Bonjour à tous,
Longtemps, Le
cave se rebiffe a pu s’enorgueillir d’être le film le plus diffusé par la
télévision française. Réalisé en 1961 par Gilles Grangier, il avait toutes les
qualités pour rassembler les spectateurs devant l’écran. Le duo Gabin/Blier
tout d’abord, les dialogues de Michel Audiard ensuite, et une histoire tirée de
la trilogie de Max le menteur d’Albert
Simonin dont le premier volet a donné le très sérieux Touchez pas au grisbi en 1954 par Jacques Becker et le troisième le
parodique Tontons flingueurs en 1963
par Georges Lautner. De ces trois adaptations complètement indépendant, Le cave
se rebiffe est certainement la plus pittoresque et raconte une histoire de
faux-monnayeurs. Pourtant, les bons mots d’Audiard et les performances remarquables
de tous les comédiens s’appuient sur une véritable activité d’une entreprise industrielle cherchant à développer
un produit jusqu’à sa commercialisation.
BANDE ANNONCE
Eric Masson (Franck Villard) est un entrepreneur en
automobiles américaines. Endetté auprès du banquier Lucas Malvoisin (Antoine
Balpétré) et d’un financeur Charles Lepicard (Bernard Blier), ancien patron
d’une maison close, vient en rendez-vous pour rembourser ses dettes sur le
développement de ses activités auprès de General Motors. Or Masson propose à
ses créanciers une affaire plus prometteuse consistant à fabriquer de la fausse
monnaie.
Le film aborde alors rapidement sur une réflexion
commune des trois potentiels associés sur la faisabilité d’un tel projet.
Lepicard les ramène à la raison car cette activité est nouvelle pour eux trois.
Mais il connaît un spécialiste qui pourrait valider ou pas un tel projet.
L’investissement coûterait un voyage en Amérique latine pour présenter la
nature de l’entreprise à un certain Ferdinand Maréchal dit Le dabe (Jean
Gabin).
Face aux arguments de Charles, Le dabe lui montre
tous les inconvénients d’un tel projet, à commencer par la versatilité d’une
devise qui peut être démonétisée sans prévenir ! Il fait valoir d’ailleurs
son expérience face à la démonétisation du Florin par la Reine Wilhelmine des
Pays-Bas en 1945 !
« Dis-toi bien
qu’en matière de monnaie, l’Etat à tous les droits, le particulier
aucun ».
Derrière cette boutade, il s’agit bien de voir
qu’une entreprise économique doit prendre en compte tous les paramètres, à
commencer par la stabilité d’un marché ! Et l’expérience qu’apporte Le
dabe est évidemment de première importance.
Malgré ses réserves, Le dabe accepte finalement l’association proposée par Charles Lepicard. Pour des raisons finalement « déraisonnables ». Là encore, l’acceptation du spécialiste prend en compte un autre aspect de l’aventure d’un entrepreneur car si le Dabe sait le risque de la fausse monnaie, il en sait aussi les profits potentiels. Lepicard joue alors la carte de l’affectif. Il change le projet initial de faire des fausses Livres Sterling et affirme au Dabe que la fausse monnaie devait être des Florins. L’entreprise est une prise de risque et un engagement personnel. Le dabe prend donc ce risque.
Si ce sont les trois associés qui sont à
l’initiative de l’entreprise, Le dabe en est le chef de projet car il en a les
compétences. Il organise la production en choisissant le lieu, les machines et
les individus.
Chaque associé apporte une valeur ajouté. Le
banquier et Lepicard apportent les financements, Eric Masson doit chercher le
matériel et est transformé en directeur de production, en charge de recruter le
graveur. Car si le projet est alléchant pour les premiers associés, c’est qu’il
était lié à leur relation avec un graveur hors pair, Robert Mideau (Maurice
Biraud). Il est précédé d’une réputation, d’un CV que seul Le dabe peut
confirmer
Le dabe se charge aussi de trouver des fournisseurs
et des clients. Ainsi va-t-il chez Mme Pauline (Françoise Rosay) pour
s’approvisionner en papier. Quant à son client, il s’adresse à lui par un
réseau professionnel, dans un vocabulaire codé.
Enfin, le chef de projet établit le planning de la
production afin de procéder à l’impression, découpage et conditionnement des
billets, nettoyage et destruction des éléments compromettants pour enfin
procéder à la livraison et au paiement de la production par le client.
Le dabe maîtrise son secteur d’activité, de la
production jusqu’au périmètre limité de son marché. Il est en mode B2B (Business To Business) et sait que cette
production n’est pas duplicable car elle est en mode « prototype ». C’est sur ces bases qu’il réclame 50% des
bénéfices, sûr de ses compétences permettant de mener à bien l’opération. Le
film montre d’ailleurs parfaitement la loi de l’offre et de la demande dans le
marché des ressources humaines car c’est Le dabe qui fixe ses conditions à ceux
venus le chercher. En contrepartie, il s’engage à une obligation de résultat
pour lequel il s’engage.
