mercredi 21 janvier 2015

"Foxcatcher", le revers de la médaille américaine

Bonjour à tous,

ce mercredi 21 janvier 2015 sort dans les salles Foxcatcher réalisé par Bennett Miller et prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes (2014). Présenté en avant-première lors du festival Cinéma, Sport et Littérature à l'Institut Lumière le dimanche 11 janvier 2015, le film se concentre sur le désir pathologique d'un milliardaire, John du Pont (méconnaissable Steve Carell) à vouloir devenir l'entraîneur de champions de lutte, et notamment Mark Schultz (interprété par Channing Tatum), champion olympique aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984.


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1. Le rêve américain se poursuit
Le scénario commence donc avec une opposition entre Mark et son frère aîné Dave (joué par Mark Ruffalo), lui aussi champion olympique en 1984, mais beaucoup plus extraverti, faisant office de coach et de manager du club. Si la frustration de Mark est évidente, jamais Dave ne joue un rôle négatif dans sa relation avec son cadet. Au contraire, il le soutient, l'encourage. Et le spectateur comprend combien l'aide de Dave est essentielle dans les victoires de Mark. Parce que leur destin n'était pas tout tracé, étant placés de famille d'accueil en famille d'accueil.
C'est donc par le travail, par les efforts individuels que les deux frères sont devenus ce qu'ils sont, des champions olympiques. Ces personnages sont donc des héros positifs de l' American Dream, l'idée que tout est possible aux USA, que rien n'est écrit à l'avance et que l'on peut devenir quelqu'un, que l'on peut réussir sa vie malgré des origines sociales modestes.
Or, malgré leur succès en or, ils ne seraient pas reconnus à leur juste valeur. C'est du moins ce que laisse entendre John du Pont, héritier d'une entreprise industrielle multinationale, à Mark quand il le fait venir dans son domaine dont une partie est déjà aménagée pour accueillir le champion et d'autres lutteurs. Cette séquence fait se téléscoper plusieurs éléments parfois contradictoires: la recherche d'émancipation de Mark vis-à-vis de son frère tout en créant une sorte de proximité quasi filiale avec John au regard de son comportement très paternaliste; c'est aussi le rôle des entreprises aux USA dans le soutien aux athlètes (ou aux arts en général) par une forme de mécénat mais ce mécénat semble rapidement avoir plus pour vocation de mettre en valeur le mécène que le sportif soutenu.
Cette dernière contradiction saute aux yeux lors d'un dîner réunissant les puissants des USA et dans lequel est mis à l'honneur John du Pont accompagné par Mark. Celui-ci est présenté par son nom mais surtout en tant que champion Olympique, provoquant une admiration non feinte des personnes qui lui sont présentées. Cette admiration est moins pour l'homme que pour le symbole que cela représente. Par ce titre, c'est la nation américaine qui a été mise en valeur. Or c'est ce même champion, héros de la nation, qui doit prononcer un discours faisant l'éloge de John du Pont, notamment présenté comme philanthrope. On assiste par cette séquence à la tombée du masque, au cas où nous n'aurions pris John que comme un excentrique. En effet, à la différence des mécènes habituels qui se mettent en arrière de ceux qu'ils protègent, John se sert en fait de ce que représente Mark, un héros national symbolisé par un titre olympique (peu importe le sport, ce qui compte est le titre!) qui glorifie son mentor.

