Bonjour à tous,
Quoi? Un singe en hiver en ouverture du Festival Lumière? Quelle idée? Certains ronchons vont trouver la programmation saugrenue, pas à la hauteur d'un événement qui annonce Tarantino comme lauréat du Prix Lumière et une série de rétrospective invraisemblable et hétéroclite. D'autres se délectent déjà de ce plaisir que de voir, et certainement revoir ce bijou de fantaisie du cinéma français, et sur un très très grand écran! Parce que ceux là ne prennent pas le cinéma pour ce qu'il n'est pas. Un art snob.
Non, le cinéma, celui que le directeur du Festival célèbre pour la cinquième fois à Lyon, est un cinéma qui veut rassembler toutes les cinéphilies. Et quoi de plus juste alors que ce double choix?
Tarantino pour le prix Lumière. Connaît-on plus amoureux du cinéma, lui qui n'arrive pas à envisager de voir des films autrement que sous la forme de pellicule? C'est le récipiendaire parfait pour l'esprit Lumière. Celui qui touche tous les publics.
Un singe en hiver en ouverture. Existe-t-il un film qui symbolise à ce point l'unité retrouvée d'un cinéma français qui rayonnait alors dans le monde entier?
Parce que pour le coup, il faut s'arrêter un petit moment sur ce film.
En 1962, Henri Verneuil retrouvait pour la troisième fois le monstre du cinéma hexagonal, Jean Gabin, et notamment un an après Le président, biographie d'un président du conseil imaginaire qui aurait pu ressembler à Clémenceau mais aussi à de Gaulle. Verneuil s'entoura aussi du fidèle Michel Audiard. Quatrième collaboration. Et quelle collaboration! Une adaptation somptueuse du livre d'Antoine Blondin, respectueuse de la poésie de celui qui aimait aussi le peuple, sans aucune acception péjorative à ce mot.
Enfin, le deuxième personnage principal est tenu par Jean-Paul Belmondo. Mais d'où sort-il celui-là? Que vient-il faire dans ce cinéma qui ne le regarde pas, lui le comédien tellement lié à Godard qu'il semble porter à lui tout seul l'idée même de la Nouvelle Vague qui a tant raillé le cinéma de Verneuil, de Gabin et des autres, Nouvelle Vague qu'Audiard étrillait à son tour, rappelant qu'elle était devenue plus vague que nouvelle!
Voici donc, comme dans les jeux pour enfants, celui de cherchez l'intrus. Pourtant, tout semble fonctionner à merveille. Film passage de témoin entre le monstre sacré et le jeune premier promis à une carrière monstrueuse à son tour. Les voici les deux en train de s'apprivoiser, l'un à essayer de changer de vie, l'autre à vouloir retrouver la sienne. Le point d'intersection est l'alcool, la gnôle, le vin, tout ce qui se boit et conduit à l'ivresse. Parce qu'Audiard sait, mieux que quiconque, faire dire à ses personnages, des répliques dites cultes, devenues parfois aphorisme. "Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse" dit un Gabin devenu sobre pendant des années à son épouse, Suzanne Flon, épouse modèle.
Que s'est-il donc passé? Albert Quentin a rencontré Gabriel Fouquet. En vérité, Gabin a rencontré Belmondo. Car c'est bien cela que Verneuil a réussi à faire. Comme en mathématiques, il y a un point de symétrie entre ces deux binômes, l'un de personnages de fiction, l'autre d'acteurs. C'est Suzanne Flon qui fait office de point de symétrie, elle dont le prénom est le même que celui de son personnage. Cela laisse penser que cette rencontre était bien la réunion voulue par Verneuil de deux cinémas, dont l'un aurait commencé à ennuyer ferme la jeunesse. Gabin / Quentin s'ennuie aussi dans son confort.Et il le fait savoir à Suzanne qui veut le maintenir dans sa quiétude. Il faut alors lui entendre dire ce qu'il ressent de ses années d'abstinence et de mesure dans son hôtel de la côte Normande:
"Ecoute ma bonne Suzanne, tu es une épouse modèle. Mais si, tu n'as que des qualités et physiquement, tu es restée comme je pouvais l'espérer, c'est le bonheur rangé dans une armoire. Et tu vois, même si c'était à refaire, je crois que je t'épouserais de nouveau... mais tu m'emmerdes. Tu m'emmerdes, gentiment, affectueusement, avec amour. Mais tu m'emmerdes!"
Mais à revoir, c'est tout de même mieux!
Et c'est alors parti pour une aventure improbable entre deux êtres que tout oppose. L'âge, les rêves, le présent et le passé. Quand Gabin se remémore la Chine et le Yang Tsé, nostalgie d'une France impériale qui n'est plus, Belmondo rêve de l'Espagne, déjà l'Europe, horizon moins lointain mais plus réaliste quant à ce vers quoi doit désormais s'orienter la puissance française.
