jeudi 22 juillet 2021

"Kaamelott, Premier volet" ou la nostalgie de l’homme providentiel

Bonjour à tous

Alexandre Astier voit enfin son film Kaamelott sortir sur les écrans le mercredi 21 juillet 2021. Après de longs mois d’attente, le film adapté de la série culte est enfin accessible aux spectateurs. Ceux-ci vont donc voir si Arthur, qui a été vendu en tant qu’esclave, va pouvoir reconquérir son royaume contre le tyran Lancelot. Avec un casting hors norme, rassemblant bien sûr les comédiens de la série, des guests habituels (François Rolin, Alain Chabat…) et d’autres encore (Christian Clavier, Guillaume Gallienne… et Sting !), Kaamelott était une promesse de bon moment de voir se combiner des talents qui assurément se sont plu à jouer dans ce film enthousiaste. Mais un film sur Arthur renvoie forcément à une quête ? Laquelle ?

Attention, l’analyse du film implique forcément des révélations de l’intrigue, aussi mince soit-elle… Et il ne s'agit pas d'une critique de film...

BANDE ANNONCE


La série nous avait plongés dans la quête du Graal, ressort obligé de tout récit sur les chevaliers de la Table ronde. Or cette quête semble quasi inexistante du film. Elle est évoquée mais comme une sorte d’illusion. J’y reviendrai. En revanche, le film montre une succession de quêtes. Celle d’abord de ceux recherchant Arthur après avoir appris qu’il n’était pas mort mais vendu comme esclave. Puis celle de ceux qui veulent remettre Arthur sur le trône. La quête encore des amoureux de la reine Guenièvre. Enfin la quête d’Arthur, inconsciente, de redevenir le roi pour rétablir la concorde entre les peuples du royaume.

Le royaume de Logres, autrefois dirigé par Arthur, est donc dans un état avancé de ruine et de misère. Lancelot dirige en autocrate, obsédé par la mort d’Arthur son prédécesseur et par la reine Guenièvre qui se refuse à lui. Quant au gouvernement, il est constitué d’anciens conseillers d’Arthur l’ayant trahi et sans aucun lien avec la population qu’ils méprisent au point de pressurer les plus pauvres en ayant recours à des mercenaires saxons. Le retour d’Arthur est donc vu comme celui de l’homme providentiel. Rien de très original en soi. C’est un peu le retour de Richard Cœur de Lion dans la geste médiévale ressuscitée par Walter Scott au XIXe s, propulsant Robin des Bois et Ivanhoé comme héros de la concorde entre Saxons et Normands. Mais à la différence de Richard, Arthur refuse de redevenir roi et de reprendre son trône.

Forcément, le spectateur ne peut s’empêcher de penser à la situation française. Pas la situation sanitaire, le film ayant été écrit et en partie tourné avant la pandémie. Mais plutôt celle d’un pays qui voit ses dirigeants contestés, vus comme des privilégiés pratiquant les taxes touchant essentiellement les classes populaires ne vivant pas proche des lieux de pouvoir. Et de fait, le personnage d’Arthur incarne ce que les Français apprécient le plus finalement. Un personnage providentiel.

Car derrière le roi déchu, volontairement ou pas, se dissimule le chef que les Français aiment avoir autant qu’ils aiment le détester. De Gaulle avant d’avoir procédé à la synthèse entre république et monarchie avait été cet homme présidentiel, celui qui avait dit non à la collaboration pour rétablir la république dans un territoire fragmenté, pour finalement claquer la porte en démissionnant en janvier 1946. Son retour au pouvoir en juin 1958 ne fut permis qu’à la faveur d’un soulèvement dans une partie du territoire alors français. Il est à nouveau vu comme le seul capable de rétablir l’ordre et la concorde dans un pays en guerre depuis 1954. De fait, le parcours d’Arthur s’inscrit totalement dans cette mythologie. Et malgré son refus initial de redevenir roi, il change d’avis en voyant l’espoir qu’il suscite auprès de la population de ce qui fut naguère son royaume. Alexandre Astier emploie même le terme de « Résistance » pour justifier les actions de Perceval et de Karadoc, expression plutôt chargée du point de vue historique. La vue d’une table ronde faite de bric et de broc l’émeut car ce sont des humbles qui se rêvent chevaliers, fidèles à l’idéal que représentait Arthur, à sa vision du royaume. Et même si ses soutiens sont de qualité médiocre, ses adversaires, internes ou externes, ne valent de fait pas beaucoup mieux. Reste à Arthur de prouver qu’il est bien l’homme providentiel. Au « Je vous ai compris » répond le retrait de l’Excalibur de son rocher. Il est bien celui qui a été et qui est désormais à nouveau le roi de Longres.

