en décembre 2016, je donnais une conférence aux Semaines Sociales de France sur le thème de l'Education vue par le cinéma. En voici une synthèse.
Éducation et cinéma, toute une
histoire
Dès les premiers films Lumière, le domaine de l’éducation a été abordé, y
compris dans L’arroseur arrosé, un
des films les plus célèbres, tourné à la Ciotat et projeté à la première séance
publique payante du 28 décembre 1895. En effet, bien des éléments qui
pourraient constituer la définition large
de l’éducation sont représentés : respect du travail, apprentissage par le jeu de phénomène physique, définition du bien et du mal, sanction !
de l’éducation sont représentés : respect du travail, apprentissage par le jeu de phénomène physique, définition du bien et du mal, sanction !
Le sujet demeure néanmoins vaste et la liste des films l’abordant
totalement ou en partie est évidemment inépuisable et les films évoqués
ci-dessous n’en sont qu’une infime partie.
Pour choisir des films pouvant évoquer le domaine de l’Éducation, il faut
d’abord reprendre l’étymologie du mot. Éducation vient
du latin ex-ducere, signifiant guider,
conduire hors.
Or ceci est bien une des caractéristiques du cinéma. Le cinéma, dès ses
origines, a créé la confusion entre réel et réaliste. Ce qu’il montre est
vraisemblable et fait office de médiateur entre le spectateur et le réel qui semble
être projeté sur l’écran. Il joue un rôle d’accompagnateur des spectateurs à
l’évasion du quotidien avec le paradoxe qu’il faut rentrer dedans - dans la
salle - pour être ensuite guider dehors. Et le « dehors » peut être
un monde passé ou futur, ici ou lointain, chez le voisin ou dans un domaine
royal.
Que ce dehors soit un monde exotique ou familier, dans tous les cas, le
cinéma assène des messages plus ou moins subtils qui sont reconnus par les
spectateurs. Quels que soient les films, ils présentent toujours des
personnages, des situations dans lesquels les spectateurs se projettent et
s’identifient. Comment réagiraient-ils à la place des personnages ?
Feraient-ils les mêmes choix ? Et pour chaque film, le réalisateur propose
un point de vue et une morale qui n’est pas forcément celle des spectateurs
mais qui leur permet de se positionner face à elle.
Ainsi, le cinéma ne propose-t-il pas seulement des situations narratives.
De par sa nature, il mobilise les spectateurs à reconnaître les situations
diverses, notamment celles en lien avec les principes d’éducation, même quand
ceux-ci sont parfois représentés de manière assez baroque, comme L’arroseur arrosé pouvait l’être. Et
c’est en cela que le cinéma va pouvoir témoigner de ce que peut être
l’Éducation à un temps donné pour des spectateurs donnés.
Inculquer des valeurs
Les spectateurs regardent souvent les films comme des représentations de
leur société. Une société repose sur des valeurs qui permettent à chacun
d’évoluer par rapport aux autres. Les spectateurs doivent donc retrouver ces
principes dans les films qu’ils voient, tout en pouvant se positionner par
rapport à elles.
Dans La
vie est belle de Frank Capra, en 1946, le film repose sur des
valeurs morales transmises en famille aux enfants et particulièrement à George,
interprété par James Stewart. Mais c’est dans une séquence de fin de dîner que
la clé est donnée aux spectateurs. Alors que son jeune frère va célébrer son
diplôme – ce qui constitue en soi déjà un double processus éducatif par le
domaine scolaire d’une part et par un rite initiatique collectif d’autre
part! – George signifie à son père qu’il veut devenir un grand architecte,
changer le monde, gagner de l’argent et surtout ne pas rester dans un petit
bureau à s’occuper de modestes projets. Mais le père lui rappelle l’importance
de ce travail, a priori peu ambitieux mais qui permet aux moins fortunés
d’avoir un logement, ce qui n’est pas moins noble que de construire des grands
buildings. Mais Capra ne montre pas un père qui impose son point de vue. Au
contraire, il apporte un autre point de vue de ce qui est important à son fils
à qui il laisse le choix. Mais ce faisant, il transmet un système de valeurs
qui ne se limite pas à trouver estimable seulement ce qui permet de briller.
