jeudi 23 juin 2011

Festival Lumière 2011: la (très) bonne surprise Depardieu

Bonjour à tous,


Ce matin, à l'Institut Lumière, son Directeur, Thierry Frémaux, a révélé la programmation du festival Lumière qui aura lieu à Lyon du 3 au 9 octobre 2011. Des rétrospectives permettront de revoir les oeuvres de Jacques Becker, comme Touchez pas au Grisbi ou encore Goupi Main rouge et Casque d'or, de retrouver quelques films de William Wellman dont le génial Convoi de femmes, western filmé comme une véritable chronique sociale avec Robert Taylor. Bien des événements parmi lesquels une nuit de la science fiction avec la version couleur retrouvée du film de Méliés Voyage dans la Lune, Blade Runner ou encore une version restaurée de Soleil vert. Il ne faudra pas manquer pour les jeunes et moins jeunes la projection de La guerre des boutons d'Yves Robert, la version originale donc, et un bon moyen pour acclimaté les enfants au cinéma noir et blanc! Je passe sur le reste de la programmation qui sera complète sur le site du Festival Lumière:

Patrick Dewaere et Gérard Depardieu
dans Les valseuses de Bertrand Blier, 1974

Mais le lpus important reste bien sûr le prix Lumière. Cette année, il sera attribué au monstre du cinéma français Gérard Depardieu. Certains peuvent s'étonner de voir ce personnage récompensé après Clint Eastwood (2009) et Milos Forman (2010) au regard de certaines dernières déclarations tonitruantes et excessives ou par rapport à sa filmographie récente. C'est oublier le géant de cinéma que représente Gérard Depardieu.

En effet, il aura marqué le cinéma français comme peu d'acteurs l'ont fait, rejoignant dans la légende les Jean Gabin et Michel Simon, comme le rappelait Thierry Frémaux ce matin. Sa présence, voire son omniprésence sur les écrans l'ont certes conduit à participer à des films médiocres, que certains qualifieraient d'alimentaires. Lui même le reconnaît volontiers.

Prix d'interprétation à Cannes
Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau, 1990
Mais ce serait oublier les autres, les chefs d'oeuvre absolus, une filmographie vertigineuse. Comment ne pas être ému en voyant son interprétation magistrale dans Cyrano de Bergerac. Quand beaucoup d'acteurs auraient surjoué ce rôle, lui a su l'incarner. Ce n'était pas Depardieu qui combattait, ce n'était pas Depardieu qui écrivait, ce n'était pas Depardieu qui mourrait, c'était Cyrano, c'était toujours Cyrano qui habitait l'écran.
Les plus grands acteurs sont souvent les plus généreux, souvent aussi ceux qui ont besoin plus que les autres d'être à la fois dirigés et laissés libres de leur interprétation. Rappeneau sut le faire comme Wajda le fit pour Danton, héros incroyablement incarné par Depardieu et qui, de monologues en monologues, donnait vie et chair à ce personnage si ambigu que ce révolutionnaire français.
Qui d'autres que Depardieu peut ainsi passer de ces rôles exigeants à ceux plus légers comme dans Mon père ce héros, comédie fraîche sans grande prétention mais où il sut jouer juste face à la jeune Marie Gillain.
Depardieu, c'est aussi une certaine idée de la fidélité au cinéma sans se prendre au sérieux. Les comédies qu'il a pu tourner avec Francis Weber continuent à faire rire, qu'ils soit la brute impassible comme dans La chèvre  ou l'abruti fini dans Tais toi.

Gérard Depardieu dans Uranus de Claude Berri, 1990
Car la force de Depardieu, c'est d'avoir tourné dans tous les types de films, certes avec des bonheurs différents mais en ne se limitant jamais à un seul type de rôle. Prêtre, bistrotier, flic, futurs retraités vadrouilleur, acteur, petite fripuille ou vrai truand, gaulois, patron, ennemi public numéro 1, mousquetaire, homme préhistorique, paysan, revenant, héros de Dumas ou de Hugo...
Il a tourné avec les plus grands, de Truffaut à Bertolucci en passant par Blier, Rappeneau, Corneau, Berri, Chabrol, Weir, Scott, Pialat...
Et partout dans le monde, il est l'acteur français le plus connu, ce "Girard Dipardiou" ami de De Niro depuis 1900.


Gérard Depardieu et Robert de Niro dans 1900 de Bernardo Bertolucci, 1976.
Depardieu, c'est donc une filmographie gargantuesque dont plus des deux tiers sont déjà oubliés. Mais que de films dont tout le monde se souvient et pour lesquels, chaque acteur français rêverait d'en avoir au moins un dans sa propre filmographie!
Nous pouvons donc remercier Thierry Frémaux, Bertrand Tavernier et l'Institut Lumière d'avoir pensé à rappeler par ce prix que Depardieu est surtout, et avant tout, un monstre sacré du cinéma français d'abord, du cinéma mondial aussi. Et remercions Gérard Depardieu d'accepter d'être ainsi honoré par ce prix Lumière.

Rendez-vous donc très bientôt à Lyon pour célébrer cet immense artiste et toutes les oeuvres du patrimoine mondial du cinéma qui seront mises en avant.

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 21 juin 2011

Rocky et Rambo: deux héros américains

Bonjour à tous,

il y a quelques années, lors d'une formation pour des enseignants, l'un d'entre eux me demanda si pour moi, Rambo était une source historique. Cette interrogation provoqua de ma part une certaine consternation. En effet, qu'est-ce qu'une source historique? Est-elle liée à la qualité de l'oeuvre étudiée ou bien est-ce un témoignage de l'époque étudiée? Devrait-on éliminer certaines inscriptions latines ou grecques sous prétexte qu'il y aurait des fautes d'orthographe? Il en est donc de même pour les films dont la qualité cinématographique n'a rien à voir avec le témoignage historique qu'ils peuvent révéler de leur époque.
Au-delà de cet aspect sur la validité de "source" historique de Rambo, c'était bien le jugement esthétique qui m'ennuyait. En effet, Rambo est un film particulièrement intéressant cinématographiquement parlant comme nous allons le voir ci-dessous. Pourtant, il suffit de prononcer ce mot, RAMBO, pour provoquer sourires et moqueries sur le personnage. C'est que ce personnage n'est pas resté celui que nous découvrions dans le premier opus en 1982 réalisé par Ted Kotcheff. Il est devenu ce symbole du cinéma américain reaganien au fur et à mesure que les années 1980 avançaient jusqu'à la caricature. Il en fut de même pour Rocky, interprété par le même Sylvester Stallone qui devint à son tour une caricature après trois épisodes plutôt bien accueillis jusqu'en 1982 jusqu'à ce que le quatrième opus plonge Rocky en pleine guerre froide!

Stallone, Rocky et Rambo forment désormais une sorte d'unique personnage, à la fois réac, violent, manichéen, profondément américain sans aucune nuance. C'est oublier que ces personnages et les films qui les ont fait découvrir étaient autrement plus intéressants!

