Bonjour à tous.
Les
comédies transgénérationnelles, celles que les parents montrent à leurs enfants
et que les enfants intègrent dans leur propre culture, ne sont pas si
nombreuses. Il en va des Tontons
flingueurs, de La grande vadrouille ou
du Père Noël est une ordure et quelques autres, souvent des mêmes auteurs
d’ailleurs. En 1994, Alain Berbérian réalise La cité de la peur sur un scénario écrit par les Nuls alors au
sommet de leur gloire après le succès des deux saisons de Les Nuls, l’émission de 1990 à 1992. Ces stars comiques de la
chaîne Canal + ont donc décidé de projeter leur talent sur grand écran,
montrant que leur drôlerie inspiré des plus grands humoristes anglo-saxons
pouvait être transposé en salle et sur la durée d’un film entier tout en
conservant leur verve et leur spécificité reposant sur le décalage, le mauvais
goût et l’implication des autres artistes dans leur délire. Mais c’est surtout
dans l’univers du show-business qu’Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique
Farrugia plongent leur histoire. Et quoi de mieux que le festival de Cannes
pour incarner le temple du show-business avec ses stars de cinéma, ses
journalistes et ses groupies.
1.
Le star system
revisité
Un
nanar absolu Red is dead est projeté
en séance de presse au premier jour du festival de Cannes. Hormis un jeu d’acteur exécrable, une
réalisation pitoyable et un discours politique d’un simplisme confondant avec
son fameux « meurs, pourriture communiste », les Nuls posent
clairement les faits. Ce film est nul tout comme son acteur principal. Pourtant,
à la suite d’un fait-divers en lien avec le tueur du film. Le projectionniste
de la salle de cinéma où est projeté Red
is dead est assassiné comme le fait le tueur du film, avec un marteau et
une faucille. Or, malgré le rejet du film par la critique, l’attachée de presse
Odile Deray (Chantal Lauby) décide de tirer avantage de ce meurtre et attirer l’attention
des médias sur son film. Elle décide de faire venir au festival l’acteur Simon
Jérémi (Dominique Farrugia). Les spectateurs découvrent médusés un personnage
qui vomit quand il est heureux, a des goûts alimentaires répugnants et
ressemble dès son arrivée davantage à un enfant attardé qu’à un adulte
accompli. L’objectif d’Odile est de le mettre en scène comme n’importe quelle
star du 7e art. Pour cela, elle le fait accompagner d’une voiture, d’un
garde du corps et procède à un relooking surtout après qu’un deuxième
projectionniste a été assassiné selon les mêmes circonstances. Simon se
retrouve alors sous les feux des projecteurs alors même que son talent d’acteur
ne le justifie pas.
Cette notoriété soudaine ne
touche d’ailleurs pas seulement Simon. En effet, dans plusieurs séquences, le
film illustre comment certaines personnes deviennent des sujets d’attention
pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’elles font. Ainsi le commissaire Bialès
(Gérard Darmond) est-il accueilli telle une rock star par les journalistes quand il arrive sur les lieux d’un
crime. Cette notoriété est à la fois suscitée par une presse en quête de
sensationnel et par ceux qui voient l’opportunité d’être mis en avant. Ainsi le
commissaire s’inquiète de la tenue qu’il porte et remercie son adjoint d’avoir
prévenu la presse. Mais ce sont surtout d’autres personnages qui troublent le
plus, provoquant le rire. En effet la veuve du premier projectionniste
assassiné se retrouve être désormais invitée dans tous les événements people du
festival jusqu’à remonter les marches, telle une star connue de tous. Même par
les journalistes commentant cette montée. La sous-préfète au look de cougar est
citée deux fois comme si cela était important. En revanche, les deux animateurs
de la soirée peinent à reconnaître le premier ministre, qui ressemble vaguement
à quelqu’un qui passe à la télévision.
Derrière l’humour se cache malgré
tout une critique d’un système médiatique s’intéressant davantage à ce qui fait
l’actualité sensationnelle qu’au contenu. Ainsi l’animatrice reconnaît
explicitement qu’elle n’a pas le temps de voir les films, toute occupée qu’elle
est à se préparer et à paraître. C’est également le public qui est moqué, celui
qui se presse voir un film dont ils ne savent rien et dont l’actualité
sanglante confère une valeur n’ayant aucun rapport avec sa qualité cinématographique.
