homophile, du moins ouverte quant à la manière d'accorder des droits aux homosexuels, les distingant de moins en moins des hétérosexuels. Un film français qui montrerait auojurd'hui un héros se moquant des "gays" par le vocabulaire traditionnel contre les homosxuel tout en semblant adhérer à ces propos serait justement traité d'homophobe. Car la société ne l'est plus. Parce que les vrais homophobes sont devenus de fait minoritaires, même s'ils sont encore nombreux.

C'est d'ailleurs devenu une manie que de vouloir qualifier, et en fait disqualifier, des oeuvres du passé par des adjectifs correspondant à nos valeurs, à nos perceptions contemporaines. Il en va de même pour des films qualifiés de racistes comme Tarzan l'homme singe de W.S.. Van Dyke de 1932. S'il est évident qu'un tel film ne pourrait être fait à l'identique aujourd'hui sans risqué d'être qualifié de raciste et à juste raison, celui de 1932 ne doit pas être qualifié de "raciste" dans le sens qu'il ne se distingue pas des autres films ou des autres oeuvres de la même époque abordant le thème du colonialisme. Metropolis de Fritz Lang montre des "nègres" pourtant une sorte d'estrade sur laquelle une chanteuse blanche se produit. Cette représentation n'a rien d'antiraciste, bien au contraire. Elle s'inscrit justement dans la même forme de représentation des noirs que Tarzan l'homme singe. Le plus drôle est que certains films anti-racistes sont aujourd'hui censurés par les producteurs mêmes pour des raisons amusantes. La Warner ne distribue plus le court métrage de tex Avery L'île de Pingo Pongo  car la représentation caricaturale des noirs étaient extrêmes et donc impossible à montrer aujourd'hui sans risquer de se faire taxer de raciste. Or ce court métrage est en réalité un dessin animé qui montre la bêtise de la soi disante supériorité des blancs, se servant des caricatures racistes classiques pour mieux fustiger la suffisance des Européens et des Américains face aux populations colonisées.

Nous pourrions faire les mêmes remarques pour les films anti-indiens ou pro-indiens ou pour bien d'autres thèmes polémiques (film misogyne par exemple).
Ainsi, pour conclure, le jugement d'un film doit toujours se faire au regard de son temps de production. Il ne peut être qualifié négativement ou positivement que par rapport au courant de pensée général de la société pour laquelle il est destiné.
Les tontons flingueurs homophobe donc? Oui, mais que pour notre société. Mais pas pour celle qui faisait de Jean Marais un super hétérosexuel alors que le monde artistique savait quelle était sa réelle orientation sexuelle.

Lionel Lacour

mardi 18 janvier 2011

Lol, un film reflet de la société?

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, je vous propose aujourd'hui de voir un film non pas pour ses qualités mais au contraire pour ses défauts. Je ne parle pas ici de la forme, quoi que l'on pourrait certainement s'y attarder. Mais j'avoue que le fond est déjà suffisamment sidérant pour ne pas parler du reste. J'en profite pour signaler que cet article est né d'une discussion avec un ami scénariste.

Voici donc Lol , film de Lisa Azuelos sorti en 2009, sous titré Laughing out loud pour bien que les spectateurs cibles sachent que le film est fait pour eux. Voici donc ce film qui fut présenté comme la nouvelle Boum puisque Sophie Marceau joue dans les deux, une fois comme enfant, et ici donc comme mère. Les deux furent un succès colossal mais Lol présente une jeunesse bien étrange...
Que dit le film? Pour ceux qui ne l'ont pas vu, accrochez-vous, pour ceux, nombreux qui l'ont vu, souvenez-vous. Petite présentation non exhaustive!

1. Le générique
Première blague de la réalisatrice qui, et j'ai dit que je ne parlerai pas du style, présente par la voix off de son héroïne qui dit s'appeler Lola mais que tout le monde appelle Lol. D'où le titre. On s'attend donc à entendre Lol à chaque scène. Et bien non. Tout le monde dans le film appelle Lola... Lola, et jamais Lol! Ainsi, d'emblée, le titre du film est éminemment "marketting" pour attirer les jeunes et leur langage texto-chat, mais aussi les parents en leur donnant la "vraie" traduction de l'acronyme "Lol".

2.Lola prend son bain
Comme chacun sait, l'hygiène est importante. Et notre société abonde en ce sens. Les parents modernes le rappellent à leurs enfants. Mais ils sont aussi les parents-copains. Donc Sophie Marceau, la maman, prend son bain avec sa fille de 8 ans (de mémoire). Etonnant mais pourquoi pas. Voici que Lola rentre dans la salle de bain (Lola, 16 ans), se déshabille et entre dans la baignoire. Ce cas de figure doit sûrement exister mais est-ce vraiment une généralité? Mais soit. Et voici que la maman regarde le pubis de sa fille et lui fait remarquer "c'est pour qui ça?". nous comprenons donc que:
- Lola s'épile radicalement
- Lola suit la mode de la libéralisation de l'image très érotique de la femme voire pornographique (elle a 15-16 ans)
- la maman sous-entend clairement que sa fille couche avec un garçon, ou une fille.
Le tout devant la petite fille de 8 ans.
Bref, on imagine ce que Bigard aurait dit à la place de la maman. Mais la situation est tout aussi vulgaire et hallucinante de pseudo langage copain copain avec juste ce qu'il faut pour faire valoir un semblant d'autorité.
Outrée, Lola quitte la baignoire! De quoi se mêle sa mère à la fin?

3. Lola vit dans le 16ème
Après une méga teuf dans l'appartement de maman, un duplex, celui-ci est dans un état "proche de l'Ohio" comme aurait dit une actrice chanteuse. Maman, divorcée (on sait le niveau de vie des divorcées) revient donc dans son duplex du 16ème et constate les dégâts. Elle n'est pas contente (on le serait à moins). Mais là où des parents auraient dit (j'espère) à leur fille de ranger, et bien là, non. Juste une rodomontade. Mais pas "tu vas nettoyer tout ça" ou "tu paieras les dégâts". Est-ce la maman qui va nettoyer? On ose imaginer que non! Alors qui? Vu le niveau de vie de la maman, on imagine la femme de ménage. Une famille normale donc.

4. Lola va en Angleterre
Le voyage scolaire en Angleterre présente des Anglais à la limite de la ruralité, des jeunes français suffisants, se moquant même d'un enfant trisomique (oui!) qu'une séquence finale de pseudo sympathie à son égard ne peut rattraper.

5. L'amour de Lola
Attention, ici est un des fils conducteurs du film. Le petit copain de Lola l'a trompée pendant les vacances. Au nom de l'honnêteté, il le lui dit. Et elle, pour montrer qu'ils sont un couple "libre", elle lui avoue avoir elle aussi été avec un garçon (mensonge de jeune fille baffouée?). Et bien ne voit-on pas que ce petit copain se met à insulter pendant tout le film Lola sans que personne, notamment ses copains, ne prenne vraiment la défense de l'héroïne alors que tout le monde sait que c'est son copain qui a commencé.
Et je vous passe les clichés sur la salope du lycée qui se fait tout ce qui bouge mais qui a bon fond...

6. Un quartier bien français
Quand on pense aux critiques qui ont plu sur Jeunet parce que le le Montmartre du fabuleux destin d'Amélie Poulain ne reflétait pas la réalité cosmopolite! Ce film, destiné à la jeunesse, ne présente aucun ado d'origine maghrébine ou noire ou asiatique.Seul un personnage s'appelle Mehdi. Mais il est loin de Jamel Debbouze que Jeunet désigna sous le prénom de Lucien, certainement pour justement montrer qu'être Français ne dépendait pas de son physique. Alors que là, le prénom Mehdi sert ouvertement de prétexte: il y a des Arabes dans le 16è, mais des Arabes qui ressemblent à des Français. Ouf!