1. Rocky et Rambo: deux Américains des années 70
Quand Stallone présente son scénario, il s'impose également pour interpréter le rôle du personnage principal, Rocky Balboa. Réalisé par John G. Avildsen en 1976, Rocky n'est pas l'histoire d'un super héros ni d'un héros classique de western ou même des films de Peckinpah ou de Siegel. C'est un minable boxeur qui travaille à la solde d'une sorte de mafieux pour récupérer des créances. Les quartiers populaires de Philadelphie constituent le décor du film et c'est bien la misère sociale qui est présentée, avec ces Italiens qui vivent ensemble dans le même quartier, ces braseros autour desquels se réunissent les paumés le soir, ces jeunes désoeuvrés. Mais Rocky, c'est aussi un hymne à l'Amérique, celle qui rêve encore du Melting pot. C'est Rocky et Paulie qui, quoi qu'italiens, célèbrent Thanksgiving, c'est le champion du monde Apollo Creed, un noir, qui célèbre une bataille de la guerre d'indépendance américaine, Bunker Hill, quasiment constitutive de l'identité américaine, lui vraisemblablement l'ancien descendant d'esclave.
Quand Apollo propose à Rocky, par son agent, de combattre pour le titre, Rocky refuse non par peur, mais par honnêteté: il ne vaut pas Apollo et le combat serait mauvais. L'agent lui rappelle qu'aux USA, tout le monde peut avoir sa chance. C'est l'histoire du film. Saisir la chance qui est offerte. Peu importe la conclusion. Quand Rocky accepte le combat, il entraîne avec lui tout son monde, de son coach à son patron. Sa fiancée, la depuis fameuse Adrian, se métamorphose en accompagnant ce challenger. C'est comme si cette chance offerte a un individu profitait à toute une communauté et même au-delà. La séquence d'entraînement conduit Rocky a courir dans tout Philadelphie.

Et, suivi par les jeunes de la ville pour qui il devient une sorte d'espoir, Rocky grimpe les marches du Philadelphia Museum of Art, symbole de son ascension et de sa reconnaissance pour la chance qui lui a été offerte. Le combat importe alors très peu. Irréaliste, inspiré du combat entre Mohamed Ali et Chuck Wepner, il est resté célèbre pour sa conclusion, Rocky hurlant le prénom de sa fiancée tandis que le nom du vainqueur se fait presque de manière discrète. C'est que Rocky a justifié l'opportunité proposée. Il est allé au bout des 15 rounds du combat, malgré ses chutes au tapis, faisant tomber à son tour le champion. Sa défaite est anecdotique. La vraie victoire est celle gagnée sur lui même, lui qui n'était qu'un loser. Il a prouvé qu'il valait mieux que ses petits combats de clubs. Il est devenu quelqu'un malgré la défaite. Les deux suites sont globalement dans la même veine. Rocky II est le quasi remake du premier avec une victoire de Rocky à la fin. Rocky III, l'oeil du tigre est plus spectaculaire, offre davantage de combats aux spectateurs et continue à vanter les mérites du modèle américain. Si Clubber Lang veut défier Rocky qui annonce pourtant sa retraite, c'est pour les mêmes raisons qui ont permis à Rocky de devenir le champion: il veut sa chance. Vainqueur de Rocky, Clubber Lang a pourtant deux défauts majeurs pour être un bon américain: il est irrespectueux de tous ceux qui perdent, ce qui contredit donc le message du premier épisode, et il est, aussi étrange que cela puissa paraître, beaucoup trop individualiste. En effet, contrairement à l'image que nous pouvons nous faire de la société américaine, l'individualisme ne peut se concevoir que s'il y a une conséquence pour la communauté. Là encore, le message du film de 1976 était clair. Rocky devient quelqu'un parce que son combat individuel devient le combat de ses proches, de son quartier, de sa ville. La défaite de Clubber Lang est donc celle de l'individualisme égoïste.

En 1982, Stallone sortait un autre film qui allait le marquer définitivement. Rambo a cette caractéristique commune avec Rocky d'être de fait un loser. Vétéran du Vietnam, il est donc quelqu'un qui a perdu la guerre. Du point de vue cinématographique, le passé du personnage est donné par petites touches impressionnistes, par quelques flash backs le montrant torturé par un Vietnamien. Il faut néanmoins attendre la moitié du film, alors que la police de la ville croit l'avoir tué, pour que le fameux colonel Trautman révèle qui est Rambo, un militaire d'exception, ayant reçu les plus grandes décorations de l'armée américaine. Le film révèle plusieurs états d'esprit. Celle des Américains d'abord, que le traumatisme de la défaite au Vietnam conduit à rejeter tout ce qui peut y faire référence, à commencer par les vétérans. C'est ce qui conduit le shérif à chasser Rambo de sa ville alors même qu'il n'a commis aucun délit. C'est aussi l'état d'esprit des vétérans qui se sentent rejeter par leur pays et ses habitants qui n'ont pas conscience du traumatisme de la guerre menée en Asie du Sud Est et des horreurs qui y ont été perpétrées par les deux camps. Etat d'esprit enfin d'une armée qui a été incapable de s'occuper de ses vétérans qui étaient partis pour la plupart très jeunes dans ce conflit.
La séquence finale est de ce point de vue très intéressante. Barricadé dans le bureau du shérif après avoir détruit la moitié de la ville Rambo se trouve face au colonel. Il explique alors ses états d'âme: insulté par les civils, ne trouvant pas de boulot, traité d'assassin et de bourreau, Rambo ne comprend pas ce mépris de la part de ces Américains car il n'a fait que ce que l'armée et donc son pays lui ont demandé de faire. Il témoigne de la manière dont un gamin vietnamien a fait sauter une bombe, se tuant et avec lui un soldat américain, montrant à quel point les Américains ne pouvaient pas lutter contre un peuple prêt à envoyer ses enfants mourir pour repousser les Américains. C'est enfin la désocialisation des vétérans que Rambo exprime à son colonel. De manière hallucinante, Rambo pleure alors et se réfugie dans les bras du colonel. Un enfant dans les bras de son père.
Le film est filmé comme la guerre du Vietnam s'est déroulée: un incident anodin sur un homme surpuissant qui va alors tout détruire, et comme la pente savonneuse sur laquelle avait glissé les USA au Vietnam, Rambo ne pourra plus faire machine arrière sinon à détruire tout sur son passage tout en sachant qu'il finira par perdre. Rambo est l'allégorie des USA: surpuissant, sa musculature ici n'est pas inutile pour le propos du film, mais un colosse finalement fragile. Le héros du film finit donc menotté. Fin étrange donc pour un film américain avec un happy end dans le sens où Rambo a détruit toute une ville, tué un homme et s'est rebellé contre la police. Mais la morale du film montre bien que Rambo est une victime et qu'il paie pour ceux qui l'ont abandonné: l'Etat, l'armée, les civils.

2. Rocky et Rambo: des héros reaganiens?
Qu'est-il donc arrivé à ces deux personnages pour qu'ils deviennent à ce point des porte-drapeaux des USA dans leur combat contre le bloc soviétique?
Celui qui tardera le plus à entrer dans ce conflit est Rocky. Dans le quatrième épisode, réalisé en 1985 par Sylvester Stallone (comme les deux précédents épisodes d'ailleurs), l'URSS est représentée sous deux formes. Une habituelle de l'apparail étatique, et l'autre, sous la forme de l'homo sovieticus en la personne d'un boxeur nommé Ivan Drago. C'est l'opposition entre le monde professionnel de la boxe des USA et celui amateur, mais bien sûr soutenu par l'Etat, de l'URSS.
Quand Apollo veut rencontrer Drago dans un combat alors qu'il est à la retraite depuis plusieurs années, c'est pour des raisons purement idéologiques que réfute Rocky. Mais Drago gagne ce combat exhibition et tue Apollo. Rocky accepte le combat contre Drago en mémoire de son ami. Le combat aura lieu en Russie. L'entraînement des deux boxeurs est une des parties les plus intéressantes du film, qui globalement est assez mauvais. Mais du point de vue de la représentation des deux modèles idéologiques, Stallone oppose bien deux conceptions. Celle américaine fait de Rocky un personnage qui s'entraîne en harmonie avec la nature, courant en montagne, aidant les personnes dans le besoin, le tout surveillé par les KGB. On a même droit à une ascension comme celle de Philadelphie, mais cette fois-ci au sommer d'une montagne vertigineuse. De son côté, Drago devient cet homme machine dont tous les progrès sont mesurés électroniquement. Aucune part pour la liberté, pour la fantaisie. Tout est encadré par le régime, sur fond de couleur rouge, bien entendu!
Quand le combat commence, tout est devenu prétexte à un combat USA vs URSS puisque chaque boxeur porte un short aux couleurs de son pays. Rocky, 30 cm au moins plus petit que son adversaire fait mieux que résister. Il est même soutenu par le public russe devant son courage. Un dignitaire soviétique vient alors sermoner Drago qui ferait honte à l'URSS. Celui-ci affrime alors à tous ceux qui veulent l'entendre qu'il combat pour son compte! En une phrase, le combat vient définitivement de trouver son vainqueur: c'est les USA! En effet, l'entraînement démontrait qu'en aucun cas il n'était préparé pour un combat "pour son compte" puisque ses performances étaient scrutées par un staff soviétique. En devenant un boxeur "indépendant", il s'approprie alors les valeurs américaines, celles de l'individu qui prime sur l'Etat.
Rocky triomphe cependant de Drago, soutneu lui par tout un peuple, de sa femme et son fils à tous les USA. Dans son discours d'après combat, Stallone fait alors dire à son personnage quelque chose d'assez stupéfiant pour 1985: deux hommes qui s'entretuent, "c'est quand même mieux que 20 millions". Et de rajouter après s'être rendu compte que le public avait changé d'attitude à son égard pendant le combat, que "si lui avait changé, et que [eux] avaient changé, tout lemonde peut arriver à changer!"
Cette réplique est alors salué par le dirigeant soviétique, sosie de Gorbatchev. Cette perception d'un changement à la tête de l'URSS est assez impressionnante pour un film de cette catégorie. En effet, Gorbatchev arrive au pouvoir en mars 1985 alors que le tournage du film commence en avril et se finit en juillet de cette même année. On peut imaginer que le scénario de Stallone a pu s'adapter à la personnalité de ce nouveau dirigeant. Cependant, Gorbatchev n'avait pas encore entamé ni la Perestroika ni la Glasnost. Ainsi, Rocky IV est bien sûr un film pro-américain mais il est aussi un film qui comprend que quelque chose bouge du point de vue politique en URSS pouvant avoir des conséquences dans les relations entre les deux blocs.