Cet engouement est d’autant plus factice que les spectateurs réclament le
remboursement de leurs invitations car la projection a un peu de retard. A contrario, les vrais artistes acceptent
d’être ridiculisés dans des rôles mineurs. Il en est ainsi des quatre
projectionnistes interprétés par Tchecky Karyo, Jean-Pierre Bacri, Daniel Gelin
et Eddy Mitchell.
Ainsi,
c’est bien l’industrie cinématographique et ceux qui en vivent qui est
gentiment, mais sûrement moquée dans La
cité de la peur. Et notamment ce qui concerne l’après-production. Ainsi, il
s’avère que le rôle des attachés de presse est primordial pour le succès d’un
film. C’est ce que fait d’ailleurs avec passion Odile Deray en essayant de
vendre un film calamiteux par l’organisation d’une séance réservée aux
journalistes. Mais c’est également elle qui utilise le « buzz »
autour de Red is dead et des
assassinats de projectionniste pour relancer la promotion jusqu’à l’organisation
d’une séance en clôture du festival. Rien n’indique d’ailleurs que ce film
était prévu en projection dans la salle du Palais du festival. Le succès de
cette promotion que le réalisateur montre une montée en puissance dans la
communication, avec une attachée de presse gérant en quelques jours et dans des
bureaux flambant neufs une équipe de communiquant déployant toutes les possibilités
de marketing. Car derrière le succès médiatique du film, c’est la carrière d’Odile
qui est en jeu. Peu importe le sort des personnes qu’elle côtoie, elle ne pense
qu’aux retombées médiatiques. Et le « bad
buzz » autour des meurtres n’est que du buzz pour le film dont elle a
la charge. Jusqu’à ce qu’elle intéresse même des cinéastes étrangers !
Ainsi, le rôle des journalistes-critiques
de cinéma est relégué au second plan. Ceux qui ont vu le film le premier jour du
festival n’en ont pas parlé parce que trop mauvais, ou ne sont pas allés jusqu’au
bout de la projection. À aucun moment il n’est mentionné dans La cité de la peur que le film ait été
mal accueilli par eux. L’aspect qualitatif est donc relégué derrière des
considérations autres. Et si le film des Nuls insiste à ce sujet, c’est aussi
pour se moquer d’une cinéphilie parfois pointue que représente Cannes. Ainsi
sont régulièrement cités les films projetés en compétition, avec des titres
improbables, de réalisateurs inconnus venant des pays d’Europe centrale ou d’Asie.
Ces films sont sélectionnés pour des critères qualitatifs mais si la lecture de
leurs titres des films fait rire les spectateurs de La cité de la peur, c’est que cela renvoie aussi à un certain
snobisme du festival de Cannes, sélectionnant parfois des films qui ne seront
que peu programmés en salle et très peu vus. De fait, Red is dead peut être très mauvais. Sa carrière ne sera pas moins
calamiteuse que certaine des films sélectionnés mentionnés.
En fait, les Nuls montrent
surtout que le cinéma, et avec lui, le festival de Cannes – comme les autres
événements du 7e art – sont surtout un business. Et au-delà des
salles de projection, La cité de la peur insiste
sur l’organisation du festival. Car s’il y a une sélection de films en
compétition, Cannes est surtout pour les professionnels un moment privilégié
pour faire connaître leurs projets, leurs productions. À plusieurs moments d’ailleurs
apparaît un panneau indiquant « marché du film ». Il s’agit bien de
quelque chose de choisi par la réalisation car Berbérian tourne en dehors de la
période du festival. En effet, les habitués de cet événement auront remarqué l’absence
des installations éphémères à proximité du palais et qui accueillent toutes les
grandes institutions privées et publiques de l’industrie cinématographique. En
disposant plusieurs fois ce panneau « Marché du film », le
réalisateur rappelle que le cinéma est certes un spectacle – la preuve, il en
fait une œuvre lui-même – mais aussi et surtout un business. Cela se traduit donc par des salles réservées aux
professionnels ayant des badges spécifiques, des services de sécurité etc.
3.
Le
business où tout est spectacle
Quand Serge (Alain Chabat) arrive à l’aéroport de
Nice en tant que garde du corps du comédien Simon, il présente la voiture dans
laquelle ils vont rejoindre comme une vraie publicité, ce que le réalisateur s’empresse
de représenter ainsi avec des plans pastichant les spots publicitaires des
véhicules censés vendre du rêve plus qu’une voiture. Il y a donc, au détour d’un
gag, une confusion entre réalité, ils vont prendre une voiture, et l’illusion
donnée par la mise en scène d’un véhicule ordinaire devenu un spectacle en soi.