7. Les amours de la maman de Lola
Elle tombe bien bas la maman de Lola puisque son petit ami est un policier de la brigade des stup, rencontré au lycée de Lola alors qu'il faisait de la prévention contre le cannabis et les autres drogues. Or, les amis de la maman sont des 68ards attardés qui continuent à fumer des pétards. Maman aussi, mais en cachette de sa fille (mais elle lui dit que ce n'est pas bien!).
Bref, elle hésite à faire se côtoyer amis, bourgeois de gauche, et petit ami, forcément de droite car policier. Mais elle organise un repas pour qu'ils se connaissent. Elle oublie juste de prévenir ses amis du métier de son petit ami. Et bien, ça ne manque pas. Ils sortent les pétards sous les yeux du flic. Gênée (quelle gourde), la maman annonce alors le métier de son amoureux. Les amis semblent un peu décontenancés mais le policier les rassure. Mais ce n'est pas grave, un joint de temps en temps, ça détend, et lui aussi en prend... Là, le souvenir de ses propos aux élèves revient, que le cannabis crée des lésions irréversibles... Alors on nous mentirait? Il y a le discours officiel, et puis il y a la réalité: super, on peut prendre des pétards quand on est adulte parce que nous, on sait comment les fumer!
Pour conclure sur ce point ou sur ce joint, on peut juste rajouter que pour les jeunes, ça montre aussi et surtout que la prévention, c'est de la fumisterie d'adultes!

8. Les parents castrateurs
Après Maman n'aime pas que sa fille s'épile et Maman veut pas que sa fille fume un joint mais en fume de son côté, voici Papa ne veut pas que son fils fasse de la musique. Ainsi donc, un papa présenté tout le film comme un con (il n'y a pas de mots qui décrivent mieux comment la réalisatrice le caractérise) parce qu'il ne veut pas que son fils joue de la guitare, bref soit un artiste. Il veut qu'il fasse des études. Le fils, brimé, une sorte de nouvelle Cosette dans son 350m² du 16ème souffre de l'oppression paternelle. Pensez-vous. Il veut que son fils travaille à l'école. N'importe quoi! Lui il veut faire de la guitare (au passage, qui lui paie la guitare et les cours?).
Finalement, le fils s'échappe la nuit malgré les stratagèmes pour l'en empêcher (séquence surréaliste d'un père qui met une alarme pour le prévenir des mouvements nocturnes du fiston). Le père s'en aperçoit et comprend que le bambin rebelle est allé jouer dans une salle pour un concert. Retrouvant l'adresse, il s'y rend et là, miracle du cinéma, perdu dans la foule, le fils voit son père malgré les spots. Un père radieux, qui comprend la voie suivie par son fils et qui lui sourit; mieux, il tend son pouce, victorieux.

Bref, un film génial, qui correspond à tous les ados de France qui vivent avec des parents divorcés dans des duplex, qui font de la musique, vont en Angleterre, ont des meurs libérés avec leurs parents qui ne comprennent vraiment rien. Un film attrape gogos dans lequel, dit-on, les jeunes se seraient retouvés.
Si c'était vrai, alors le film serait un bon film.
Or il ne me semble pas que la jeunesse du film soit de près ou de loin semblable à celle décrite. En revanche, et c'est ce qui est regrettable, le modèle qui est présenté semblerait être celui qui plairait. Nous aurions donc une jeunesse prête à gober une représentation assez nauséabonde du monde qui les entoure, se rebellant contre des parents (quoi de plus normal), mais des parents copains ou caricaturaux de rigidité, sans rien réclamer d'autre que des droits vulgaires, consuméristes, faussement libertaires, mais sans aucun projet autre que "soi ", un soi "égoïste" mais jamais une jeunesse qui ne pense à autre chose qu'à soi, aux autres. Bref, on aime "tout ce qui brille".
Pas étonnant que justement, ce film, Tout ce qui brille , produit par la réalisatrice de Lol , ait eu tant de succès. Il n'est que la continuité de ce qui était décrit: des jeunes de banlieue qui veulent ce que ceux du 16ème ont. J'ai bien dit "ont", du matériel, du superficiel. Surtout pas le reste.
Et si ce film, ces films faisaient le constat de cette société matérialiste avec juste une conclusion pour présenter le miroir aux alouettes de la consommation et du paraître, que les relations peuvent être plus profondes que celles entre les personnages de Lol. Mais non. Et ce qui est le plus triste, c'est que la réalisatrice semble trouver celà finalement très bien. A en croire le succès du film, des films, les spectateurs aussi.
Alors ce serait Lol qui aurait raison? Vraiment?
Lol, mort de rire ou bête à en pleurer...

Lionel Lacour

dimanche 16 janvier 2011

Séances lycéennes Rencontres Droit Justice et Cinéma 2011

Bonjour à tous,

pour les deuxièmes Rencontres Droit Justice et Cinéma du 21 au 25 mars 2011, l'Institut Lumière et le cinéma Comoedia se partageront les séances pour les classes de lycée.
Le 22 mars au matin sera projeté L'appât de Bertrand Tavernier à l'Institut Lumière. Ce film présente plusieurs intérêts. Cinématographique d'abord puisqu'il a été primé à Berlin.Comme Tavernier le souhaitait, l'histoire tirée d'un fait divers réel montre combien il est difficile de tuer, loin des représentations américaines pour lesquelles il suffit d'appuyer sur la gachette d'un fusil ou d'un revolver. Le film met aussi en avant la montée de la violence adolescente avec de jeunes acteurs irréprochables dont Marie Gillain, exceptionnelle.
C'est donc cet aspect qui intéresse les Rencontres Droit Justice et Cinéma: une suite de délits et de crimes commis par une bande de jeunes qui n'ont pas conscience de la nature et de la gravité de leurs actes.

Le mercredi 23 mars sera projeté au Comoedia L'ivresse du pouvoir. Ce film de Claude Chabrol nous plonge dans l'instruction d'une affaire qui n'est pas sans rappeler une affaire réelle. Se voulant film de fiction malgré quelques ressemblances en tous genres avec l'affaire Elf, le film vaut surtout pour son point de vue sur la justice et justement, sur "l'ivresse du pouvoir" du juge d'instruction, malgré des conditions de travail difficiles.

Le jeudi 24 mars sera projeté Du silence et des ombres dont j'avais proposé un article dans ce blog en décembre. Deux projections seront consacrées à ce film par l'Institut Lumière.

Enfin, le vendredi 25 mars sera projeté le matin au Comoedia le film de Philippe Lioret Welcome. Outre les qualités scénaristiques indéniables, Lioret aborde dans ce film un sujet d'actualité qui fait régulièrement débat et qui met le spectateur en situation de citoyen mais sans les dérives habituelles pour ce genre de film communément appelés "engagés"

Cette programmation sera accompagnée pour les classes par un dispositif pédagogique allant de la fiche d'accompagnement à des visites dans les classes.

N'hésitez pas à me contacter pour de plus amples renseignements ou pour inscrire vos classes si vous êtes enseignants.

Quant aux autres, je rappelle que ces Rencontres Droit Justice et Cinéma seront placées cette année sous le haut patronnage de Robert Badinter. Le programme définitif sera bientôt connu.

A bientôt
Lionel Lacour

mardi 11 janvier 2011

Le génocide à l'écran: un thème de cinéma comme un autre?

Bonjour,

mon ami Jean-Pierre Meyniac m'a fait l'honneur de mettre en ligne sur le site www.cinéhig.clionautes.org dont il s'occupe mon article sur la représentation cinématographique du génocide juif. Cet article essaie de faire une synthèse de la question à partir des travaux récents et d'une filmographie large, des lendemains de la seconde guerre mondiale à aujourd'hui.
Dans cet article, je cherche à montrer les spécificités de cette représentation et comment certains se sont emparés de celle-ci, notamment pour exercer une sorte de censure liberticide. D'autres au contraire semblent se servir de cette représentation de l'insoutenable pour légitimer leur film, interdisant par là même la possibilité de critiquer leur film.
Telle fut l'attitude récente et postérieure à l'écriture de cet article de la réalisatrice de La rafle qui laissait entendre que les spectateurs insensibles à son film étaient des nazis en puissance. Nicolas Bedos s'éleva justement contre ce genre de diktat qui n'existe qu'avec les films traitant de ce sujet, comme si le sujet dépassait l'oeuvre. Or ce n'est pas le cas. Il y a bien des manières de parler de ce drame, jusqu'à utiliser les codes de ces films pour faire des analogies cinématographiques sur d'autres crimes de régimes totalitaires.

