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mercredi 21 septembre 2016

Lumière 2016: MASH ou la guerre du Vietnam à l'écran

Bonjour à tous,

Samedi 15 octobre 2016, à 22h, sera projeté M*A*S*H de Robert Altman à l'Institut Lumière (salle du Hangar). Réservation sur www.festival-lumiere.org

Palme d'or 1970 à Cannes, ce film est une sorte d'OVNI cinématographique, surtout à Cannes où rares furent les comédies qui reçurent la récompense suprême.
Réalisé donc par Altman, le film est l'adaptation de A novel about three army doctors de Richard Hooker publié en 1968, en pleine guerre du Vietnam. Le scénario qu'écrivit Ring Lardner Jr fut présenté à près de 12 cinéastes avant qu'Altman ne se le voit proposer. Son anticonformisme ne pouvait que se satisfaire d'une telle proposition, lui qui n'avait jamais véritablement connu de

mercredi 4 mars 2015

Pour en finir avec le mythe d'un cinéma objectif!

Bonjour à tous,

en 2004, Elie Chouraqui, réalisateur de Paroles et musique, des Marmottes et autres chefs-d'œuvre du cinéma, réalisait un reportage pour l'émission "Envoyé Spécial" intitulé Antisémitisme: la parole libérée. Ce documentaire tourné à Montreuil devait démontrer la progression de l'antisémitisme que les élèves de l'ORT (école juive) subissaient de la part de ceux du collège Paul Eluard. Invité à commenter son travail, Chouraqui affirmait avoir réalisé un film 100% objectif. Peu importait que ses élèves juifs soient filmés en rasant les murs, que des musiques angoissantes accompagnent les images ou que certains cadrages laissent penser que les antisémites étaient essentiellement d'origine arabe. Non, son travail était totalement objectif, ce qu'il répète d'ailleurs dans le DVD sorti après la première diffusion du reportage, en revendiquant une absence de parti pris. Tu penses.

Une telle affirmation est à la fois consternante au regard du reportage du réalisateur où le parti pris saute aux yeux, mais surtout consternante pour toute personne

jeudi 30 octobre 2014

"Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako en Avant Première à l'Institut Lumière

Bonjour à tous

Avant la sortie prévue le 10 décembre 2014, l'Institut Lumière recevra Abderrahmane Sissako pour une avant-première de son dernier film Timbuktu, sélectionné au dernier festival de Cannes et lauréat de deux prix parallèles (Prix œcuménique et Prix François Chalais). 
Ce cinéaste Mauritanien dont l'œuvre a toujours fait la passerelle entre le monde occidental et l'Afrique (et particulièrement dans La vie sur Terre ou Bamako) se plonge cette fois dans la fiction en traitant une situation dramatique frappant le Mali. Timbuktu (Tombouctou pour la prononciation française) évoque donc la présence des djihadistes imposant à la population malienne leurs lois, leurs règles, provoquant de fait des tensions au sein de la population.

En partant de l'histoire d'une famille, celle de Kidane, Sissako aborde la réalité de la violence des nouveaux maîtres de la ville, et notamment celle faite aux femmes, devenues l'ombres de ce qu'elles étaient avant la prise de pouvoir de ces intégristes. 

Même si le réalisateur a une culture européenne, son point de vue ne manque pas d'intriguer car il est avant tout celui d'un Africain qui n'a jamais manqué de critiquer l'impérialisme qui s'abat perpétuellement sur ce continent, et particulièrement le Mali, objet de ce film ovni qu'était Bamako dans lequel étaient jugées les instances internationales, dont le FMI, pour le rôle qu'elles jouaient dans le sous-développement africain. En mettant en accusation ceux qui mettent sous le joug tout un peuple soit-disant au nom d'un Islam, forcément dévoyé, Sissako permet d'appréhender cette menace djihadiste touchant finalement et d'abord les populations musulmanes (d'Afrique ou d'ailleurs) avant même le monde occidental. Les premières victimes sont les populations, musulmanes ou chrétiennes vivant dans des pays dans lequel l'Islam était une religion majoritaire mais tolérante.

Au moment ou on demande aux populations musulmanes de s'indigner contre le terrorisme islamiste, le film de Sissako propose un témoignage édifiant, dans lequel la foi de l'auteur ne compte pas mais qui démontre que les Musulmans comme les populations d'autres confessions sont menacés par les djihadistes sans réelle distinction. Un "Not in my name" sur grand écran, mais sans injonction de se déclarer contre les terroristes islamistes quand on est musulman.

Mardi 4 novembre 20h AVANT-PREMIÈRE
En présence d’Abderrahmane SissakoTimbuktu (A. Sissako, 1h37)
Billetterie disponible sur


www.institut-lumiere.org
ou au 04 78 78 18 95

À bientôt
Lionel Lacour

samedi 17 août 2013

L'arbre aux sabots: chronique paysanne?

Bonjour à tous,

en 1978, le film d'Ermanno Olmi recevait la Palme d'Or au festival de Cannes pour L'arbre aux sabots, un film dans la trempe sociale comme le cinéma italien sait régulièrement en faire. Plus de 3 heures sur la vie de paysans de la région de Bergame, au Nord de l'Italie, à la fin du XIXème siècle. Pour ceux qui n'auraient jamais vu ce film et qui raffole du cinéma d'action; il faut absolument les prévenir qu'il s'agit d'une œuvre extrêmement lente et longue, ne maniant qu'avec parcimonie l'ellipse (j'y reviendrai). Peu d'action, peu de dialogues, avec des acteurs amateurs. Le souci didactique est permanent. Pourtant, une véritable montée en tension existe. Mais elle se fait au fil des saisons. Et surtout, le réalisateur nous présente une vision de ce monde rural qui mêle celle d'un ethnologue et d'un historien, mais aussi d'un témoin de seconde main, étant lui-même originaire de Bergame et de cette région agricole.

Un film sans véritable héros
Si la première séquence du film s'ouvre sur une scène à l'église dans laquelle le curé recommande à la famille Batisti de mettre à l'école leur jeune fils Ninec, âgé de 7 ans, le spectateur va suivre durant un peu plus de 3 heures l'histoire des habitants d'une ferme. Celle-ci semble être d'ailleurs le véritable personnage principal du film et ses habitants sont présentés comme formant un véritable corps. D'ailleurs, Olmi ne s'en cache pas et le dit même ouvertement au début de son film, après la séquence introductive:

"Film interprété par des paysans et des gens de la région de Bergame"
"Voici ce qu'était une ferme lombarde à la fin du XIXème siècle dans laquelle vivait 4 à 5 familles de paysans"
"La maison, les étables, la terre, les arbres et une partie du bétail appartenaient au patron à qui on remettait une partie de la récolte."

Ainsi, le film suivra durant une année entière la vie de ces familles à la fois différentes mais partageant un destin commun. La famille Batisti, celle de la veuve et ses six enfants, celle de Finard, homme colérique et foncièrement bête, ou encore celle d'un amoureux transi pour une jeune femme de la ferme. Le scénario nous fait passer d'une famille à l'autre, comme une série télévisée pourrait le faire aujourd'hui, mais avec des temps communs les rassemblant tous, que ce soit autour du travail dans les champs, à la veillée nocturne ou encore lors des rares moments de joie, que ce soit à la fête du village ou lors de la venue du vendeur ambulant.

Le héros négatif est assez loin. Du moins à l'image. En effet, le patron est présenté comme un personnage désintéressé du sort des hommes et femmes qui travaillent sur ses terres. Il vit non loin de la ferme comme l'atteste ce moment où il écoute un air de musique classique sur son phonographe et qu'entendent également les paysans de la ferme. On imagine donc qu'il réside à proximité des paysans sans pour autant les côtoyer. Le régisseur fait le lien entre lui et la ferme.

Le visible et l'invisible
Olmi montre tout. Comme un scientifique, il dissèque la vie paysanne qu'il présente à ses spectateurs sans grandes précautions habituelles. Le travail dans les champs est montré en détail, longtemps. La mécanisation n'est pas encore apparue et on évoque que peu l'amendement de la terre pour augmenter les rendements. Mais Olmi va plus loin en filmant ce qui ne l'est jamais directement, comme pour préserver les sensibilités urbaines des spectateurs. Ainsi, un des paysans prend--il une oie pour lui couper la tête. Pas de plan de coupe (si je puis dire) pour que le spectateur comprenne sans voir. Le corps décapité de l'oie est filmé sans artifice de montage, le sang s'écoulant véritablement de son cou. Si la séquence est rapide, celle avec l'égorgement du cochon est encore plus réaliste et plus dure. Rien ne semble être épargné aux spectateurs: l'acte d'égorgement, les hurlements du porcs se vidant de son sang, les bassines pour le récupérer, le dépeçage. Séquence assez insoutenable, elle est présentée comme l'habitude des ce monde rural qui ne voit dans les animaux de la ferme que ce pour quoi ils sont destinés, une réserve alimentaire. Les enfants assistent aussi à cette forme de spectacle rural, violent et brutal mais aussi nécessaire pour leur survie.

À ce visible que nous souhaiterions parfois nous être caché, Olmi omet certains moments que nos regards ont pourtant parfois l'habitude de voir. Ainsi, la séquence de l'accouchement de la femme de Batisti est-elle occultée intégralement. Quant à la nuit de noces entre les deux jeunes amants, elle est marquée par une ellipse formidable puisque pas le moindre corps n'est montré en partie nu. Nous comprenons que la nuit s'est passée par les gestes de déshabillement de la femme, puis, dans le plan suivant, nous la voyons se recoiffer.

