mercredi 28 août 2013

Rendez-nous l'île aux enfants!

Bonjour à tous,

D'accord, je vais évoquer avec nostalgie une série des programmes jeunesse de TF1 à une époque que les moins de 20 ans (et peut-être plus) ne peuvent pas connaître, sinon par les extraits que les émissions se nourrissant des archives télévisuelles proposent à des spectateurs en quête de retrouver des émotions d'enfants de la télé. Pardon pour cet article éloigné du cinéma. Il est même complémentaire. Quand je vais au cinéma, j'ai une démarche active. C'est pareil pour les enfants qu'on emmène voir un film. Les parents choisissent normalement un film en fonction des valeurs qu'ils souhaitent transmettre à leur progéniture, sauf pour les plus fondus des parents! Alors pourquoi ce ne serait pas la même chose pour la télévision?




C'était mieux avant!
Il fut un temps où les parents pouvaient en effet sans grand risque laisser leurs enfants devant cet objet magique, avec seulement trois chaînes au plus avant 1984, sans se soucier de la nature des programmes. La violence était à son comble avec Mannix ou des (déjà) rediffusions des Mystères de l'ouest. Et pour les séries les plus intelligentes, les jeunes spectateurs pouvaient réfléchir avec Columbo, trembler avec Le prisonnier, découvrir l'humour britannique de Chapeau melon et bottes de cuir ou Amicalement vôtre, ou encore plonger dans l'angoisse du Prisonnier ou plus tard de L'île aux trente cercueils. Les séries américaines remplissaient déjà les créneaux horaires avec L'homme qui valait trois milliards ou Super Jaimie, mais aussi Kung Fu et bien d'autres encore. La création française proposait de son côté Les brigades du tigre, Maigret ou Les cinq dernières minutes.
Quant aux émissions en plateau, autant dire qu'elle n'étaient pas particulièrement provocatrice mais elles permettaient aux spectateurs de s'élever avec les interventions de spécialistes, comme pour "Aujourd'hui Madame" ou faisaient appel à des chansonniers ayant un discours sur le monde et pas sur leur banale vie quotidienne, que ce soit "Le petit rapporteur" avec Jacques Martin ou "Et bien, Raconte" avec Jean Amadou. Il n'y a plus "Aujourd'hui Madame" mais "Toute une histoire"... pour bien faire couler les larmes des témoins, de l'animatrice et, c'est l'ambition du programme, des téléspectatrices. Télé émotion!

Les programmes les plus "sensibles" ne passaient de toute façon pas en journée mais en soirée, à cette époque où l'horaire indiqué sur les programmes, 20h30, était bien celui de diffusion de l'émission!
Ce (trop) rapide panorama de la diffusion télévisuelle en France - et peut-être ailleurs - est bien sûr teinté de la nostalgie de celui qui a connu ses premiers héros à cette époque. Il oublie forcément nombre d'émissions de qualité et surtout de qualité médiocre. Pourtant, même les jeux les plus ringards de cette décennie comme "Les Jeux de 20h" sur FR3 ne cherchaient pas autre chose qu'à divertir. Chaque jour, 3 invités, chansonniers ou comédiens, jouaient avec des spectateurs sur la langue française, ou encore sur des énigmes. Point d'humiliations à la "Fort Boyard", point de longue réflexion pour une question relevant de l'école primaire avec musique de thriller américain. Et au total, 50 Francs (7€62!) à gagner! Même réactualisé, ça ne ferait pas lourd aujourd'hui au regard des sommes vertigineuses mises en jeu pour répondre à des question de culture générale très... générale!
Alors pourquoi ce regret de ne plus avoir cette télévision?
La qualité des séries américaines s'est tout de même nettement améliorée. Les comédies comme les séries policières proposent des scénarios autrement plus sophistiqués, des personnages bien mieux construits que ceux des années 1970. Le problème est que cette qualité est devenue si patente que la production française a alors subi le décalage de plein fouet, amenant les chaînes à sous produire des séries policières aux scénarios indigents, cherchant à copier un modèle sans en avoir aucun des moyens. La palme revient, pour moi, à la série Diane femme flic, chef-d'œuvre du foutage de gueule télévisuel. La conséquence est alors immédiate: diminution drastique de la production télévisuelle française, programmation sur des créneaux horaires peu risqués, programmation, parfois jusqu'à l'écœurement des séries américaines qui fonctionnent - Les experts, toutes villes confondues, semblent faire à ce titre de l'occupation télévisuelle sur TF1! - et remplissage des créneaux restant par des programmes bon marché.