Cette approche plutôt positive du régime soviétique contraste avec Rambo II, la mission, sorti en mai 1985 aux USA, et donc réalisé à la fin du "règne" Tchernenko et avant l'arrivée au pouvoir du "jeune" Gorbatchev. En effet, alors que Rambo se voit confier une mission par le colonel Trautman pour aller récupérer des prisonniers américains encore captifs au Vietnam, le spectateur découvre, que ce pays asiatique est en fait largement sous influence de l'URSS qui envoie des officiers dans ce pays. Le combat mené par Rambo est donc autant contre les Vietnamiens que contre les Soviétiques et donc contre le communisme en général. Cette mission a aussi un vertu en pleine période reaganienne. Elle montre que la volonté américaine permet de faire triompher les valeurs des USA.

Quand Rambo est laché par les administratifs de la CIA, l'abandonnant lui et les prisonniers qu'il a libérés, c'est en quelques sorte toute l'administration américaine des années 1960 et 1970 qui est dénoncée, celle qui renonce devant l'ennemi, celle qui sous le gouvernement Carter avait laissé des Américains prisonniers dans leur ambassade à Téhéran sans réellement intervenir. Rambo réussit à ramener les soldats au camp américain puis s'en prend à celui qui l'a trahi, lui signifiant que désormais, il faudra libérer les autres prisonniers au risque de retrouver Rambo sur son chemin. Cette séquence spectaculaire et acclamée dans chaque salle de cinéma américaine trouve son écho dans la réponse de Rambo à son colonel: "je veux que mon pays nous aime autant que nous nous l'aimons." Ainsi le traumatisme post-Vietnam n'a pas encore tout à fait disparu, même en 1985. Si le film est très manichéen, dénonçant la barbarie communiste, Rambo II est un film surtout patriotique, ce qui explique son succès au Box office.

Il en est autrement pour le troisième volet Rambo. En 1988, Peter Mc Donald réalise Rambo III, plaçant l'action en Afghanistan. Or Rambo vit désormais en Thaïlande, loin des USA et du souvenir de la guerre. Pourtant, il sera impliqué dans une intervention en Afghanistan pour sauver le colonel Trautman, parti aider clandestinement des moudjahidins qui combattent contre l'occupant soviétique, présent dans le pays depuis 1979. Ouvertement anti-soviétique, le film montre le "Vietnam soviétique" dans lequel les Américains ont, cette fois-ci, le rôle du libérateur. Le colonel soviétique est montré comme un tortionnaire sanguinaire, usant de l'arme chimique pour combattre les rebelles afghans. A la sauvagerie du Soviétique répond l'invulnérabilité de Rambo, aguerri au combat depuis son passage au Vietnam. Trautman prisonnier a foi en Rambo ce qui donne un échange entre lui et son geôlier, le colonel Zaysen:
[en parlant de Rambo] "Pour qui le prenez-vous, Dieu?"
"Non, Dieu aurait pitié!"
Rambo est donc une machine de guerre prête à tout pour sauver "Son" colonel. Impitoyable avec les ennemis, il vient également aider les Afghans dans leur combat. Dans une scène surréaliste, les chefs de guerre moudjahidins lui expliquent leur combat et ce qu'ils veulent défendre. Parmi ces chefs se trouve un certain commandant Massoud! Le film date de 1988, soit 13 ans avant que ce personnage ne soit abattu par les talibans. Surtout, Massoud n'était vraiement connu que des spécialistes de la guerre en Afghanistan. Ce détail montre combien ces films, même manichéens, même particulièrement douteux tant du point de vue idéologique que cinématographique, sont particulièrement documentés pour renforcer la crédibilité de ce qui peut l'être. Que Rambo aille ensuite plus vite à cheval que les hélicoptères qui le poursuive relève pour les spectateurs des exagérations des films d'action de ce genre.
Ce qui est plus curieux est bien que le discours soit aussi virulent contre le soviétique alors même que, nous l'avons vu, Rocky IV montrait une inflexion favorable vis-à-vis de Gorbatchev. On peut alors voir que celui qui est dénoncé est un homme, le colonel Zaysen, plus que l'URSS. Une sorte de personnage qui aurait outrepassé ses prérogatives de militaires. L'URSS n'est donc pas épargnée au sens où c'est sa présence en Afghanistan qui a permis à Zaysen d'être le bourreau des Afghans. Mais l'URSS, et avec elle son dirigeant principal, est dépassé par ces chefs locaux. En ce sens, Rambo III annonce déjà la fin du contrôle de l'URSS sur ses armées et donc son affaiblissement.
Reagan pouvait alors dire en 1985 qu'il saurait quoi faire la procahine fois que des Américains seraient faits prisonniers après avoir vu Rambo II, il fit, lui et son administration, la même analyse que les scénaristes de Rocky IV et de Rambo III: l'URSS était plus vulnérable que jamais avec à sa tête un dirigeant prêt à un rapprochement avec le bloc de l'Ouest. Il fallait donc jouer sur cette situation pour déstabiliser davantage l'URSS et par là même, le bloc de l'Est tout entier.



Pour conclure, les séries des "Rocky" et "Rambo" s'est quasiment éteinte dans les années 1990. Bien sûr le personnage de Rocky n'était plus crédible en boxeur si bien que Rocky V transforma en 1990"l'étalon italien" Rocky en coach, proposant un film plus dans la lignée du premier opus,la fraîcheur en moins. Rocky VI autrement appelé Rocky Balboa ne fit pas que donner un nom à son héros sur l'affiche. Le film de 2006 semble boucler une boucle entamée trente ans auparavant. A la fois nostalgique avec une séquence de générique de fin montrant tous ceux gravissant les mêmes marches que Rocky à Philadelphie, le film semble vouloir sortir le personnage de Rocky de la caricature dans laquelle il était entré avec Rocky IV. John Rambo, sorti en 2008, relève de la même logique que Rocky Balboa. Nostalgie et plaisir de retrouver un personnage entré dans la culture mondiale mais volonté aussi d'en faire un héros moins manichéen dans un film plus personnel. Là n'est pas la question de la réussite de ces films. Ce qui est sûr, c'est que Stallone aura été un de ces rares acteurs à être confondu, associé et assimilé avec le nom d'un héros qu'il a interprété. Stallone aura été assimilé à deux héros américains collés à tout jamais aux années Reagan, sans pouvoir depuis vraiment s'en dissocier.