Ci-dessous donc cet article téléchargeable également sur http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article447

LE GÉNOCIDE JUIF : UN THÈME DE CINÉMA COMME UN AUTRE ?

dimanche 9 janvier 2011, par Lionel Lacour
Le cinéma, parce qu’il faut encore le rappeler, est un art de masse produit par une industrie qui prend des risques estimés au regard du nombre de spectateurs qui pourraient aller voir le film. Il s’agit donc de satisfaire un public le plus large possible, prêt à recevoir une vision ou une interprétation proposée par un artiste cinéaste. Celles-ci ne constituent donc pas une vérité historique factuelle mais bien ce que Pierre Sorlin défendait dans Sociologie du cinéma, c’est-à-dire l’idée que le cinéma n’était pas le miroir de la société mais l’image de ce que la société était prête à accepter d’elle-même.
Or la représentation cinématographique du génocide juif de la Seconde guerre mondiale est une illustration parfaite des deux points introductifs. L’un, purement économique, a provoqué plus que pour n’importe quel autre événement historique jusqu’alors, des réticences nombreuses de la part des cinéastes comme des producteurs, de peur de ne pas trouver un public assez large prêt à se rendre en salle pour un tel spectacle. L’autre, sociologique, justifie le premier point et répond à l’interprétation de Sorlin. Le public ne semblait pas être prêt à voir à l’écran cette vision d’horreur : la société n’était pas prête à recevoir cette image qui aurait montré que peut-être, si ce massacre avait pu avoir lieu, elle pouvait en être aussi la cause, voire la responsable.
Dès lors, la représentation de ce que certains allaient appeler Shoah allait-elle se distinguer des représentations d’autres périodes ?
Dans un premier temps, nous verrons comment les historiens ont abordé la question de la « représentabilité »/représentation de la destruction des Juifs, dans un second, nous étudierons la présentation de la Shoah par le cinéma, les images ainsi produites servant de support au travail de l’historien et à la Mémoire)

I. LE GÉNOCIDE, UNE REPRÉSENTATION DE L’HISTOIRE SOUMISE AUX HISTORIENS (POUR EN FINIR AVEC LA LÉGITIMITÉ À MONTRER LE GÉNOCIDE A L’ÉCRAN)

Le cinéma s’est nourri de l’Histoire pour fournir des œuvres dites « en costume » ou « historiques » - ce qui n’a, au passage, pas grand sens, puisque, peu ou prou, tous les films sont en costume et sont par définition « historiques » - dont le respect des faits historiques fut parfois très approximatif. Si les historiens montent au créneau pour dire combien certaines représentations de Marie Antoinette sont erronées, et pas seulement dans le film éponyme de Copolla, que telle image de Paris du XIXème siècle est anachronique ou que Robin des Bois ne pouvait porter de collant moulant, les films critiqués pour leurs libertés prises avec la vérité historique ne sont pour autant jamais dénoncés par ces mêmes historiens qui comprennent que ces entorses à l’Histoire relèvent dans ces cas de figure de la liberté artistique des cinéastes dans leurs représentations du passé.
En revanche, quand il s’agit de traiter du sort des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, les propos des historiens changent du tout au tout. S’ils continuent à traquer les erreurs factuelles, chronologiques ou géographiques, ils en viennent aussi à débattre de la légitimité même d’une quelconque représentation de ce qui a été perpétré dans les camps d’extermination.
Or, il convient de rappeler même brièvement la fonction de l’historien, celle d’un témoin le plus objectif possible de la période qu’il étudie au travers des documents qui couvrent la période à étudier. Il ne peut être celui qui juge une production, encore moins une production artistique, quand bien même celle-ci lui serait contemporaine. S’il peut la juger en tant que citoyen ou esthète, son statut d’historien ne lui confère aucune autorité supérieure permettant d’autoriser, de légitimer voire d’interdire une œuvre artistique. Dès lors, les historiens peuvent émettre leur avis sur la qualité d’un film traitant du génocide. Qu’ils listent les erreurs, factuelles ou comportementales, soit. Mais qu’ils qualifient artistiquement le film est déjà plus problématique car leurs compétences en matière de cinéma sont souvent limitées, y compris pour ceux travaillant sur le cinéma.
Et souvent, leurs opinions dévient vers une légitimation du film, ce qui pose un vrai problème quant à la liberté d’expression. Au nom de quelle autorité pourraient-ils valider ou non la création d’un film sur ce un sujet ? Par exemple, Marc Ferro, pourtant spécialiste du cinéma puisqu’il fut un des premiers historiens à voir dans le film de fiction une source historique comme n’importe quelle autre production humaine [1], n’hésita pas à remettre en cause le film La chute sous prétexte que Hitler était montré « humain » et non comme le monstre que l’on a l’habitude de présenter. C’est un point de vue de citoyen, d’homme ayant vécu la guerre. Ce n’est en aucun cas une réflexion d’historien. Or c’est bien en tant qu’historien qu’il est invité à s’exprimer et non en tant que censeur moral. Son autorité scientifique justifierait alors un jugement artistique pourtant illégitime.
Cette posture, à mon avis coupable, n’est cependant pas pleinement la faute des seuls historiens. Les cinéastes, eux aussi, débordent de leur domaine quand ils affirment vouloir rétablir la vérité historique par leurs films. Ainsi Roselyne Bosch prétendit vouloir raconter l’Histoire de la rafle du veld’hiv dans son film La rafle sortit en mars 2010. Dans plusieurs interviews, elle affirmait même que son film servirait de source pédagogique pour des enseignants qui manquaient de documents sur cet événement (sic) ; et pour finir, de raconter la réaction d’une jeune spectatrice qui, après avoir vu ce même film, « savait que plus jamais cela ne se reproduirait » (re-sic). Les cinéastes semblent donc eux aussi touchés par un syndrome curieux, symétrique à celui des historiens quand il s’agit de traiter du génocide juif. Si les historiens veulent légitimer telle ou telle production cinématographique, les cinéastes en viendraient à penser que leurs films sont des travaux d’historiens. Les deux se trompent dramatiquement, car les méthodologies et les objectifs de l’Histoire et du cinéma sont aux antipodes.
La première s’appuie sur un questionnement, sur une analyse la plus exhaustive possible des sources ; le second dépend d’une industrie du divertissement et il doit tenir compte des contraintes économiques.
Le travail d’un cinéaste, même totalement impliqué dans son sujet, ne pourra jamais être aussi approfondi que celui d’un historien. De plus, l’intérêt de son œuvre est avant tout dans sa traduction d’une perception personnelle de l’événement, qu’elle soit artistique, morale, politique et pourquoi pas aussi historique à défaut d’historienne.