Tout se passe donc à l'écran comme ce que Olmi témoigne de ce qui était vu ou masqué par tout à chacun. Ce que nous prenons pour acte de barbarie était un geste normal auquel tout le monde pouvait assister. En revanche, ce que notre civilisation occidentale contemporaine montre désormais avec une très (trop?) grande facilité, c'est-à-dire tout ce qui relève de l'intime, disparaît de la pellicule, conservant une dimension sacrée.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la nuit de noce se passe dans la chambre d'un couvent où la tante de la jeune épouse y est nonne.

Cet aspect est d'ailleurs particulièrement intéressant car il montre que le film est bien un récit mis en scène, réfléchi, et pas seulement une chronique ordinaire et commune. On imagine difficilement en effet que chaque nuit de noce se passe dans un couvent. La sacralité de cette nuit vient en fait clore un discours extrêmement emprunt de religiosité du film. Tout est prétexte à se signer, à prier. Quand le vétérinaire annonce que la vache de la veuve va mourir, celle-ci en appelle au Christ pour bénir de l'eau qui devrait sauver l'animal. Ce qui est finalement le cas!



La piété de ces paysans confine parfois à de la superstition et nulle explication n'est donnée quant à la guérison miraculeuse. Mais c'est aussi Finard qui doit subir une méthode de soin stupéfiante mêlant croyance chrétienne et potion ressemblant à ce qu'une sorcière aurait pu administrer. Enfin, pour en revenir à na notion de miracle, Olmi joue sur sa mise en scène qui évite de filmer l'intime et sur le sens que le spectateur peut donner à certaines séquences. Ainsi, les deux époux se retrouvent dans un lieu religieux et nous ne les voyons pas avoir de relations
sexuelles. Pourtant, ils reviendront dans leur ferme avec un des enfants abandonnés que les sœurs du couvent élèvent. Il y a un aspect marial évident dans cette séquence que la pureté de la jeune mère adoptive vient confirmer. Tout comme les séquences intimes qui ne se montrent pas, Dieu et ses agissements ne se montrent pas directement et témoigne de sa réalité par des preuves qui confortent les croyants.

Une représentation imaginaire?
Ce que montre Olmi est évidemment un condensé de la vie rurale et les témoignages écrits sont suffisamment nombreux pour accréditer nombre des séquences du film. Plus encore, il suffit de voir certains témoignages de paysans italiens d'après la seconde guerre mondiale pour croire en cette ruralité densément peuplée et peu mécanisée de la grande région du Pô. Des films comme Riz amer de Giuseppe De Santis en 1949 montrent d'ailleurs des plans d'une riziculture extrêmement rudimentaire. Plus récemment encore, d'autres pays de l'Europe méditerranéenne avait une agriculture extrêmement peu mécanisée et vivait entièrement au rythme des saisons, que ce soit au Portugal, en Grèce et davantage encore en Albanie. Pourtant, cette représentation parfaitement ordonnée du monde paysan souffre de quelques manques. D'autres diraient d'excès. Par exemple, Olmi propose une vision extrêmement figée des relations humaines: peu de rires, peu de relations en dehors des moments délimités comme tels, notamment les veillées. Si les enfants travaillent dans les champs ou à la filature, aucun ne joue véritablement ou bien crient. De même, les relations familiales sont extrêmement policées. Pas de cris, pas de contestation. Seul Finard s'en prend à son garçon de plus de 15 ans. Mais Finard est présenté comme un abruti, accusant un cheval de lui avoir volé une pièce d'or qu'il avait caché sous son sabot! Vivant tous dans la même ferme, aucune des familles n'a de vrai antagonisme envers l'autre. Et les scènes, rares, au village, sont de cette même nature.

Ce qui pourrait être un témoignage d'une réalité particulière et propre à cette seule ferme est pourtant prolongé ailleurs, y compris dans la grande ville, Milan, où se retrouvent les jeunes mariés. La ville entière est silencieuse. Pas de cris de commerçants, pas de brouhaha caractéristique du monde urbain. Cette tempérance permanente relève donc bien d'un choix à la fois esthétique et de celui de donner un certain sens à cette quiétude curieuse. Pour en revenir à la ville, le calme provient de la pression exercée par les forces policières qui semblent faire peur à tous. Le bruit est déjà en soi un signe extérieur de contestation et par voie de conséquence, de révolte contre un ordre établi. Ramené au village et à la ferme, la bonne entente supposée entre les différentes familles doit alors être comprise par l'ordre imposé par le patron qui n'accepte aucune contestation de quelque nature que ce soit. De fait, le jeune homme aborde de manière très courtoise et discrète celle qui à la fin de l'année devient sa femme. Aucune exubérance pour un jeune Italien qui se trouve dans une situation pourtant propice à l'excitation, notamment vocale. On ne peut d'ailleurs imaginer que jamais un jeune paysan de la région de Bergame n'ait parlé un peu fort pour séduire une jeune femme. Mais Olmi s'astreint à cette discrétion totale, exagérément tranquille.

Pourtant, il y a des éléments dans le film qui montre que des tensions sont possibles. Ninec envoyé à l'école alors qu'aucun des enfants de la ferme n'y va pourrait sans aucun doute être vécu comme une forme de prétention de la famille Batisti. Finard qui se comporte extrêmement mal avec son fils et avec le reste de la ferme d'ailleurs ne rencontre jamais de vraies critiques des autres. On peut cependant se demander si la recette de la potion sensée le guérir de son coup de folie à l'encontre de son cheval n'est pas une vengeance cachée puisqu'on lui ordonne de boire un verre avec de l'eau boueuse et quelques vers... Enfin, le grand-père qui sème en cachette ses graines de tomates sur un lit de fientes de poulet en fin d'hiver pour pouvoir les planter ensuite plus tôt au printemps et avoir des tomates précocement ne peut pas ne pas attirer quelques rivalités au sein de la ferme. Mais là encore, rien ne transpire des tensions possibles.

Un film anti-fasciste?
En plaçant l'action à la fin du XIXème siècle, il ne peut y avoir de références au fascisme en tant que tel, puisqu'il n'apparaîtra que quelques décennies après. Pourtant, la morale du film est particulièrement troublante. En effet, comme il avait commencé, il se termine sur la famille Batisti. C'est le curé qui avait demandé aux parents de Ninec de l'envoyer à l'école, demandant des sacrifices importants, aux parents comme à l'enfant. Celui-ci devait faire plusieurs kilomètres, aller et retour, par jour pour se rendre à l'école du village, chaussé de simples sabots. Or ceux-ci se cassent à force d'usure. Le père doit alors lui en fabriquer de neufs, n'ayant pas les moyens d'en acheter. Il les taille alors dans le bois d'un arbre qu'il a coupé et qui appartenait forcément au patron. Celui-ci s'en rend compte quelques mois après et trouve le coupable. Batisti est donc chassé de la ferme, sous le regard des voisins qui prient vaguement et les voient s'en aller au loin dans la nuit. Scène finale.
La morale est donc terrible puisque c'est parce qu'un homme d'église leur a demandé de mettre leur enfant à l'école que le malheur a touché les Batisti. Sans cette école, point de sabot cassé, point de vol de l'arbre, point d'expulsion par le patron. Cet acte profondément injuste ne suscite pourtant aucune réaction en faveur des Batisti, pas plus des voisins, eux aussi soumis au patron, que du curé.
Cette situation de misère conjuguée à l'acceptation d'une autorité insensible a pu expliquer la révolution fasciste d'après la première guerre mondiale. Mais cette révolution était en réalité celle qui faisait passer d'un autoritarisme local à un autre national, tout aussi implacable.
Le film d'Olmi se conclut par une injustice n'ayant entraîné aucune révolte légitime des autres opprimés, trop heureux de ne pas être expulsés, et peut-être jaloux des Batisti. C'est aussi une conclusion contre une religion qui ne fait jamais d'autre chose que de conseiller sans vraiment intervenir entre le détenteur du pouvoir temporel - économique ou politique - et les simples habitants. En cette période des années 1970, pour un cinéaste marqué par le cinéma néo-réaliste des années 1940, le message va donc au-delà de ce vérisme porté à l'écran. Sans climax tonitruant, sans violence majeure, sans oppression marquée à chaque séquence, Olmi montre pourtant des victimes d'une classe sociale qui ne sont défendus par personne, ni par les leurs, ni par l'institution qui aurait pu intercéder en leur faveur. Il crée chez les spectateur une envie de révolte évidente, une envie d'agir. Il préfigure le fameux "Indignez-vous" de Stéphane Hessel à des spectateurs italiens encore marqués par un parti communiste puissant, par un parti fasciste dans les mémoires, par un passé rural bien ancré en chacun et par un rejet des certaines formes de pouvoir économiques qui dominent de fait une Italie largement corrompue.

L'arbre aux sabots est donc un film majeur, même si le traitement est plus difficile à regarder aujourd'hui que dans les années 1970 de par son parti pris évoqué plus haut. Il est cependant une remarquable représentation du travail dans une Italie du XIXème siècle dont on peut penser que bien des aspects étaient semblables dans d'autres pays européens, y compris cette situation de soumission à des pouvoirs économiques qui ne pouvaient résister bien longtemps à la montée en puissance des aspirations de liberté.

À bientôt
Lionel Lacour

mercredi 12 juin 2013

The act of killing: qu'est-ce qu'un criminel de guerre?

Bonjour à tous,

Un poisson géant, des nymphes sortant de la gueule de cet animal, effectuant une chorégraphie approximative devant un personnage mi drag queen, mi sirène grasse, voilà comment le documentaire de Joshua Oppenheimer commence son long documentaire de près de 2 heures et dont l'image se retrouve sur une des affiches du film.

