Le photographe William Karel a donc été de presque tous les films du cinéaste Maurice Pialat. Il a réussit à faire de cette proximité physique, artistique et affective un point de vue très pointu et nuancé sur le réalisateur de Sous le soleil de Satan.
Biographie presque classique puisque son documentaire suit scrupuleusement la chronologie du parcours artistique de Pialat, de ses désirs de devenir peintre jusqu'à ses presque derniers instants, elle est également une analyse moins des films que de leurs conditions de création.
Il en ressort alors un portrait d'un homme tourmenté à la fois par sa propre vie, Pialat introduisant de sa propre vie dans chacun de ses films, à quelques rares exceptions près, mais également par sa volonté de se détacher de la reproduction factice d'un réel par un jeu de comédien trop bien huilé. Serge Toubiana, l'ancien directeur de la Cinémathèque le résume d'une formule à la fois convenue mais particulièrement vraie pour Pialat qui ne voulait pas voir les acteurs "jouer" mais "être" le personnage qu'ils interprétaient.
De fait, le documentaire montre beaucoup cette sorte de schizophrénie de Pialat, devant à la fois composer avec les contraintes techniques et économiques de la production d'un film et son désir de saisir l'instant le plus "vrai" du jeu des comédiens, leur demandant un naturel jusqu'à les pousser cruellement au-delà de leurs limites. De ce point de vue, William Karel n'épargne pas le cinéaste dont on sent pourtant toute l'admiration qu'il éprouve à son endroit. Les témoignages de Nathalie Baye ou de Sophie Marceau sont saisissants sur ce que recherchait Pialat. D'ailleurs, même avec Depardieu, les débuts furent difficiles. Et Sandrine Bonnaire de confirmer toute l'ambiguïté des relations de travail avec celui qui fut son mentor.
Le documentaire de William Karel donne ainsi à voir un homme tourmenté durant ses périodes créatives, recherchant un absolu comme le personnage de Depardieu dans Sous le soleil de Satan, aspirant à la fois à la popularité tout en n'hésitant pas à cliver, comme lorsqu'il reçut la Palme d'or en 1987. Au public dont une partie le sifflait, Pialat lançait calmement "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus". Cette sincérité d'écorché vif ne peut au contraire qu'attendrir et le faire aimer, même après sa mort en 2003. Mais ça, il le savait déjà.
Sous le soleil de Pialat (52 min, 2021) de et en présence de William Karel, accompagné par Sylvie Pialat