Dans Du silence et des ombres de Robert Mulligan, réalisé en 1962 et adaptation du chef-d’œuvre
d’Harper Lee (Ne tirez pas sur l’oiseau
moqueur), l’avocat Atticus Finch rappelle à sa fille Scout qu’il est
interdit de se battre. Pourtant, celle-ci n’a fait que défendre l’honneur de
son père qui défendait un homme noir – l’action se passe en 1932 – alors même
que la ségrégation sévit dans le Sud des USA. Dans cette séquence, comme dans
tout le film, les notions de Bien et de Mal sont posées. L’anti-racisme dont
fait preuve Finch ne peut s’accompagner du droit à mal se comporter, à se
battre, car dans ce cas, seule la loi du plus fort l’emporterait. Sans élever
la voix, le père dit à Scout qu’il s’agit de se comporter selon ses convictions
sans se soucier du regard des autres. Transmettre la notion de justice morale
est donc aussi un acte éducatif.
En 1970, François Truffaut réalise et joue dans L’enfant sauvage. Cette histoire
censée se passer fin du XVIIIème siècle évoque un enfant trouvé dans la forêt
et n’ayant pas été en contact avec les humains. Un médecin se charge de
l’éduquer, d’abord en lui donnant un nom : Victor. Outre l’apprentissage
des connaissances et des usages, il lui apprend aussi la distinction du Bien et
du Mal, le Bien se caractérisant par ce qui est juste, le Mal correspondant à
l’acte conscient d’injustice. Dans une séquence, le médecin teste l’enfant sur
sa perception entre les deux en le sanctionnant injustement. La réaction de
Victor démontre alors qu’il a bien intégré cette différence en manifestant de
la violence. Le médecin ne le sanctionne pas car la rébellion contre
l’injustice apparaît comme légitime.
Plus récemment, Lisa Azuelos réalisait en 2009 Lol. Tous les agents
de l’éducation d’une société occidentale se retrouvent à un moment dans une
même séquence. Au sein du lycée, des parents accompagnent leurs enfants pour
assister à une information menée par un inspecteur de police contre l’usage de
la drogue. Le spectateur comme les élèves assistent alors à une distinction
entre le Bien et le Mal selon des critères cette fois-ci objectives et rationnels.
La drogue nuit notamment au cerveau ce qui est indéniable. Il ne s’agit plus
seulement de valeurs morales liées à des doctrines. Le policier informe, le
lycée accueille, les parents valident, sans pour autant toujours donner le bon
exemple.
La même année, Michael Haneke proposait une autre approche de l’éducation
aux valeurs. Dans Le ruban blanc, les valeurs morales sont liées au respect de règles qui s’imposent
à un groupe. Par exemple, les enfants sont rappelés sévèrement à l’ordre par
leur père pour ne pas être arrivés à l’heure pour le dîner. La sanction
s’impose à tous car selon les principes de la famille, tout le monde mange
ensemble à l’heure ou personne. Ensuite, les enfants recevront des coups de
verges avec comme valeur le fait que cela ferait aussi mal à celui qui les
reçoit – douleur physique – qu’à celui qui les donne – douleur psychologique. L’action
se déroule au lendemain de la Première guerre mondiale et décrit une société
rigide. À l’évidence, cela choque le spectateur du XXIème siècle. Pas sûr que
cela aurait tant choqué à l’époque.
Transmettre des connaissances
L’éducation passe aussi par la transmission de connaissances. Or
celles-ci peuvent être théoriques ou pratiques. Et le cinéma ne s’est pas privé
de montrer toute la palette de ces connaissances !
Dans Le Kid réalisé par Charlie Chaplin en 1920, le jeune héros a acquis une
véritable méthode de travail de collaboration avec son père adoptif. Il
identifie les vitres que pourraient réparer son père, le cas échéant, utilise
le geste juste pour casser les dites vitres avec une pierre et sait se sauver
pour ne pas être identifié et arrêté. L’enfant a donc reçu une éducation
technique et pratique avec cependant un petit oubli quant à ce qui relève de l’
« éthique ». Mais c’est une comédie !
Si on reste
sur des connaissances moins "condamnables", Vincente Minnelli, en 1951, propose
dans Un
Américain à Paris un apprentissage original de la langue anglaise.