Quel étonnement alors pour le spectateur de se retrouver face à une telle séquence quand il lui est annoncé que The act of killing, sorti en France en 2013, est un documentaire non sur le cinéma indonésien mais sur un massacre perpétré en 1965 contre les communistes indonésiens par des factions proches du pouvoir, dont les Pemuda Pancasila (jeunesses du Pancasila), le Pancasila étant l'idéologie de l'État indonésien, mêlant nationalisme, internationalisme et spiritualité.

mercredi 5 juin 2013

Carmen Jones: chef d'œuvre essentiel pour la question des droits civiques des noirs

Bonjour à tous

Le 20 mai était projeté aux "Lundis du Mégaroyal", dans le cadre de la programmation NOIRS AMÉRICAINS, le film Carmen Jones. Réalisé en 1954, Otto Preminger ce film était constitué d'un casting uniquement des comédiens et comédiennes noirs. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait et le grand King Vidor avait réalisé en 1929 déjà Halleluyah ainsi que Vincente Minelli en 1943 dans Un petit coin aux cieux (Cabin in the sky) avec Louis Armstrong, Lena Horne et autres grands du Jazz. Avec Carmen Jones, Preminger prenait néanmoins un risque, la preuve en fut que personne ne voulut produire son film malgré le succès précédent de La rivière sans retour.

lundi 3 juin 2013

Le cinéma engagé: une définition à géométrie variable

Bonjour à tous

l'expression "cinéma engagé" est souvent utilisée pour désigner un cinéma défendant une cause ou dénonçant une situation grave pour la société, une communauté, une classe sociale, une nation. De fait, le sujet étant sérieux, il y a alors une sorte d'association immédiate entre le fond et la forme. Si le fond est sérieux, la forme devrait l'être tout autant. Certains cinéastes sont d'ailleurs aujourd'hui catalogués comme faisant du cinéma engagé parmi lesquels bien évidemment Ken Loach

jeudi 30 mai 2013

Le Joli Mai: 50 ans après, un choc culturel

Bonjour à tous, 

comme annoncé dans un précédent message, Thierry Frémaux a donc présenté hier soir à l'Institut Lumière le film de Chris Marker et de Pierre Lhomme Le joli mai. Réalisé en 1962 et sorti en 1963, soit il y a juste 50 ans, ce documentaire est une déambulation dans les rues de Paris s'arrêtant sur quelques témoignages saisissants de Parisiens de toutes origines. Le noir et blanc de la photographie de Pierre Lhomme est d'une beauté étourdissante et fait de la ville-lumière à la fois une série de cartes postales attendues mais aussi des portraits magnifiques de simples citoyens comme des découvertes d'un Paris oublié, celui des quartiers de misère, aux rues sales et sombres.

jeudi 23 mai 2013

Le Joli Mai de Chris Marker à l'Institut Lumière: une (re)découverte indispensable !


Bonjour à tous,

Le directeur de l'Institut Lumière, Thierry Frémaux reviendra du Festival de Cannes pour présenter le film Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme, Mercredi 29 Mai 2013 à 20h00.

jeudi 2 mai 2013

Ken Loach ou le cinéma du peuple


Bonjour à tous,

en octobre 2012, le Festival Lumière honorait le réalisateur britannique Ken Loach, à un peu plus d'un mois de la désignation du prochain prix Lumière pour la 5ème édition de ce grand festival lyonnais, je vous propose de revenir un peu sur la filmographie de Ken Loach
dans cet assez long article.

mercredi 10 avril 2013

"Pasolini, mort d'un poète" à l'Institut Lumière

Bonjour à tous

Le vendredi 26 avril à 20h30

Le cinéaste italien 
Marco Tullio Giordana présentera son film Pasolini, mort d'un poète réalisé en 1995.

Marco Tullio Giordana est un cinéaste engagé dans l'histoire de son pays et livre à travers ses films une vision sans concession de l'Italie. Il a notamment réalisé Nos meilleurs années et Les Cent pas.

Le film qu'il viendra présenter le vendredi 26 avril à l'Institut Lumière part d'un fait divers qui a meurtri à la fois l'Italie mais également les cinéphiles du monde entier. En effet, le 1er novembre 1975 à Ostie, Pier Paolo Pasolini était découvert sans vie sur un terrain vague. Le procès qui a suivi coupa l'Italie en deux...
Adoptant un traitement oscillant entre le polar et le documentaire, Marco Tullio Giordana revient sur cette mort pour le moins mystérieuse du cinéaste à l'œuvre si controversée, si puissante et si contestataire d'un ordre moral établi, réalisant entre autres Accatone,  L'évangile selon Saint Mathieu et bien évidemment Salo ou les 120 jours de Sodome réalisé l'année de sa mort.

Pasolini, mort d'un poète: Un film à découvrir d'urgence!

Tous renseignements et billetterie à l'Institut Lumière
www.institut-lumiere.org
04 78 78 18 95


À bientôt
Lionel Lacour

vendredi 5 avril 2013

"Outreau, l'autre vérité" au Mégaroyal de Bourgoin Jallieu


Bonjour à tous,


PROJECTION EXCEPTIONNELLE DU DOCUMENTAIRE
OUTREAU, L’AUTRE VÉRITÉ – 2013 – 92 minutes
LUNDI 29 AVRIL 20H00

Après la projection en clôture des 4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma, une nouvelle soirée dans la région Rhône-Alpes est consacrée à ce documentaire choc.
Ce film, réalisé par Serge GARDE en 2012 et qui revient sur cette affaire judiciaire que certains ont appelé « le fiasco d’Outreau » mais en partant du point de vue trop souvent oublié, celui des enfants reconnues victimes a été refusé par les télévisions, peut-être parce qu’elles se sont senties mises en cause dans ce documentaire, la société Zelig a alors décidé de le distribuer dans les salles de cinéma partout en France.

Documentaire extrêmement documenté, interrogeant de nombreux témoins directs de cette affaire mais également des experts incontestables, le film de Serge GARDE ose rappeler aux spectateurs comment la tourmente médiatique a créé une atmosphère peu propice au travail serein de la justice.

Bernard de la VILLARDIÈRE, journaliste et producteur de ce documentaire choc, sera présent à cette soirée. À cette occasion, je l'interrogerai et il expliquera pourquoi il s’est lancé dans la production de ce film puis répondra aux questions des spectateurs.

Renseignements et achat des places:
MÉGAROYAL – Multiplexe indépendant de Bourgoin Jallieu – 12 salles 
6 place Jean-Jacques ROUSSEAU

 À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 21 novembre 2012

Les invisibles en cinémascope !

Bonjour à tous,

une fois n'est pas coutume, j'évoquerai aujourd'hui le documentaire Les invisibles de Sébastien Lifshitz, projeté en sélection officielle à Cannes 2012 hors compétition et qui sort en salle le 28 novembre.
Le film, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma qui décidément enchaîne les sorties de bons films, a été plutôt bien apprécié par la critique, abordant un sujet à la fois très d'actualité avec un traitement et une approche particulièrement intéressant. En effet, en abordant par plusieurs portraits l'homosexualité d'hommes et de femmes ayant tous dépassés la soixantaine et pour certains depuis longtemps, le réalisateur réussit à poser la question de l'homosexualité non à l'aune des valeurs d'aujourd'hui mais bien sur un temps plus longtemps, permettant de comprendre l'évolution d'une société face à une réalité, l'existence d'une sexualité "anormale" au sens premier du terme, c'est-à-dire n'étant pas dans la norme.
Bande annonce du film:
http://www.youtube.com/watch?v=ZoGUWpgF9dY&feature=relmfu


Dingue, des êtres normaux!
La première séquence du film montre un homme s'occupant d'un œuf d'oiseau, débarrassant l'oisillon de sa coquille puis l'aidant à se nourrir. Puis soudain un second homme vient l'aider quand enfin, tous les deux témoignent de la manière farfelue par laquelle ils se sont rencontrés. Une histoire d'amour simple, authentique, sans exhibition, avec la pudeur des sentiments de n'importe quelle autre personne. Par cette séquence puissante, Sébastien Lifshitz expose clairement ce que sera son propos. L'homosexualité existe, et pas seulement chez les artistes ou chez les jeunes ou en ville. La succession de portraits présente alors des hommes et des femmes, certains vivant désormais seuls, d'autres étant en couple, qui ont fait le choix ou pas de vivre leur vie d'homosexuels. Le parcours de chacun est tracé sans aucune sur-valorisation. Point de super-homos, pas d'exhibitionnisme à l'écran, pas de dénigrement des hétérosexuels, juste des individus qui élèvent des chèvres ou ont fait science po, certains qui sont pères ou mères et qui se sont révélés homosexuels après.
À l' "anormalité" de leur sexualité répond une normalité toute banale d'individus qui sont nés dans des familles   toutes banales pour l'époque, répondant à des pratiques sociales classiques, reproduisant le modèle familial convenu et ignorant plus que méprisant le fait homosexuel.
En combinant la réflexion des différents homosexuels de son film aux scènes de vie quotidienne, le cinéaste leur permet d'exister à la fois à l'écran mais également dans la "vraie vie", ne les transformant pas en seuls témoins d'une cause. Ils ont une vie professionnelle et amoureuse, parfois simple, souvent difficile, et au final, pas si différentes des hétérosexuels, sauf dans leur reconnaissance par la société.
Mais surtout, le réalisateur ose sortir des clichés des homosexuels. Certes certains des portraits présentent des individus de la ville. Mais il s'attache à ne pas les montrer seulement à Paris. De même, en prenant Pierrot, 83 ans et éleveurs de chèvres, il montre que cette sexualité n'est pas seulement une sexualité urbaine. Et que la découverte de son orientation sexuelle ne s'est pas passée par les médias mais bien par l'expérience vécue avec un homme plus âgé, lui aussi de la campagne alors même qu'il n'avait que 14 ans.
Et loin d'être des marginaux, une de ses "héroïnes" est devenue maire d'une commune rurale malgré les conservatismes reconnus des populations paysannes.