Ces deux France se téléscopent autour d'une culture commune, le vin, mais sont déjà de deux mondes différents. Le village normand renvoie au monde traditionnel, à la ruralité. Belmondo est un urbain, nomade volontaire, aventurier moderne pour les anciens attachés à leurs terres.
Le résultat du film est saisissant. Audiard a su écrire pour Belmondo une partition formidable qui laissait à Gabin sa stature de commandeur et au jeune acteur la place nouvelle que le cinéma nouveau pouvait convoiter. Verneuil fit un coup de maître. Qu'il allait rééditer l'année suivante avec l'autre étoile montante du cinéma français, attaché au cinéma de Visconti. Dans Mélodie en sous-sol, Gabin rencontrait aussi Delon comme il avait rencontré Belmondo un an auparavant.
Belmondo n'allait plus tourné ensuite avec Gabin mais il fut régulièrement le premier rôle d'Henri Verneuil, le cinéaste qui avait réuni les deux branches du cinéma français. Le schisme allait durer malgré tout longtemps. Belmondo ne participa pas à ce conflit sans intérêt. C'est ce qui fait de lui un des comédiens préférés des Français, monument du 7ème art à part entière. Ainsi, programmer en soirée d'ouverture du 5ème Festival Lumière Un singe en hiver, c'est renouer avec ce que Verneuil avait réussi.
Mais inviter Jean-Paul Belmondo sur la grande scène de la Halle Tony Garnier de Lyon, c'est rendre hommage à l'immense artiste qu'il est, qui ne s'est jamais pris pour autre chose que ce qu'il n'était, un comédien, maillon d'une chaîne d'un art populaire de qualité. Adulé par les admirateurs de Godard, reconnu pour ses interprétations de films de Lelouch, pitre mémorable pour Lautner, Jean-Paul Belmondo a plus que sa place au Festival Lumière. Il est la synthèse exacte de ce que Thierry Frémaux recherche dans ce Festival, amoureux du cinéma, du cinéma pour tous si j'osais le dire.
Un singe en hiver, soirée d'ouverture du Festival Lumière, 14 octobre 2013 (déjà complète)
Et pour le voir pendant le festival, consulter le site du Festival Lumière 2013
http://www.festival-lumiere.org/
À très bientôt
Lionel Lacour
Quoi? Un singe en hiver en ouverture du Festival Lumière? Quelle idée? Certains ronchons vont trouver la programmation saugrenue, pas à la hauteur d'un événement qui annonce Tarantino comme lauréat du Prix Lumière et une série de rétrospective invraisemblable et hétéroclite. D'autres se délectent déjà de ce plaisir que de voir, et certainement revoir ce bijou de fantaisie du cinéma français, et sur un très très grand écran! Parce que ceux là ne prennent pas le cinéma pour ce qu'il n'est pas. Un art snob.
Non, le cinéma, celui que le directeur du Festival célèbre pour la cinquième fois à Lyon, est un cinéma qui veut rassembler toutes les cinéphilies. Et quoi de plus juste alors que ce double choix?
Tarantino pour le prix Lumière. Connaît-on plus amoureux du cinéma, lui qui n'arrive pas à envisager de voir des films autrement que sous la forme de pellicule? C'est le récipiendaire parfait pour l'esprit Lumière. Celui qui touche tous les publics.
Un singe en hiver en ouverture. Existe-t-il un film qui symbolise à ce point l'unité retrouvée d'un cinéma français qui rayonnait alors dans le monde entier?
Parce que pour le coup, il faut s'arrêter un petit moment sur ce film.
En 1962, Henri Verneuil retrouvait pour la troisième fois le monstre du cinéma hexagonal, Jean Gabin, et notamment un an après Le président, biographie d'un président du conseil imaginaire qui aurait pu ressembler à Clémenceau mais aussi à de Gaulle. Verneuil s'entoura aussi du fidèle Michel Audiard. Quatrième collaboration. Et quelle collaboration! Une adaptation somptueuse du livre d'Antoine Blondin, respectueuse de la poésie de celui qui aimait aussi le peuple, sans aucune acception péjorative à ce mot.
Enfin, le deuxième personnage principal est tenu par Jean-Paul Belmondo. Mais d'où sort-il celui-là? Que vient-il faire dans ce cinéma qui ne le regarde pas, lui le comédien tellement lié à Godard qu'il semble porter à lui tout seul l'idée même de la Nouvelle Vague qui a tant raillé le cinéma de Verneuil, de Gabin et des autres, Nouvelle Vague qu'Audiard étrillait à son tour, rappelant qu'elle était devenue plus vague que nouvelle!