Dans une séquence célèbre, le personnage interprété par Gene Kelly apprend sa
propre langue à des enfants parisiens. On a bien une transmission de
connaissances avec identification des choses par un mot. Mais surtout, il y a
une approche méthodologique très intéressante et dans laquelle les spectateurs
se reconnaissent. Cela passe par le principe de répétition, par le chant, par
le jeu, par la danse et par le collectif. Il détourne les enfants de la notion
de travail en privilégiant l’enseignement par le plaisir. Enfin, à chaque fois,
il demande à une petite fille si elle a compris. À chaque fois qu’elle dit non,
il recommence en changeant de méthode. La transmission des connaissances passe
donc aussi par la nécessité de compréhension du récepteur.
Dans Les cow-boys de Mark Rydell en 1972, nul doute que les enfants héros du film
comprendront la leçon qu’ils y reçoivent. Les connaissances acquises le sont de
manière empirique. En effet, après avoir chapardé une bouteille d’alcool, les
jeunes cow-boys décident de boire comme des adultes. Ceux-ci découvrent ce
qu’ils font et laissent les enfants faire leur propre expérience des limites à
ne pas dépasser tout en contrôlant leur dérapage, récupérant la bouteille sans
même qu’ils ne s’en rendent compte. L’apprentissage passe ici par l’expérience
individuelle, par la transgression d’un interdit moral – être ivre, c’est
immoral – et physiologique – être ivre rend malade. Or le premier interdit a
moins de chances d’être compris que le second. Et de manière comique, les
adultes ne mentionnent pas l’écart de conduite des jeunes cow-boys mais les
soignent tout en accentuant les effets de la gueule de bois, appliquant de fait
l’adage de Confucius : « L’expérience est une bougie qui n’éclaire
que celui qui la porte ».
En 1978, la version de Superman réalisée par Richard Donner proposait une autre transmission de
connaissances de parents à enfants. Alors que la planète Krypton allait se
détruire, Jor El et son épouse décident de sauver leur fils Kal El en
l’envoyant dans un véhicule spatial pour rejoindre la planète Terre. Pendant ce
voyage de plusieurs années, des connaissances encyclopédiques sont alors
transmises à l’enfant. Ce sont donc, malgré leur absence, les parents qui sont
aussi des pourvoyeurs de connaissances scientifiques et de savoirs qui
accompagnent la croissance des enfants. Cette dernière est d’ailleurs
symbolisée à l’écran par la mutation du corps du garçon. Cela démontre aussi,
de manière elliptique, la nécessité du temps pour que les connaissances soient
transmises et acquises par un enfant.
La notion de temps d’apprentissage est aussi présente dans Will Hunting de Gus Van Sant
en 1997, quand le héros vient défier un étudiant prétentieux avançant des
concepts historiques pour humilier l’ami de Will. Ce dernier montre que les
enseignements universitaires commencent par des notions basiques, puis au cours
des années, des nuances sont apportées par l’étude de livres plus spécialisés.
Cela montre encore une fois la nécessité d’acquérir les connaissances par
étape. Mais la séquence révèle cependant d’autres éléments sur l’apprentissage
des connaissances. D’un côté, il y a cet étudiant qui mettra des années pour
acquérir son savoir à l’université tout en payant des dizaines de milliers de
dollars. Et de l’autre il y a Will qui prouve qu’on peut accéder aux mêmes
savoirs pour seulement le prix de l’adhésion à une bibliothèque. Ce que révèle
pourtant ce duel, c’est que si pour les deux protagonistes, le savoir est in fine le même, seul celui acquis par
l’étudiant sera validé par un diplôme lui permettant de postuler à des
fonctions importantes et rémunératrices. Le film montre donc qu’il y a une
distinction entre l’éducation au savoir et la reconnaissance de ce savoir. Or,
dans un système à l’américaine, cela bénéficie de fait aux enfants dont les
parents peuvent financer les études.
Sanctionner
L’éducation passe un moment par la sanction qui vient valider le degré
d’apprentissage. Cela a été abordé dans Le
ruban blanc ou dans Les cow-boys. La
sanction n’est pas forcément un acte négatif. Il permet de corriger des
erreurs, de progresser, d’évaluer mais aussi de conserver des principes. Mais
si la sanction semble être un principe universel, sa mise en œuvre varie dans
l’espace et dans le temps.