L'homosexualité: un combat qui dépasse la sexualité
Les différents exemples permettent de mieux comprendre les blocages de la société d'avant 1968. Blocages essentiellement culturels et religieux, lié à la nature supposée de la sexualité. Or ce qui peut troubler les plus normatifs, c'est que l'orientation sexuelle ne se fait pas par choix mais par une logique qui dépasse la compréhension des hétérosexuels. Ainsi, une des femmes raconte avec délectation que jamais le choix ne s'est présenté à elle. Elle aimait les filles, point. L'éleveur de chèvres reconnaît non sans humour qu'il allait avec qui il avait envie, une femme ou un homme, sans avoir la moindre gêne. D'autres se révèlent homosexuels après avoir menés une vie maritale parfois longue, avec des enfants à la clé. D'autres enfin reconnaissent avoir souffert dans leur jeunesse, n'osant ou ne pouvant assumer leur homosexualité.
De tous ces témoignages ressortent cependant une vraie lecture de la société conservatrice, patriarcale et dominée par la morale catholique. Si Pierrot s'affirme libre dans sa sexualité, il reconnaît cependant que cette homosexualité ne s'affichait pas facilement, surtout à la campagne! La force du film est d'associer aux paroles des héros des documents, la plupart du temps provenant de leurs propres archives, permettant de voir de quel monde ils venaient: bourgeoisie, famille nombreuse, vie religieuse entre la communion, la messe et le mariage... Au-delà de leur sexualité, le documentaire balaie toutes les négations des identités individuelles pour se conformer à un moule. On en comprend la logique pour une nation, on en déduit aussi les souffrances pour les personnes se sentant exclues de ce modèle.
A ce carcan moral imposé s'opposant à la liberté individuelle, celle de l'esprit comme du corps, chacun des témoins illustre la manière qu'il a eu de se rebeller pour pouvoir s'affirmer. Passant d'un portrait à l'autre, Sébastien Lifshitz permet aux spectateurs de voir que la cause homosexuelle était indissociable des revendications libertaires de la jeunesse des années 1960, passant notamment par la reconnaissance d'une sexualité plus libre, ne l'envisageant pas sous le seul angle de la procréation. Le témoignage de Thérèse illustre d'ailleurs parfaitement l'hypocrisie d'une société qui interdisait l'avortement au nom de principes moraux tout en feignant d'ignorer que faute de contraception, certaines femmes se faisaient avorter clandestinement, parfois à de nombreuses reprises, au péril de leur vie. Cette lutte pour le droit à disposer de son corps, symbolisée par la loi Veil légalisant l'avortement en 1974, ne pouvait qu'être accompagnée par celle revendiquant le droit à une sexualité non hétérosexuelle.
Et c'est là que le film rejoint avec une incroyable opportunité de calendrier le débat sur le mariage dit "pour tous" pour ne pas dire "homosexuel". En effet, dans un des documents d'archives, une femme homosexuelle revendique à la fois sa différence de sexualité mais aussi de modèle social, rejetant le modèle familial, vecteur de toutes les reproductions des valeurs conservatrices. Ainsi, la cause homosexuelle passait par une lutte contre un modèle en s'affirmant comme un autre modèle plus libertaire (la jeune femme parle "d'hétéro-flics"!) alors que celle d'aujourd'hui passe par la volonté d'être intégré dans ce modèle autrefois honni. Le premier couple montré dans le film évoque d'ailleurs à la fin du film le souhait d'un mariage dans une chapelle laissée à l'abandon.


Un vrai film de cinéma
En choisissant le cinémascope, Sébastien Lifshitz a clairement situé ses personnages dans un récit cinématographique différent du modèle de la télévision. Alternant séquences de réflexion de ses héros avec des scènes plus quotidiennes, avec des images d'archives qui ne sont pas que des illustrations, il réussit à créer de l'empathie avec des personnages même pour les spectateurs non homosexuels. Sébastien Lifshitz assume ses plans fixes qui correspondent aussi à l'âge de ses personnages, aux gestes plus lents que ceux des jeunes.

En les cadrant souvent très près, il accentue encore un peu plus cette empathie, confirme qu'ils ne sont plus tout jeunes et les rend encore plus "normaux" tout en nous plongeant dans leur réflexion intime sur leur sexualité. Cette réflexion est diverse pour chacun, les uns se sont construit leur identité en étant des intellectuels tandis que d'autres ont une approche plus empirique des choses, plus pragmatique et souvent moins dans le combat. Le point de vue n'est jamais extérieur. Point de jugement ou d'analyse d'autres intervenants, sauf pour un des témoins qui discute alors avec un autre homosexuel ou pour Thérèse, ayant plus de 80 ans, dînant avec ses enfants et qui affirment que l'homosexualité de leur mère a été vécue "naturellement". Au hasard de la discussion, ses enfants ne l'appellent pas "Maman" mais "Thérèse", comme s'ils reconnaissaient qu'elle n'était pas seulement une mère mais un individu accompli, identifié par son prénom et pas par un nom générique et fonctionnel. Dans ces deux cas, les approches extérieurs ne viennent pas contredire les propose des personnages du film mais au contraire, les conforter. Quand le couple marseillais échange et que l'un d'entre eux indique la présence d'une tourterelle à l'autre, la caméra reste sur eux et ne se détourne pas vers le volatile. Pourtant nous avons envie de la voir. Mais le réalisateur nous force ainsi à voir leur relation pour ne pas détourner notre regard vers autre chose.
Ces choix de cinéaste créent un lien entre tous les personnages que le spectateur retrouve régulièrement au long du film, tous vivant leurs propres histoires avec leurs parcours de vie si différents mais lié par une sexualité commune. Le film nous les rend justement communs, pour ne pas dire "normaux".

Les invisibles, beau titre pour parler d'une catégorie de la population souvent peu filmée en tant que telle alors même que sa part démographique ne cesse de croître et dont la sexualité est largement taboue. Alors parler de leur homosexualité! Sébastien Lifshitz le fait sans voyeurisme, avec un grand talent de cinéaste et pose aux spectateurs des questions essentielles, à la fois sur la liberté individuelle, sur la sexualité mais aussi sur une catégorie de la population qui est si peu montrée et qui intéresse si peu, sinon dans un but mercantile. Lors de l'avant première à Lyon le 20 novembre, Pierrot, l'éleveur de chèvre du film, a quant à lui traduit le titre Les invisibles comme étant la partie invisible que chacun a en soi et que les autres ignorent. Les "invisibles" sont donc multiples dans ce film, à ceci près qu'ils y étaient pour une fois présents, et bien présents. À montrer à tous ceux qui auraient encore des doutes sur la nécessité de voir et de comprendre ces "invisibles".

A bientôt
Lionel Lacour

vendredi 26 octobre 2012

Les temps modernes de Chaplin ou les craintes de la modernité?

Bonjour à tous,

après quelques semaines consacrées au festival Lumière, je reviens pour un court article sur le film de Charlie Chaplin Les temps modernes. réalisé en 1936, tout a été à peu près dit sur ce film, notamment sur sa vision du monde ouvrier américain, sa représentation du combat des salariés contre le patronat ou encore sa manière de décrire le monde de l'entreprise soumis à la taylorisation du travail poussée à l'extrême dans des séquences mémorables allant de la chaîne sur laquelle les ouvriers travaillent sans que personne ne comprenne vraiment ce qui est produit, à la "mangeoire" automatique censée faire gagner du temps à l'ouvrier, donc au patron en quête de productivité optimale.

Ce qui est néanmoins troublant, c'est que ce film date d'une époque où plus personne ne fait du cinéma muet. Or Chaplin semble s'évertuer dans cette voie, comme s'il refusait de passer à la modernité technologique du cinéma. A bien y regarder, le film est tout sauf muet!

La musique est tout d'abord un élément important qui accompagne l'action de manière à ce que le spectateur identifie dans quelle situation se trouvent les héros du film en fonction du thème musical utilisé. Plus encore que la musique, c'est l'utilisation de sons synchronisés correspondant à des bruits logiques que les objets, machines et autres instruments montrés dans les différentes séquences, font ou sont censés faire. Ainsi un bruit de souffle puissant accompagne l'image quand la machine est en surchauffe; des petits sons aigus sont utilisés chaque fois que le personnage interprété par Chaplin appuie sur une burette d'huile; des interférences sonores correspondent à la
recherchent d'images par le patron surveillant le travail de ses ouvriers; la sirène de la police...
Cet usage du son, au-delà de la simple illustration de ce qui se passe à l'image, est déjà en soi la preuve que Chaplin avait intégré dans son art cette innovation de près de 10 ans, introduit en 1927 avec Le chanteur de Jazz sorti. Mais ce que les spectateurs attendaient, c'était bien sûr l'usage du "parlant". Or, en 1931, alors que l'ensemble de la production américaine avait abandonné le muet, Chaplin réalisait Les lumières de la ville, un mélodrame jonché de moments très drôles certes, mais toujours en muet. Allait-il garder cette manière de procéder au risque de se couper des spectateurs désormais habitués à entendre parler, crier ou gémir leurs héros?
En intitulant son film Les temps modernes, il y avait, au-delà du carton introductif moquant de fait la "croisade vers le bonheur des sociétés industrielles", une promesse d'un passage à la modernité du cinéma lui-même. Or tout ressemble d'emblée au cinéma d'antan de Chaplin, avec une musique très expressive, un montage comparant les ouvriers à des moutons, un jeu d'acteur très dynamique semblable à ceux des films muets classiques. Pourtant, le patron va prendre la parole en s'adressant à un de ses ouvriers, lui demandant d'accélérer la cadence de la chaîne n°5. Chaplin serait donc entré dans l'ère du parlant? Le film se déroulant, le doute reste néanmoins permis car chaque situation nouvelle est introduite par des cartons explicatifs, présentant soit les personnages, soit les lieux, soit le moment où l'action se déroule. Certains dialogues sont également écrits et non prononcés. Pourquoi alors avoir fait parler le patron? Et il n'est pas le seul que nous avons entendu durant le film puisque l'inventeur de la mangeoire a présenté sa machine au patron de l'usine et un journaliste s'exprime à la radio. Même Charlot (dans le générique original, il n'est désigné que comme un simple ouvrier de l'usine) y va de sa chanson dans une séquence mémorable.