A bientôt

Lionel Lacour

lundi 13 juin 2011

Le cinéma et "les Trente glorieuses"

Bonjour à tous,

cette expression typiquement française renvoie comme chacun le sait à cette période de croissance extraordinaire allant de l'après guerre au premier choc pétrolier. Or les effets de cette période au cinéma vont se manifester surtout à la fin des années 1950, le temps que cette croissance économique soit perçue comme durable par tous.

1. Un changement de société
Le passage d'une société rurale à une société urbaine est presque liée au passage de témoin entre deux types de cinéma. En effet, le cinéma des "artisans" et des bons faiseurs était celui qui s'adressait finalement à des spectateurs d'avant guerre, un cinéma populaire s'appuyant sur des dialogues souvent savoureux, sans grande ambition cinématographique que celle de plaire aux familles. Ce "cinéma de papa" fut contesté par les critiques de cinéma des années 1950, que ce soit dans Les cahiers du cinéma ou dans Positif. Parmi eux se trouvaient les futurs cinéastes dits de la "Nouvelle vague", les Truffaut, Godard ou d'autres, tous admirateurs du cinéma américain et inventeurs d'un style nouveau, plus en phase avec la société moderne, plus urbain, renonçant aux studios pour des décors naturels moins chers, démocratisant de fait les possibilités de devenir cinéastes. Au "cinéma de papa" dont il faisait partie, Audiard répondit que "la nouvelle vague était plus vague que nouvelle". Le conflit de génération était bien à cette croisée des années 1950.

L'immeuble où habite Monsieur Hulot dans Mon oncle
C'est que le monde a en effet changé. Et ce ne sont pas les films d'Yves Robert comme Ni vu ni connu de en 1958 ou La guerre des boutons en 1962 qui pouvaient masquer cette évolution. Ces films montrant une France rurale, faisant s'affronter maréchaussée et braconnier ou bandes de gamins de villages voisins semblaient devenir des instantanés d'une France de plus en plus révolue tandis qu'une France urbaine ne cessait de s'imposer. Cette transformation est bien sûr présente à l'écran. Elle est montrée de manière bien diverse. Brutale chez Jacques Tati qui, dans Mon oncle en 1958 présentait deux France, deux sociétés opposées, une chaleureuse et généreuse dans laquelle les gens se connaissaient et discutaient de tout et de rien, faisaient leur marché sur la place. Peu importait que les immeubles soient mal conçus. L'autre France était plus moderne, plus "design" mais aussi beaucoup plus froide, sans aspérité. Ce qu'on appelait pas encore ergonomie est moqué chez Tati. Sa description de la société moderne est celle d'un monde froid. Il développera cette thématique à son paroxysme dans Play time en 1967, dans un pays où toute trace de campagne a disparu.

Quant à lui, Truffaut montre la même chose. Une société urbaine où les habitants qui vivent en centre ville occupent des appartements vétustes et peu adaptés aux aspiration de confort d'une population qui vit au gré de la croissance économique. Le logement du jeune Antoine est pour cela un exemple d'exiguïté et d'inadaptation à des familles dont le mode de vie a changé. Si Antoine a son lit dans le couloir, c'est bien qu'il n'y a pas de chambre pour lui. Mais c'est aussi qu'il ne dort pas dans la chambre de ses parents. Cette promiscuité est d'ailleurs un vrai problème et trouver un appartement plus grand relève quasiment de l'enquête policière. Le père est d'ailleurs "sur une piste" pour un appartement plus grand. Rares sont en effet les disponibilités immobilières car les familles s'agrandissent. L'effet du Baby boom est présent dans bien des films. La mère d'Antoine est dégoûtée qu'une de ses connaissances ait encore un enfant: "quatre enfant en trois ans, c'est du lapinisme!" (sic) Cette réplique montre d'ailleurs deux phénomènes qui s'opposent en France à cette période. Antoine est fils unique, selon une tradition malthusienne qu'incarne parfaitement sa mère. Tandis que d'autres ont plusieurs enfants, suite à la croissance démographique de l'après guerre.
Même les cinéastes d'avant guerre témoignent de cette mutation de société. Marcel Carné, dans Terrain vague en 1960 montre justement cette nécessité de construire des logements nouveaux et nombreux. Son "terrain vague" correspond justement à ces espaces périphériques de Paris sur lesquels sont construits les premiers grands ensembles d'immeubles pouvant accueillir des familles nombreuses selon des critères de confort plus modernes.

Jean Gabin et sa fille Marie Josée Nat dans Rue des prairies
C'est que la jeunesse aspire justement à faire sa toilette autrement! Dans Rue des prairies de Denys de la Patellière en 1959, la fille de Jean Gabin interprétée par Marie José Nat en a "marre de faire sa toilette devant l'évier". Devant la surprise de son père, Jean Gabin donc, contre-maître de chantier, qui dit qu'il la fait bien ainsi se voit répondre: "toi et le progrès!"
Cette quête de progrès de la jeunesse française est accompagnée par une fulgurante transformation du paysage urbain. Ce ne sont pas seulement les immeubles qui se construisent autour des villes, ce sont aussi les infrastructures. Gilles Grangier illustre en 1961 dans Le cave se rebiffe comment la France s'est dotée d'autoroutes modernes et d'aéroports internationaux en quinze ans, provoquant l'admiration d'un expatrié de retour en France, l'escroc Le Dabe, alias Jean Gabin encore. Cette transformation des infrastructures s'est aussi accompagnée de transformation de la "gestion internationale des monnaies" au lendemain de la guerre, comme le rappelle Le Dabe évoquant ses malheurs de faux monnayeurs.


Bernard Blier et Jean Gabin dans Le cave se rebiffe
2. Une société qui consomme
Avec la croissance économique, les Français vont accéder à des produits de plus en plus modernes. Quand Jean Gabin préserve son beurre dans une petite cavité de son mur dans Rue des prairies, il est obligé de consommer ses produits frais rapidement et de faire ses courses tous les jours. Quant à elle, la famille bourgeoise de Jacques Tati possède déjà tout le confort moderne, à commencer par le réfrigérateur.
Ce désir de consommation s'accompagne de fait d'une production de masse, avec des matières premières parfois de qualité médiocre mais qui permettent d'être à la mode. Ainsi Blier se moque-t-il d'un de ses associés dans Le cave se rebiffe en évoquant entre autres ses chaussures italiennes en simili fabriquées à Grenoble ou ses costumes en fil d'écosse fabriqués à Roubaix. Par cette description certes peu flatteuse, Audiard décrit finalement comment les produits de mode se sont démocratisés pour les Français: délocalisation des production de luxe et utilisation d'ersatz de matières premières nobles. Cette mode est notamment propagée par la Radio mais surtout par la télévision. Dans Les tontons flingueurs de Georges Lautner en 1963, une maquerelle rappelle à son patron que si les clients boudent les maisons closes clandestines, c'est parce qu'ils regardent la télévision pour voir s'ils sont bien comme ceux qu'on leur montre. Dans cette même explication, elle "stigmatise" l'automobile comme une cause de désertification de sa maison le dimanche.