Voici donc, comme dans les jeux pour enfants, celui de cherchez l'intrus. Pourtant, tout semble fonctionner à merveille. Film passage de témoin entre le monstre sacré et le jeune premier promis à une carrière monstrueuse à son tour. Les voici les deux en train de s'apprivoiser, l'un à essayer de changer de vie, l'autre à vouloir retrouver la sienne. Le point d'intersection est l'alcool, la gnôle, le vin, tout ce qui se boit et conduit à l'ivresse. Parce qu'Audiard sait, mieux que quiconque, faire dire à ses personnages, des répliques dites cultes, devenues parfois aphorisme. "Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse" dit un Gabin devenu sobre pendant des années à son épouse, Suzanne Flon, épouse modèle.
Que s'est-il donc passé? Albert Quentin a rencontré Gabriel Fouquet. En vérité, Gabin a rencontré Belmondo. Car c'est bien cela que Verneuil a réussi à faire. Comme en mathématiques, il y a un point de symétrie entre ces deux binômes, l'un de personnages de fiction, l'autre d'acteurs. C'est Suzanne Flon qui fait office de point de symétrie, elle dont le prénom est le même que celui de son personnage. Cela laisse penser que cette rencontre était bien la réunion voulue par Verneuil de deux cinémas, dont l'un aurait commencé à ennuyer ferme la jeunesse. Gabin / Quentin s'ennuie aussi dans son confort.Et il le fait savoir à Suzanne qui veut le maintenir dans sa quiétude. Il faut alors lui entendre dire ce qu'il ressent de ses années d'abstinence et de mesure dans son hôtel de la côte Normande:
"Ecoute ma bonne Suzanne, tu es une épouse modèle. Mais si, tu n'as que des qualités et physiquement, tu es restée comme je pouvais l'espérer, c'est le bonheur rangé dans une armoire. Et tu vois, même si c'était à refaire, je crois que je t'épouserais de nouveau... mais tu m'emmerdes. Tu m'emmerdes, gentiment, affectueusement, avec amour. Mais tu m'emmerdes!"
Mais à revoir, c'est tout de même mieux!
Et c'est alors parti pour une aventure improbable entre deux êtres que tout oppose. L'âge, les rêves, le présent et le passé. Quand Gabin se remémore la Chine et le Yang Tsé, nostalgie d'une France impériale qui n'est plus, Belmondo rêve de l'Espagne, déjà l'Europe, horizon moins lointain mais plus réaliste quant à ce vers quoi doit désormais s'orienter la puissance française.
Ces deux France se téléscopent autour d'une culture commune, le vin, mais sont déjà de deux mondes différents. Le village normand renvoie au monde traditionnel, à la ruralité. Belmondo est un urbain, nomade volontaire, aventurier moderne pour les anciens attachés à leurs terres.
Le résultat du film est saisissant. Audiard a su écrire pour Belmondo une partition formidable qui laissait à Gabin sa stature de commandeur et au jeune acteur la place nouvelle que le cinéma nouveau pouvait convoiter. Verneuil fit un coup de maître. Qu'il allait rééditer l'année suivante avec l'autre étoile montante du cinéma français, attaché au cinéma de Visconti. Dans Mélodie en sous-sol, Gabin rencontrait aussi Delon comme il avait rencontré Belmondo un an auparavant.
Belmondo n'allait plus tourné ensuite avec Gabin mais il fut régulièrement le premier rôle d'Henri Verneuil, le cinéaste qui avait réuni les deux branches du cinéma français. Le schisme allait durer malgré tout longtemps. Belmondo ne participa pas à ce conflit sans intérêt. C'est ce qui fait de lui un des comédiens préférés des Français, monument du 7ème art à part entière. Ainsi, programmer en soirée d'ouverture du 5ème Festival Lumière Un singe en hiver, c'est renouer avec ce que Verneuil avait réussi.
Mais inviter Jean-Paul Belmondo sur la grande scène de la Halle Tony Garnier de Lyon, c'est rendre hommage à l'immense artiste qu'il est, qui ne s'est jamais pris pour autre chose que ce qu'il n'était, un comédien, maillon d'une chaîne d'un art populaire de qualité. Adulé par les admirateurs de Godard, reconnu pour ses interprétations de films de Lelouch, pitre mémorable pour Lautner, Jean-Paul Belmondo a plus que sa place au Festival Lumière. Il est la synthèse exacte de ce que Thierry Frémaux recherche dans ce Festival, amoureux du cinéma, du cinéma pour tous si j'osais le dire.
Un singe en hiver, soirée d'ouverture du Festival Lumière, 14 octobre 2013 (déjà complète)
Et pour le voir pendant le festival, consulter le site du Festival Lumière 2013
http://www.festival-lumiere.org/
À très bientôt
Lionel Lacour