II. DE LA DIFFICULTÉ DE REPRÉSENTER LE GÉNOCIDE : DE NUREMBERG À HOLOCAUSTE

Le public a pris connaissance du génocide par l’image ; les témoignages écrits sont venus ensuite. Christian Delage [2] a montré comment ceux qui participèrent à ce procès purent voir les images tournées par les Alliés et montées par John Ford. S’il ne s’agissait pas d’images des pratiques génocidaires, leurs conséquences étaient suffisamment fortes pour que ce qui n’était qu’informations écrites sur différents rapports s’incarnent, provoquant une sidération légitime pour tout être humain dit civilisé, à commencer par les juges des nazis eux-mêmes.
Cette représentation du génocide, des victimes et des bourreaux continua alors au cinéma, dans des fictions ou dans des documentaires.
L’historien israélien Shlomo Sand [3] établit une chronologie ordonnée de la représentation du génocide après 1945.
La première décennie - le début du récit
Dans cette période, se trouvent des films comme Le criminel d’Orson Welles en 1946 racontant l’histoire d’un nazi s’étant reconstruit une identité après avoir fui aux Etats-Unis mais dont le passé de bourreau est découvert par un policier interprété par Edward G. Robinson. Les anges marqués de Fred Zinnemann en 1948 filme l’histoire d’un jeune rescapé des camps d’Auschwitz. Ces films évoquent le génocide au travers de ce qu’on sait des agissements des bourreaux ou des supplices des victimes. Dans La dernière étape, la réalisatrice polonaise Wanda Jakubowska filme elle directement les camps, avec la sélection opérée par les bourreaux nazis entre celles qu’ils destinent au travail et celles, juives, qu’ils vont tuer dans les chambres à gaz.
Plus direct, ce film n’en était pas moins un film politique orienté, insistant sur la forte représentation polonaise et minimisant la place des autres communautés juives. De fait, il existe une forte différence entre cinéma de l’Est et celui occidental.
Le premier souligne le rôle de l’URSS et des communistes dans la défaite du nazisme ; le second, à Hollywood occulta pendant près de dix ans toute représentation des agissements nazis : la volonté de réhabiliter l’Allemagne au sein du bloc occidental [4] était un des éléments de la Guerre froide.
Cette période se conclut par la réalisation du film d’Alain Resnais [5].
La deuxième décennie - La Shoah, un drame en noir et blanc
Durant cette période, les réalisateurs occidentaux auraient réinvesti cet événement, avec plus de distances et de nuances. Ainsi, George Stevens réalisa Le journal d’Anne Franck en 1959, Sydney Lumet tourna Prêteur sur gage en 1964. Ces films, comme d’autres films américains, apportent des nuances à leurs personnages. Le héros de Lumet, bien que rescapé des camps, n’en est pas pour autant un personnage sympathique. L’autre point commun entre ces films est l’américanisation de la culture des juifs héroïsés, finalement très proches des pratiques culturelles des familles américaines moyennes. A l’Est, après une décennie à vanter la résistance communiste, les années 1960, grâce à une inflexion du régime depuis le XXème congrès du PCUS et du rôle joué par Khrouchtchev, furent l’occasion de raconter à nouveau la déportation des peuples juifs d’Europe orientale, en insistant sur les différences culturelles et en minimisant l’antisémitisme des Slovaques, des Tchèques et autres peuples vivant sous la coupe des Soviétiques. Cette décennie est aussi celle deKapo de Gillo Pontecorvo. Réalisé en 1960, ce film décrit les relations entre bourreaux et victimes dans les camps tout en montrant comment certains pouvaient devenir complices de leurs bourreaux. Film controversé pour certains choix esthétiques [7] , il s’inscrit pourtant lui aussi dans le parti pris pro communiste lié aux idées du réalisateur. En France, quelques films abordèrent le thème sous l’angle plus franco-français dont Le vieil homme et l’enfant de Claude Berri en 1966 ou Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls en 1971. Bien que radicalement différents, le premier étant une fiction, même si elle repose sur les souvenirs d’enfance de Berri, l’autre étant un documentaire montrant le comportement de Français de Clermont Ferrand face à l’Occupation et au régime de Vichy, Sand y voit pourtant des points communs : le vichyste interprété par Michel Simon protège un jeune juif qui ne se distinguait pas d’un autre jeune « Français » non juif tandis qu’Ophuls n’évoque que des Français juifs depuis longtemps dans la communauté nationale, comme notamment Pierre Mendès France, et pas les Juifs immigrés depuis les années 1900.
La troisième décennie- la Shoah, un drame en couleur
Sand montre que la couleur l’idée que la couleur s’est imposée aux cinéastes, pour des raisons commerciales et artistiques. Ce passage à la couleur est marqué alors par une augmentation de la production de films traitant de tous les aspects du génocide, de la déportation aux rafles, de la collaboration aux pratiques d’extermination. Le recul, les travaux des historiens, les films précédents permirent des productions de plus en plus variées depuis 1945 avec parfois l’effet d’électrochocs. Ainsi Lacombe Lucien de Louis Malle en 1974 semblait compléter le film d’Ophuls et s’inscrivait dans la foulée des travaux de l’historien américain Robert Paxton [8] . Sand regrette que les relations du jeune milicien, entré dans la collaboration « par hasard », avec la jeune femme juive génèrent une fascination de celle-ci vis-à-vis de Lucien faisant que « les victimes deviennent d’une certaine façon complices de leurs bourreaux » [9] . Ce hasard et cette fascination sont pourtant bien un choix du réalisateur qui montre toute l’ambiguïté de jeunes Français qui ne se déterminaient pas forcément par des choix conscients et délibérés. Sand oublie surtout d’évoquer la fascination de ce jeune « collabo » vis-à-vis de son logeur français et juif. C’est également l’ambiguïté et une forme de fascination qui prévaut dans le film de Joseph Losey Monsieur Kleinen 1976. Alain Delon joue le rôle d’un Monsieur Klein qui a un homonyme juif. Sa quête pour le retrouver le conduit de fait à faire partie des raflés du veld’hiv de juillet 1942. De films évoquant les camps, l’extermination des Juifs ou la décadence des aristocrates nazis, Sand remarque que le genre du « Thriller de la Shoah » devient un filon, avec notamment le fameux Marathon man de John Schlesinger en 1976, faisant de Lawrence Olivier un nazi ayant refait sa vie aux Etats-Unis mais qui reste un monstre, son art de la torture ou son sang froid pour assassiner l’attestant. Mais pour Sand, c’est assurément la série Holocauste en 1978 qui clôt cette décennie. Dans une analyse [10] remarquable , Sand montre combien ces quatre épisodes de 8 heures au total permettaient de comprendre finalement où en était la communauté juive, notamment américaine, en cette fin de décennie par rapport à la question de la Shoah. Et de conclure :
« Toutes les tentatives d’intellectuels, allemands ou autres, de contester l’impact de cette série furent vaines. L’histoire cinématographique de la Shoah comporte bien un avant et un après Holocauste ; peu de films méritent réellement un tel jugement. Une série télévisée aux qualités esthétiques toutes relatives réussit ce que n’avaient pu faire des dizaines de livres et des centaines d’articles, à savoir susciter dans la conscience occidentale une nouvelle confrontation avec la ‘’solution finale’’. Il est même possible d’affirmer qu’Holocauste marque le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du cinéma, où les films sur la Shoah vont devenir une sorte de ‘’sous-genre’’. » [11]