La 404 peugeot de François Pignon dans L'emmerdeur

La multiplication des automobiles dans la France des années 1950 et 1960 s'observe dans bien des films, de Bourvil roulant en 2 CV dans Le corniaud de Gérard Oury en 1965 à Jacques Brel roulant en 404 Peugeot dans L'emmerdeur d'Edouard Molinaro en 1973 à la veille du choc pétrolier. Dans ce même film, une séquence dans toutes les mémoires de ceux ayant vu le film montre Jacques Brel - le fameux François Pignon - se rendre compte être en panne sèche sans pour autant s'arrêter aux stations essences qui se présentent à lui sous prétexte qu'il "ne prend que de la Fina" car ils offrent des santons en plastiques que son neveu collectionne. En une séquence, Molinaro joue bien sûr sur le ridicule du client qui préfère se retrouver en panne d'essence plutôt que de consommer une autre marque. Le rire provoqué est dû aussi par le fait que tous les spectateurs se reconnaissent, sans être aussi ridicules que Pignon, dans cette fidélisation de la clientèle des différentes enseignes, qu'elles soient d'essence ou d'autres produits. Cette pratique commerciale montre que le marché est juteux et qu'il correspond à une clientèle populaire puisque le cadeau est en plastique. On a donc bien une démocratisation du produit automobile qui s'accompagne de la consommation de produits induits comme le carburant. Celui-ci est fourni par différentes marques montrant bien que la France est dans une économie libérale et concurrentielle.
Cette société de consommation se retrouve aussi dans la consommation des produits alimentaires. Si Ni vu ni connu présentait une France rurale, cette même France n'est plus à la veille du premier choc pétrolier. Dans Quelques messieurs trop tranquilles en 1973, Georges Lautner commence son film par une présentation de la désertification des campagnes qui est montrée dans les programmes télévisés vus forcément par les urbains. Ce qui frappe dans cette présentation, c'est l'omniprésence des produits de marque. Même les produits agro-alimentaires consommés par les ruraux sont des produits industriels et non des produits du terroir, que ce soit la moutarde, l'alcool ou d'autres encore. La production intensive a ruiné les petits paysans qui ne peuvent pas concurrencer les grands céréaliers. Pourtant, des productions agricoles à valeur ajoutée existent dans le village du film: la prune notamment. Celle-ci est "la meilleure de la région". Mais c'est un fruit délicat difficile à transporter. Il manque donc le consommateur. La solution est alors de les faire venir par la construction d'autoroutes. Le film de 1973 évoque déjà une autre mutation à venir pour les campagnes, celle du tourisme vert. Et cet appel aux touristes est possible justement parce que l'une des caractéristiques de ces populations des Trente glorieuses est de prendre des vacances et de faire du tourisme.


Monsieur Hulot en vacances
3. La révolution des loisirs
Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati en 1953 montraient déjà combien la France se tournait vers des activités nouvelles lors de la période estivale, pratiquant des sports ou exercices physiques, achetant des tenues et accessoires liés à ces pratiques, consommant aussi des produits souvenirs, en commençant par les photographies témoin de ce temps de repos des Français.

L'accident entre Bourvil et De Funès dans Le corniaud
Ces loisirs ont donc généré des comportements nouveaux, dus à ce qui a été vu précédemment: la construction d'infrastructures permettant d'aller loin de la ville ainsi que des moyens de transports démocratisés. La 2 CV de Bourvil dans Le Corniaud est de ce point de vue un exemple parfait de démocratisation du tourisme. En effet, avec cette voiture, il doit se rendre en Italie. Or, dans une séquence mythique, sa 2 CV est percutée par une Bentley et se disloque entièrement tandis que la limousine anglaise n'a aucun dommage. La démocratisation des loisirs a donc un prix, celui de la qualité des moyens de transports. Mais il y a aussi celui de la qualité de l'hébergement. Le recours au camping a permis à de nombreuses familles mais aussi à des jeunes gens de profiter des lieux de villégiature traditionnels à des prix modiques. Si l'aspect sympathique du camping a été montré depuis dans un film du nom de Camping, Le corniaud illustre surtout les inconvénients de ce mode d'hébergement bon marché: promiscuité dans la tente, présence amplifiée d'insectes, manque d'intimité entre les tentes, bruit. Dans une séquence hilarante, Louis de Funès est obligé de se rafraîchir dans une douche collective. L'intimité est là encore bien éloignée des premiers campings!
Les loisirs ne se sont pas contentés d'être des loisirs balnéaires. Après la démocratisation de la mer, ce fut au tour de la démocratisation de la montagne. Or le coût du séjour ne pouvait diminuer en ayant recours au camping en hiver. Ainsi, comme en témoigne Les bronzés font du ski de Patrice Leconte en 1979, le recours au Time-share est une pratique permettant de se loger à moindre coût en achetant non pas un appartement mais une période d'utilisation d'une à plusieurs semaines. Cette économie, puisque l'appartement n'est pas acheté en pleine jouissance, permet aux propriétaires de cette période de consommer du matériel associé à la pratique du ski.


Mais les loisirs ne sont pas seulement du tourisme de plusieurs jours loin de chez soi. Les pratiques sportives, l'appartenance à des associations, la danse sont autant de moments de loisirs qui témoignent de  cette société qui cherche à occuper ses temps libres. Georges Lautner et Michel Audiard ont régulièrement représenté cela. Ainsi dans Les tontons flingueurs, la nièce Patricia organise-t-elle une surprise partie chez elle, tandis que les "tontons" sont en charge de "beurrer les tartines". Dans Ne nous fâchons pas (1966), Lautner montre à la fois les fêtes traditionnelles et collectives autour du vin, fêtes intégrant toutes les générations, que celles organisées dans des lieux spécifiques comme les boîtes de nuit. Quand les repas étaient familiaux dans les films des années 1930, ils sont de plus en plus souvent montrés au restaurant. Ce développement du restaurant dans la société française entraîne également de nombreux films montrant justement l'impact social de ce "loisir" autrefois réservé aux classes sociales bourgeoises, les classes ouvrières se rendant plutôt au bistrot ou aux guinguettes. Ainsi, Louis de Funès devient grand chef étoilé dans Le grand restaurant de Jacques Besnard en 1966 puis critique gastronomique dans le film de Claude Zidi L'aile ou la cuisse en 1976.
En ce qui concerne le sport, ce loisir se pratique autant qu'il se regarde. Ainsi dans Allez France de Robert Dhéry en 1964, des Français traversent la Manche pour supporter l'équipe nationale de Rugby. Dans Chaud lapin de Pascal Thomas en 1974, Bernard Ménez et d'autres touristes se ruent pour voir une étape du tour de France passant par des lacets montagneux. Mais le sport est aussi pratiqué et devient même un élément intégrateur entre les générations. Dans La gifle de Claude Pinoteau en 1974, Lino Ventura joue le rôle d'un professeur jouant un match de football avec les élèves de son lycée contre une autre équipe.
Les loisirs sont donc bien un des éléments forts qui caractérise cette société française des Trente glorieuses.
Mais ces loisirs marquent aussi une rupture entre les générations.

4. Une fracture générationnelle en marche
Avec la démocratisation des produits autrefois réservés aux plus riches, avec la croissance démographique renforçant la proportion de la jeunesse dans la population française, avec l'ouverture vers de nouveaux horizons, notamment vers les USA grâce à la télévision et au cinéma, la population française connaît fatalement une partition brutale de sa société: une qui savoure cette paix et cette prospérité enfin trouvée, et une autre qui n'a jamais connu autre chose que la croissance économique et le développement de la consommation sous toutes ses formes.
En premier lieu, les films évoquent à partir du milieu des années 1950 une évolution des rapports hommes - femmes, avec comme film clé Et dieu créa la femme de Roger Vadim en 1956. Tout au long du film, Brigitte Bardot impose à son mari sa conception de la vie et notamment de la vie maritale, réclamant davantage de libertés. Vue comme un jouet par les hommes, Vadim la montre davantage comme maîtresse femme, désobéissant à son époux et jouant avec celui qui souhaiterait être son amant. Si la morale finale est assez conventionnelle et retourne vers la tradition, le personnage déluré que représente Bardot devient une sorte d'archétype de la femme libérée qu'incarneront d'autres comme Jeanne Moreau ou Jean Seberg. Cette émancipation des femmes contraste avec la manière que les films montraient les rapports entre les deux sexes. Dans Rue des prairies, si Marie Josée Nat veut quitter la demeure familiale au prix d'une gifle monumentale de son père, c'est pour rejoindre un homme encore marié et de l'âge de son père. Il n'y a donc pas d'émancipation mais bien un passage d'une autorité - paternelle - à une autre - maritale. Le film est de 1959!