En 1959, dans Les 400 coups, François Truffaut filme
comment un acte de délinquance d’un enfant, un simple vol, est sanctionné par
les parents. Dans le film, le père conduit lui-même son fils Antoine à la
police qui recommande un placement dans une sorte de maison de correction. La
société prend en charge une sanction qui s’accompagne d’un discours
culpabilisant sur le laxisme supposé des parents. Revoir le film aujourd’hui
témoigne du changement de mentalité dans la société tant une telle séquence
filmée aujourd’hui paraîtrait incongrue !
Toujours en 1959, Denis de la Patellière réalise Rue des prairies mettant
en scène une famille ouvrière. Le père, incarné par Jean Gabin, découvre que la
maîtresse d’un homme de son âge est sa propre fille. Le père essaie de faire
comprendre à sa fille l’erreur qu’elle commet mais elle lui répond en signifiant
qu’elle est majeure et ose lui tenir tête. Dans un échange musclé, le
spectateur découvre avec le père qu’en réalité, elle ne veut pas s’émanciper
mais passer d’une tutelle à une autre, celle du père à celle du mari, mais en y
voyant la possibilité d’une ascension sociale, en dévalorisant de fait le
statut de son père. Une gifle sanctionne l’irrespect de sa fille. Aussi étrange
que cela puisse paraître aujourd’hui, cela est bien un geste éducatif qui clôt
une conversation, qui remet de l’ordre dans la micro-société qu’est une
famille. Il y a une représentation verticale de l’autorité qui passe aussi par
l’exercice de la force. La jeune fille ne s’y trompe pas car après la gifle, qui
la surprend autant qu’elle surprend les spectateurs, elle revient vers son père
l’appelant « papa ». Et lui de rétorquer, puisque l’amant
arrive : « elle vous appelle », preuve de ce transfert de
soumission et non d’émancipation.
Le recours à la sanction corporelle reste un classique du cinéma. Parce
que cela est rapide, efficace, et compréhensible pour les spectateurs. Les 7 mercenaires montrent également cela. En 1960, John Sturges évoque comment des
« mercenaires » viennent aider des villageois mexicains pour lutter
contre un bandit, pilleur notoire. Ces paysans semblent être des faibles aux
yeux de leurs enfants. Bernardo, un des mercenaires dont les enfants se sont
entichés prend alors celui ayant traité les pères de lâches et lui met une
fessée, rappelant ce que font leurs pères pour qu’ils puissent vivre le mieux
possible. Dans cette séquence, la sanction est aussi un acte d’adulte à enfant,
pas seulement de parents à enfants. Les adultes sont aussi des vecteurs de
respect que les jeunes doivent avoir vis-à-vis de leurs parents, au sein d’une
même communauté. Elle marque un respect de valeurs partagés par tous dans une
même communauté.
Dans le cas de La gifle film réalisé par Claude Pinoteau en 1974, il y a plusieurs sanctions
évoquées. Par exemple lorsque le personnage d’Isabelle, interprété par Isabelle
Adjani, comprend que son année de médecine ne sera pas validée après avoir raté
son évaluation. Sa note de 0 est éliminatoire et constitue une sanction
définitive. Mais face à la désinvolture de sa fille et son manque de respect,
Lino Ventura, incarnant le père, décide de la ramener chez eux et de la mettre
dans sa chambre. Dans une crise d’hystérie, Isabelle répond à son père que si
elle est sortie la veille d’examen, ce n’est pas pour vivre autrement mais
autre chose, qu’elle ne veut pas d’un homme mais d’un garçon. Par un
renversement de situation, elle souligne que malgré ses diplômes, son père est
désormais au chômage. À la différence du film Rue des prairies, le père est déstabilisé dans son autorité.
D’abord parce que sa fille ne veut pas reproduire une pratique classique, se
trouver un homme pour devenir femme puis mère et ainsi de suite, ensuite parce
qu’elle lui signifie son échec dans un modèle qu’il défend pourtant, celui de
la réussite par les études. Le père quitte donc d’abord la chambre, comme une
fuite de la situation. Puis il revient pour mettre cette fameuse
« gifle » qui apparaît cette fois-ci non comme une réaction éducative
mais comme une volonté de rétablir un ordre qui n’est plus.