De fait, les personnes que nous entendons parler ne parlent pas directement entre elles. Toutes parlent au travers d'une machine. Le patron s'adresse à ses ouvriers via une machine, sorte de proto-webcam; l'inventeur ne s'exprime pas lui-même mais passe un disque pré-enregistré expliquant l'ingéniosité de sa "mangeoire"; le journaliste ne s'exprime que par l'intermédiaire de la radio.




Il ne reste alors que Charlot dont nous entendons la voix. Mais si nous l'entendons, nous ne la comprenons pas car au moment de chanter, il a oublié les paroles. Sa fiancée lui dit alors d'inventer et de chanter quoi qu'il en soit. D'où ces paroles incompréhensibles qu'il interprète en mimant ce qu'il est censé chanter. A notre grand étonnement de spectateur, nous comprenons vaguement ce qu'il chante mais surtout, nous entendons les rires des spectateurs, seul autre son direct entendu dans le film, réaction à ce que chante Charlot, comme s'ils comprenaient pleinement ce qu'il interprétait.
Ainsi, dans son film, Chaplin montre que ces objets d'enregistrement sonore sont autant d'inventions merveilleuses mais qui servent in fine à accentuer encore un peu plus la domination des puissants sur les plus faibles, à manipuler l'auditoire car l'enregistrement sonore ne permet pas, de fait, l'échange avec l'autre. Au contraire, et Chaplin en fait la démonstration, la communication directe comme lors de sa chanson, permet de réagir, de s'adapter à ceux qui écoutent. Cette communication plus humaine n'a pas forcément besoin de la perfection puisqu'il arrive à se faire comprendre malgré des paroles... approximatives.

Ce refus du parlant dans ce film n'est donc qu'un leurre. Chaplin a voulu insister sur l'illusion du parlant et des enregistrements sonores comme clé de la compréhension de tout. En finissant par ses deux héros en fuite mais en quête de bonheur, Chaplin renforce l'idée que le système dit libéral ne permet pas aux plus faibles de la société de s'en sortir mais il reste confiant cependant dans l'idée que la persévérance paiera. Pas un film misérabiliste donc, mais un film lucide sur la manipulation que le parlant introduit au cinéma, lui qui était un maître de la manipulation de l'image! Cette manipulation du son, il allait en faire la démonstration à son film suivant puisque Le dictateur présentait un certain Hynkel qui, à sa première apparition à l'écran prononçait un discours dans une langue imaginaire, traduit de manière adoucie et en contradiction avec ce que l'image du dictateur trahissait. Avec Le dictateur, Chaplin démontrait qu'il était bien un maître de tous les cinéma, muet ou parlant. 


À bientôt
Lionel Lacour

samedi 26 mai 2012

La haine: chef d'oeuvre de Mathieu Kassovitz

Bonjour à tous

Dans le cadre des "Lundis du MégaRoyal" de Bourgoin, j'avais programmé lundi 21 mai La haine de Mathieu Kassovitz. Ce film de 1995 semble avoir été tourné après 2005, date des émeutes urbaines qui ont enflammé les banlieues françaises et qui furent si médiatisées. C'est pourtant dix ans auparavant que Kassovitz, alors âgé de 28 ans seulement, tourna un film choc qui fut salué unanimement par la critique sur ses qualités formelles sûrement davantage que sur ce que le film montrait. Le réalisateur en fut conscient, gêné sûrement quand il fut propulsé dans le monde très glamour de Cannes où il fut d'ailleurs récompensé. Kassovitz regrette d'ailleurs que l'engouement pour son film ait servi justement le film et pas la cause qu'il mettait en scène.
Le public lui rendit également honneur en allant nombreux voir ce film. Et notamment le public des banlieues pour qui La haine représentait un film de référence.

Introduction
La question qui se pose est simple. Est-ce que ce film a réellement marqué une rupture dans le cinéma français dans sa manière de représenter la banlieue? Avant lui, d'autres avaient montré cet

samedi 7 avril 2012

Elephant de Gus Van Sant: un teen movie?

Bonjour à tous,

en 2003, le film Elephant de Gus Van Sant faisait sensation à Cannes, obtenant du jury présidé par Patrice Chéreau le prix de la mise en scène et surtout la palme d'or, au nez et à la barbe d'un autre chef-d'oeuvre, Mystic river de Clint Eastwood.
Le film de Gus Van Sant abordait sous un angle fictionnel le massacre de la High school ('léquivalent des lycées français) de Colombine (Colorado) sans jamais l'évoquer directement, au contraire du film de Michael Moore, Bowling for Colombine réalisé en 2002 et sous la forme du documentaire.
En reprenant certains codes des teen movies, Gus Van Sant crée une oeuvre implacable contre la société américaine et peut-être même occidentale. L'actualité américaine récente valide toujours les propos du film Elephant dont la puissance réside dans son formalisme développé de manière continue, créant une atmosphère oppressante dont le dénouement ne peut satisfaire personne.

1. Les adultes en accusation
Dès la première séquence, Gus Van Sant annonce la couleur: des plans longs, plans séquences privilégiés, et une focalisation sur les personnages. Ainsi, la première séquence présente une voiture roulant en zig-zag, heurtant d'autres voitures garées sur le côté de la rue, jusqu'à ce que nous apprenions que celui qui conduit est un père ivre et que son fils lui prend quasiment de force le volant. C'est lui le responsable de la famille et qui est prêt à prendre une heure de retenue par le lycée pour que son père ne reprenne pas sa voiture. En effet, en récupérant les clés du véhicule et en les confiant au secrétariat du lycée pour que son frère puisse raccompagner leur père, John, tel est le nom du premier élève présenté dans le film, fait preuve d'une maturité supérieure à son propre père.
Cette séquence est renforcée par le formalisme qu'impose Gus Van Sant. En filmant le père dans la voiture et mettant hors cadre le fils qui conduit, le réalisateur renforce la déresponsabilisation du père mais évoque déjà la non transmission de l'Histoire à son fils. En effet, quand le père évoque la seconde guerre mondiale, John son fils lui demande s'il l'a faite, ce qui prouve deux choses: son fils ne sait pas quand a eu lieu la seconde guerre mondiale puisque manifestement, son père ne peut pas l'avoir faite! Mais surtout, un tel événement aurait dû être relaté par le père à son fils s'il l'avait effectivement faite. Ce point n'est pas anecdotique car il se retrouvera plus tard.
Tout le reste du film montre une quasi absence de l'adulte dans la high school qui apparaissent de manière marginale et pas assez dans l'encadrement de la jeunesse: un proviseur qui sanctionne John sans chercher à comprendre pourquoi il est en retard, des enseignants dont un discutant de l'homosexualité dans un groupe d'élèves, un documentaliste, un cuisinier. Voilà à peu près les seuls adultes croisés dans le lycée. Pour Eric, les adultes, les parents ne sont pas vraiment montrés. Le père est une voix, la mère un corps servant le petit déjeuner. C'est tout. Même le facteur qui apporte un colis à Eric et Alex n'est pas montré. Nous entendons juste sa voix et une phrase montrant encore une fois combien les jeunes n'ont plus face à eux des adultes structurants. En effet, alors que manifestement les deux garçons font sécher les cours, le facteur leur dit qu'ils ont finalement bien raison!
Finalement, aucun adulte ne fera preuve d'un courage particulier quand les élèves assassins commenceront le massacre. La fuite, la lâcheté et l'irresponsabilité sont les seuls manière de représenter ces adultes. Au contraire, les jeunes seront montrés comme plus responsables et courageux pour éviter le massacre, de Benny, l'élève noir se faisant tuer pour arrêter un des deux meurtriers à John tentant d'empêcher tous ceux situés à l'extérieur de l'établissement de rentrer.
Le père de ce dernier réapparaît en s'excusant auprès de son fils... Les rôles sont manifestement inversés.




2. Une exposition des personnages qui explose la notion de temps
Une des raisons des prix cannois pour ce film est certainement la maîtrise du récit par Gus Van Sant.
Il décide de présenter chaque personnage qui sera suivi à l'écran par des longs plans-séquences dans lesquels nous sommes essentiellement les suiveurs. En effet, les personnages sont souvent filmés de dos, se dirigeant vers quelqu'un ou dans un lieu dans le lycée. Cette présentation - exposition des personnages ne nous donne que peu d'informations sur ce qu'ils sont vraiment, si ce n'est des lycéens qui évoluent dans un lycée qui semble tranquille. Le coup de force de Gus Van Sant est de présenter chaque personnage les uns après les autres mais pas dans le déroulement du temps logique. La même phase temporelle est montrée mais à chaque fois par le point de vue d'un des lycéens. Si bien qu'une même action peut être présentée trois fois sous trois angles différents, montrant ainsi l'unité des choses filmées et en même temps, l'isolement de chacun alors même que ce qui se passe est commun à tous.


John photographié par Elias tandis que Michelle court derrière pour rejoindre la bibliothèque.
Trois fois, Gus Van Sant filmera cette séquence avec le point de vue de chacun des personnages.