III. DE SHOAH AUX OSCARS

La quatrième décennie- la Shoah comme "sous-genre"
Sand constate que le succès d’Holocauste entraîna la production massive de séries télévisées sur cette thématique, faisant du peuple juif la victime principale, pour ne pas dire presque unique, des camps de concentration et d’extermination. Il relève alors le cas du film d’Alan J. Pakula, fils d’un juif polonais émigré : Le choix de Sophie. Adapté en 1982 du livre de William Styron, Pakula voulut rappeler que des non-Juifs furent aussi victimes des camps, ici des Polonais catholiques. Sand insiste sur « l’ire de l’écrivain Elie Wiesel et d’autres gardiens de la spécificité juive de la Shoah » [12]. En France, les réalisateurs parmi les plus grands abordèrent alors sous différents angles le génocide, que ce soit sous l’angle de la délation, la déportation ou l’assassinat des Juifs. On peut alors évoquer Le dernier métro de François Truffaut en 1980 jusqu’au Docteur Petiot de Claude Chabrol en 1990, avec des images qui ne manquent pas de rappeler au passage le Nosferatu de Murnau [13] .
Shoah, le film de Claude Lanzmann (1985) fait alors l’objet d’une critique d’autant plus forte qu’elle remet en cause presque tout le chemin parcouru jusqu’alors par les cinéastes [14] !
Dans un réquisitoire terrible, Sand montre combien Shoah fut soutenu par les intellectuels français, à commencer par Simone de Beauvoir, les mêmes qui n’eurent pendant et après l’occupation aucune réflexion sur la question juive.
Sand note que les témoins antisémites du film ne sont pas des Français ou des intellectuels allemands mais des pauvres paysans polonais, coupables de ne pas être intervenus face à l’extermination. Comme si le film de Lanzmann voulait mettre sur le même plan l’antisémitisme polonais et celui des nazis.
Sand critique également les choix de Lanzmann, notamment le poids qu’il donne aux témoins rescapés, comme si leur témoignage individuel était en soi une référence absolue [15] .
De même il lui reproche sa propre mise en scène, sa manière pleine de mépris d’interroger certains témoins. Sand en vient aussi à s’interroger sur la « stratégie artistique » consistant à refuser « à intégrer des images d’archives au motif de ne pas vouloir utiliser le travail des assassins ». Sand signale que l’essentiel des images provient pourtant des libérateurs des camps. Enfin, l’historien israélien reprend la critique finalement la plus fréquente à l’égard de Lanzmann : «  […] le réalisateur a moins tenté d’élargir la compréhension du passé qu’il n’a cherché à le réinventer et à s’en constituer un monopole. » [16]
La cinquième décennie - la Shoah remporte des oscars.
La décennie des années 1990 est marquée par des projets de plus en plus ambitieux, nés finalement de la série Holocauste. En 1990, Andrzej Wajda tourne Korczak, racontant la vie d’un médecin et pédagogue juif, et surtout de sa survie dans le ghetto de Varsovie jusqu’à sa déportation à Treblinka. Sand part de ce film pour montrer une nouvelle orientation des productions sur ce sujet. « Désormais, la plupart des récits cinématographiques se focaliseront sur des victimes impuissantes, des rescapés, sauvés ou sauveteurs, tous juifs, évidemment, à l’exception des sauveteurs » [17]. Dès lors, La liste de Schindler entre parfaitement dans le modèle que Sand avait établi. Mais il étrille ce film de 1993, reprochant à Spielberg de créer un mythe, celui d’un héros nazi mais bon, capitaliste mais généreux [18]. Il prétend que tous les personnages ayant un peu de relief seront in fine des rescapés. Ce film serait décontextualisé, mensonger et finalement, une réponse à Holocauste qui avait tant irrité les Allemands tandis que l’industriel Schindler était un héros positif dans lequel les Allemands pouvaient se projeter.
Le problème de la critique que Sand fait à Spielberg est multiple. Tout d’abord, le film n’est pas destiné aux Européens mais aux Américains. Le réalisateur américain était sidéré de la si grande méconnaissance de la Shoah chez ses jeunes compatriotes. Son film est donc un film pédagogique, destiné, en un temps réduit, moins de trois heures, à faire comprendre le système génocidaire nazi. Et c’est bien sûr parce qu’il s’adresse à des jeunes d’abord qu’il doit trouver un héros positif. Ce personnage existe. Sand travestit aussi la fin du film en disant qu’il se termine par la venue d’un cavalier russe. Or le film se conclut par l’hommage des rescapés sur la tombe de Schindler en Israël ! Toujours dans les reproches de Sand, celui-ci conteste certains choix esthétiques. On ne peut que reconnaître avec lui un procédé tendancieux dans la scène de la vraie douche. Elle est insupportable car elle joue sur ce que l’on sait de ces douches. Si cette scène de suspens paraît outrancière et facile pour nous Français, et surtout pour nous Français instruits, c’est encore oublier que le cinéma de Spielberg a pour objectif de « secouer les consciences américaines par tous les moyens possibles, quitte à utiliser des ressorts parfois grossiers du suspens sur des thèmes difficiles. De même, l’interprétation de Sand sur les rescapés qui seraient tous ceux qu’on avait pu bien identifier ne tient pas. Certains, d’ailleurs, reprochent justement au réalisateur le procédé de la petite fille en manteau rouge, bien identifiable dans un film en noir et blanc. Or on ne peut reprocher tout et son contraire. L’utilisation du rouge sur le manteau de la petite fille est plutôt cinématographiquement subtile car elle permet de l’identifier toujours et de croire qu’elle sera sauvée. Elle ne le sera pas. Elle sera morte parmi d’autres. Pourquoi aurait-elle d’ailleurs été sauvée ? Parce que elle avait été identifiée ? Cette petite fille, remarquable au sens premier, ne sera donc pas une rescapée. Et si ce procédé peut apparaître « lourd » aux Européens, l’idée que cette petite fille ne soit pas plus épargnée que d’autres fut un choc pour les jeunes spectateurs américains. Enfin, si on s’en tient aux faits, en mettant de côté la trame romanesque, ce qui est montré dans le film de Spielberg est à la fois réaliste et erroné. Réaliste car historiquement avéré, mais erroné car les faits mentionnés ne pouvaient se tenir dans les mêmes lieux et dans l’unité de temps proposée par le film. Mais l’objectif de Spielberg n’était pas celui d’un historien.
Ces reproches n’empêchèrent pas Spielberg de recevoir les Oscars pour, tout comme Roberto Benigni obtint celui du meilleur film étranger en 1998 un pour La vie est belle sorti en 1997 [19] . On reprocha à Benigni d’avoir voulu faire rire du génocide. On lui reprocha aussi que son héros « était dépourvu de la moindre trace d’identité juive. » [20] Sand répond à la critique en soulignant que justement, pour les Italiens, toute « identité juive imaginaire n’aurait pu être interprétée en Italie que comme une marque de racisme. » Et Sand de continuer : « le critique cinématographique du journal juif américain ne semblait pas bien connaître l’histoire culturelle des Italiens de confession juive au XXème siècle. » C’était aussi surtout ne pas admettre ce que Benigni avait voulu transmettre aux Italiens : une fable.
Au total, pour Benigni comme pour Spielberg, la question centrale est bien celle du public visé : à qui était destiné La vie est belle ? Aux Italiens d’abord et avant tout. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas une forme unique ou universelle pour traiter du génocide ni de transmettre sa mémoire.