Ventura "gifle" sa fille Adjani
Mais en 1974, quand la jeune Isabelle Adjani veut vivre avec un garçon à la veille de ses examens, elle veut vivre comme elle le dit à son père Lino Ventura "pas autrement mais autre choses". L'émancipation des femmes s'était accompagné aussi d'une rupture avec le modèle familial traditionnel. Le film montrait d'ailleurs une rupture avec tous les codes habituels puisque la femme de Lino Ventura interprétée par Annie Girardot était partie sans même demander le divorce pour vivre avec un autre homme en Australie.

C'est qu'entre Rue des prairies et La gifle, près de quinze années s'étaient passées, avec bien des évolutions symbolisées par les événements de mai 1968. Au cinéma, Cléo de 5 à 7 d'Agnes Varda proposait en 1962 une héroïne déjà éloignée du personnage de Marie Josée Nat, frivole, parlant d'avortement et d'amour libre avec ses amies. Ce film d'une réalisatrice de la Nouvelle Vague ne pouvait ensuite que générer des avatars de Cléo dont le personnage d'Adjani n'était qu'un exemple au cinéma.

Ces nouvelles relations hommes femmes reposent également sur un recul des valeurs judéo-chrétiennes traditionnelles. Dans Le gendarme de Saint Tropez, Jean Girault en 1964 fait s'opposer la gendarmerie à des nudistes. Le lieu n'est pas innocent puisqu'il s'agit de la station balnéaire mise à la mode par Brigitte Bardot. Mais le film prend surtout partie pour ces nudistes, ridiculisant les forces de l'ordre et leurs méthodes.
Louis de Funès est Le gendarme de Saint Tropez
Cette nouvelle manière d'aborder les rapports sociaux est particulièrement reperésentative de la mutation que vit la société française, partagée entre deux conceptions du vivre ensemble, l'une marquée par l'autorité et l'austérité, l'autre par l'hédonisme et l'absence de hiérarchie. Cette confrontation est d'ailleurs assez récurrente dans le cinéma populaire français que Lautner représente si bien. Dans Quelques messieurs trop tranquilles, c'est l'arrivée de hippie à la campagne qui crée l'agitation. S'ils vivent dans des tentes, ce n'est pas par loisir mais par mode de vie. La séquence présentant leur arrivée au bord d'un cours d'eau montre des femmes libres de montrer leur corps nu faisant des tâches d'hommes tandis que les hommes ont les cheveux longs comme les filles et s'affairent comme les femmes le feraient dans la société traditionnelle. Voir évoluer une telle communauté devient un vrai spectacle mais aussi une menace pour une société traditionnelle. Le refus de ces hippies de la société de consommation urbaine aurait pu satisfaire une population rurale qui cherchait à faire venir des habitants et des clients. Mais ces hippies sont montrés de fait commes des urbains avec des idées venant de bien au-delà, important des valeurs morales bien éloignées de celles des campagnes françaises!


Conclusion
Le cinéma français a accompagné la société de la croissance témoignant à la fois de l'amélioration des conditions de vie de la population mais aussi des aspirations d'une France jeune qui ne pouvait plus se retrouver dans la société traditionnelle qu'elle jugeait archaïque, à l'image de son cinéma.
Un cinéma plus personnel, plus jeune allait naître et se développer avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague qui allaient eux-mêmes influencer pour longtemps les futurs cinéastes français et étrangers.
Jusqu'au premier choc pétrolier, le cinéma français allait continuer à présenter la France prospère mais en mutation. Les mœurs sont montrés comme de plus en plus libres et les comédies populaires jouent encore sur la France riche et influente. L'affirmation de la crise et de ses conséquences sociales allaient néanmoins changer le ton du cinéma français, y compris dans le cinéma populaire.


A bientôt

Lionel Lacour

lundi 6 juin 2011

De plus en plus de films cultes!

Bonjour à tous,

l'expression "film culte" est devenue une sorte de lieu commun et semble désigner des films dont on peut se demander en quoi ils peuvent être justement cultes! En prenant quelques exemples, nous pourrions dresser une liste de films "cultes" allant des films de Capra en passant par Rio Bravo, La mélodie du bonheur, Easy Rider, Star wars en allant jusqu'à La boum, Le cercle des poêtes disparus ou encore Tigres et dragons. Cette liste évidemment non exhaustive intègrerait donc des oeuvres radicalement différentes dans leur forme, dans leur sujet voire dans le public ciblé. Surtout, elle présenterait des qualités artistiques indéniablement hétérogènes, même s'il est difficile de comparer un film d'Howard Hawks avec un de Claude Pinoteau!

1. Une nécessaire définition
Pour bien comprendre ce qu'est un film culte, il suffit déjà de reprendre la définition du mot "Culte". Le caractère religieux du mot renvoie par extension, comme le précise Le petit Robert à "une admiration mêlée de vénération que l'on voue à quelqu'un ou quelque chose." Comme dans un culte religieux, cela s'accompagne de pratiques réglées pour rendre hommage à l'objet ou la personne à qui on voue un culte. Ainsi, un film culte serait un film qui aurait des spectateurs honorant l'objet filmique, le réalisateur ou les acteurs de manière régulière par des pratiques quasi rituelles.

A bien y regarder, rares sont ce genre de films. Pourtant il en existe quelques uns parmi lesquels il faut évidemment citer The Rocky horror picture Show de Jim Sharman en 1975. Dans cette comédie musicale déjantée, les spectateurs se sont totalement appropriés l'oeuvre au point que des dizaines de clubs de fans se sont créés, connaissent le film par coeur, et participent activement dans la salle lors des projections du film. Un tel brosse les dents d'une bouche tournée en gros plans, tel autre mime ou répond aux répliques des personnages, tous dansent les chorégraphies des parties musicales, le tout avec des tenues excentriques reproduisant celles des personnages du film. Une telle dévotion est assez rarement aussi organisée pendant la projection d'un film. De même, l'ensemble des "dévôts" répond à une hiérarchie et à des règles cultuelles bien déterminées. Nul ne peut intervenir quand bon lui semble dans cette cérémonie cinématographique.
Ce film de près de quarante ans répond donc à une partie de la définition du culte. Il y répond encore davantage dans le sens où ce culte se transmet à des générations postérieures à la sortie du film si bien qu'aujuord'hui encore, des clubs de jeunes "mystiques" reproduisent les gestes cultuels de leurs aînés.
Pour garder l'exemple de ce film, le culte ici est indéniable. Mais il ne s'adresse qu'à une toute petite communauté de "croyants pratiquants". La majorité des spectateurs de ce film n'a pas basculé dans l'adoration. Certains autres peuvent aller voir des projections de ce film pour justement assister à la pratique cultuelle comme d'autres vont dans une église évangéliste de Harlem pour assister aux prédications fièvreuses accompagnées de Gospel.
The Rocky horror picture show n'est pas le seul entraînant derrière lui des fans excessifs. Mais il est certainement un des seuls à les impliquer directement en salle. Parmi les autres films suscitant un culte participatif, il y a tous les films de science fiction créant des personnages extraterrestres anthropomorphisés. C'est ainsi que les deux trilogies Star wars ont suscité la création de fan-clubs dans lesquels les adhérents s'identifiaient soit à des héros du film mais aussi à des personnages secondaires voire ne faisant qu'une brève apparition. Ces fans se retrouvent alors dans ce qu'on appelle des conventions dans lesquelles chacun peaufine son déguisement pour les "profanes", sa tenue cultuelle pour les "croyants". Les personnages constituent un ensemble cohérent dans une histoire à portée initiatique voire prophétique pour tous les adeptes. Les relations entre les différents héros, les lieux des diverses aventures, les origines de tous le "bestiaire extraterrestres", les morales de chaque épisode sont maîtrisées par ces fans comme certains pourraient citer par coeur torah, évangile ou coran.