Présentation des noms des deux tueurs,
comme n'importe quels autres personnages
du film
Cet éclatement du récit dans sa structure chronologique est encore accentué en ce sens où les meurtriers sont présentés la première fois alors qu'ils entrent dans le lycée en tenue militaire. Mais le réalisateur ne les suit pas encore bien que les présentant par les mêmes cartons que les autres. Puis, par plusieurs flash backs, il présente ces deux jeunes lycéens et leurs frustrations. Nous quittons l'unité temporelle déconstruite mais centrée sur le lycée pour un temps passé qui viens expliquer ce qui va justement avoir bientôt lieu.
Gus Van Sant utilise encore d'autres procédés pour déstructurer le continuum temporel. Par exemple, plusieurs fois, il utilise le ralenti, quand Natan croise les jeunes filles dans les couloirs, quand John rencontre Alex et Eric entrant dans le lycée ou encore pendant le massacre quand Benny croise les élèves fuyant les tueurs. C'est pour ces deux personnages que le montage est le plus complexe. Eux seuls ont droit aux flash backs remontant au moins à la veille de l'événement, sans plus de précision. Mais surtout, nous les voyons élaborer leur plan d'attaque avec pour chaque moment un flash forward nous les montrant exécuter leur plan. Une fois que celui-ci sera enclencher, il n'y aura plus dans le récit que le déroulé de leur mission meurtrière, même si des ralentis viendront modifier la durée exacte du déroulement du massacre. Et puis, à la fin du film, le temps s'arrête.

3. Comme un éléphant dans une pièce
Le titre du film fait référence à un proverbe et à un autre film réalisé par Alan Clarke en 1989 qui s'appelait aussi Elephant. Mais cela renvoie surtout à l'idée que ce qui est le plus visible n'est parfois vu de personne, ou du moins, compris par personne. Ainsi, les flash backs du film donnent aux spectateurs ces éléments visibles de tous, élèves ou adultes du lycée mais aussi des parents et qui pourtant ne sont pas pris en considération.
La sexualité refoulée des deux jeunes, Eric et Alex, les persécutions subies en classe sans que jamais un enseignant n'intervienne pour sanctionner les persécuteurs, l'absence des parents dans la maison sont autant de mise à l'écart de jeunes mal dans leur peau. Gus Van Sant n'accable pas ni n'épargne ses personnages. D'ailleurs, tous sont désignés par les mêmes cartons. Tous ont une marginalité et un problème lié à leur image auquel le monde adulte n'apporte aucune réponse. John doit vivre avec un père alcoolique mais accepte facilement de poser pour être pris en photo par Elias, comme pour donner une belle image de lui.

Une prof, invisible hors cadre ne comprends pas
les complexes de son élèves.
Cette image de soi ressort dans tout le film, de la jeune fille qui refuse de se mettre en short sans que son enseignante ne comprenne la souffrance psychologique de son élève à celles qui se font vomir après le repas.
Cette volonté de vivre une autre vie que la leur, de refuser leur réel se concentre chez les deux meurtriers qui jouent sur internet à des jeux de guerre. Cette non intégration du réel est signifiée par la non connaissance d'une Histoire qui a marqué leur pays.







Eric ignore qui est Hitler vraiment!
Un  site de vente d'armes de guerre
accessible à tous!












Comme John qui ne savait pas quand avait lieu la seconde guerre mondiale, Alex regarde un documentaire sur le nazisme sans vraiment savoir de quoi il s'agit. Eric semble même ignorer à quoi ressemble Hitler. A cette barbarie historique et manifestement ignorée va répondre une autre, celle que la société américaine permet. Quand Gus Van Sant montre Eric en train de jouer sur son ordinateur à tuer des hommes par derrière, il montre bien que le plaisir généré malsain est à portée de tous. Mais surtout, les armes virtuelles du jeu peuvent être aussi commandées sur un site internet puis être livrées par une messagerie tout ce qu'il y a de plus ordinaire sans qu'il y ait le moindre contrôle de l'âge ou de l'identité de ceux réceptionnant les armes!
Ainsi, le plan est prêt à être mis en oeuvre. Pour se faire, il a fallu l'organiser. Le réalisateur nous montre Alex en train de prendre des notes sans se cacher. Il annonce même qu'il organise un plan. Mais personne ne lui demande pour quel objectif. Il est au milieu de tous et à la fois incompris par tous.

Plan de la séquence finale du film
4. Une morale classique d'un film de genre?
Comme tous les teen movies, Elephant éloigne les jeunes des adultes. Classiquement, les parents, enseignants sont moqués dans ce genre de film: ringards, autoritaires, trop exigeants ou trop copains. Ainsi, ces films montrent une jeunesse qui se rebelle contre des adultes qui veulent leur imposer un ordre qui n'est évidemment pas accepté par les adolescents. En quelques sortes, ces films sont faits pour les jeunes qui montrent des jeunes qui font leur "métier" de jeune: contester! Mais la majorité de ces films aboutit à une morale structurant la société. Les valeurs des parents ne sont finalement pas si ringardes et si les générations peuvent s'opposer sur des choix esthétiques, musicaux, vestimentaires ou autres, ou se critiquer sur la manière de vivre, ils se retrouvent généralement sur les notions de Bien et de Mal, étant entendu que ces notions sont celles qui font le lien entre les générations et sont transmises par les adultes aux plus jeunes.
Or le film de Gus Van Sant montre autre chose. Les adultes sont bien absents mais ils ne sont pas moqués par les jeunes, sauf une fois par Eric se moquant de la mère d'Alex. Or celui-ci est remis à sa place par celle-la sans qu'il ne poursuive ses moqueries. Tout le film est d'ailleurs sous cet angle. John ne rebelle pas face au proviseur, Michelle accepte ce que lui dit sa professeur etc. Par cette acceptation de l'autorité des adultes, Gus Van Sant montre par contraste que ces adultes ne se comportent pas forcément bien avec ces jeunes.
Les adultes sont donc peu présents dans le film, pas moqués, pas ridiculisés, les valeurs ou les goûts des jeunes ne sont pas particulièrement valorisés. Mais cela n'a pas permis la transmission d'un héritage culturel commun et structurant, laissant aux plus faibles l'opportunité de se comporter non pas de manière immorale mais amorale. Alex et Eric massacrent et se tuent.
La construction du film est, nous l'avons vu, atypique. Pas d'exposition classique des personnage et de la situation. Pas d'objectif clairement déterminé jusqu'à ce qu'Alex et Eric établissent leur plan. Cela fait déjà plus d'une heure que le film a commencé, soit les 2/3. En réalité, la définition de l'objectif coïncide aussi avec le climax du film, moment paroxystique dont on sait que plus rien ne va pouvoir changer désormais le sens de l'histoire racontée. Une fois l'objectif défini, nous suivons donc les deux personnages massacrer leurs camarades et peu d'obstacles se dressent face à eux. Il reste à conclure le film. Alex tue Eric puis il traque Natan et sa fiancée. Il les trouve et les pointe, chantant une comptine. Lui seul est dans le cadre. Ses victimes potentielles n'y sont plus. Le film se finit. Pas d'épilogue apportant la morale définissant le Bien du Mal.Le réalisateur nous laisse avec ce sentiment terrible que ces jeunes tueurs ne sont que des enfants déstructurés et immatures, la chansonnette de fin en témoignant. Mais des immatures qui ne le sont que parce que la société ne leur a pas permis de s'élever tout en leur laissant l'opportunité d'accéder aux outils de la barbarie.


Conclusion
Pas de morale assénée, sinon que ce qui a permis le massacre dans ce lycée n'est pas le produit d'enfants dérangés ou d'éléments externes à la société. La société américaine engendre sa propre barbarie et est responsable de cela autant sinon plus que ceux qui ont perpétré ces assassinats. Les frustrations de certains jeunes ne peuvent pas être masquées par des discours soit-disant tolérants, comme dans le film à propos de l'homosexualité si à côté les attitudes réelles ne changent pas vis-à-vis des homosexuels. Et ce n'est bien évidemment qu'un exemple. Éduquer, apprendre la musique, comme Alex joue Beethoven au piano, n'empêche pas la barbarie. Le philosophe George Steiner l'a écrit. Kubrick l'avait déjà filmé en 1971 dans Orange mécanique.
Mais le film date de 2003. Et en 2012, il y a toujours des massacres dans les lycées américains.

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 26 octobre 2011

Toutes nos envies: quand Lioret filme les maux de nos sociétés modernes

Bonjour à tous,

Philippe Lioret revient en novembre à l'écran avec le 200ème film produit par Rhône-Alpes Cinéma et tourné à Lyon. Je ne pouvais donc pas manquer d'évoquer ce film d'autant que Lioret nous avait époustouflé avec Welcome.
Comme il le dit très justement, son film est une adaptation très libre du livre d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne dont il tire finalement que deux éléments: une affaire judiciaire qui est une histoire vraie, et une histoire humaine qu'il fait se croiser et s'entremêler. Ce blog n'ayant pas pour vocation d'être un blog de critique cinématographique, je m'arrêterai donc sur les choix des scénaristes, Philippe Lioret et Emmanuel Courcol, déjà présent à l'écriture pour Welcome.