Des émissions idiotes pour s'imaginer intelligent
Quels sont donc ces programmes qui coûtent peu et qui rapportent beaucoup? Quand "Les jeux de 20h" rapportaient aux candidats 50 F, "Money Drop" sur TF1 ou "Le quatrième duel" sur France 2 peuvent rapporter plusieurs dizaines de milliers d'euros (pour rire, je rappelle que 50 000 euros, somme maximum gagnable par le vainqueur du "Quatrième duel", c'est...environ 328 000 Francs soit 6 560 fois plus qu'un gagnant des "Jeux de 20h"!). Ces jeux attirent des spectateurs sur des créneaux horaires d'après la journée de travail, sont formatés pour pouvoir être vus d'un œil distrait, avec des questions-réponses qui s'éternisent. Mieux, les spectateurs peuvent jouer via un service sms ou téléphonique très onéreux pour répondre à une question dont la réponse a déjà été donnée! Ce créneau horaire se trouve avoir été celui des enfants pendant longtemps. "L'île aux enfants", "1 Rue Sésame" et autres émissions pour les moins de 15 ans se trouvaient dans cette tranche, entre 17h et 19h. Aujourd'hui, plus de plage horaire leur étant réservée, mais des chaînes entières, avec diffusion sans relâche de séries, dessins animés, programmes musicaux, le tout entrecoupé de publicité dont ils sont les cibles exclusives. Point de visée pédagogique comme les programmes de Christophe Izard, créateur de "L'île aux enfants". Juste une orgie de programmes financés par la publicité ciblée et, là aussi, des jeux par téléphone avec des numéros surtaxés.
Parfois, les enfants n'ont pas accès à ces chaînes. Alors, ils regardent dans le séjour l'émission diffusée par la télévision, quelle que soit la chaîne. Parce que la télévision est parfois allumée comme une présence artificielle. On ne la regarde pas. On passe devant. Et puis on s'arrête devant une question débile à laquelle n'importe quel élève de 5ème pourrait répondre. On se désole de ce vide intersidéral des candidats. Parfois des animateurs eux-mêmes, comme des les "Douze coups de midi". Mais un enfant ne voit comme modèle d'adulte à la télévision que cela. Forcément, les jeux plus intelligents, ça devient pénible puisqu'ils ne savent pas y répondre. Or les chaînes de télé les habitue à pouvoir répondre à (presque) toutes les questions. La preuve qu'ils sont intelligents! Et avant? Et bien avant, on était stupéfait de voir un candidat qui n'avait pas son bac répondre à des questions particulièrement pointues en Histoire, en Géographie ou en Littérature. Aujourd'hui, on voit des ingénieurs ne pas savoir quel président a précédé Jacques Chirac à l'Élysée alors que nous le savons. C'est bien la preuve qu'on vaut un ingénieur. Et quand on met un peu d'intelligence et de réflexion dans un programme, l'audience se limite rapidement. Pas étonnant que ces programmes soient, à quelque très rares exceptions, tardifs. On peut à ce titre s'étonner de la suppression de l'émission "C'est pas sorcier" sur France Télévision. Pour sûr, les enfants risquaient d'apprendre quelque chose! Il aurait été dommage de poursuivre cette aventure!