2. Le revers de la médaille
Cette bascule enlève tout doute sur l'enjeu de ce mécène - coach - gourou sociopathe dont les vices et failles vont se dévoiler peu à peu. Incapable de s'imposer face à une mère castratrice, il est devenu manipulateur et pervers narcissique. Tout doit le flatter puisqu'il ne trouve pas dans sa mère les encouragements qu'un fils aimerait avoir.
Incompétent en lutte, il s'invente cependant coach pour une équipe qu'il a créée, portant le nom de foxcatcher, et comprenant d'authentiques champions, dont Mark et Dave, ce dernier ayant finalement accepté de rejoindre son frère après les demandes réitérées de John et certainement une somme non négligeable! Le ridicule de la situation n'est pourtant pas comique. Si on peut sourire des entraînements menés par John dont tout le monde comprend qu'ils sont indignes de professionnels, si la caméra qui le suit en permanence, qui capture des monologues sur son expertise d'entraîneur de lutte prête vraiment à rire, le film ne vire pourtant jamais à la comédie car la farce qui se joue est une farce tragique.
Le personnage de John est une sorte d'inverse de ce en quoi les Américains rêvent et qui est illustré dans le cinéma comme dans les stades olympiques. Dans Rocky IV, en 1985, Rocky est un individu qui combat pour venger son ami Apollo Creed, mort face au boxeur soviétique Drago. Le combat de boxe qui oppose alors Rocky à Drago présente chacun des combattants portant les couleurs de son pays. Et Rocky victorieux se drape dans un drapeau américain. En 1996, lors des JO d'Atlanta, Carl Lewis, légende de l'athlétisme, se prépare pour son saut en longueur et pour sa 9ème médailles d'or olympique. Sur la piste d'élan, il n'est pas scandé son nom mais "USA - USA..." Que ce soit par la fiction ou dans de réelles compétitions, le sportif est d'abord le héraut de la nation américaine. Ce que recherche John du Pont dans Foxcatcher est l'exact inverse. Il veut que la gloire olympique de ses champions lui retombe dessus. Ce qui est acceptable quand c'est pour la nation l'est beaucoup moins quand c'est pour un individu.
La conclusion du film est une double tragédie.

ATTENTION, des informations importantes sont révélées ici pour ceux n'ayant pas vu le film.

La vampirisation des USA par John surgit définitivement quand il impose à l'équipe nationale de s'entraîner dans son domaine aménagé. Mark réalise enfin que celui qu'il voyait comme un père de substitution n'agit que pour sa gloire. Il perd au JO de Séoul sans vraiment combattre, conscient que sa défaite entraînera inexorablement celle de celui qui l'a trahi.
La réaction de Mark contraste alors avec la réaction de Dave. Mark réagit individuellement mais pour punir l'autre. Il se sacrifie non pour sauver la nation mais pour "tuer" symboliquement celui qui s'est substitué à elle et qui lui a fait perdre toute ambition au point de renoncer au titre de champion olympique. Dave au contraire comprend ce que fait Mark lors du combat qu'il est en train de perdre. Il place l'individu au-dessus de tout, et surtout au-dessus de John. Sa victoire serait toujours la sienne, et jamais celle de John. Peu importe que d'autres croient les élucubrations de ce milliardaire fou.
Après la défaite de Mark, John, paranoïaque, s'en prend alors à Dave et l'exécute. La folie, la drogue ont fait de du Pont un meurtrier.


S'il y a des compressions temporelles, le film relate assez scrupuleusement cette histoire vraie qui fut un fait divers qui choqua les Américains. Jugé en 1997, le crime perpétré par John du Pont n'a pas eu lieu quelques temps après la défaite de Mark Schultz mais bien des années plus tard, en 1996. Cette ellipse que le film n'évoque pas n'a en fait que peu d'importance. Le récit que propose Bennett Miller (réalisateur de Truman Capote en 2005 et d'un autre film sur le sport Le stratège en 2011) ne remet pas en cause le capitalisme et l'idéal américain. En revanche, il témoigne tout de même de l'existence d'une aristocratie américaine se sentant tellement supérieure qu'elle est amenée à se croire au-dessus même de la Nation américaine. L'argent de John du Pont lui a permis de mettre quasiment la main sur une discipline olympique pour pouvoir ensuite s'approprier le mérite des victoires, avant celui des sportifs, avant celui de la nation américaine elle-même. Le scénario est simple - et non simpliste comme il a été dit sur France info notamment - car le propos de fait dépasse le sport et pourrait trouver d'autres domaines dans lesquels la puissance d'un individu pourraient s'exercer de la même manière. Le meurtre n'est hélas qu'un fait divers concluant le parcours d'un fou. Mais cela ne remet en rien en cause le fait que le modèle américain puisse être remis en cause selon le bon vouloir des puissants capitalistes.

À bientôt
Lionel Lacour



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