Darth Vader dans L'empir contre-attaque d'I. KERSHNER, 1980
 Dans ces films cultes, un point commun ressort: le monde décrit à l'écran est un monde coupé du réel. Le spectateur peut se projeter dans ce monde car les éléments identificatoires sont évidemment présents. Mais les codes ou les espaces présentés ne sont pas ceux des spectateurs. Les films entraînent alors deux réactions pour les spectateurs. Soit il y a une simple projection identification telle que la définissait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire en 1956, avec une participation affective du spectateur lors de la projection, et dans ce cas, la participation du spectateur s'arrête une fois le film terminé. Soit le spectateur veut vivre cette expérience participative plus fortement, ce qui l'entraîne justement à adopter tenues voire comportements liés au contenu du film, lors de projections ou de conventions de fans. Ce culte, au sens propre du terme concerne alors une partie restreinte du public de ces films avec des extrêmistes pouvant dormir devant un cinéma pendant des jours pour assister à la première de la suite du film ou acheter une fortune un objet issu des produits dérivés. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ces formes de culte se retrouvent pour des séries télévisées comme Star trek car celles-ci permettent de développer encore plus un univers merveilleux comme pouvaient l'être les récits antiques, que ce soit les récits homériques ou ceux bibliques. Avec comme conséquence celle de vouloir transmettre sa passion, et ici plutôt sa foi, à d'autres adeptes, frères, soeurs, amis ou enfants.

2. Les films cultes sans culte
Comme je viens de le préciser, les films cultes au sens propre du terme sont assez peu nombreux. Il existe pourtant des films "cultes" qui répondent à quelques caractéristiques des précédents, soit pour un aspect particulier soit pour plusieurs.
Ce qui fait que certains films sont dits cultes vient du fait que tout le monde les a vus, et parfois même plusieurs fois chacun. Parmi les plus récents, on pourrait citer Avatar de James Cameron en 2009 ou Bienvenue chez les Chtis de Dany Boon en 2008. L'aspect culte vient dans ce cas là d'une sorte d'oecuménisme puisque ces oeuvres ont pu attirer des catégories très diverses de spectateurs, y compris ceux qui ne seraient jamais allés voir un tel film en salle habituellement. Le cas du film de Dany Boon est un exemple particulèrement frappant. Avec un peu plus de 20 millions de spectateurs, le film a forcément été vu par des spectateurs préférant d'ordinaire des films dits d'auteur, ou disons plus exigeants quant à la réalisation. Pourtant ils sont venus voir une comédie populaire avec des acteurs traînant davantage sur les plateaux des talk-shows pour faire "rigoler" en prime time que dans les émissions culturelles pointues. Le caractère "culte" est donc ici la volonté de spectateurs de voir, et pourquoi pas de comprendre un phénomène de société et de cinéma. Que montrait ce film qui pouvait attirer tant de monde en salle? Et comme chacun cherchait à comprendre la même chose, le succès dura des mois! Certains ont pu expliquer ce succès par le rôle des médias et par une promotion du film particulièrement efficace. Si celle-ci l'a été, elle n'explique en rien un tel phénomène car bien d'autres films ont eu des promotions encore plus matraquées sur tous les supports audiovisuels sans parfois atteindre le 20ème du succès de Dany Boon. Ce succès transforme alors le film en film "culte" puisque tout le monde en France, ou presque, l'a vu, générant même des avatars en Italie et bientôt aux USA. Le succès s'expliquerait alors moins par les dialogues que par le sujet même du film. En effet, s'il y a des bons mots, il y a finalement peu de répliques qui soient directement associables au film. Ce qui a pu faire le consensus, c'est l'opposition entre deux régions et surtout la stigmatisation de l'une des deux par le reste du pays. Ce schéma est reproductible dans tous les pays. Mais il pourrait l'être à l'intérieur même d'une région et pourquoi pas d'une ville! Le succès de Bienvenue chez les Chtis a provoqué un effet presque assimilable au culte religieux. Des formes de pélerinage s'organisent à Bergues, villes où se situe l'action. Des bus entiers de touristes veulent voir La ville, La poste de leurs héros. Ils veulent manger comme les Chtis. Mais le pélerinage fini, il n'y a pas de prologement du culte dans des rituels récurrents.
Thierry Lhermiite dans Le père Noël est une ordure de J.-M. POIRE, 1983
La popularité d'un film touchant toutes les générations, toutes les classes sociales et tous les publics de cinéma peut justifier alors le terme de culte pour ces films. D'autres sont également considérés comme cultes. Ce sont ceux dont on se plaît à donner les répliques à peine le titre est évoqué. Il est assez sidérant de voir combien les dialogues des Tontons flingueurs ou du Père Noêl est une ordure entraînent une compétition entre les personnes évoquant ces films. C'est à celui qui les citera en premier, qui en citera le plus, qui se rappellera d'une phrase plus confidentielle, le tout sans respecter l'ordre de leur apparition dans le film. Pas de procession religieuse, pas de volonté de ressembler à un des personnages - sauf peut-être pour le gilet du personnage interprété par Thierry Lhermitte dans Le père noël est une ordure - mais une vraie récitation des paroles sacrées écrites par Audiard ou par les membres du Splendid. Le caractère culte s'opère comme pour les films cultes identifiés en premier par un visionnage multiple de ces films, soit à la télévision, soit sur des copies VHS ou DVD. On se repasse les extraits préférés, on les voit en famille, entre amis ou seuls. On dit la réplique avant le comédien, on rit avant même d'entendre une centième fois la phrase désopilante.Ce culte se transmet aussi à ses proches à qui on a envie de faire connaître l'objet de notre adoration, et parfois en ne sachant se retenir de perturber le spectacle puisqu'on devance les dialogues! Ce genre de films passant à la télévision continue à faire des audiences fortes alors mêmes qu'ils sont déjà passés bien des fois sur les différentes chaînes. Et ils touchent des spectateurs nouveaux à chaque programmation. Si certains films sont facilement accessibles comme ceux du Splendid, ceux plus anciens sont compréhensibles par un public plus âgé.

Les tontons flingueurs, G. Lautner, 1963
avec de gauche à droite
Lino Ventura, Francis Blanche, Robert Dalban, Bernard Blier et Jean Lefèbvre
Les dialogues d'Audiard ont un niveau de langue et un phrasé peu accessibles à des générations SMS. Mais lorsque ces films sont compris par les plus jeunes et surtout appréciés, cela fait office de rite de passage pour ces nouveaux spectateurs qui peuvent alors partager les répliques de Lino Ventura ou de Bernard Blier avec ceux des générations précédentes!
Car c'est bien un des aspects de ce qu'on appelle films cultes. La transmission des films est un processus essentiellement lié à un "fournisseur" de cinéma. A une époque où le magnétoscope n'existait pas, les enfants connaissaient tous John Wayne et Gary Cooper parce que les western passaient à la télévision et que "Papa" regardait les westerns.
La mélodie du bonheur, Robert Wise, 1965
Mais quand Maman regardait La mélodie du bonheur ou Autant en emporte le vent, c'est toute la famille qui regardait ces films, y compris les garçons. Cette transmission générationnelle reste aujourd'hui un aspect fondamental dans la culture cinématographique. Or parmi les films que les parents du XXIème siècle souhaitent que leurs enfants voient, il y a ceux que leurs propres parents leur ont montré, des Temps modernes de Chaplin aux Vikings de Richard Fleisher en passant par Les chevaliers de la table ronde, Les aventures de Robin des bois, Tarzan l'homme singe, West side story, Ben Hur, Soleil vert, Les quatre cents coups, Certains l'aiment chaud, M le maudit, Fanfan la tulipe et tant d'autres.
Cette transmission pluri-générationnelle des films participe à la qualificiation de certains films comme films cultes. Ces oeuvres sont connues de tous mais elles comportent aussi des icônes: Marilyne Monroe, Johnny Weissmuller, Robert Taylor, George Chakiris, Charlton Heston, Ava Gardner mais aussi Brigitte Bardot, Jean Gabin, Alain Delon, Gérard Philippe...