Mais la sanction n’est pas forcément physique. Elle peut être aussi la
volonté de rétablir des règles reposant sur les droits et devoirs. Ken Loach,
dans Looking for Eric, montre en 2009 comment un père rappelle à ses fils qu’ils n’ont pas à se
comporter comme s’ils étaient à l’hôtel, qu’ils peuvent bénéficier de droits,
dans ce cas, prendre un repas, s’ils remplissent leurs devoirs. Les devoirs des
parents vis-à-vis des enfants ne valent que si les enfants respectent leurs
devoirs à l’égard de leurs parents !
Émanciper
Émanciper est donc l’objectif ultime de l’éducation, c’est
« conduire hors de ». Ce qui ne veut pas dire être totalement libre
puisque cette liberté est conditionnée par des responsabilités définies par
l’acquisition des valeurs et des connaissances et validées par différents
acteurs de l’éducation.
Dans Mary Poppins, Robert Stevenson trouble les spectateurs en 1964. Moins qu’un film sur
comment éduquer ses enfants, Mary Poppins
est en réalité un conte initiatique à destination des parents, ce qui se comprend
d’ailleurs par la séquence finale dans laquelle le père comprend enfin que sa
mission paternelle ne se limite pas à apporter un cadre confortable à ses
enfants. Alors qu’il s’est fait licencier de la banque dans laquelle il
travaillait et pour laquelle il consacrait tout son temps, il comprend enfin
que les vraies valeurs reposent dans le souci de consacrer du temps à ses
enfants. En réparant le cerf-volant cassé après un mauvais usage par ses
enfants, il vient corriger une mauvaise expérience de ses enfants tout en les
invitant à recommencer. La chanson et l’image du cerf-volant proposent de fait
une interprétation double. Cela rappelle qu’il est l’objet qui a libéré le père
de son travail, il est aussi le symbole de l’acte éducatif : « laissons-les
s’envoler », retenus par un fil invisible. Le « les » est à la
fois les cerfs-volants et les enfants. La responsabilité reposant dans le fil
permettant de les récupérer quand une erreur est faite. Mary Poppins a de fait
moins éduqué les enfants à être de futurs adultes que leur père à le
devenir !
L’émancipation des enfants vient donc de la liberté accordée par les
parents à leur progéniture sans pour autant la laisser livrée à elle-même. Dans
Attention ! Une femme peut en
cacher une autre en 1983, Georges
Lautner montre comment le personnage interprété par Miou-Miou est conduite à
laisser son fils à se faire à manger seul à midi. Mais le fil du cerf-volant
est ici remplacé par le fil téléphonique qui permet à la mère de donner les
conseils à son fils devant faire face à une panne de four. Être autonome est
déjà le début de l’émancipation. Cette autonomie ne se fait pas forcément en
rupture avec la famille et l’affection parentale. Elle passe aussi par un
mimétisme du monde adulte puisque le garçon transforme sa cuisine en restaurant
pour ses camarades, employant tous un vocabulaire de consommateurs
aguerris ! Autonomie enfin avec transgression des principes donnés par la
mère puisqu’il fait payer ses convives quand elle croit qu’il leur fait juste à
manger.
L’autonomie passe donc par le libre-arbitre impliquant de fait un point
de vue personnel, une indépendance de jugement. Dans Le cercle des poètes disparus, Peter Weir réalise en 1989 un film devenu culte sur un enseignant ne
faisant pas que transmettre un savoir mais également un esprit critique. Dans
une séquence fameuse, il convie ses élèves à monter sur son bureau pour voir la
salle de classe d’une autre manière. Ce changement de point de vue, également
transgression à un ordre établi, est aussi une manière de comprendre que le
monde ne se regarde pas seulement d’une seule manière. S’émanciper, c’est aussi
parfois regarder la même chose mais sous un angle différent. C’est s’inscrire
dans un même espace mais avec son propre regard, son propre avis. C’est oser.