La juge, Claire, interprétée par Marie Gillain
1. Une plaie sociale: le surendettement
Ce que Lioret utilise comme fil conducteur est une histoire banale de surendettement qui touche tant de Français et d'Occidentaux. Cette intrigue n'est pas la plus présente à l'écran. Pourtant, chaque spectateur peut reconnaître ce dont il s'agit, qu'il soit victime ou non de ce phénomène. A partir du cas d'une jeune mère de famille qui est en surendettement, Lioret nous amène à comprendre le lent processus qui conduit les plus faibles des sociétés à vouloir consommer, aidés par des offres de prêts bancaires alléchantes. Qu'ils s'appellent "crédit revolving" ou "réserve gratuite", c'est bien de cette société de consommation qu'il s'agit de pourfendre. S'appuyant sur l'oeuvre d'Emmanuel Carrère qui reprenait justement lui-même le cas de deux juges qui réussirent à contrôler les sociétés de crédit pour limiter les cas de surendettement, Lioret montre combien les clients de ces crédits se retrouvent tels des poissons dans les mailles d'un filet de pêche. Plus ils essayent de s'en sortir, plus les mailles se resserrent sur eux. Par quelques séquences, la descente aux enfers de ces familles sont évoquées, sans misérabilisme. La jeune femme doit quitter son appartement pour vivre dans un foyer avec ses enfants. La jeune juge, interprétée par Marie Gillain le découvre par les scellés sur la porte de l'appartement.
La loi semble alors favorable aux puissants, ici les sociétés de crédits puisque l'expulsion a lieu avant la date légale d'impossibilité d'expulsion.
En prenant cette situation de départ, le film propose au spectateur de réfléchir sur des thèmes qui lui sont de plus en plus familier et qui ne lui sont pourtant pas toujours présentés de la même manière notamment dans la presse et surtout à la télévision. Soit la lecture est compassionnelle avec la tragédie des familles expulsées, effaçant les raisons pour lesquelles elles peuvent être justement expulsées du domicile qu'elles occupent, faisant du créancier un immonde personnage, soit c'est le point de vue du propriétaire qui est présenté comme subissant le non-paiement des loyers et le montrant dans l'impossibilité d'être payé ou même de disposer de son bien foncier car la loi protège les occupants pendant la période hivernale.
Ces deux points de vue sont absents du film de Lioret. Pas de compassion sensationnelle sur la famille expulsée. Il aurait pu filmer l'expulsion. On découvre juste les scellés. Au lieu d'une famille détruite, c'est une mère digne qui offre à boire à la juge qui l'aide comme elle peut. Cette partie du film est réalisée de manière très clinique, montrant davantage les rouages et juridiques et judiciaires que vivent les expulsés. Jamais le propriétaire de l'appartement n'est mis en accusation. Il n'est pas responsable. En revanche, les sociétés de crédits sont clairement sur le banc des accusés, notamment quand ils se retrouvent face aux juges. Tout aussi clinique est la description du processus entamé par les deux juges pour trouver une faille dans le rejet par la cour de Cassation de leur action en justice les conduisant à la Cour européenne de justice. Cette froideur technique du droit contraste alors avec le traitement des rapports humains entre les différents protagonistes du film, directs ou indirects.

Claire et Stéphane, deux juges qui se découvrent
par la maladie de Claire
2. Les sociétés occidentales face à la maladie
Ce que montre le film et constitue finalement l'essentiel du récit, c'est une société qui est à la fois de plus en plus encadrée par des lois qui protègent tantôt l'un, tantôt l'autre, qui peut être interprétée par les différents acteurs du monde judiciaire et qui est aussi une société qui demeure dans l'incapacité à gérer ce qui n'est justement pas gérable par la loi. La tumeur qui atteint la juge crée une zone de turbulence familiale sans même que son mari ne s'en rende compte. Parce que le personnage de Marie Gillain ne peut lui dire ce dont elle souffre. La mort qui est l'aboutissement certain de sa maladie lui est insupportable presque davantage pour ceux qui l'entourent que pour elle-même.
Lioret est donc dans une approche, et c'est le paradoxe, beaucoup moins clinique de la maladie de son héroïne que celle de la jeune femme expulsée pour cause de surendettement. Le seul véritable moment où est abordé le traitement et le suivi médical nécessaire est d'ailleurs esquivé par justement un recours à la loi. En effet, le médecin de la juge ne veut pas la laisser partir de l'hôpital sans que son père ne signe une décharge. Ce recours au texte montre que les institutions quelles qu'elles soient ont aussi besoin de la loi pour se protéger tandis que les citoyens peuvent se mettre sous l'autorité traditionnelle du père, bien que la malade soit majeure et depuis longtemps.
Céline (Amandine Dewasmes) prend la place de Claire
sans le savoir
Or si l'institution médicale se défausse finalement derrière l'autorité paternelle et donc familiale, le film montre bien que cette structure familiale n'est pas une valeur en soi. En taisant sa maladie à son mari, elle l'éloigne de son rôle protecteur qui était naguère confié justement à l'homme. Cet éloignement est multiple dans le film. Il est par la distance mise entre la maison familiale, à Lyon et l'hôpital, à Valence. Il vaut aussi par le rôle joué par le collègue interprété par Vincent Lindon qui devient le confident et de fait, joue le rôle normalement dévolu au mari, jusqu'à créer une ambiguïté dans leur relation pour le spectateur. Éloignement encore quand en hébergeant la jeune femme expulsée chez elle, elle crée de fait une concurrente et une épouse de substitution en prévision de sa mort prochaine.


Stéphane, juge et entraîneur du LOU, club de rugby de Lyon

Conclusion
En mêlant et croisant deux histoires par des traitements différents, Lioret réussit à capter une réalité de notre époque. La complexité d'une société réglée par la loi dans lequel l'humain disparaît derrière des intérêts matériels, rendant de plus en plus difficile les relations humaines, y compris au sein de familles qui semblent ne plus échanger que sur du superficiel et non sur des valeurs. Les références au passé de l'héroïne par son mari ne font qu'accentuer ce sentiment. Il sait, il comprend ce qui'anime sa femme dans son métier de juge mais il est incapable de saisir ce qui ne va plus chez elle par rapport à son couple, pour mieux renvoyer la faute sur l'autre juge une fois qu'il a compris. En introduisant des séquences de compétition de rugby, le discours peut apparaître comme simpliste. Sauf qu'il permet de faire une synthèse de la pensée du film. Le rugby ne peut se jouer que dans le cadre des règles, compliquées, mais n'est beau que dans les relations humaines que ces règles permettent: accomplissement de soi dans l'intérêt du collectif. Sans dévoiler la fin du film, le personnage de Lindon résout comme un rugbyman les deux trames dramatiques du film: dans le cadre des règles, les personnages réussissent leur mission dans un intérêt collectif.

A bientôt

Lionel Lacour

samedi 15 octobre 2011

L'ordre et la morale: l'Histoire oubliée au cinéma?

Bonjour à tous,

Depuis les récits de la Résistance d’après guerre jusqu’aux évocations de la décolonisation de l’empire français, le cinéma français a montré ses difficultés récurrentes à aborder des thèmes douloureux. Peu de cinéastes ont en effet osé évoquer la collaboration ou la guerre d’Algérie sans risquer de se faire critiquer par les politiques comme étant des contempteurs de leur pays. Que ce soit Marcel Ophuls pour Le chagrin et la pitié évoquant avant Paxton une France moins résistante qu’enseignée dans les écoles ou Yves Boisset dans R.A.S., évoquant la guerre d'Algérie,  chaque film évoquant le passé proche avec un regard différent de celui qui glorifie les héros nationaux est régulièrement dénoncé par les chantres de la France éternelle et infaillible. Nous sommes donc loin du cinéma américain qui s’empare régulièrement des sujets mettant sur la sellette les Etats-Unis quand les agissements de ses dirigeants deviennent contraires à l’idéal justement prôné par ce pays qui s’impose encore comme un modèle.
Mathieu Kassovitz s’est donc attaqué à un de ces sujets qui fâche. Du moins qui risque de fâcher certains. En 1988, autour de l’élection présidentielle française, des Kanaks tuaient des gendarmes et en prenaient en otages quelques autres sur l’île d’Ouvéa, en Nouvelle Calédonie. Pour la première fois au cinéma, son film L’ordre et la morale qui sortira le 16 novembre 2011, évoque cette histoire, d’après le livre du capitaine Legorjus La morale et l’action, en mettant en avant les contradictions entre l’histoire racontée aux Français au moment des faits et celle que les témoins de cette prise d’otages ont pu vivre.

Mathieu Kassovitz dans le rôle du capitaine Philippe Legorjus
1. Histoire officielle et point de vue de cinéma
L’ordre et la morale raconte la prise d’otage par des indépendantistes Kanaks ayant eu lieu du 22 avril au 5 mai 1988, soit commençant juste avant le premier tour des élections présidentielles françaises et se finissant deux jours avant le deuxième tour dans lequel s’affrontaient le président sortant, François Mitterrand, socialiste, et Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation depuis 1986 puisque il était président du RPR, premier parti d’opposition à la majorité présidentielle. En 1986, il dirigeait le gouvernement après la victoire de la coalition de droite, RPR et UDF, aux élections législatives du 16 mars.
Le film de Mathieu Kassovitz n’est pas en soi une chronique politique. Il part du point de vue exclusif du personnage principal qu’il interprète lui-même, le capitaine Philippe Legorjus qui dirige un groupe du GIGN missionné pour négocier avec les ravisseurs de gendarmes. En commençant le film par une séquence montrant la fin de cette prise d’otage dont on comprend qu’elle fut violente et qui annonce d’emblée qu’elle constitue un échec pour le capitaine, Kassovitz cerne clairement son sujet : il ne s’agira pas de créer un quelconque suspens sur le sort des gendarmes ou des ravisseurs kanaks. Par la voix off de la première séquence et les images montées à l’envers, le réalisateur raconte avant tout l’histoire d’un échec pour tous ceux qui auront participé, de près ou de loin à cette prise d’otage, que ce soient les Kanaks, ceux du FLNKS, les gendarmes, l’armée et les politiques.
En optant pour le point de vue du capitaine Legorjus, Kassovitz propose une représentation très étroite de ce que chef du GIGN perçoit. Legorjus passe d’une réunion avec le général de l’armée, Vidal, à la découverte de la gendarmerie attaquée par les indépendantistes kanaks pour finalement se retrouver dans la forêt d’Ouvéa et se confronter à Alphonse Dianou, chef des rebelles, dans la grotte qui abritaient les otages. Ce qui se passe en dehors de son champ de vision lui est rapporté par des témoins externes, un kanak, le commandant Prouteau à l’Elysée, le ministre Bernard Pons, le général Vidal, une journaliste ou encore la télévision.
Kassovitz constitue donc une mosaïque désordonnée d’informations que le capitaine Legorjus doit assemblée pour pouvoir exécuter ce pour quoi il a été envoyé : négocier la libération des gendarmes de la « grotte d’Ouvéa ».