IV. DE LA LÉGITIMITÉ DE FILMER "LA SHOAH" À L’UTILISATION PÉDAGOGIQUE DE CES IMAGES

« Peut-on faire des films de fiction à partir de l’Holocauste ? La réponse est clairement non : le temps ne fait rien à l’affaire. Oui, il y a des tabous comme il y a des barrières de langage. Pour ne pas brouiller le souvenir du plus grand crime de l’Histoire, les sourires ne doivent pas avoir leur place à Auschwitz. » Ainsi s’exprimait Robert Holcman dans Le Monde en 1998 [21] . Cette position semble faire écho à celle de Lanzmann qui proclame désormais l’impossibilité de représenter l’image de gazage ou tout autre acte d’extermination sous prétexte que ces images n’existeraient pas.
Ces positions peuvent paraître ahurissantes et représenter une menace envers la liberté de création artistique. Dans l’affirmation d’Holcman, on voit toute l’ignorance de la production artistique en général, et du cinéma en particulier. La question n’est pas de faire sourire ou d’apitoyer mais bien de comprendre la morale, ou pour reprendre l’expression des scénaristes, la théorie du film. Par définition, la création n’a nullement à subir des tabous ou une censure morale. Faire d’un seul film la référence unique, c’est placer les autres réalisateurs au mieux dans la position du blasphémateur, au pire dans celle de l’hérétique. Quant à l’argument sur l’absence d’image du génocide, appliquée plus largement, cela amènerait à ne plus pouvoir produire de films dont l’action serait antérieure à l’invention de la photographie !
De plus, quand Lanzmann condamne les films de fiction sur le génocide ou critique les documentaires utilisant des images d’archives, le bulldozer de Bergen-Belsen par exemple, il feint d’oublier que ces images sont connues des spectateurs du film Shoah. Les images des documentaires comme celui de Resnais ont tellement imprégné l’esprit de celui qui voit les 9h de Shoah qu’elles viennent comme se superposer aux témoignages recueillis par Lanzmann.
Cette obsession d’interdire toute image sur le génocide est enfin d’autant plus vaine que le cinéma n’a jamais cessé, d’une manière ou d’une autre, et comme nous l’avons vu, de présenter cet événement majeur sur les écrans. Pour reprendre le découpage de Sand, chaque époque a été plus ou moins prête à voir et à montrer l’horreur. Plus on s’éloigne de l’époque du génocide, plus les spectateurs sont devenus aptes à voir des représentations réalistes, avec des écueils liés bien évidemment à la singularité du génocide. C’est parce que le cinéma a, comme le précisait Sand, investi cette période que la représentation de l’extermination joue de plus en plus sur des pré-acquis, sans pour autant avoir à montrer l’ensemble du processus génocidaire. Montrer un wagon plombé peut suffire à un spectateur français de 40 ans pour anticiper la destination du wagon. En revanche, un jeune peut avoir besoin de développer davantage, jusqu’au camp lui-même. La liste de Schindler ou d’autres films peuvent alors avoir une fonction importante pour la découverte de l’horreur nazie.
Les décors, les objets, les couleurs des films représentant le nazisme et le génocide ont tellement imprégné nos imaginaires que désormais, leur recours rend n’importe quel film sur ce thème identifiable. Et c’est parce que ces représentations fictionnelles ou documentaires sont devenues une sorte d’imagerie évidente de la Shoah que d’autres films utilisent ce même imaginaire cinématographique pour évoquer, non le génocide juif mais d’autres situations comparables ou potentiellement semblables. Il en est par exemple pour V pour Vendetta [22] , un film d’anticipation qui utilise des images puisées dans la représentation du génocide pour évoquer un possible retour à un régime totalitaire avec les conséquences que cela pourrait entraîner.
Ceci pourrait alors faire craindre une banalisation de la représentation du génocide à l’écran. Le travail de l’historien puis du pédagogue est donc de voir comment cette image évolue, comment les approches de cet événement ont varié depuis 1945. Comme n’importe quelle autre source, il est important d’établir une présentation de l’œuvre filmique, en présentant son auteur, l’idée force du film, mais surtout le contexte, à la fois de l’historiographie – j’ai rappelé que Lacombe Lucien s’inscrit dans une période de réflexion sur la politique antisémite de Vichy – mais aussi celui des spectateurs visés, le public italien n’est pas le public allemand, français ou américain. J’ai rappelé dans d’autres articles que les films qui traitent d’une période sont des films « sur » la période mais aussi « de » la période de production [23]. Ainsi, étudier un film en dit aussi long sinon plus, non sur l’Histoire évoquée mais sur la manière dont cette Histoire est transmise. Si Pierre Sorlin disait que le cinéma donnait à voir ce que la société était prête à recevoir [24] , cela permet de comprendre que ce qui est filmé en 2000 ne pouvait pas l’être en 1945. Le temps passant, l’historiographie se construit ; un travail de mémoire inégal selon les pays l’accompagne. La fiction se nourrit de la première et participe à la seconde.
La fiction est donc, selon moi, un moyen efficace pour s’adresser efficacement à un public. Qu’est-ce qu’un spectateur est prêt à entendre et à voir de lui-même. Kracauer disait que si Hollywood pouvait formater les goûts des spectateurs, ceux-ci influençaient au moins autant les producteurs de films [25]. Et ce qui est vrai pour les populations l’est aussi pour des étudiants ou des élèves. La fiction ne naît pas de nulle part et elle est un outil incroyablement plus efficace pour incarner des personnages mais aussi des sentiments, des positions politiques.
Ainsi, Lacombe Lucien est à la fois un personnage de cinéma mais aussi une représentation de la collaboration. Le film La chute est un exemple particulièrement intéressant sur l’utilisation pédagogique d’un film. Un article de Virginie Lupo présente ce film dans sa structure cinématographique – elle liste l’ensemble des séquences – mais aussi dans son accueil par les historiens et les divers publics [26]. Elle démontre brillamment combien ce film a souvent mal été compris par certains [27] tandis que d’autres historiens dont Ian Kershaw louait la précision historique du film. L’opposition entre Ferro et Kershaw ne relève donc pas de la même logique. Le premier ne voit en Hitler que le monstre, présent pourtant dans le film, ce que rappelle Virginie Lupo. Ferro ne peut se résoudre à ce que l’on représente Hitler sans évoquer plus largement le génocide juif. Il refuse a contrario de ne voir comme victime que les Allemands de Berlin subissant l’attaque des Soviétiques. Kershaw fonde quant à lui son jugement en se défaisant de valeurs « morales ». Est-ce bien de montrer Hitler en homme pouvant être aimable et prévenant ? Le peuple allemand ne souffrait-il pas lui aussi ? Les Juifs pouvaient-ils être un sujet de conversation à ce moment choisi par le réalisateur ?
Elle développe l’opposition entre le point de vue de Ian Kershaw et celui de Marc Ferro. Ian Kershaw louait la précision historique du film. Ferro rejette l’humanisation d’Hitler. Il ne voit en Hitler que le monstre, le responsable du génocide des juifs. Il refuse de mettre sur le même plan les Allemands de Berlin subissant l’attaque des Soviétiques et les Juifs exterminés par les nazis.
Kershaw fonde son jugement en se défaisant de valeurs « morales ». Est-ce bien de montrer Hitler en homme pouvant être aimable et prévenant ? Le peuple allemand ne souffrait-il pas lui aussi ? Les Juifs pouvaient-ils être un sujet de conversation à ce moment choisi par le réalisateur ?
De ce film comme d’autres découle le vrai problème de l’image cinématographique, pour les historiens comme pour les enseignants. Trop peu ont une vraie culture cinématographique, non pas au sens de la cinéphilie, mais au sens de la construction d’un film, sa genèse, son objectif. Le cinéma s’adresse à des spectateurs qui doivent avoir de l’empathie pour un personnage, parfois monstrueux, quitte à le juger à la fin. Cette logique cinématographique est contraire au travail de l’historien, même si certains sont souvent coupables d’avoir eu eux-mêmes de l’empathie, voire davantage vis-à-vis de certains personnages dont ils faisaient la biographie [28] .
L’autre crainte est souvent l’effet de sidération des spectateurs face à l’horreur, au « spectacle » du génocide, que ce soit dans des images d’archives ou de fiction. Cette sidération est inhérente au cinéma quoi qu’il arrive. Le problème qui se pose étant bien entendu l’idée que le génocide ne peut devenir objet de spectacle, et encore moins de divertissement. La question est donc moins de savoir s’il faut montrer des images « sidérantes » que de savoir comment les utiliser.
La sidération devant l’horreur peut cependant générer de vrais problèmes :
- voir des élèves insensibles face à l’horreur est assez inquiétant.
- voir des élèves sur-émotifs l’est tout autant car cela peut dire qu’ils sont manipulables facilement, ne faisant preuve d’aucune distanciation face à l’œuvre qui leur est présentée.
Néanmoins, cette sidération inhérente au film de fiction mais aussi au documentaire - peut-on être insensible aux témoignages dansShoah ? – semble bien nécessaire pour une certaine prise de conscience. Mais l’enseignant doit apporter un discours scientifique pour mieux appréhender l’Histoire de cet événement et de sa Mémoire [29].
Il faut donc prendre le film comme une source comme une autre, en cherchant le sens et la théorie du film, donnée classiquement à la fin, afin de pouvoir analyser, non pas ce qui est « juste » ou « faux » mais de comprendre l’angle d’approche choisi et pour quel public cible, ce qu’il montre et ce qu’il ne montre pas. In fine, savoir si le film a été un succès ou non permet de comprendre où en est la société avec certaines représentations de cet événement. Tout jugement est dans un premier temps à bannir du travail d’historien ou de pédagogue, ce qui n’empêche pas ensuite de donner un avis esthétique ou historique sur l’œuvre analysée. Une fois l’analyse faite, l’utilisation du film se fera selon les objectifs initiaux, en œuvre entière ou en extrait, croisés avec d’autres sources, l’enjeu majeur étant de rappeler que le cinéma traitant du génocide est à l’image de la société à laquelle le film est destiné. Enfin, si l’image de cinéma sur le génocide doit être utilisée pour faire de l’Histoire, c’est dans le cadre d’un travail sur l’Histoire de la Mémoire du génocide et non sur l’Histoire du génocide lui-même, puisque les films ne sont au mieux que des sources de seconde main tandis que celles de première main ne manquent pas.

CONCLUSION

La représentation du génocide a ouvert la voie à la difficulté de représenter certaines périodes historiques du XXème siècle car la charge mémorielle y est plus forte – forcément- que pour les autres périodes. Ceci explique pourquoi il a fallu tant de temps pour que ce thème soit abordé de plus en plus précisément et sous tous angles au cinéma. Pourtant, le débat ne semble toujours pas clos quant à la légitimité d’un artiste de cinéma à filmer, à représenter le génocide, comme si ce fait historique était à part, comme si ce qui est aujourd’hui appelé Mémoire interdisait aux artistes de raconter une histoire d’une Histoire, fut-elle la plus douloureuse de l’Humanité.
En cela, le génocide des Juifs introduisait une réflexion nouvelle sur ce qui était représentable à l’écran ou pas. La représentation de la Première guerre mondiale put en faire les frais après 1945, avec notamment Les sentiers de la gloire Mais, à bien y regarder, c’était pour des raisons autres que la représentation de cette guerre car il s’agissait de la représentation de l’armée française qui était insupportable pour des Français en pleine guerre d’Algérie [30] . Cet autre conflit justement connaît également des difficultés dans sa représentation en France, il n’est qu’à voir les débats politiques autour du film de Bouchareb Hors la loi qui subit les foudres de quelques politiciens et de certains historiens alors même que le film n’avait pas encore été projeté, ces critiques ayant lieu avant la première projection au festival de Cannes 2010.
En réalité, le fait que certains historiens ou réalisateurs aient imposé l’irreprésentabilité du génocide à l’écran pour des motifs éthiques, moraux, mémoriels ou autres relève pour le moins d’un autoritarisme liberticide, puisqu’ils interdisent de fait une liberté d’expression en s’accaparant le droit de dire ce qui est représentable de ce qui ne l’est pas. La conséquence est tout aussi liberticide. En effet, cela a participé à l’élaboration de loi qui pouvait déborder du seul cadre et du génocide juif et de la représentation artistique, avec une concurrence des mémoires des victimes de l’Histoire, quitte à la réinventer parfois, jusqu’à finalement contraindre des historiens à ne plus pouvoir librement faire de recherches [31] . C’est enfin une entrave à la pratique pédagogique des enseignants qui pourraient être empêchés d’utiliser des visions d’artistes pour évoquer la mémoire de ce génocide. A ce point là, devrons-nous interdire les représentations romaines de chrétiens suppliciés sous prétexte qu’elles ne seraient pas conformes à une vision chrétienne de l’histoire ?