De fait, l’émancipation comme objectif de l’éducation semble rejoindre le
principe premier qu’est l’acquisition de valeurs. Dans Spiderman de Sam Raimi en
2002, Peter Parker, qui vient de découvrir ses dons nouveaux, se sent épris de
liberté, fait ses choix en contradiction avec certains des principes que lui a
transmis son oncle. Or celui-ci lui rappelle qu’ « un grand pouvoir
implique de grandes responsabilités ». Phrase à double sens évidemment
dans cette situation car elle s’adresse à celui qui devient Spider-man. Mais
l’oncle l’ignorant évoque lui le pouvoir de la jeunesse, de la liberté. Et pour
lui, l’émancipation n’est pas irresponsabilité et être libre n’exonère pas de ses
devoirs et de ses valeurs.
De même, l’émancipation ne constitue pas la fin de l’acquisition du
savoir.
Dans No et moi Zabou Breitman
adapte en 2010 le livre de Delphine de Vigan et montre comment une élève de
collège va réaliser un exposé sur les SDF pour son professeur de français. Dans
ce cas, l’école et le professeur ne sont pas les transmetteurs du savoir mais
sont des éléments de médiation entre ceux qui apprennent et le monde inconnu
pourtant si proche. La construction de son savoir par l’exposé est aussi
émancipateur à condition évidemment d’être acteur de ses recherches, le tout
avec le soutien et l’accompagnement lointain mais sûr de l’enseignant, qui
laisse s’envoler son élève tout en la maintenant par le fil.
CONCLUSION
Le cinéma est donc un art formidable pour témoigner des caractéristiques
d’une société puisqu’il est un art qui plonge le spectateur dans l’illusion du
réel qui n’est que le vraisemblable. À bien y regarder, le cinéma est aussi un
témoin non par son aspect narratif mais aussi par les choix qui sont faits. Si
l’école est souvent montrée au cinéma, l’éducation est présentée le plus
souvent en dehors de ce cadre, et parfois même contre lui. Mais le plus évident
est la représentation des agents de l’éducation des enfants. Dans le réel, ce
sont surtout des femmes, qu’elles soient les mères, les enseignantes ou les
nourrices et de fait, la place des femmes dans l’éducation est prépondérante.
Or le cinéma surreprésente la place des hommes dans cette mission. Celle des
femmes étant le plus souvent oubliée ou marginalisée : la mère est morte,
ou elle a abandonné sa famille, ou elle est absorbée par autre chose. Le père,
l’oncle ou simplement l’homme font office de maître d’un ordre encore
paternaliste. Cela vient à la fois d’un art encore sous influence masculine –
que ce soit à la production ou à la réalisation – mais cela vient aussi d’une
société qui place encore le père ou l’homme dans un statut symbolique important
d’autorité dans un système, familial ou social, reposant sur un ordre masculin.
Or, la transmission de ces principes au cinéma doit apparaître socialement
vraisemblable et pas forcément en phase avec la réalité vécue. Ce qui explique
pourquoi même des réalisatrices peuvent reproduire une représentation masculine
du schéma éducatif.
C’est donc en toute logique qu’en 1963, Georges Lautner réalisait Les tontons flingueurs. Ce film
est devenu culte et raconte les tribulations d’un oncle improvisé devant
soudain prendre en charge l’éducation de sa désormais nièce. Et alors qu’il
découvre celle-ci avec un dénommé Antoine en train d’écouter de la musique
« douce » et partiellement dévêtus, il doit aussi affronter des
remarques désobligeantes à son égard et contestant son autorité. Ce qui valut
alors une des répliques les plus célèbres d’Audiard :
« Patricia
mon petit, je ne voudrais pas te paraître grossier et encore moins
vieux-jeu ; l’homme de la pampa parfois rude reste toujours courtois, mais
la vérité m’oblige à te le dire. Ton Antoine commence à me les briser
menu ! ».
En une réplique, Lautner rappelait les principes traditionnels de
l’éducation reposant sur une autorité verticale face à la contestation des
plus jeunes, notamment par la remise en cause des connaissances des adultes, le
tout provoquant un rappel des valeurs et des principes puis d’une sanction pour
aboutir au rétablissement de l’ordre ! Ce qui vaut dans une comédie de
1963 n’est de fait pas si éloigné de ce qui arrive dans le domaine de l’éducation
telle que le ressentent les spectateurs d’aujourd’hui. Pas sûr en revanche que
ce modèle soit celui correspondant à ceux préconisant une mutation des méthodes
et principes éducatifs !
À très bientôt
Lionel Lacour
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