Le dabe évalue également les compétences du graveur.
Robert est d’abord montré comme un professionnel aguerri connaissant
parfaitement les machines sur lesquelles il devra travailler. Mais c’est
surtout sur son travail de gravure que Le dabe identifie le talent de Robert.
Une scène mémorable permet alors de comprendre que Le dabe se fait passer pour
le commanditaire de la gravure pour faire de Robert l’homme important de
l’opération de fausse monnaie. D’abord par la flatterie dans sa comparaison de
Robert avec les grands artistes « Laissez-moi vous appeler Robert comme on
dit Léonard ou Raphaël » puis valorisant talent « Ne pas reconnaître
son talent c’est faciliter la tâche des médiocres ».
Quant aux associés, hormis leur statut d’associés,
Le dabe les traite seulement en fonction de leurs seules compétences. Soit
financier. Soit physique. Ainsi Eric Masson, bien qu’étant celui à l’initiative
du projet, se retrouve à faire de la manutention pour récupérer les rames de
papier pour les billets de banque. Ce qui en dit long sur l’appréciation que Le
dabe en a. D’où sa description à Madame Pauline : « Un grand, l’air
con, avec des petites moustaches. […] Un gabarit exceptionnel, si la connerie
se mesurait, il servirait de mètre étalon, il serait à Sèvres. » Mais peu
importe, Le dabe a besoin de Masson pour les basses besognes. Et il l’emploie.
Mener à bien le projet
Comme tout film de gangsters ou d’aventure, il y a
des conflits et des traîtrises. La qualité d’un chef est de pouvoir les
identifier et de les neutraliser. Or le film montre combien l’entreprise
économique, même illégale, crée des tensions entre les différents
protagonistes. Ainsi, parce que les trois associés se sentent floués par leur
chef de projet qui s’accapare 50% des bénéfices, ils décident de le doubler en
produisant davantage de faux billets, s’approvisionnant chez un autre
fournisseur – de moindre qualité – et impliquant le cave – Robert dans leur
combine.
Ainsi, les modalités du projet ont été modifiées au
risque d’aboutir à son échec. Pourtant, Gilles Grangier met en scène une
rencontre entre Le dabe et Robert durant laquelle le premier va estimer le
temps de production des faux billets. Le film a présenté Le dabe comme un
professionnel de la fausse monnaie et donc ses évaluations de délai pour chaque
opération (impression, massicotage, destruction des chutes…) ne sont pas des
approximations. Or Robert, lui aussi caractérisé comme un vrai spécialiste,
annonce des délais plus longs. Pour produire plus que ce que le plan de travail
avait envisagé ?
De fait, chaque spectateur peut se projeter dans ces
luttes d’influences mêlant les différents cadres et les employés. Chacun
comprend que Le dabe s’est rendu compte de l’entourloupe qui se prépare et invite
Robert à ne pas faire d’heures supplémentaires. Ainsi, les compétences du chef de projet ont
permis au Dabe d’identifier le dysfonctionnement dans la production et l’a fait
comprendre à son technicien. Les deux seuls vrais professionnels du projet se sont donc reconnus en tant que
tels.
Par cette rencontre, Le dabe rétablit le plan de
production initialement décidé, élimine du projet ceux ayant risqué de le faire
échouer et finalise la distribution avec son client. Robert le rejoint pour
profiter des bénéfices tandis que les trois autres compères ont tout perdu.
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».
Si le film se finit par la réussite d’une affaire
illégale, il finit surtout par le succès d’une entreprise économique dans
laquelle l’efficacité et le professionnalisme l’ont emporté. C’est ainsi que
les trois associés se sont fait doubler par l’employé qu’ils avaient eux-mêmes
essayé de détourner de sa mission. Leur échec est celui de leur incompétence
combiné à leur quête du profit. En effet, ils ont voulu produire davantage de
faux-billets avec un papier de médiocre qualité ce que Le dabe a identifié au
premier regard quand les trois autres s’en satisfaisaient, au risque de faire
capoter l’entreprise. Mais surtout, c’est cette incompétence qui leur a
finalement fait tout perdre plutôt de de se partager les 50% de bénéfices
restant. C’est la morale de toute activité économique qui doit rémunérer ceux
apportant la plus grande valeur ajoutée au projet.
Ici, les actionnaires ont voulu gagner autant que
ceux qui ont les compétences sur toutes les parties opérationnelles. Dans le
film, ce sont ces derniers qui l’emportent – même si les auteurs ajoutent un
carton final affirmant que Robert et Le dabe seront arrêtés justifiant le « bien
mal acquis ne profite jamais » – sur les premiers. Vu aujourd’hui, cette
morale apparaît incongrue tant le rapport de force semble parfois renversé entre
les productifs et les financeurs au sein des entreprises. Du moins dans les
grandes entreprises. Mais pour les petites entreprises, il est fort à parier
que la morale du film est toujours d’actualité !
À très bientôt
Lionel Lacour
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