Mais le comble est bien sûr l'omniprésence de la téléréalité. Ce modèle, introduit en France avec "Loftstory" sur M6 il y a plus de 10 ans a fini de s'insinuer dans toutes les strates de la télévision, jusqu'à contaminer les journalistes d'investigations qui se mettent en scène dans leurs reportages. Si ce dernier point relève d'un marketing, l'existence d'émissions comme "Secret story" ou "Les anges de la téléréalité" relèvent bien de l'ignominie. La mise en scène de citoyens lambda, sélectionnés pour leur degré élevé d'ignorance et de bêtise, à la conversation limitée à l'intégrale de Voici est devenu un rendez-vous presque obligé pour des jeunes adolescents dont beaucoup n'ont pas la chance de pouvoir comprendre qu'il ne s'agit pas de la vraie vie. Cette culture du vide, honteusement vantée en son temps par certains intellectuels comme Daniel Schneidermann, habitue nos jeunes générations à se complaire dans la médiocrité. Quelqu'un disait (la source me manque) qu'avant, il fallait faire quelque chose pour être connu alors que maintenant, il fallait être connu pour faire quelque chose. Ceci est terrible. Mais le pire, c'est que ce n'est même pas vrai. Sur le nombre d'émissions de téléréalité pure, qui peut dire vraiment avoir fait quelque chose? Cela se compte sur les doigts d'une main. Et encore, cette notoriété exploitée n'aura qu'un temps. Celui que les émissions dites "normales" utiliseront pour surfer sur cette célébrité éphémère. Dans le magazine "Le supplément" sur Canal +, la jeune Nabila a été invitée par Maïténa Biraben pour finalement ne cesser de s'en moquer. La cruauté du système repose à la fois sur ce dénigrement de ces "joueurs" de téléréalité mais conduit ceux qui les dénoncent à se conduire comme le spectateur moyen. Les chroniqueurs apparaissent d'autant plus drôles et intelligents que leurs invités sont incultes. Le procédé est facile et contribue au développement de ces émissions, fondées sur la bêtise, l'appel aux sentiments les plus vils, et à se moquer de la différence des autres. Des émissions respectables quoi, avec une vraie mise en scène télévisuelle. Car la téléréalité est bien sûr de la télé, pas de la réalité.

Où on en revient à Casimir
Faire un article qui dégomme la télévision d'aujourd'hui et particulièrement la téléréalité, c'est surfer sur le succès de ces émissions, non? En appeler à Casimir, c'est nostalgique pour certains, réac pour d'autres. Mais au-delà de ces qualificatifs, peut-on sérieusement argumenter sur la supposée qualité de "L'île aux enfants" face à ce qui existe aujourd'hui?
D'abord, si la cible n'est pas la même pour l'émission des années 1970 que celle de "Secret story", il se trouve que les spectateurs ont pourtant le même âge. C'est une question de génération. Les jeunes parents d'aujourd'hui ont été les spectateurs adolescents de "Loft story". Et beaucoup continuent à regarder ces programmes. Ou bien ne sont pas chez eux aux horaires de passage. Et puis surtout, les rediffusions, notamment via internet permettent aux jeunes de regarder ces émissions autrement qu'à la télévision. Et comme il n'y a rien de plus rigolo que de voir des gens s'engueuler, autant le voir coûte que coûte, surtout quand les moyens technologiques le permettent.
Pour 'L'île aux enfant", un seul passage par jour, 30 minutes, un public cible clairement moins de 12 ans.
Question contenu maintenant. Et là, c'est le drame! Comparer les deux types d'émission, c'est comparer le vide et le plein. Je préfère le plein. Si on reprend "L'île aux enfants", sous ses abords ringards d'aujourd'hui, il est à remarquer la mise en avant d'un monde merveilleux dans lequel les valeurs morales sont toujours défendues. Le mensonge, la tromperie, la jalousie ne sont pas absents des épisodes. Mais ils sont jugés comme contraires au bon fonctionnement d'une collectivité. Le contraire même des téléréalité d'enfermement. Les personnages sont tous caractérisés jusqu'à la caricature, les rendant particulièrement différents les uns des autres. Et pourtant, chacun s'accepte malgré justement ces différences.Cette acceptation ne se limite pas aux caractères de chacun. La chanson de Casimir ne dite-elle pas "J'ai la peau couleur orange, je suis aussi doux qu'un ange, si mes mains ont quatre doigts, c'est mon droit". On peut difficilement faire mieux que ce discours pour transmettre des valeurs de tolérance aux enfants. Ai-je besoin de faire la comparaison avec la téléréalité?