Cette confusion va aller crescendo avec le spectacle que représentent les assassinats des projectionnistes. Les protagonistes, directs ou indirects, de ces crimes en série deviennent des personnages à part entière. Les veuves sont scrutées comme des héroïnes et acclamées sur le tapis rouge à égalité avec les artistes. Jusqu’à Emile le projectionniste amoureux d’Odile et le véritable assassin, qui montant les marches du palais pour projeter Red is dead attire l’attention des fans comme des animateurs. Il est un spectacle à lui tout seul car il pourrait être la prochaine victime. Le réalisateur insiste avec l’utilisation du ralenti et d’une musique de thriller. Tout est spectacle donc dans le cinéma, en dehors même du contenu des films.
D’ailleurs, Berbérian signifie cette omniprésence du spectacle par l’utilisation de procédés suscitant l’émotion à tous propos. Ainsi, quand Serge Karamazov doit éviter des mimes en faisant un saut sur la Croisette, le réalisateur utilise le gros plan sur le visage du garde du corps, le tout au ralenti pour accentuer encore plus les sensations. Quand il atterrit, des juges sortis de nulle part viennent mesurer la longueur du saut avec un record du monde ! Certes le décalage de la situation crée l’hilarité. Cela manifeste pourtant aussi que la réalisation audiovisuelle des compétitions sportives insiste de plus en plus sur l’émotion au-delà de la performance pure. Ce qui montre bien que ce « tout spectacle » est présent partout, pas seulement au cinéma. Et que ce « tout spectacle », comme pour l’industrie cinématographique, ne prend pas en compte seulement le qualitatif !
Le spectacle est donc une clé de la société
contemporaine. Et cela est relayé par les médias de l’immédiateté de 1994 dans
un film qui ne connaît pourtant pas encore les réseaux sociaux. C’est ainsi que
la télévision est omniprésente, que ce soit sur les lieux d’un crime avec
foison de caméras relayant en direct l’arrivée du commissaire ou interviewant
des victimes. La presse écrite se nourrit également de ces crimes en série pour
« feuilletonner » et proposer chaque jour des titres plus accrocheurs
pour vendre leurs journaux.
Comme un pied de nez arrive alors la séquence de la Carioca sur une musique latino génialement adaptée par Philippe Chany, longtemps compositeur attitré des films avec Alain Chabat. Elle doit occuper les spectateurs en salle face au retard de la projection du film Red is dead. Serge Karamazov entame ainsi un solo de trompette enchaîné par une chanson, bientôt rejoint par le commissaire. Séquence improvisée dans la narration du film, Berbérian en fait une sorte de réplique de comédie américaine avec des décors certes minimalistes mais créant une ambiance exotique, le tout mis en scène avec une vraie élégance artistique, le rire étant suscité par ce couple improbable de deux hommes effectuant une chorégraphie ambiguë. Cette séquence magistrale et mémorable au point d’être rejouée en 2019 au Festival de Cannes pour les 25 ans du film est de fait le seul moment de spectacle artistique de La cité de la peur - hormis la séquence finale de Red is dead – tout le reste n’étant que spectacle médiatique reprenant les codes des spectacles artistiques.
Le succès de La
cité de la peur repose donc sur le talent de l’équipe des Nuls, de leurs
acolytes habituels et des seconds rôles prestigieux. Les auteurs ont su
transposer leur imaginaire fécond télévisuel sur un format plus long,
enchaînant humour potache, gags et incises aussi efficaces sur petit écran que
sur le grand. Mais le succès est aussi dû au regard porté par ces humoristes
sur un univers dont ils connaissent parfaitement les contours et les limites,
créant des notoriétés sur une exposition télévisuelle qui ne dure que le temps
de l’émotion et de l’événement. Un système où personne n’est dupe du jeu et où
chacun essaye de tirer profit. Car si les télévisions se précipitent sur les
faits divers et les individus, la célébrité qui en découle vient aussi que
chacun recherche ce que Warhol définissait par le quart d’heure de célébrité permis
par les médias de masse. Depuis ce film, rien n’a changé. Au contraire. Les
réseaux sociaux créent même le phénomène de viralité amplifiant la notoriété immédiate
de parfaits inconnus. Et ce n’est pas Tomy, le pêcheur de coquilles Saint-Jacques
de Saint Malo qui pourra dire le contraire après le reportage lui étant
consacré en décembre 2020 par France 2, créant un engouement inouï autour de sa
personne !
À très bientôt
Lionel Lacour