Le ministre Bernard Pons,
interprété par Daniel Martin
2. Le spectateur : témoin en Nouvelle Calédonie
Par son film, Kassovitz s’adresse à deux types de spectateurs. Ceux qui se souviennent de cet épisode qui faisait la une des journaux entre les deux tours de l’élection présidentielle et ceux qui ignoraient jusqu’à l’existence de ce qui avait pu se passer dans ce territoire d’outre-mer.
Le point de vue adopté permet pour la première catégorie de se mettre alors de l’autre côté du miroir. Jusqu’alors, les seules sources d’informations qui étaient disponibles étaient celles émanant des politiques. La barbarie dont étaient coupables les ravisseurs kanaks ne faisait aucun doute. En reprenant les images télévisées du débat entre les deux finalistes de la présidentielle, Kassovitz rappelle combien l’information était avant tout une information politique. Mieux, en montrant ces images comme nous regarderions la télévision et non en les intégrant directement dans le montage, le spectateur de son film redevient le spectateur de ce qu’il a justement vu il y a 23 ans. Le spectateur se regarde de fait regarder le débat dans lequel Chirac présente la situation comme étant intenable et sans autre solution que le recours à la force.
Pour les autres, ceux n’ayant pas connu cette période, c'est-à-dire les plus jeunes, ils apprennent par ce film combien cet événement a pu marquer l’élection présidentielle en devenant un enjeu lors du débat, Chirac se présentant comme le garant de l’autorité française, où que ce soit sur le territoire français, faisant passer Mitterrand comme un faible face aux rebelles tandis que ce dernier cherchait à faire de Chirac un oppresseur n’ayant aucune volonté d’apaiser les choses.

Les hommes du GIGN et de Legorjus faits prisonniers par
Alphonse Dianou et ses hommes
sur l'île d'Ouvéa
3. Un film document, un film de cinéma
En optant pour le point de vue de Legorjus, Kassovitz a donc transféré les spectateurs loin du point de vue hexagonal relayé par les politiques. Les seuls liens avec la France passent par la technologie de communication. Legorjus appelle Prouteau qui lui apprend la position, ambiguë d’ailleurs, de Mitterrand. Et il suit à la télévision le débat entre Mitterrand et Chirac.
Par sa première séquence, le film peut alors se dérouler comme une chronique que Legorjus se charge de raconter aux spectateurs a posteriori. Rythmant chaque séquence par le nombre de jours qui sépare ce qui est à l’écran de l’assaut final, Kassovitz ménage non un suspens quant à l’issue des négociations, mais une interrogation permanente : comment en est-on arrivé là,? Question posée dès le début du film.
Kassovitz a gardé les noms des lieux, des personnages quels qu’ils soient qui ont été partie prenante. Pas d’artifices qui pourrait perturber la lecture du film. Il s’agit bien d’un récit qui se veut précis. Pourtant, son film reste l’œuvre d’un cinéaste qui s’imprègne de son histoire. Dans un discours répété et qui devait être donné à la presse, Alphonse Dianou tient des propos d’un grand humanisme destiné au Président et aux Français, faisant office aussi de pardon pour le sang qui a coulé. Or, de l’aveu même du réalisateur, ces propos ne sont pas d’Alphonse Dianou mais bien de Kassovitz lui-même.
La cohérence est malgré tout évidente entre le propos du film tout entier et le discours de Dianou. Celui d’un grand gâchis.
Car Kassovitz profite de sa chronique pour rappeler le pourquoi de la présence française en Nouvelle Calédonie. Les arguments s’empilent et sont donnés par différents protagonistes. En évoquant la barbarie des ravisseurs, il y a bien sûr, sous-jacent, la vieille illusion coloniale de la mission civilisatrice que la France s’était assignée, avec d’autres puissances européennes, au XIXème siècle. Mais la richesse en Nickel de l’île est également une autre raison pour maintenir la présence française dans ce territoire si éloigné de la métropole. Il y a enfin, et la présence militaire en témoigne, un message lancé à tous les mouvements indépendantistes qui pourraient se manifester dans ces fameux « confettis de l’empire » qui restent français. La grandeur de la France ne peut se permettre d’accepter une nouvelle décolonisation comme elle l’a connue en Algérie.
Dès lors, au jour le jour, Kassovitz- Legorjus découvre que sa mission a de moins en moins de chance d’aboutir alors même que sa négociation semblait triompher. La présence de l’armée de Terre démontre que le pays est en guerre contre ces rebelles. Les politiques, les Chiraquiens d’abord et finalement Mitterrand aussi, n’ont que faire de ces Kanaks. Kassovitz ne cherche pas à épargner les indépendantistes puisque les grands absents de son film sont les dirigeants du FLNKS, ce mouvement indépendantiste kanak. Et s’ils sont absents de l’image, c’est parce qu’ils auraient été absents des négociations et donc d’une sortie possible de crise sans sang versé.
Au carnage relayé par les médias commis par les hommes d’Alphonse Dianou répond celui encore plus important de l’armée de Terre et des hommes du GIGN commandés par Legorjus lui-même. Avant de participer à l’attaque des insurgés dans la grotte, au péril même de la vie des otages, Kassovitz propose aux spectateurs deux séquences justifiant le titre du film, outre le fait que l’idée de rétablir « l’ordre et la morale » soit prononcée par Bernard Pons dans le film. En effet, quand Legorjus se retrouve peu de temps avant l’assaut seul avec le général Vidal, celui-ci lui rappelle ce qu’est un militaire : un homme qui peut ordonner à ses hommes d’aller se faire tuer mais qui n’obéit qu’aux ordres du politique. Le militaire ne peut donc agir selon sa morale mais bien au nom d’une morale supérieure, non en valeur, mais en autorité. Etre militaire, c’est accepter cela. Et tandis que jamais Legorjus ne semble manifester d’émotions face aux ordres ou décisions qui pourraient apparaître comme inefficaces ou contre-productifs, Kassovitz montre à une seule occasion l’humanité de son personnage. Alors qu’il appelle sa femme en France, la caméra le filme de dos devant la cabine téléphonique, ne laissant pas transparaître des larmes qu’on peut imaginer mais qui ne sont pas montrées. Un militaire ne peut pas avoir d'état d'âme, selon la définition de Vidal. Ce qui conduira Legorjus à trahir la confiance que Dianou avait mis en lui et à participer à l'assaut contre les rebelles kanaks.
En effet, alors que l’Elysée et donc Mitterrand semblaient jusque là épargnés par le film, accablant le camp chiraquien, c’est bien par la signature de Mitterrand que l’assaut de la grotte tenue par Alphonse Dianou a pu être donné, alors même qu'ils étaient prêts à se rendre. L'attaque des différents corps d'armée entraîna alors un massacre parmi les ravisseurs rebelles.
Après l’assaut, Kassovitz rappelle alors les conséquences directes et plus lointaines du massacre de la grotte d’Ouvéa : le départ du GIGN du capitaine Legorjus suivant finalement les conseils du Général Vidal, l’amnistie proclamée par Mitterrand après sa réélection, les incohérences entre les témoignages de l’assaut montrant que certains Kanaks ont été tués après l’intervention militaire et non pendant, le processus d’indépendance entamée par le gouvernement Rocard devant se conclure en 2014 par référendum.

Un Kanak violenté par un soldat de l'armée de Terre
Conclusion
En abordant un tel sujet, Kassovitz renoue avec un cinéma engagé, en tant que réalisateur ou en tant qu’acteur. Certains pourront voir en Legorjus, du moins durant une partie du film, un lien avec le prêtre qu’il interprétait dans Amen de Costa Gavras. Nul doute que les critiques iront davantage sur le sujet que sur la qualité du film lui-même. Le film de Kassovitz, bien qu’évoquant un événement ayant eu lieu il y a 23 ans s’inscrit dans un discours de plus en plus présent, celui d’une contestation d’un modèle de civilisation qui s’appuie sur l’exploitation massive, la compétition et sur l’individualisme quand celui des Kanaks s’appuie sur le respect des anciens, l’échange et la communauté. Il est même fort à parier qu’il sera reproché de pousser la Nouvelle Calédonie et les Kanaks à quitter le giron de la France en ravivant les plaies. Les Français ayant suivi ces événements seront être heurtés par la présentation des faits qui semble minimiser ce qui est reproché à Alphonse Dianou et ses hommes, puisqu’ils ont tout de même tué des gendarmes. Mais ils verront aussi que justement, la vision officielle n’est pas la seule vérité possible. Pour les plus jeunes spectateurs, la leçon est double. Celle sur un événement occulté des leçons d’Histoire de collège et de lycée et jamais évoqué dans les médias depuis plus de vingt ans. Mais c’est aussi une leçon de méfiance quant au discours officiel en général qui depuis 1988 a souvent été pris en défaut, en France comme ailleurs.