 Les télévisions ont participé longtemps à la "cultification" de ces films. La séquence du spectateur montrait de larges extraits de ces films mythiques. Eddy Mitchell imposa dans les années 1980 une émission elle aussi devenue culte car composée de films hollywoodiens présentés comme on présenterait un texte de l'évangile. Lui, le prêtre du cinéma, faisant son sermon cinéphilique et cathodique avant de proposer des films avec Spencer Tracy ou Gregory Peck! Depuis les années 1990, la multiplication des écrans de télévisions dans les foyers et des chaînes accessibles, la transmission générationnelle est de plus en plus difficile à établir. Et paradoxalement, c'est avec les années 1980 que l'expression "film culte" s'est propagée, avec un sens finalement plus restrictif et beaucoup moins culte!

3. Film culte, film événement, film générationnel: une expression de comm!
En 1989, Peter Weir réalisait Le cercle des poètes disparus. La publicité de ce film en France le présentait come un film "déjà" culte. Or, au regard des explications précédentes, ce film ne pouvait pas être déjà culte puisqu'il n'avait justement pas encore les critères pour être ainsi désigné: pas de visionnages multiples, pas de répliques encore connues, pas de règles cultuelles appliquées pendant le film ou aux nouvelles projections ou diffusions, et pas de transmissions générationnelles.
En réalité, en qualifiant ce film de "culte", les agents de la promotion indiquaient aux spectateurs potentiels qu'il y aurait dans ce film tous les éléments pour qu'il le devienne: un monde passé et révolu dans lequel chaque jeune pouvait pourtant se reconnaître, un rejet de l'autorité, des comportements transgressifs... Le film s'adressant clairment à un public jeune, une telle promesse était tentante. Et le contenu pouvait les satisfaire: se mettre sur la table pour mieux comprendre le monde sous un autre angle, voilà quelque chose que les jeunes lycéens ou étudiants ne pouvaient que trouver génial! Et ils pourraient le transmettre plus tard à leurs enfants car la morale du film convient justement à un public adolescent: se rebeller contre l'ordre établi par les adultes! Quoi qu'il en soit, le film fut un réel succès et a touché la génération souhaitée par les distributeurs du film, celle de 1989. Qu'en est-il de l'effet "culte" depuis? Ceux ne l'ayant pas vu s'en souviennent à peine. Les autres encore moins. Quant à la transmission, étant donnée la morale du film, il est assez compréhensible que les spectateurs de 1989 qui sont les parents d'aujourd'hui aient a priori peu envie de montrer un film dont le message serait de contester leur autorité! Il ne peut donc y avoir a priori de film culte avec un tel message en ne centrant que sur les adolescents. Ceux de chaque génération auront leur film contestant l'autortié adulte.

Quand Dennis Hopper réalisait Easy Rider, ce n'était pas une contestation de  l'autorité des anciens mais celle du système. Même La boum de Claude Pinoteau est davantage un film culte que Le cercle des poètes disparus bien qu'étant aussi un film générationnel. C'est que La boum montre trois générations d'une famille dans laquelle chacune a sa place. Chaque spectateur peut alors se projeter et s'identifier dans les personnages dont il se sent le plus proche, puisqu'aucun n'est montré que sous un aspect ridicule ou entièrement dominé par l'autre. C'est entre autre ce qui différencie La boum  de l'ignoble LOL, avec Sophie Marceau comme seul point commun. De ce fait, La boum qui n'apparaissait initialement que comme un film générationnel est beaucoup plus culte que bien des films se prétendant cultes alors qu'ils  ne sont que générationnels.
L'analyse est pourtant simple, derrière "film culte", il faut entendre film adressé à un public jeune qui serait censé se reconnaître dans les personnages et les propos. Cet habillage marketting vaut pour tous les cinémas. "A grand spectacle" renvoie souvent à film familial et "intimiste" au cinéma d'auteur pour une élite cinéphilique. Chaque type de film a un type de promotion particulier, créant plusieurs films "événements" par semaine selon les catégories de films proposées aux spectateurs. dans le langage marketting, le film "culte" est donc une manière de signifier aux adolescents et jeunes spectateurs qu'ils seont isolés des autres s'ils n'ont pas vu "LE" film culte de leur génération, comme autrefois Le grand bleu de Luc Besson, ou plus anciennement encore La fureur de vivre avec James Dean. La vente de ces films "cultes" repose d'ailleurs sur le succès des films cultes précédents. Chaque film de rebellion propose son nouveau James Dean comme Matt Dillon a pu l'être dans les années 1980. C'est oublier que James Dean n'est devenue cette icône planétaire que par sa mort à moins de 25 ans! Autre élément qui démontre que l'annonce d'un film "culte" à sortir n'est que du marketting pour les spectateurs de 15 à 30 ans est le fait que d'autres films peuvent être aussi destinés à une génération ciblée sans pour autant d'être classés a priori comme culte. L'aventure c'est l'aventure de Claude Lelouch s'adressait bien à des quarantenaires. Mais il ne devint culte que par la suite, au gré des rediffucions à la télévision. En jouant sur le terme de culte, cela induit aussi la nécessité de s'approprier le film, de le voir et de comprendre les enjeux typique de ces films qui sont soit des films de rebellion, soit d'initiation. Le cercle des poètes disparus cumule les deux aspects. Or pour pouvoir s'approprier un film, il faut aller le voir plusieurs fois, ce qui fait autant d'entrées supplémentaires avec un seul spectateur!
Cependant, la multiplication des films cultes annoncés a aussi un inconvénient: cela vise la même génération qui ne peut se vouer à autant de cultes ue ce qui est sur le marché! L'expression "film culte" est donc devenu une formule commerciale qui était d'emblée un mensonge et qui est devenue d'autant plus galvaudée que les promesses de films cultes, comédies cultes et autres catégories cultes étaient le plus souvent tout sauf culte!


Conclusion
Qu'est-ce finalement qu'un film culte? Un film connu même par ceux qui ne l'ont pas vu comme pouvaient l'être Le pont de la rivière Kwai ou Il était une fois dans l'ouest et que nos parents nous racontaient voire nous frendonnaient l'air de leur bande son.
C'est aussi un film qu'on a envie de voir, quitte à ne pas l'aimer, pour justement pouvoir en parler avec ceux que l'on estime et qui eux l'ont vu. Un film culte segmente - c'est le cas de The horror picture show - ou rassemble - comme Bienvenue chez les Chtis. Mais dans tous les cas, il devient culte par le tamisage des spectateurs, au-delà de la promotion qui en a été faite en amont de la distribution.
Un film culte est donc un film qui fait référence sous toutes ses acceptions, tant quantitatives, le box office, que qualitatives, que ce soit par la valeur de la réalisation ou du jeu des comédiens ou par les thèmes abordés. Cette notion de référence implique aussi et surtout une notion de durée. Cette référence est un point de repère temporel. Revoir un film "culte", c'est aussi se référer à ce point de repère. C'est apprécié les défauts qu'on voit à chaque visionnage. C'est apprécier l'évolution des jeux des acteurs depuis. C'est aussi accepter que le film n'est pas aussi bon que ce qu'on croyait mais continuer à le regarder pour les qualités qu'on continue à lui reconnaître et que l'on transmet aux autres.Un film proclamé culte par anticipation peut difficilement répondre à cette définition!

A bientôt

Lionel