Pour vérifier, la chanson de Casimir



Toujours sur ces différences, l'ensemble des modules intégrés dans "L'île aux enfants" relève de cette logique. Chaque personnage a une particularité qui le distingue de la majorité. Antivol est un oiseau au sol. Gribouille ne sait pas parler. La noiraude a une couleur moins avenante que blanchette. Pourtant, chaque personnage arrive à s'intégrer dans son environnement en n'attendant pas des autres que la solution jaillisse. C'est à chacun d'accepter ceux qui sont différents, mais c'est aussi à chacun de s'adapter pour faire partie de cette société. La tolérance est manifeste à chaque épisode de Gribouille qui ne fait jamais ce qu'on lui demande de dessiner pour aboutir finalement à une solution convenable, et reconnue comme telle par celle qui lui parle. C'est donc encore une différence avec "Secret story" et autres programmes de ce genre.
Les valeurs qui sont transmises dans le programme de Christophe Izard sont aussi celles du travail, du partage et de la générosité. Le facteur a un métier tout comme François ou Julie. Les enfants sont les seuls a véritablement s'amuser ou à chanter tout le temps. Ils sont maintenus dans leur statut d'enfants. Et les valeurs sont transmises par les adultes. Ceux-ci s'entraident régulièrement pour faire plaisir à l'un, pour soulager l'autre. Ce monde des adultes qui est visible n'exclut pas le monde des sentiments et tous les enfants spectateurs savaient que François en pinçait pour Julie et que la réciproque était vraie. Mais cette relation n'était pas montrée par des rapports physiques. On peut y voir la pudibonderie des années 1970. On peut aussi y trouver le cœur du message de cette émission. Elle avait pour objectif d' "élever" les enfants, non pas en substitution des parents, mais en compléments. Pourquoi imposer à des enfants de moins de douze ans une représentation charnelle qu'ils ne voyaient certainement pas chez eux? Et quand bien même les enfants voyaient leurs parents s'embrasser, est-ce que pour un programme pédagogique, une relation amoureuse entre François et Julie s'imposait? Le propos de "L'île aux enfants" n'était pas de raconter une histoire d'amour mais de donner des cadres, des valeurs. Pas de montrer ce que de toute façon ils découvriraient autrement. Pour "Secret story", on est à l'extrême inverse. Bien que supposées êtres cachées ou tournées dans l'obscurité, rien n'est épargné aux spectateurs des histoires sexuelles des candidats, pas plus aux adultes qu'aux plus jeunes. Ce n'est évidemment pas un drame. À ceci près que rien de ce qui est montré n'est à vocation pédagogique. Voir cela à 16 ans n'est évidemment pas grave, les hormones des adolescents leur donne toutes les clés pour comprendre ce qui se passe! Le montrer à des moins de 12 ans relève d'un autre problème, qui n'est même pas celui de la décence. C'est juste que cette représentation de l'acte sexuel est montré dans un cadre complètement artificiel, mais avec des vraies personnes. Si ce n'est pas traumatisant en soi, rien de ce programme ne permet à des jeunes, enfants ou adolescents, de s'épanouir, de s'élever.

Pour conclure, il est à parier que ma nostalgie, toute fondée qu'elle soit, a aujourd'hui peu de chances d'être comblée par des programmes dont la pertinence serait celle de ceux créés par Christophe Izard. La suppression de "C'est pas sorcier", émission culte appréciée des parents, des enfants et même des enseignants, est une nouvelle preuve que le service public ne réponde plus à cette exigence qualitative pour le public jeune. Ce n'est pas qu'une question de moyen mais d'ambition et de choix. La production de programmes intelligents, pour les enfants comme pour les adultes, impose une stratégie qui se distingue des chaînes commerciales. Pas ARTE pour les enfants, mais juste France Télévision, avec des programmes qui ne vont pas chercher à concurrencer TF1 et autres chaînes privées, gratuites ou payantes. Peut-être que moins de chaîne publiques permettrait de le faire en dégageant des moyens substantiels pour produire autre chose que des jeux ou "Toute une histoire"?
Fallait pas le dire?

À bientôt
Lionel Lacour

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