Retrouvez-moi sur mon Blog, Cinésium, http://cinesium.blogspot.com/
[1In Analyse de films, analyse de sociétés, 1975.
[2Voir son excellent documentaire Nuremberg, les nazis face à leur crime, 2006
[3Le XXème siècle à l’écran, 2002 (traduit en français en 2004), pp 298 à 344
[4Shlomo SAND, op.cit, p. 302.
[5Nuit et Brouillard, 1956.] , qu’il faut replacer dans le contexte de sa production, soit à peine plus de dix ans après la découverte des camps, avec la volonté de montrer que ce génocide doit être perçu dans une portée universaliste, que les Juifs déportés et exterminés pouvaient se sentir français, tchèques ou allemands plutôt que sémites. Sand relève cependant que le film ne permet pas de comprendre pourquoi plus de 6 millions de juifs ont été ainsi éliminés[[>6>A propos de ce film, voir l’article de Nicole Lucas, Nuit et Brouillard, un film au destin singulier. Approche historique pour les classes terminales in Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[7En 1961, Jacques Rivette écrivit l’article « De l’abjection » dans Les cahiers du cinéma (n°120) dans lequel il tance Pontecorvo : « l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, [...] cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris ».
[8Il publia en 1972 un ouvrage qui allait paraître en France sous le titre La France de Vichy.
[9op.cit.,p.316.
[10op.cit.,pp 321-326.
[11op.cit., p. 326
[12op. cit., p. 327.
[13Nosferatu le vampire, 1922.
[14op.cit., pp 330-333
[15« Claude Lanzmann […] adopte une relation positiviste vis-à-vis du témoignage personnel dès lors qu’il émane d’une victime : comme si la mémoire individuelle pouvait, après quarante ans, contenir la vérité pleine et entière. Primo Lévi, l’écrivain de la Shoah, n’a cessé de mettre en garde ses lecteurs sur le fait que l’on ne peut s’en remettre exclusivement au souvenir tant qu’on ne connaît pas la couleur de l’encre qui a servi à l’écrire. », Shlomo Sand, Le XXème siècle à l’écran, p. 333.
[16op. cit., p. 333.
[17op. cit., p. 336.
[18op. cit., pp 337-340.
[19Benigni reçut aussi le Prix du jury à Cannes en 1997, occasionnant une scène mémorable avec le président du jury, Martin Scorcese.
[20In « ‘Beautiful’’ Italian Fable Dumbs Down Holocaust Horrors », Jewish Bulletin of Northern California, Michael Fox, 30 octobre 1998, cite par Shlomo Sand, op. cit., p. 343.
[21Cité dans « La destruction des juifs à l’écran » par Pascal Bauchard in Educiné.
[22De James Mc Teigue, 2005.
[23« Le cinéma source archéologique du XXème siècle », Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[24In Sociologie du cinéma, 1977.
[25In De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, 1947 (traduit en français en 1973).
[26Virginie Lupo, « ‘’Hitler, un humain trop humain ?’’ Réflexions sur La chute (Der Untergang), d’Olivier Hirschbiegel. », Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[27Cf. infra.
[28Jérôme Carcopino ne fut-il pas critiqué pour son admiration pour César ?
[29Le problème est d’autant plus difficile à résoudre que les premiers spectateurs des images du génocide étaient eux-mêmes sidérés par le « spectacle » qu’ils découvraient. Le témoignage d’Eisenhower dans Crusade in Europe le démontre. C’est bien, entre autres, le recours aux images « choc » qui a pu servir à prendre conscience de la réalité du génocide aux juges de Nuremberg ? Pourquoi en serait-il autrement pour des élèves ?
[30Encore la nécessité du contexte pour comprendre la réception – ou ici sa non réception ! - d’un film.
[31Voir « L’affaire Olivier Pétré-Grenouilleau » dans le site des clionautes : http://www.clionautes.org/spip.php?article925


A bientôt
Lionel Lacour

dimanche 9 janvier 2011

L'avocat, un héros de cinéma - Deuxième partie

Suite de l'article

II. L’avocat : bourgeois ou héraut d’une société

1. L’avocat un notable de la société ?
Une des représentations traditionnelles de l'avocat est bien sa situation de notable dans les sociétés de droit ou qui se prévalent de reposer sur le droit. Cette notabilité est représentée à l'écran sous des angles assez semblables.
dans Le procès, Orson Welles propose en 1962 un portrait d'avocat qui vit tel un grand bourgeois, pour ne pas dire un aristocrate. Orson Welles, réalisateur et acteur use de la contre-plongée et de tous les artifices possibles pour montrer que l'avocat est celui qui sait, qui a la puissance par rapport au citoyen lambda. Fumant le cigare au lit, recevant dans sa chambre tel un monarque absolu, il est celui qui peut sauver l'accusé de ce que l'Etat lui reproche, parce qu'il connaît le juge et les rouages de la justice. Cette adaptation de Kafka est donc ici cruelle pour ces Etats dont la loi n'est plus la protectrice des citoyens mais sert à asseoir les privilèges et la puissance de quelques uns. La noblesse de l'avocat, défenseur du citoyen, est dénoncée comme une façade. L'avocat ne peut rien mais il joue de son rôle d'intermédiaire entre le peuple ignorant des lois et une administration oppressive.
Cette manière de représenter l'avocat dans sa suffisance n'est pas unique au cinéma et est même une forme récurrente. Dans L'horloger de Saint Paul en 1974, Bertrand Tavernier faisait se rencontrer son horloger, joué par Philippe Noiret, et un avocat chargé de défendre le fils de l'horloger, soupçonné de meurtre. En un plan, toute la supériorité de l'avocat saute aux yeux du spectateur. Celui-ci est assis  à son bureau sur un fauteuil dominant son client, assis sur une chaise bien plus basse. Symboliquement, le client est montré comme celui étant en situation de faiblesse, faisant appel au seul soutien possible: un avocat. Utilisant un vocabulaire et un phrasé spécifique, ce qui sépare le justiciable de l'homme de justice semble un fossé que représente le bureau où se trouve les éléments du dossier.
Moins victime, Laetitia Casta ose se "rebeller" contre son avocat dans Le grand appartement de Pascal Thomas en 2006. Alors qu'elle a engagé un avocat pour la défendre dans une affaire de location immobilière, elle lui reproche de ne pas avoir été présent à l'audience. La morgue de celui qui devait la représenter est alors présentée dans tous ses aspects: un bureau gigantesque, un souci de l'apparence évident, notamment vestimentaire à quoi se rajoute la suffisance, l'affaire ne lui rapportant pas assez. Il laisse d'ailleurs ses clients, Laetita Casta et Pierre Arditi, reprendre leur liberté.
Pascal Thomas croque ici un portrait digne deDaumier, faisant de l'avocat davantage un bourgeois soucieux de s'enrichir plutôt que de défendre les causes pour lesquels ils sont payés. Cet aspect n'est d'ailleurs pas présent qu'en France ou en Europe. Dans L'associé du diable, Taylor Hackford présente en 1997 un avocat qui intègre un cabinet constitué de plusieurs avocats, tous spécialisés dans des domaines différents, dans le but de gagner le maximume d'argent. L'idéal de la justice s'efface derrière une logique purement économique. Organisé en vraie entreprise, chaque avocat doit permettre non de gagner ses procès mais de gagner des honoraires toujours plus importants. Ce cabinet est dirigé par Al Pacino... le diable lui-même! La notion de bien à laquelle se référait le héros interprété par Keanu Reeves disparaît donc derrière ce métier d'avocat qui apparaît comme complètement dissocié de toute morale.
Car là est aussi une des critiques du cinéma vis-à-vis de ce métier, à laquelle bien des spectateurs adhèrent. Maurice Pialat ne présentait-il pas aussi un avocat complètement lié sinon à la mafia, du moins à des truands dans Police en 1985? Interprété par Richard Anconina, cet avocat, dans un souci autant de reconnaissance que de profit, est présenté comme ne sachant plus faire la différence entre le bien et le mal, profitant de ses relations avec ses clients pour bénéficier de leurs relations voire de leurs trafics. Plus récemment, dans Tellement proches, Olivier Nakache et Eric Toledano confièrent à François-Xavier Demaison le rôle d'un petit avocat de banlieue combinant morgue vis-à-vis de ses clients issus des cités et compromission avec certains d'entre eux. Dans une séquence hilarante, on voit comment cet avocat s'occupant d'affaires médiocres ressemble, même si le film n'a pas le même propos ni la même ambition, à l'avocat interprété par Orson Welles. Intermédiaire obligé entre ses clients, coupables manifestes, et les institutions judiciaires, l'avocat parle un langage incompréhensible pour des jeunes déscolarisés. Et ceux-ci expriment violemment et cette incompréhension, et la certitude que cet avocat est finalement lié à ceux qui vont les condamner. Et c'est quand il réussit à "sauver" un de ceux là qu'il glisse vers eux, acceptant tout d'abord un cadeau, manifestement volé, puis de devenir recelleur jusqu'à être lui même arrêté, empruntant le même système de défense que ses clients de banlieue: "je n'ai rien à voir avec cette histoire!"
Ce que montre ce film comme les autres, c'est donc bien cette compétence de la langue. Savoir parler, savoir manier la langue, argumenter, séduire, parfois sur du vent. Voilà ce que ressentent les justiciables parfois. Voilà ce que montre le cinéma souvent. La suffisance du magistère de la parole est un classique de la représentation de l'avocat. Et si celà peut provoquer rejet de la part de certains clients, c'est souvent montré comme un des critères du bon avocat au cinéma. Dans Tout ça.. pour ça! (1993) Claude Lelouch fait de Fabrice Lucchini un avocat virtuose, se lançant dans des plaidoieries fantastiquement drôles, décalées de l'affaire jugée, citant Johnny Hallyday et Que je t'aime ou Patricia Carli dans Demain tu te maries. Cette séquence, tournée dans le palais de justice de Lyon, montrait combien un avocat peut séduire et intriguer juges et jurés, tout en devenant la vedette du procès, le résultat devenant finalement secondaire devant la maestria du défenseur.
Cet avocat, comme ceux des films cités, mais aussi comme dans de nombreux autres films, est donc un des nombreux portraits négatifs que le cinéma a fait pour ce personnage si important dans une société civilisée.
Cependant, le personnage de l'avocat est aussi montré dans de nombreux autres films comme celui qui rappelle les devoirs d'une société vis-à-vis de sa population.