La quête du film serait donc celle inconsciente d’Arthur pour redevenir roi. Derrière sa figure se rallient à lui des groupes ayant été parfois ses opposants mais qui lui étaient malgré tout fidèles. Car le message d’Arthur imposait une vision pour la société et imposait une éthique pour ses chevaliers que la quête du Graal symbolisait. Une fois encore, la parabole gaullienne peut se lire en filigrane. Le général fut rejoint en 1940 par des hommes et des femmes de toutes obédiences religieuses comme politiques mais qui avaient la défense de la France et de ses valeurs en commun. De la même manière, de Gaulle en 1958 rassemble au-delà des lignes politiques traditionnelles car il propose à la fois un idéal, maintenir la France comme une grande nation, et une ambition, la modernisation d’un pays prospère. Le pouvoir est dénoncé comme autocratique, Mitterrand parla même du Coup d’Etat permanent en 1964 pour un régime conçu par ses fondateurs comme une monarchie républicaine. Le message d’Astier n’est donc en rien révolutionnaire et son « bon » roi s’inscrit pleinement dans la tradition française de se satisfaire d’un homme incarnant les valeurs du pays et son histoire.

Bien sûr, les analogies ne sont pas permanentes au gré du scénario. Pourtant l’alliance objective avec le roi des Burgondes, ennemi ancestral du royaume de Logres, ne manque pas de ressembler à celle entre de Gaulle et la perfide Albion. D’ailleurs, le roi des Burgondes dans le film ne serait-il pas un peu gras comme pouvait l’être Winston Churchill ? Point de discours sur le présent alors ? Peut-être que si… Car les Français n’ont de cesse de se rechercher un chef providentiel. Or cette providence n’était possible jusqu’alors qu’avec des personnages à forte épaisseur historique et incarnant un vrai changement. De Gaulle l’a été évidemment. Mitterrand aussi. Or depuis, les présidents sont régulièrement désavoués. Et si Chirac a fait deux mandats, il a subi deux désaveux cinglants, un en 1997 après la dissolution de l’Assemblée nationale et un autre en 2005 après que le peuple a refusé massivement de soutenir un projet de constitution européenne. Le film d’Astier s’inscrit donc parfaitement dans le sentiment des Français d’être orphelin d’un dirigeant à la légitimité historique et au projet fédérateur et ambitieux.

Un flash-back du film vient pourtant poser question. En effet, Arthur y est montré adolescent dans la légion romaine dans un pays oriental et pas encore musulman évidemment. Deux femmes apparaissent pourtant le visage camouflé, dont une jeune fille dont il tombe amoureux. Celle-ci est alors battue au sang pour avoir eu une relation avec le jeune légionnaire. Battue par son aînée. Sa mère ? Mais Arthur ne le supporte pas et va venger celle qu’il a aimée et qui fut défigurée pour l’avoir aimé elle aussi. Astier fait de cet épisode une des raisons pour lesquelles Arthur ne veut plus tuer ses ennemis, car ce qu’il a fait le hante. Mais le récit qu’il en fait reste étonnant car il montre d’abord que les gardiens de la pudeur et de la pudibonderie d’une société où les femmes sont voilées ne sont pas forcément des hommes. Et que les femmes peuvent faire preuve de violence et de cruauté à l’égal des hommes. Et s’il ne s’agit pas de musulmans pour des raisons chronologiques, l’action se passe au Ve siècle. Mais les spectateurs ne peuvent pas ne pas faire le lien avec certaines pratiques comme le crime d’honneur. D’autant que les comédiennes sont clairement de type orientales et que l’action est censée se passer sur les terres orientales de l’empire romain. Astier se positionne dans un féminisme universaliste condamnant les sévices infligés aux femmes voulant s’émanciper et mener la vie amoureuse qu’elles souhaitent. Mais les remords de son héros d’avoir tué celle qui avait châtié son amoureuse démontrent qu’il refuse aussi de recourir à la manière forte pour convaincre ceux appliquant ces châtiments au nom de leur morale ou de leurs traditions. C’est d’ailleurs du fait de ce flash-back que Lancelot-du-Lac est finalement épargné mais que le royaume se reconstitue derrière Arthur.

 

Toutes les quêtes du film semblent avoir trouvé une réponse. Y compris celle de l’ex/nouveau roi qui découvre que Guenièvre lui a été fidèle, suscitant chez lui, et peut-être pour la première fois à son égard, un amour lui faisant escalader le mur d’un donjon ! La quête du Graal reste donc la grande oubliée. Mais le chef Saxon, ex allié de Lancelot, désormais seigneur d’une île du royaume de Logres et vassal d’Arthur, demande de faire partie de la Table ronde. Et de fait, appelle à repartir en quête du fameux calice christique. Car le retour de l’homme providentiel, c’est-à-dire reconnu par le peuple comme tel, ne suffit pas. Faut-il encore qu’il donne une direction, une ambition et une morale à son royaume. Astier s’en défendrait certainement. Mais la morale de son film est très gaullienne pour ne pas dire gaulliste. Et les images de fin ne viennent que confirmer cela. Lui, formant un couple uni avec son épouse, ses fidèles et le peuple derrière lui… Pourquoi voudrions-nous qu’il commence une carrière de dictateur ? Il n’a pas abattu le royaume, il l’a rétabli…

À très bientôt

Lionel Lacour