2. L’avocat de cinéma : les interrogations d’une société
Que l'avocat défende un individu ou un groupe, son intervention est souvent aussi utilisée au cinéma pour défendre des groupes ou des communautés. Dans une fiction très surprenante dans sa forme, Abderrahmane Sissako fait le procès du Nord, c'est-à-dire les pays industrialisés qui exploitent les pays du Sud. Ainsi Bamako réalisé en 2006 est-il un film très engagé, mêlant le genre documentaire à celui de la fiction. mais pour faire ce procès cinématographique, le réalisateur invente à l'écran un procès avec juges et avocats. Ainsi, pour défendre sa thèse, Sissako a recours à ce personnage emblématique des pays civilisés: l'avocat. Il est la preuve que les pays du Sud savent se défendre contre les "néocolonialistes" en ayant recours aux moyens dont se sont dotés les pays du Nord pour défendre leurs intérêts: un avocat qui connaît la loi. Celui-ci devient alors autant un défenseur qu'un porte parole d'une cause qui dépasse le cas isolé ou individuel.
C'est ce que José Giovanni souhaitait dans son film de 1973 Deux hommes dans la ville. Alors que son personnage principal interprété par Alain Delon avait été libéré de prison, il est poussé à bout par un inspecteur zélé qui lui refuse le droit à une nouvelle chance. Après le meurtre de ce policier, Gino (Delon) est donc condamné sans aucune circonstance atténuante, alors même que le spectateur sait pourquoi ce meurtre a eu lieu et qu'il n'y avait pas de préméditation. La plaidoierie de son avocate ressemble néanmoins à un message à la France. Elle compare la guillotine à un hachoir faisant de la France un pays barbare. C'est donc moins la défense d'un cas que Giovanni a mis en scène que le rejet de la peine de mort. On voit derrière la figure de l'avocate le combat de Robert Badinter contre cette même peine de mort. Si l'avocate use elle aussi de ses talents d'oratrice, ceux-ci ne sont pas montrés comme risibles mais comme devant soulevé la réflexion et des jurés, et surtout des spectateurs. Le film se conclut sur l'exécution de Gino et une dénonciation de la peine de mort par Jean Gabin. Le discours de l'avocate associé à la scène de décapitation se conjuguent alors pour le spectateur. Et l'avocat devient alors le porte parole d'une certaine vision de la société au-delà du cas individuel.
De manière différente, c'est bien dans cette logique que l'avocat du film Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood se positionne. Dans ce film de 1997, Kevin Spacey est accusé de meurtre. Or son avocat s'attache à montrer que derrière ce procès, c'est celui du "genre de vie" de son client qui est visé, c'est-à-dire son homosexualité. En s'adressant directement au jury, dont chacun représente une partie de la société, et en faisant allusion à un autre avocat de fiction, Perry Mason, héros récurrent de la télécision américaine, cet avocat interpelle à la fois ceux qui peuvent accuser ou acquitter son client mais aussi les spectateurs américains. Ce film relègue le crime en arrière plan et décrit cette ville de Savannah du vieux sud américain comme une mosaïque de communautés avec autant de pratiques bizarres pour ceux n'en faisant pas partie. Ces "bizareries" n'en constituent pas pour autant des cas de culpabilités. C'est ainsi qu'Eastwood amène ses spectateurs a davantage réfléchir sur la place de la communauté homosexuelle dans une région américaine particulièrment conservatrice. Et si son personnage doit être condamné, ce devra être par la preuve et non par son appartenance à une communauté qui choque les bonnes moeurs puritaines américaines.
Les avocats peuvent cependant défendre clairement des groupes d'individus dans des affaires Peter Soderbergh reprend une histoire réelle dans Erin Brokovitch, seule contre tous réalisé en 2000. En s'appuyant sur le cas d'empoisonnement lié à des négligences d'une firme qui n'a pas veillé à la sécurité de son site et occasionnant la pollution de la nappe phréatique, il raconte l'histoire d'une femme qui réussit à faire condamner cette société. Pour y parvenir, elle dut trouver le soutien d'un avocat qui accepta de prendre l'affaire puis de s'associer avec un cabinet encore plus puissant pour faire face à la puissance des avocats de la firme incriminée. Si l'image des avocats et de grands cabinets est parfois écornée, c'est toujours sur les mêmes aspects que dans le point que nous avons déjà vus: suffisance, morgue vis-à-vis des justiciables. Mais Soderbergh ne fait pas un pamphlet contre les avocats. Il apporte même des éléments de réponse à cette critique, montrant la sécheresse des procédures judiciaires et la nécessité parfois de ne pas s'impliquer émotionnellement dans les affaires pour bien défendre les clients. Mais il montre surtout que cet aspect émotionnel est aussi fondamental pour comprendre la détresse des plaignants et adapter la défense et les demandes de réparation à la situation vécue et non à celle estimée froidement.
En ce sens, le rôle d'Erin interprété par Julia Roberts est fondamental. Il montre notamment que la défense d'une cause peut être menée par une non professionnelle du droit mais qu'elle doit être soutenue par un avocat professionnel. Soderbergh ne conteste pas non plus le fait que les cabinets d'avocats puissent s'enrichir puisque celui qui a soutenu Erin a gagné beaucoup d'argent à l'issue du procès contre la firme. Mais il justifie ce gain par le fait que ce cabinet avait pris des risques en défendant ses clients sous la forme de "class action" , ce qui n'existe pas en France, ne se rétribuant que sur les indemnités perçues par les victimes dans le cas où elles gagneraient le procès. Soderbergh témoigne donc de la nécessité du recours aux avocats, des différentes approches du cas nécessaires pour gagner (connaissance de la loi, connaissance des faits, investigations, preuves et proximité avec les victimes), et de l'intérêt d'avoir des avocats puissants pour pouvoir emporter des affaires qui feront jurisprudence pour des cas similaires.



CONCLUSION

Si les représentations des avocats au cinéma montrent des fonctions équivalentes selon les pays, des représentations sociales assez semblables, leurs modes d’actions peuvent cependant différer. L’avocat américain peut ressembler à un détective, menant une enquête pour ensuite plaider au procès. L’avocat français ne peut quant à lui jouer dans le même registre et c’est davantage sa lecture de la société qui est mise en avant, soit en défendant des causes progressistes, soit au contraire en refusant une évolution de la société.
Cependant, dans tous les cas, l’avocat apparaît comme un acteur fondamental d’une démocratie moderne. Le voir renier ses principes, c’est voir reculer ses principes démocratiques.
Notre vigilance doit être donc grande quant à la préservation des prérogatives de cette profession et quant à son intégrité. Si notre cinéma devait représenter notre société sans avocat, c’est qu’il serait déjà trop tard, le cinéma ne témoignant jamais que de ce qui est et non de ce qui sera.